Raideurs après arthroplastie totale du genou. Causes et traitement
The stiff total knee arthroplasty. Causes and treatment
Résumé
La raideur après arthroplastie totale du genou est favorisée par une raideur préexistante, des erreurs techniques, un mauvais contrôle de la douleur, des complications postopératoires et peut-être une prédisposition à la fibrose et aux ossifications postopératoires.En présence d’une raideur après prothèse, la première étape consiste à déterminer son mécanisme. Néanmoins, une cause précise n’est pas toujours identifiée.Les reprises pour raideur représentent plus de 10 % des reprises d’arthroplastie totale du genou. Les traitements vont de la mobilisation sous anesthésie au changement de prothèse, en passant par l’arthrolyse, chirurgicale et plus récemment arthroscopique. La mobilisation peut être proposée jusqu’à six semaines ou deux mois, au mieux après cicatrisation des parties molles, ce qui impose de revoir systématiquement les patients à un mois d’une arthroplastie. L’arthrolyse arthroscopique suppose une bonne expérience de l’arthroscopie. Elle s’adresse aux raideurs vues entre deux et six mois, voire un peu plus. Au-delà, on a le choix entre l’arthrolyse et le changement de prothèse. Ce choix est guidé par un bilan préopératoire complet, à la recherche d’erreurs techniques. Une tomodensitométrie est indispensable pour identifier une erreur de rotation des pièces. Les erreurs techniques incitent au changement, à moins qu’elles ne concernent que la rotule, ce qui est rare car les complications rotuliennes sont souvent dues à des erreurs de rotation fémorale ou tibiale. Certaines erreurs sont difficilement identifiables, telle une inégalité des espaces en flexion et en extension et par conséquent, il faut toujours être prêt à changer tout ou partie de la prothèse. Toutes ces interventions doivent être suivies d’une rééducation précoce, intense et prolongée. Quelle que soit la technique, les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des espérances des patients, ce dont ils doivent être soigneusement informés. Cette éventualité est d’autant plus probable que la cause de la raideur n’a pas été identifiée.
Summary
A stiff total knee arthroplasty can be caused by a preexisting knee stiffness, technical errors, poor control of pain, post-operative complications and perhaps personal predisposition to post-operative arthrofibrosis and ossifications.
Le principal risque est l’enraidissement itératif, ce dont les patients doivent être informés. Le pronostic est globalement moyen : l’amélioration de la mobilité est significative mais incomplète et le taux de survie des prothèses dont l’arc de mobilité est inférieur à 50° n’est que de 67 % à 5 ans et 62 % à 10 ans [65].
Définition, fréquence
Après arthroplastie totale, la mobilité du genou est presque toujours inférieure à celle du genou normal qui dépasse 150°. La mobilité après arthoplastie totale est le plus souvent jugée à l’aide de la cotation de la société américaine du genou (AKS), qui attribue 1 point pour 5° de flexion (passive), avec un maximum de 25 points et retire des points pour le flexum à partir de 5° [38]. Une flexion d’au moins 125° avec un flexum de moins de 5° est donc suffisante pour obtenir le score maximal (25 points/100), que la majorité des patients n’atteint pas. Le dessin de nombreuses prothèses n’est d’ailleurs pas prévu pour une flexion de plus de 120 ou 125° et il est souhaitable que la flexion n’aille pas au-delà. Dans cette éventualité, la surface de contact entre la pointe des condyles prothétiques postérieurs et le bord postérieur du plateau tibial est en effet très réduite, ce qui soumet le poly-éthylène tibial à des pressions excessives. En fait, une telle flexion est peu fréquente. De plus, elle n’est pratiquement jamais utilisée en charge. En effet, les études cinématiques ont montré que la flexion en charge est inférieure à la mobilité passive, de 10° en moyenne (0 à 20°) [14]. Le risque de dégradation due à un excès de flexion paraît donc faible pour la grande majorité des patients. Des prothèses « highflex », sur lesquelles nous reviendrons, ont néanmoins été conçues pour réduire ce risque.
