Chapitre 14 Maladies endocriniennes
Le système endocrinien est constitué par des glandes qui libèrent des hormones (messagers chimiques) directement dans le flux sanguin, par lequel elles sont transportées vers des organes éloignés dont elles pourront modifier la fonction. La plupart des hormones sont sécrétées dans la circulation systémique, mais les hormones libérées par l’hypothalamus atteignent l’hypophyse en passant par le système porte pituitaire. Les glandes exocrines, en revanche, sécrètent leurs produits qui atteignent leur cible en passant par des conduits. Le pancréas exerce à la fois une fonction endocrine (glucagon, insuline et somatostatine sécrétée respectivement par les cellules α, β et δ présentes dans les îlots de Langerhans) et exocrine (enzymes digestives telles que l’amylase sécrétée par les cellules acineuses dans l’intestin grêle via le canal pancréatique).
Dans la circulation, la plupart des hormones sont transportées par des protéines, mais c’est seulement l’hormone libre qui est biologiquement active. Cependant, les concentrations des protéines porteuses peuvent être modifiées par la maladie ou des médicaments, ce qui est susceptible d’affecter la quantité d’hormone libre. Une fois l’organe cible atteint, les hormones agissent en se liant à des récepteurs spécifiques soit sur la surface, soit dans les cellules (par exemple les hormones thyroïdiennes, le cortisol). Le résultat est une cascade de réactions intracellulaires qui amplifient souvent le stimulus et conduisent finalement à une réponse de la cellule. Certaines hormones, par exemple l’hormone de croissance et la thyroxine, agissent sur la plupart des tissus. D’autres n’exercent des effets que sur un seul tissu ; par exemple, la thyréostimuline (TSH) et l’adrénocorticotrophine (ACTH) sont sécrétées par l’hypophyse antérieure et ont des tissus cibles spécifiques, à savoir la glande thyroïde et le cortex surrénalien. Les maladies endocriniennes peuvent impliquer l’ensemble des glandes endocriniennes, comme l’illustre la figure 14.1.
Figure 14.1 Les principaux organes endocriniens et les affections endocriniennes les plus fréquentes.
Symptômes communs aux maladies endocriniennes
Les hormones produisent des effets étendus sur le corps, et les états de déficit ou d’excès se manifestent souvent par des symptômes généraux plutôt que centrés sur le site anatomique de la glande. Plusieurs des symptômes d’une maladie endocrinienne sont vagues et non spécifiques, par exemple la fatigue dans l’hypothyroïdie, la perte ou le gain de poids, l’augmentation de la soif, l’anorexie et le malaise général dans la maladie d’Addison, le diagnostic différentiel comportant souvent de nombreuses possibilités. Une puberté précoce ou tardive est souvent la conséquence d’une tendance familiale, bien qu’une maladie hypothalamo-hypophysaire puisse se présenter de cette façon, ce qui justifie souvent des investigations endocriniennes.
Hypothalamus et hypophyse
L’hypothalamus contient plusieurs centres vitaux contrôlant des fonctions comme l’appétit, la soif, la régulation thermique et le sommeil/éveil. Il joue également un rôle dans le rythme circadien, le cycle menstruel, le stress et l’humeur. Les facteurs de libération produits dans l’hypothalamus atteignent l’hypophyse par le système porte, qui descend dans la tige pituitaire. Ces facteurs de libération stimulent ou inhibent la production d’hormones par des types cellulaires distincts (par exemple les cellules acidophiles produisent l’hormone de croissance), dont chacun sécrète une hormone spécifique en réponse à des hormones uniques hypothalamiques stimulatrices ou inhibitrices. Les hormones antéhypophysaires, à leur tour, stimulent les glandes périphériques et certains tissus. Ce système est illustré à la figure 14.2. L’hypophyse postérieure agit comme un organe de stockage de l’hormone antidiurétique (ADH, appelée aussi vasopressine) et de l’ocytocine ; celles-ci sont synthétisées dans les noyaux supraoptiques et paraventriculaires de l’hypothalamus antérieur et passent dans l’hypophyse postérieure le long d’un axone unique dans la tige pituitaire. L’ADH est décrite plus loin dans ce chapitre ; l’ocytocine induit l’éjection du lait et les contractions du myomètre utérin.
