14: Rickettsioses et œil

Chapitre 14 Rickettsioses et œil



Les rickettsies sont des bactéries intracellulaires strictes de la famille des Rickettsiaceae. Elles sont transmises par différentes espèces d’arthropodes (tiques, puces…) qui sont vecteurs et/ou réservoirs de la bactérie. Les tableaux cliniques de certaines rickettsioses sont connus depuis plusieurs siècles. À l’inverse, des pathologies émergentes liées à ces bactéries sont régulièrement décrites. Les atteintes oculaires au cours des rickettsioses ne sont pas rares. Elles peuvent concerner le segment antérieur (kératite, uvéite…) et postérieur (hyalite, vascularite, occlusion veineuse, foyers de rétinite, étoile maculaire, œdème papillaire…). Certaines atteintes rickettsiennes peuvent mettre le pronostic vital en jeu. Il importe donc de savoir les reconnaître.



Rickettsioses : définitions





ÉPIDÉMIOLOGIE, POUVOIR PATHOGÈNE


Les rickettsies sont associées aux arthropodes, essentiellement les tiques (pour la plupart des rickettsies du groupe « boutonneux »), mais aussi les poux (Rickettsia prowazekii), les puces (R. typhi, R. felis) et les acariens thrombiculidés (Orientia tsutsugamushi). Ceux-ci sont vecteurs et/ou réservoirs et/ou sièges de multiplication dans le cycle bactérien. Il a été décrit de nombreuses atteintes oculaires au cours d’atteintes rickettsiennes : fièvre boutonneuse méditerranéenne, typhus murin (ou endémique), typhus des broussailles, fièvre du Queensland, fièvre pourprée des montagnes Rocheuses, fièvre boutonneuse associée à R. massiliae, LAR (Lymphangitis-Associated Rickettsiosis). Le tableau 14-I résume les principales rickettsioses avec atteinte oculaire décrite. L’écologie de chaque espèce est directement liée à l’épidémiologie de la pathologie associée [20]. La bio-écologie des vecteurs détermine la distribution géographique des affections (tableau 14-II), mais aussi l’incidence des maladies, ainsi que les variations saisonnières. Par exemple, il a été évoqué récemment une influence du réchauffement climatique sur le comportement des arthropodes vecteurs avec pour conséquence une possible augmentation de l’incidence de certaines maladies ou une modification des zones d’endémie du fait d’une modification des aires de répartition des vecteurs [16]. Les rickettsies transmises par les tiques et les acariens sont inoculées par voie cutanée à partir de la salive de l’arthropode lors de la piqûre. Une transmission par inhalation ou inoculation au niveau des muqueuses est possible dans le cas des rickettsies du groupe typhus transmises par les poux et les puces [21]. Dans la circulation, les bactéries vont adhérer et pénétrer dans leurs cellules cibles principales, les cellules endothéliales [22]. Il s’ensuit une vascularite, responsable des manifestations cliniques et des anomalies biologiques [23]. Il faut noter qu’un déficit en G6PD est un critère de gravité [24].



Tableau 14-II Répartition géographique des rickettsioses avec atteinte oculaire décrite [27].


















Europe Fièvre boutonneuse méditerranéenne, fièvre boutonneuse à Rickettsia massiliae, LAR, typhus murin
Asie LAR, typhus murin, typhus des broussailles
Océanie Fièvre du Queensland, typhus des broussailles, typhus murin
Afrique Fièvre boutonneuse méditerranéenne, fièvre boutonneuse à Rickettsia massiliae, LAR, typhus murin
Amérique Fièvre pourprée des montagnes Rocheuses, typhus murin


Manifestations oculaires des rickettsioses


Les rickettsioses ont en commun certains symptômes. On peut ainsi retrouver dans ce groupe de pathologies : une fièvre, une éruption et une escarre après une piqûre de tique.



FIÈVRE BOUTONNEUSE MÉDITERRANÉENNE


La fièvre boutonneuse méditerranéenne (FBM) est provoquée par Rickettsia conorii[25]. Quatre sous-espèces du complexe R. conorii ont en fait été proposées en 2005. Il s’agit de R. conorii subsp. conorii, l’agent de la fièvre boutonneuse méditerranéenne, R. conorii subsp. israelensis, R. conorii subsp. caspia et R. conorii subsp. indica, toutes responsables de maladies dont les caractéristiques épidémiologiques ou cliniques diffèrent sensiblement [26].


Le vecteur est la tique brune du chien, Rhipicephalus sanguineus. Il s’agit d’une maladie urbaine et péri-urbaine, endémique dans le pourtour méditerranéen, mais elle peut aussi survenir en Europe centrale et en Afrique centrale et du Sud. En France, elle est endémique dans le sud du pays. Quelques cas sont occasionnellement diagnostiqués ailleurs en France quand des Rh. sanguineus ont pu survivre dans les habitations humaines. Toutes les tranches d’âge sont touchées. C’est une maladie saisonnière estivale, particulièrement pendant les mois les plus chauds en juillet et août. Après une incubation asymptomatique d’environ six jours, le patient présente brutalement un tableau clinique associant une fièvre élevée, une éruption maculopapuleuse et une escarre d’inoculation (tache noire). L’escarre est indolore. Le rash cutané survient généralement deux à trois jours après la fièvre. Il est initialement maculeux, puis secondairement maculopapuleux et généralisé mais épargne habituellement le visage. L’amélioration clinique survient après quarante-huit heures de traitement. Il existe des formes sévères, potentiellement létales, de fièvre boutonneuse méditerranéenne dans 5 % à 6 % des cas. Elles sont liées à une vascularite diffuse. On relève ainsi des manifestations rénales, neurologiques, cardiovasculaires et des phlébites.