Dans la plupart des séries publiées, la flexion postopératoire moyenne est comprise entre 105 et 115° [55]. Les patients s’en plaignent rarement. Certains l’ont perdue progressivement avant l’intervention et se sont accoutumés à cet état. D’autres ne se rendent pas compte qu’ils ont perdu de la flexion car ils ne l’utilisaient pas avant l’intervention. Une flexion de l’ordre de 110° est en effet compatible avec la plupart des activités de la vie courante et elle suffit à la grande majorité des opérés dont l’âge moyen avoisine souvent 65 ans. Walker et al. ont mesuré chez 20 sujets normaux la mobilité nécessaire à diverses activités : marche en terrain plat (moins de 5° de flexum et 67° de flexion en moyenne), montée (98,5° de flexion) et descente (97°) des escaliers, s’asseoir ou se lever d’une chaise de hauteur standard (99°), s’asseoir sur une chaise basse (102°) ou s’en lever (105°). Il faut plus de flexion pour entrer dans une baignoire (131°) ou en sortir (138°) et pour s’agenouiller ou s’accroupir [86]. Pour cette raison, la mobilité moyenne des prothèses totales du genou apparaît insuffisante dans les pays orientaux [78], pour la pratique de la religion musulmane ou certaines activités nécessitant l’agenouillement (jardinage…) souvent difficile ou impossible après arthroplastie totale [43]. Une limitation de la flexion est donc gênante, à des degrés divers selon les exigences fonctionnelles des patients. Il est vraisemblable qu’elle pénalise plus les opérés les plus jeunes et les plus actifs.
Le défaut d’extension est également invalidant. Beaucoup s’accommodent d’un flexum de 5°, voire 10° mais à partir de 15°, la marche est difficile. Le flexum crée un accourcissement apparent, avec une inclinaison rachidienne lors de l’appui, et entraîne des contraintes accrues sur la hanche et la cheville homolatérales et sur le genou controlatéral. Le quadriceps doit lutter en permanence contre le poids du corps qui tend à fléchir le genou. La station debout et la marche prolongées entraînent une fatigue due à cette contraction permanente du quadriceps [20].
Pour Papagepoulos : un arc de mobilité inférieur à 50° à l’issue de la période de récupération, avec 0,1 et 0,3 % de raideurs dans deux séries de la Mayo Clinic [65].
Pour Kim et al. [44] : flexion de 75° et/ou un flexum de plus de 15°. Il s’agit là des raideurs qui rendent la marche difficile. Dans leur série continue de 1 000 prothèses à conservation du LCP (1997–2000), le pourcentage de raideurs répondant à ces critères était de 1,3 %.
Pour Gandhi et al. [30] : une flexion de moins de 90° (sans précision pour l’extension) ce qui est la flexion nécessaire pour les activités de la vie courante, incluant la montée des escaliers et le passage de la position assise à la position debout. En se basant sur ces critères, le taux de raideur était de 3,7 % dans leur série de 1 216 prothèses (1998–2002).
Pour Yercan et al. [93] : flexion de moins de 95° et/ou un flessum de plus de 10° mais à 6 semaines seulement, ce qui explique un pourcentage de 5,3 % de raideur dans leur série de 1 188 prothèses postérostabilisées (1987–2003).
La grande majorité des patients qui demandent une intervention mobilisatrice ont une mobilité franchement médiocre (tableaux 1 à 4). Ainsi, dans la série du symposium de la Sofcot 2000 [49], leur arc de mobilité était inférieur à 60° dans 77 % des cas et à 40° dans 50 % des cas (tableau 1). Dans les séries de raideurs sur prothèse ayant fait l’objet d’un traitement, on ne trouve pas de patients qui avaient un arc de mobilité de 80° avec une flexion de 90° sans flexum de plus de 10°. Certains considèrent d’ailleurs que c’est seulement en deçà de ces valeurs que l’on peut parler d’échec d’une intervention mobilisatrice [49,85].
Tableau 1
Série du symposium de la Sofcot 2000 (72 cas)
*Délai entre la prothèse et le traitement de la raideur en mois.
De nombreuses raideurs sont en fait acceptées car modérément invalidantes ou par crainte d’une nouvelle intervention, aux risques non négligeables et au résultat incertain. Ces raisons expliquent sans doute les faibles effectifs des séries d’arthrolyse chirurgicale [36,42,49, 85] ou arthroscopique [3,7,12,16,17,49,74,84,85,88] etde changements de prothèse pour raideur [8,11,33,42, 44,49,64,68]. La série multicentrique du symposium de la Sofcot comportait 72 cas dont 15 arthrolyses chirurgicales et 25 changements de prothèse [37]. Les raideurs y représentaient 14,7 % des reprises pour complications aseptiques, ce qui en faisait la troisième cause de reprise, après le descellement (34,9 %) et les complications rotuliennes (18,9 %). Dans la série de Sharkey, elles représentaient 14 % des reprises, complications septiques incluses [75].
