Chapitre 14. Séparation amoureuse*
La constitution d’un couplecouple obéit à des lois mystérieuses et à des alchimies secrètes. Deux individus se rapprochent par une attirance physique, une séduction intellectuelle, des points de similitude ou de profonde divergence. Le processus d’attachement de l’un à l’autre fait intervenir des convergences de milieu social, de goûts, des affinités intellectuelles ou spirituelles, des satisfactions sexuelles.
Au-delà du processus d’attachement, la relation de couple peut faire intervenir des éléments de dépendance. Certains couples se sont construits l’un sur l’autre, alors que les personnalités n’étaient pas encore tout à fait affirmées, quand les couples se sont formés à la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte. L’un des membres a pu venir pallier aux défaillances ou aux difficultés de l’autre. Dans d’autres cas, l’un des conjoints s’appuie sur l’autre. Cet étayage peut se révéler plus tard, soit lorsqu’une maladie grave survient chez l’un des membres du couple, soit s’il existe une grande différence d’âge. Les équilibres de couples sont d’autant plus subtils qu’un des membres peut tenir le gouvernail dans certains secteurs et l’autre avoir des attributions importantes dans d’autres. Mais il peut exister des moments de régression où l’un des protagonistes renonce, abandonne, démissionne de plusieurs de ses rôles. Lorsque les éléments du quotidien ont pris le pas sur l’amour ou la tendresse, la monotonie de l’existence amène l’un des membres du couple à penser qu’il gaspille sa vie, qu’il s’ennuie. Ceci peut constituer le démarrage d’une crise existentielle : qui suis-je vraiment, quels sont mes goûts et mes attentes ? La fin du couple va alors se profiler soit de façon naturelle, soit suscitée ou hâtée par une nouvelle rencontre ou une liaison. Cette fin de couple fait émerger une rancœur à l’idée d’avoir fait des sacrifices, d’avoir enduré les mille et une contrariétés du quotidien pour aboutir à une séparation. Les enfants représentent dès lors un enjeu primordial. Ils deviennent souvent les instruments d’un conflit non résolu ; on les transforme en messagers, en témoins, en juges et parfois en missiles. L’enfant missile est manipulé pour porter des remarques ou des coups.
Si la vie commune a été longue, tout un référentiel de fonctionnement familial, d’habitudes du quotidien, d’amis ou de liens sociaux va devoir changer. Ainsi, les éléments du quotidien rappellent en permanence la blessure de la séparation.
Il est évident que le vécu d’une séparation se rapproche de celui d’un deuil au sens large, représenté par la perte. Il faut accepter l’idée de « plus jamais », du caractère irrémédiable même si le secret espoir « que tout n’est pas fini » survit chez certains.
De quelles plaintes et de quelles demandes parle-t-on ?
Lorsque l’on vient consulter son thérapeute du fait d’une souffrance, on peut isoler deux contextes : des vécus difficiles ou des symptômes.
Vécus difficiles
Le seul fait de consulter un professionnel peut signifier un témoignage de sa souffrance ; on montre à l’autre que l’on vit mal sa séparation même si on ne lui a rien exprimé. Des vécus d’abandon, de solitude, d’isolement, s’expriment souvent. La culpabilité peut émerger lorsque l’on a abandonné son conjoint ou lorsqu’on ressent des sentiments d’insuffisance.
Le plus souvent s’exprime le sentiment d’avoir été abusé, trompé, trahi : « Je ne me suis aperçu de rien, tout le monde le savait autour de moi… ». La gamme des sentiments exprimés peut s’enrichir d’une rivalité face au tiers : « Qu’est-ce qu’il ou elle a de plus que moi ? ».
Symptômes
Ils comprennent de l’anxiété sous la forme d’attaques de panique ou d’une anxiété généralisée. On retrouve également des ruminations mentales, pensées en boucle tournant autour des mêmes thèmes ; elles témoignent de l’incapacité à faire avancer une réflexion et traduisent une impossibilité à concevoir et à traiter la difficulté en cause.
L’alcoolisme ou la prise de toxiques viennent colmater la souffrance. Bien des addictions à l’alcool ou au cannabis s’inscrivent dans des contextes de séparation en cours ou réalisées. Enfin, les symptômes dépressifs, tristesse, pleurs, désintérêt, absence d’élan, manifestent la douleur de la perte de la personne aimée.
Dans certains cas, le sentiment d’abandon s’associe à celui d’un arrachement d’une partie de soi confinant à l’idée d’une inexistence ; ceci amène vers des pensées de suicidesuicide et des gestes de mort.
Qu’il s’agisse de vécu ou de symptômes, cette situation traduit un besoin d’écoute et place le thérapeute dans la situation d’être un confident particulier. À la différence d’un ami ou d’un parent, le thérapeute s’inscrit dans une logique psychothérapeutique. Cette logique vise non seulement à apaiser la souffrance, mais à faire prendre conscience de certaines attitudes voire à faire progresser. Les patients viennent chercher un soutien, un accompagnement, des conseils, ils craignent de ne pas être assez forts pour supporter une épreuve. Derrière la demande de conseil, se cache une quête d’écoute attentive et neutre. On peut être amené à rencontrer des sujets alors qu’une séparation ne s’est pas encore réalisée ; le couple est en souffrance, en crise ; des menaces planent.
Quelques questions essentielles
Histoire de la séparation
Qu’il s’agisse d’une rupture ou d’une infidélité, le sujet éprouve le besoin de raconter son histoire, sa perception, sa manière d’apprécier les événements qui ont conduit à la séparation. Ceci répond à la question : « Qu’est-ce qui s’est passé ? ». Il faut repérer s’il s’agit d’une description à charge, si le sujet peut se remettre en question, la tonalité vibrante, hostile, défaitiste ou coupable du plaidoyer. Au pourquoi de la séparation fait naturellement suite la deuxième question sur la nature de la douleur.