Les atteintes ophtalmiques ont été décrites par plusieurs équipes [11,13,17]. L’article de référence est celui de Kairallah qui a publié une série d’atteintes du segment postérieur d’origine rickettsienne [9]. Le but de cette série était de caractériser les manifestations cliniques ophtalmiques de l’atteinte à R. conorii. Trente patients atteints de fièvre boutonneuse méditerranéenne ont été inclus. Tous les patients ont bénéficié d’un examen ophtalmologique complet et d’une angiographie à la fluorescéine. Sur les trente patients : vingt-cinq patients (83,3 %) présentaient une atteinte unilatérale (n = 5) ou bilatérale (n = 20) du segment postérieur rapportée à R. conorii. Sur ces vingt-cinq patients, seize (64 %) ne présentaient aucun symptôme oculaire. Les auteurs ont retrouvé des atteintes diverses du segment postérieur : hyalite modérée (quarante-cinq yeux, soit 75 %), lésions rétiniennes blanchâtres (dix-huit yeux, soit 30 %, fig. 14-2), engainements vasculaires (cinq yeux, soit 8,3 %), hémorragies intrarétiniennes (quatorze yeux, soit 23,3 %), hémorragies sous-rétiniennes (deux yeux, soit 3,3 %), décollements séreux rétiniens (trois yeux, soit 5 %), étoile maculaire (deux yeux, soit 3,3 %), œdème maculaire cystoïde (un œil, soit 1,7 %), œdème papillaire (un œil, soit 1,7 %), occlusion d’une branche de l’artère centrale de la rétine (un œil, soit 1,7 %), vascularite rétinienne (vingt-sept yeux, soit 45 %), multiples points blanchâtres choroïdiens (dix yeux, soit 16,7 %). Il a été trouvé une néovascularisation au niveau d’un œil au cours du suivi. Les atteintes du segment postérieur se sont améliorées en trois à dix semaines et l’acuité visuelle finale fut 10/10 chez quarante-deux des quarante-cinq patients (92,3 %). Il a été décrit également des remaniements de l’épithélium pigmentaire (neuf yeux, soit 15 %).



Une autre série d’atteintes oculaires au cours d’infections rickettsiennes a été rapportée par Alio. Il était objectivé une vascularite rétinienne dans 55,9 % des cas (artérielle et/ou, de manière plus fréquente, veineuse) [4]. Khairallah a également décrit une neuropathie optique ischémique antérieure aiguë d’origine rickettsienne [10]. Mendivil a quant à lui rapporté le premier cas confirmé d’endophtalmie endogène à R. conorii[14]. Enfin, il a également été décrit une kératite infectieuse rickettsienne [3]. Les auteurs évoquent le rôle possible des larmes durant la phase de dissémination systémique. Ils ont traité par tétracyclines topiques avec une bonne efficacité.


Les atteintes ophtalmiques lors d’une infection à R. conorii sont fréquentes, variées, touchent essentiellement le segment postérieur, restent souvent asymptomatiques et sont de bon pronostic visuel. De telles atteintes oculaires chez un patient présentant une fièvre et/ou une éruption cutanée, vivant ou ayant fréquenté une zone d’endémie, surtout au cours du printemps ou de l’été, doivent faire évoquer une infection à R. conorii.



FIÈVRE BOUTONNEUSE À RICKETTSIA MASSILIAE


Rickettsia massiliae, dont les vecteurs sont Rhipicephalus sanguineus, Rh. turanicus, Rh. muhsamae, Rh. lunulatus, Rh. sulcatus, est décrite en Europe du Sud et en Afrique. Bien que cette rickettsie soit très fréquemment retrouvée dans les tiques du genre Rhipicephalus, seuls deux cas humains ont été décrits, dont un avec une atteinte oculaire [16,28]. Le patient présentait de manière bilatérale des lésions de rétinite d’aspect blanchâtre entourées d’hémorragies intrarétiniennes. Il était également noté un décollement séreux rétinien maculaire (fig. 14-3 et 14-4). L’angiographie montrait une vascularite rétinienne en rapport avec les foyers inflammatoires. Au niveau général, les patients présentaient une fièvre, une escarre d’inoculation et un rash maculopapuleux. R. massiliae présente une résistance naturelle à la rifampicine [29]. L’utilisation de rifampicine pour traiter une fièvre boutonneuse n’est pas conseillée dans les zones où R. massiliae est endémique puisqu’on ne peut pas cliniquement faire la différence avec une atteinte à R. conorii (fièvre boutonneuse méditerranéenne) [28].





FIÈVRE DU QUEENSLAND


L’agent est Rickettsia australis, qui est transmise par Ixodes holocyclus, I. tasmani et I. cornuatus. La fièvre du Queensland survient dans l’est de l’Australie, de juin à novembre. Le début est brutal avec un tableau de fièvre, de céphalées, de myalgies, de rash maculopapuleux ou vésiculeux, d’escarre d’inoculation et d’adénopathies. Des cas graves sont décrits (défaillance rénale, purpura fulminans, pneumopathie sévère). Une atteinte oculaire a été décrite en 1998 par Lukas [13]. L’atteinte oculaire comportait une baisse d’acuité visuelle bilatérale. L’examen à la lampe à fente révélait une hyperhémie conjonctivale. Le fond d’œil mettait en évidence une hyalite modérée associée à de multiples petits infiltrats blanchâtres prédominant au pôle postérieur. Il était également mis en évidence une hémorragie rétinienne près de l’artère temporale inférieure de l’œil droit. L’angiographie montrait des signes d’œdème papillaire mais pas de signes de vascularite.

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Jun 13, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 14: Rickettsioses et œil

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