Symptômes associés
La plupart des patients qui présentent une raideur sur prothèse se plaignent également de douleurs. Il en existait dans 67 cas sur 72 dans la série du symposium de la Sofcot [49], avec une douleur importante, cotée de 0 à 10 points sur 50 dans 34 cas. La plupart des patients se plaignaient également de douleurs souvent assez intenses dans toutes les séries, notamment d’arthrolyse chirurgicale ou de changement dans lesquelles ce paramètre a été bien étudié. On peut attribuer ces douleurs soit à des sollicitations du genou au-delà des limites de son secteur de mobilité, soit aux erreurs techniques qui ont engendré la raideur. Il est intéressant, comme on le reverra, de constater que les interventions mobilisatrices soulagent les patients d’une grande partie de leurs douleurs, ce qui contribue à leur satisfaction.
Étiologies
De nombreux facteurs favorisants ont été incriminés : une raideur préopératoire, une faible motivation, des erreurs techniques, le type de la prothèse, une faible tolérance à la douleur ou un traitement antalgique insuffisant, certains morphotypes, une immobilisation postopératoire prolongée, l’algodystrophie [41]. Il faut s’efforcer d’identifier les causes de la raideur avant de proposer un traitement quelconque.
Cas particuliers
Une infection doit être recherchée, au besoin par ponction articulaire et ponction-biopsie. Le staphylocoque épidermidis, fréquemment en cause dans les infections sur arthroplastie, entraîne peu d’épanchement mais génère beaucoup de tissu fibreux intra-articulaire et de rétractions [20].
En cas d’algodystrophie [41] le genou est raide, très douloureux et souvent inflammatoire au début. Les douleurs à l’effleurement sont fréquentes. Néanmoins, il existe de nombreuses formes frustres ou atypiques et ce diagnostic doit être évoqué devant toute raideur douloureuse après prothèse totale du genou. Une infection doit être éliminée. La radiographie peut montrer une ostéoporose diffuse à prédominance rotulienne. La scintigraphie montre une hyperfixation diffuse. L’IRM n’est pas contributive en raison de la présence de la prothèse qui génère de nombreux artéfacts. La solution n’est pas chirurgicale. Seuls la physiothérapie, les blocs sympathiques lombaires ou locorégionaux, les diphosphonates et une rééducation douce et prolongée sont indiqués.
Ces causes de raideur éliminées, une évaluation soigneuse est nécessaire.
Terrain, pathologies associées
Les patients de petite taille et trapus et ceux qui ont des jambes et des cuisses volumineuses récupèrent moins de mobilité que les sujets de grande taille et minces car la flexion est chez eux limitée par les parties molles postérieures comprimées [40,81].
Le diabète insulinodépendant est pour certains un facteur favorisant [74]. Cette notion a été infirmée par d’autres études [30]. En revanche, il semble exister un lien entre un nombre élevé de comorbidités et une raideur postopératoire, qu’il est tentant d’expliquer par des difficultés de participation de tels patients à leur rééducation [30].
État du genou
La perte de l’élasticité (ou rigidité) ligamentaire expose à la raideur. Dans l’arthrose médiale, il a été montré que la rigidité du plan collatéral médial est augmentée [26], ce qui explique que la libération de ce plan soit nécessaire pour obtenir un alignement et une mobilité satisfaisante. Dans certaines étiologies, ce sont toutes les parties molles qui ont perdu leur élasticité, avec pour conséquence une faible mobilité postopératoire : l’arthrose post-traumatique (figure 1), les séquelles d’arthrite septique, l’arthrite chronique juvénile et la spondylarthrite ankylosante. Dans la polyarthrite rhumatoïde de l’adulte, les parties molles sont volontiers distendues mais peuvent se rétracter à l’issue des poussées inflammatoires, ce qui explique les divergences entre les résultats des séries comparant l’arthrose et l’arthrite rhumatoïde. Néanmoins, le flexum préopératoire (et par conséquent postopératoire) serait plus fréquent dans la maladie rhumatoïde que dans l’arthrose [65].
Figure 1 A (face). Arthrose post-traumatique. B, C, (face et incidence fémoropatellaire). Prothèse postérostabilisée : douleur antérieure et raideur (0.10.40). Noter le varus (de face) et la coupe rotulienne asymétrique. D. (Incidence fémoropatellaire). Arthrolyse à 22 mois, avec ablation du médaillon rotulien et recoupe rotulienne. À 9 ans, le genou est indolore mais la mobilité finale (0.10.60) est médiocre. Le patient est satisfait mais un changement de prothèse aurait peut-être été préférable.
Les intervention(s) antérieure(s) (ostéosynthèse, ostéotomie, synovectomie…) augmentent le risque de raideur par le biais d’une perte d’élasticité des parties molles (figure 2).
Figure 2 A (face). Échec d’ostéotomie tibiale compliquée d’algodystrophie. Pas de douleur. Mobilité préopératoire : 0.0.110. B, C (face, profil). Prothèse à conservation du LCP : indolence, mobilité limitée (0.0.90). Après une arthrolyse à 12 mois, respectant le LCP, suivie de mobilisation sous anesthésie à 10 jours, la fonction n’a pas été améliorée (indolence, mobilité inchangée). D (profil). À 9 ans : douleurs, perte de mobilité (0.0.75), liseré fémoral postérieur. Augmentation de taille des ostéophytes postérieurs laissés en place à tort.
Une rotule basse serait un facteur de raideur. La situation basse de la rotule peut s’expliquer par une élévation de l’interligne articulaire ou une rétraction du ligament rotulien. Il est difficile d’apprécier l’influence de ce paramètre. Pour Schurman et al., il n’existe pas de corrélation entre la distance entre la rotule et l’interligne articulaire et la mobilité à 1 an [80]. Pour les prothèses postérostabilisées, seule une importante élévation de l’interligne articulaire de plus de 10 mm [25], voire 16 mm [78] limite la flexion. Gandhi et al. [30] ont bien étudié ce paramètre. Ils ont comparé un groupe de prothèses raides à un groupe contrôle de prothèses mobiles et ont observé que dans le groupe des prothèses raides :
• la rotule était plus basse en préopératoire ;
• la hauteur rotulienne était encore diminuée après l’intervention.
Ceci pourrait s’expliquer par des difficultés d’exposition en cas de rotule basse, qui nécessitent une large excision du ligament adipeux et des tractions sur le ligament rotulien, sources de rétraction secondaire [30].
Mobilités pré- et peropératoire
De nombreux travaux ont montré que la mobilité préopératoire est le meilleur facteur prédictif de la mobilité postopératoire [1,46,54,66,69,72,79,91].
Flexion
Dans la série de Lam et al. [46] :
• les patients qui avaient une flexion préopératoire de moins de 90° ont gagné en moyenne 29,3° de flexion ;
• ceux qui avaient entre 90 et 105° en ont gagné 10,1° ;
• ceux qui avaient entre 110 et 125° en ont gagné 0,4° ;
Ritter [72] a montré lui aussi qu’il existe une corrélation directe entre la flexion préopératoire et la flexion postopératoire. L’originalité de son étude tient au traitement statistique des valeurs de flexion pré-opératoire, variable continue que l’on ne peut classer par tranches déterminées a priori :
• la flexion moyenne était de 113° ± 12° (4 277 prothèses à conservation du LCP) ;
• ceux qui avaient moins de 104,5° ont terminé avec une flexion moyenne de 107° ± 13° et ceux qui avaient plus de 104,5°, avec une flexion moyenne de 115° ± 10°. Parmi ceux qui avaient moins de 104,5°, deux sous-groupes ont pu être individualisés : ceux qui avaient moins de 77° (et ont terminé avec 93° ± 19°) et ceux qui avaient plus de 77° (et ont terminé avec 108° ± 12°). Parmi ceux qui avaient plus de 104,5°, deux sous-groupes ont pu être individualisés : ceux qui avaient moins de 114,5° (et ont terminé avec 112° ± 10°) et ceux qui avaient plus de 114,5° (et ont terminé avec 117° ± 9°).
Ritter et al. [72] ont également montré l’influence d’autres paramètres :
• une libération postérieure de la capsule et plus encore l’ablation des ostéophytes postérieurs améliorent la flexion. Laskin [48] a lui aussi insisté sur l’exérèse des ostéophytes postérieurs (figure 2d) qui limitent la flexion (butoir) et aussi l’extension (mise en tension de la capsule postérieure) ;
• dans les désaxations en varus : les femmes récupèrent moins de flexion (2,4°) que les hommes, une libération médiale (témoin d’un important varus) et l’absence d’ablation des ostéophytes postérieurs sont corrélés à une moins bonne flexion ;
• dans les désaxations en valgus : le jeune âge et un défaut d’extension en fin d’intervention sont corrélés à une moins bonne flexion.
La mobilité obtenue en fin d’intervention est également corrélée à la mobilité finale et elle devrait donc figurer dans les compte-rendus opératoires [30,72].
Schurman et al. [80] attribuent à la mobilité pré-opératoire une moindre importance que la plupart des auteurs. À l’aide de la même méthodologie que Ritter (arbre de régression linéaire), mais sur une série plus réduite de 164 prothèses postérostabilisées, ils ont identifié six groupes de genoux selon la mobilité préopératoire (flexion, arc de flexion, déficit d’extension active), mais aussi l’âge, l’étiologie, l’angle tibiofémoral pré- et postopératoire. La flexion pré-opératoire n’intervenait dans cette étude que pour la moitié de la différence entre la meilleure et la moins bonne mobilité.
Extension
Elle a été moins étudiée, mais il existe également une corrélation entre les extensions pré-, per- et postopératoire au dernier recul. Dans l’étude de Ritter [72], le flexum préopératoire moyen était de 5,4° et le flexum au dernier recul de 0,6° et ceux qui avaient plus de 24° de flexum ont terminé avec 2,3° de flexum de plus que la valeur de référence.
Lam et al. [46] se sont plus particulièrement intéressés à l’influence du flexum préopératoire et ont constaté qu’il s’agit du facteur pronostique le plus défavorable pour la mobilité (à la fois pour la flexion et l’extension finales), même s’il est totalement corrigé lors de l’intervention. Il est d’autant plus marqué après l’intervention qu’il l’était avant celle-ci. Ils ont également constaté que 2,5 % des patients terminent avec une mauvaise mobilité en dépit d’une mobilité préopératoire normale, ce qui prouve bien que d’autres facteurs interviennent.
L’influence péjorative du flessum préopératoire n’a pas été retrouvée par tous. Mac Pherson et al. [53] ont étudié l’évolution de ce paramètre après l’arthroplastie chez 29 patients. Ils ont constaté qu’un flexum de moins de 30° peut régresser progressivement en quelques mois à l’aide d’un programme de rééducation adapté, sans récidive à deux ans. Ils en ont conclu qu’une correction complète du flexum au cours de l’intervention n’est pas nécessaire.
Type de prothèse
Les utilisateurs des prothèses postérostabilisées d’Insall ont rapporté d’excellentes mobilités post-opératoires qu’ils attribuent au sacrifice du ligament croisé postérieur (LCP) et au dessin de ces prothèses qui fait reculer le fémur en flexion et améliore ainsi la flexion. Hirsch et al. [34], comparant la mobilité de trois groupes de prothèses ont conclu à sa supériorité. Néanmoins, Maloney et Schurman, comparant la prothèse Total Condylar à la prothèse postérostabilisée IB II (Insall Burstein) n’ont pas observé de différence significative [54].
Les utilisateurs de prothèses à conservation du LCP ont également rapporté d’excellentes mobilités, à des degrés divers selon les modèles. Parsley et al. ont ainsi obtenu de meilleurs gains de mobilité avec la prothèse AMK (« Anatomic Modular Knee ») qu’avec trois autres modèles [66].
Il n’est pas formellement prouvé que les prothèses conservant le LCP entraînent plus de raideurs que celles qui le sacrifient. Ce risque paraît néanmoins plus important dans les importantes déformations fixées, même si certains estiment qu’elles ne s’opposent que rarement à la conservation du LCP [23]. La conservation du LCP suppose néanmoins qu’il ne soit pas trop tendu et pour la plupart, la correction des désaxations de plus de 15° avec conservation du LCP et des flexum de plus de 15° expose à cet excès de tension [52]. C’est particulièrement vrai pour la correction d’un varus puisque le LCP est une structure du compartiment médial. C’est donc moins vrai pour la correction d’un valgus mais aussi d’un flexum. En effet, le sacrifice du LCP ouvre l’espace fémorotibial en flexion et par conséquent nécessite un plateau tibial plus épais pour remplir cet espace, ce qui s’oppose à la correction du flexum. Le LCP ne s’oppose à la correction du flexum qu’en cas d’usure de la partie postérieure des condyles car celle-ci rapproche les insertions du LCP, qui peut se rétracter. Quoi qu’il en soit, si un excès de tension du LCP limite la flexion, celui-ci peut être libéré à la demande, au niveau du fémur [71] ou du tibia [23]. Une libération trop importante expose à la laxité postérieure qu’il est possible, dans certains systèmes prothétiques, de pallier à l’aide d’un plateau « ultracongruent » [47] qui s’oppose au tiroir en flexion. Un artifice consiste à détacher un fragment osseux portant l’insertion tibiale du ligament et à le laisser consolider en position haute.
Des prothèses dites « high-flex », ont été proposées récemment. Elles ont en commun des condyles postérieurs prothétiques plus épais d’environ 2 mm (afin d’augmenter leur surface de contact avec le plateau tibial en grande flexion), un plateau tibial échancré en avant afin d’éviter un conflit avec le ligament rotulien et pour les modèles qui substituent le LCP, un système pivot-came « sécurisé » (point de contact plus bas situé donc plus grande hauteur de pivot à franchir par la barrette fémorale avant une luxation, plus grande surface de contact entre le pivot et la barrette). On pourrait penser qu’elles favorisent la récupération d’une plus grande flexion. Une étude prospective randomisée de 50 prothèses bilatérales sacrifiant le LCP, avec d’un côté une prothèse standard et de l’autre une prothèse « highflex » de la même gamme n’a montré aucune différence significative entre les mobilités obtenues [45]. Une étude rétrospective de deux groupes de 25 genoux opérés à l’aide des deux mêmes prothèses a conclu de la même manière [35]. L’intérêt de ces prothèses serait donc plutôt d’éviter les effets délétères d’une grande flexion sur le polyéthylène du plateau tibial. Elles s’adresseraient donc avant tout à des patients ayant une grande mobilité préopératoire car ce sont eux qui ont des chances (ou risquent…) d’avoir une grande mobilité postopératoire. En outre, bien que les études expérimentales de telles prothèses sacrifiant [50] ou conservant le LCP [62] et les premiers résultats soient satisfaisants [35,45], leur recul est encore limité.
Erreurs techniques
Elles limitent la mobilité par le biais d’un excès de tension des parties molles et/ou de douleurs qui s’opposent à la rééducation. En effet, la stimulation des mécanorécepteurs situés dans des ligaments trop tendus par des pièces prothétiques trop grandes ou des résections osseuses insuffisantes entraîne une contracture musculaire réflexe qui s’oppose à la rééducation [20] alors qu’une laxité minime ou modérée mais bien équilibrée procure une excellente fonction, sous réserve que l’orientation des pièces soit satisfaisante [18]. Une limitation de l’extension évoque un excès de tension des parties molles au niveau de l’espace en extension (entre la coupe tibiale et la coupe fémorale distale) et une limitation de la flexion un excès de tension au niveau de l’espace en flexion (entre la coupe tibiale et la coupe fémorale postérieure).
Erreurs de position des pièces prothétiques
• Insuffisance de pente tibiale postérieure (voire pente tibiale antérieure) limitant la flexion par le biais d’une tension excessive des ligaments collatéraux et surtout d’un LCP conservé.
• Flexion de la pièce fémorale avec saillie antérieure du bouclier trochléen, qui met en tension les ailerons rotuliens et le quadriceps et favorise la bascule rotulienne. Une position trop antérieure de la pièce fémorale a le même effet. Elle est due à une insuffisance de résection fémorale antérieure, qui est surtout le fait des instrumentations « à référence postérieure » (qui font réséquer une épaisseur de condyle fémoral identique à celle de la prothèse). La flexion fémorale suppose en outre une hyperextension de l’articulation prothétique pour obtenir l’extension complète du genou. L’extension de la pièce fémorale est plus rare. Elle peut en théorie limiter la flexion mais expose surtout à l’encoche fémorale antérieure.
• Résection fémorale distale ou tibiale insuffisante. La règle est de réséquer sur chaque épiphyse une épaisseur d’os égale à celle des composants prothétiques, en prenant pour référence le compartiment non usé (compartiment de la convexité). L’épaisseur des pièces osseuses réséquées doit être mesurée à l’aide d’un pied à coulisse, au niveau du compartiment médial dans le genu valgum et du compartiment latéral dans le genu varum. L’erreur est plus facile au niveau du tibia qu’au niveau du fémur. Dans le genu valgum, l’épaisseur de la résection est mesurée au niveau du plateau médial, qui est concave dans les deux plans. Le palpeur est placé au centre du plateau, point le plus déclive, et par conséquent, l’épaisseur de la résection tibiale est suffisante. Dans le genu varum, la référence est le plateau latéral, convexe d’avant en arrière. Le risque est de placer le palpeur au centre du plateau et non en arrière, avec pour conséquence une résection tibiale insuffisante. Une insuffisance de résection fémorale distale est également possible, surtout dans le genu varum où l’erreur est de mesurer la résection sur le condyle médial. Il est en effet le plus distal des deux condyles et donc le premier au contact de la pièce de l’ancillaire fémoral mobile sur la tige de visée centromédullaire (pièce permettant de déterminer l’angle de valgus fémoral). Ces erreurs retentissent sur l’espace en extension qui est insuffisant, avec pour conséquence un flexum. On peut facilement méconnaître un flexum chez les patients ayant de volumineux membres inférieurs. Les pièces d’essai en place, le membre inférieur tenu par le talon et le genou en extension maximale, la dorsiflexion du pied et une poussée axiale sur la plante du pied ne doivent pas faire fléchir le genou [48]. Il existe d’autres moyens de contrôle plus sûrs : soit une radiographie en extension maximale mais elle allonge la durée opératoire, soit la chirurgie assistée par ordinateur.
• Erreur de rotation fémorale, le plus souvent une rotation fémorale interne, entraînant un excès de tension du plan médial en flexion et une bascule ou une subluxation rotulienne [6]. La rotation fémorale interne pourrait même expliquer des douleurs, indépendamment de toute anomalie de la course rotulienne [4]. Une tomodensitométrie (TDM) est nécessaire pour en faire la preuve et la chiffrer. La rotation fémorale est chiffrée en prenant l’axe épicondylien pour référence (il indique la rotation neutre). Une rotation neutre de la pièce fémorale est celle qui assure, dans la majorité des cas, le meilleur centrage rotulien et la tension ligamentaire la mieux équilibrée. La valeur de la rotation (interne ou externe) au-delà de laquelle on peut parler « d’erreur » et envisager une reprise pour cette raison n’est pas connue.
• Les anomalies de hauteur de l’interligne articulaire ont aussi été incriminées : interligne trop distal en cas de résection fémorale distale insuffisante ou plus souvent trop proximal en cas de résection excessive ;
– une résection fémorale distale insuffisante (interligne trop distal) entraîne, on l’a vu, un flexum. Elle a pour autre inconvénient d’étirer l’appareil d’extension et donc de limiter la flexion ;
– une résection fémorale excessive (interligne articulaire trop proximal) est compensée par un plateau tibial plus épais. Si la résection condylienne postérieure a réséqué une épaisseur d’os égale à celle de la prothèse, l’espace en flexion sera insuffisant et la flexion limitée par la tension excessive des ligaments collatéraux et d’un LCP conservé. Une résection fémorale excessive a pour autre conséquence une rotule basse. La rétraction du tendon rotulien a le même effet. Une rotule basse entre rapidement en contact avec les condyles distaux, ce qui tend le quadriceps et limite la flexion. Par ailleurs, elle génère volontiers des douleurs antérieures qui s’opposent à la rééducation. Une rotule basse pré et/ou postopératoire est fréquemment associée à une raideur [15,30] ;
– Martin et Whiteside ont étudié expérimentalement l’influence de la position de l’interligne articulaire sur la laxité en faisant varier la position de la pièce fémorale d’une prothèse à conservation du LCP. Ils ont ainsi montré qu’une translation antérieure et proximale du fémur (de 5 mm dans les deux directions) entraîne une tension excessive du LCP à 90° et qu’une translation postérieure et distale (de 5 mm dans les deux directions) entraîne une raideur en flexion moyenne (avec diminution de la laxité en varus/valgus) [57] ;
• Résection rotulienne insuffisante qui a le même effet qu’une prothèse fémorale trop antérieure. Une augmentation de plus de 4 mm de l’épaisseur rotulienne (prothèse incluse) est pathogène [82] et si elle ne peut être évitée, il vaut mieux renoncer à l’implantation d’une prothèse rotulienne. Il est difficile, toutefois, de faire la preuve d’un excès d’épaisseur rotulienne à l’aide de l’imagerie et donc de pouvoir l’incriminer devant une raideur postopératoire ;
• Absence de médialisation de la pièce rotulienne, de latéralisation fémorale et tibiale, de libération d’un aileron rotulien rétracté, excès de valgus qui exposent à la bascule et la subluxation rotuliennes, causes de douleurs et donc de raideur ;
• Translation d’une pièce, entraînant un débord prothétique, cause de conflit douloureux avec les parties molles et donc de raideur.
Erreurs de taille des pièces prothétiques
• Pièce fémorale trop grande :
– dans les prothèses à « référence fémorale postérieure », le choix d’une pièce trop grande entraîne une saillie trochléenne [51], qui a le même effet que la flexion de la pièce fémorale ;
– lorsque l’instrumentation fait, au contraire, pratiquer une coupe antérieure dans le prolongement de la métaphyse fémorale (« prothèses à référence antérieure »), le choix d’une pièce trop grande a pour conséquence une résection condylienne postérieure insuffisante par rapport à l’épaisseur des condyles prothétiques, ce qui tend trop les ligaments collatéraux et un LCP conservé. Au cours de l’intervention, une possibilité de translation antéropostérieure du tibia sous le fémur (manœuvre de tiroir vers l’avant et l’arrière) de l’ordre de 5 à 10 mm le genou fléchi à 90° témoigne d’un espace en flexion suffisamment mais pas trop tendu.
• Pièce fémorale trop petite, car elle rapproche le fémur du tibia en flexion (diminution du « déport condylien postérieur ») et expose donc à un contact précoce du bord postérieur du tibia avec le fémur [5]. Le sous-dimensionnement fémoral, néanmoins, paraît moins pathogène que le surdimensionnement.
• Plateau tibial trop épais (figure 3a) pour l’espace en extension, avec pour conséquence un flexum, ou trop épais pour l’espace en flexion et limitant alors la flexion. Ces erreurs sont en fait la conséquence d’une inégalité des espaces en flexion et extension auxquels une seule épaisseur de plateau tibial ne peut convenir. Un déséquilibre entre les épaisseurs de résection postérieure et distale des condyles fémoraux est souvent en cause.
Figure 3 A (face). Douleur permanente et raideur (0.0.20), 15 mois après prothèse sans ciment à conservation du LCP pour genu valgum fixé (voie externe avec ostéotomie de la TTA). Noter le plateau tibial trop épais (16 mm). B (face). Changement de prothèse. Abord par ostéotomie itérative de la TTA. Tige tibiale en raison d’une fracture métaphysaire lors de l’extraction de la pièce tibiale. À 9 ans : indolence, mobilité : 0.0.75.
• Pièce fémorale ou embase tibiale trop large, entraînant un débord prothétique.
Insuffisance de libération des parties molles
• d’un plan collatéral rétracté en cas d’importante désaxation en varus ou valgus fixé : les radiographies montrent un pincement de l’interligne du côté rétracté et un baîllement du côté opposé ;
• d’une rétraction des coques condyliennes limitant l’extension ou d’une rétraction du quadriceps et des ailerons rotuliens limitant la flexion ;
• d’un LCP trop tendu qu’il faut libérer à la demande, sous peine d’une limitation de la flexion. En cas de libération excessive, c’est la flexion qui peut être limitée. En effet, l’avancée du fémur en flexion entraîne un contact précoce entre la partie postérieure du tibia et le fémur et une tension excessive de l’appareil d’extension.
• absence de resurfacement rotulien à l’origine de douleurs limitant la flexion ;
• défaut de fixation d’une pièce, responsable de douleurs. Les prothèses sans ciment sont plus exposées à un défaut de fixation précoce. Une étude en radiocinéma avec des incidences tangentielles à l’interface prothèse-os montrant un liseré [24], une scintigraphie montrant une hyperfixation fémorale ou tibiale peuvent être utiles ;
• ostéophytes fémoraux (plus souvent que tibiaux) postérieurs laissés en place, qui s’opposent :
– à la flexion une fois le composant tibial arrivé à leur contact. Une pièce fémorale (trop petite et/ou trop distale) qui ne couvre pas la totalité de la coupe fémorale postérieure a le même effet. Des radiographies de profil en flexion maximale peuvent objectiver un tel contact ;
– à l’extension, par mise en tension de la capsule postérieure.
Erreurs techniques et raideur
• de dresser la liste exhaustive des erreurs qui permettent d’expliquer une raideur ;
– la comparaison des radiographies de la prothèse avec les radiographies préopératoires ou à défaut avec celles du genou controlatéral non opéré est indispensable pour apprécier la taille des pièces, la hauteur de l’interligne et de la rotule ;
– des clichés en varus et valgus forcés le genou légèrement fléchi peuvent révéler une asymétrie de tension des plans capsuloligamentaires ;
– une tomodensitométrie est nécessaire pour mesurer la rotation des deux pièces ;
– une inégalité des espaces en flexion et extension, néanmoins, peut n’être reconnue que lors de la reprise ;