Contrôle et rétroaction
La plupart des systèmes hormonaux sont contrôlés par un certain type de rétroaction ; un exemple est l’axe hypothalamo-hypophyso-thyroïdien (fig. 14.3). La thyréolibérine (TRH), sécrétée par l’hypothalamus, stimule l’hypophyse antérieure, qui sécrète la TSH dans la circulation systémique. A son tour, la TSH stimule la synthèse et la libération des hormones thyroïdiennes par la glande thyroïde et la conversion périphérique de T4 en T3 (la forme plus active). En retour, les hormones thyroïdiennes circulantes agissent sur l’hypophyse et, peut-être, sur l’hypothalamus ; elles suppriment ainsi la production de TSH et de TRH, et diminuent donc la sécrétion des hormones thyroïdiennes. Il s’agit là d’un processus de « rétroaction négative », qui représente le mécanisme le plus commun de régulation des taux circulants d’hormone. Inversement, une chute de la sécrétion des hormones thyroïdiennes (par exemple après thyroïdectomie) conduit à une sécrétion accrue de TSH et de TRH. Lorsque c’est une tumeur qui produit une hormone, on n’observe pas de rétroaction négative, ce qui s’avère utile au diagnostic ; c’est le cas par exemple pour le test de suppression à la dexaméthasone que l’on pratique lorsque l’on suspecte un syndrome de Cushing (voir plus loin).
Lésions et tumeurs occupant l’espace hypophysaire
Les maladies hypophysaires les plus fréquentes sont des tumeurs bénignes (adénomes). Les symptômes sont dus à l’insuffisance ou à l’excès de production hormonale, ou aux effets locaux exercés par la tumeur.
Surproduction
Un adénome hypophysaire cause principalement les affections suivantes :
• l’acromégalie chez les adultes et le gigantisme chez les enfants sous l’effet d’un excès d’hormone de croissance (growth hormone [GH]) ;
• la galactorrhée par un excès de prolactine, qui peut toutefois rester cliniquement silencieuse ;
• la maladie de Cushing et le syndrome de Nelson par un excès d’ACTH.
Effets locaux
La pression locale ou l’infiltration des structures environnantes peut s’exercer sur les structures suivantes (fig. 14.4) :
• le chiasma optique, ce qui cause une hémianopsie bitemporale (voir chap. 17) ;
• le sinus caverneux avec, en conséquence, des lésions des nerfs crâniens III, IV et VI ;
• des structures osseuses et des méninges, ce qui entraîne des céphalées ;
• des centres hypothalamiques, ce qui perturbe l’appétit et la soif, peut aboutir à l’obésité ou susciter une puberté précoce ;
• les ventricules, avec blocage du flux de liquide céphalorachidien et développement d’une hydrocéphalie.
Hypopituitarisme
Un déficit des libérines hypothalamiques ou des hormones hypophysaires peut être sélectif ou multiple. Les déficiences multiples sont causées habituellement par une tumeur ou d’autres lésions destructrices. Les fonctions s’atténuent progressivement, la GH et les gonadotrophines (FSH et LH) étant les premières touchées, la sécrétion de TSH et d’ACTH étant affectée plus tard. Plutôt qu’un déficit en prolactine, une hyperprolactinémie survient relativement tôt à cause de la perte du contrôle inhibiteur exercé par la dopamine (voir fig. 14.2). Le panhypopituitarisme est une déficience de toutes les hormones antéhypophysaires. La sécrétion de vasopressine et d’ocytocine ne sera affectée que si l’hypothalamus est envahi par une tumeur ou l’extension d’une lésion pituitaire.
Étiologie
La cause la plus fréquente d’hypopituitarisme est une tumeur hypophysaire ou hypothalamique, ou le traitement de la tumeur par chirurgie ou radiothérapie (tableau 14.1).
Néoplasiques | Traumatiques |
---|---|
Tumeur primitive (hypophyse ou hypothalamus) | Fracture du crâne |
Métastases, en particulier cancer mammaire | Chirurgie |
Lymphome | |
Infiltrations | |
Infectieuses | Sarcoïdose |
Méningite basale, par exemple tuberculose | Hémochromatose |
Encéphalite | |
Syphilis | Autres |
Lésions d’irradiation | |
Vasculaires | Chimiothérapie |
Apoplexie hypophysaire | Syndrome de la selle turcique vide |
Syndrome de Sheehan | |
Anévrismes de l’artère carotide | Fonctionnelles |
Immunologiques | Anorexie |
Anticorps antihypophysaires | Dénutrition |
Carence affective | |
Congénitales | |
Syndrome de Kallmann |
Caractéristiques cliniques
• le syndrome de Kallmann – déficit congénital en gonadolibérine (GnRH) (voir plus loin) ;
• le syndrome de Sheehan – infarctus hypophysaire à la suite d’une grave hémorragie postpartum ; rare dans les pays développés ;
• l’apoplexie hypophysaire – élargissement rapide d’une tumeur pituitaire à cause d’un infarctus ou d’une hémorragie ; de violentes céphalées peuvent s’accompagner d’une perte soudaine de la vue et parfois d’un hypopituitarisme aigu menaçant la vie ;
• le syndrome de la selle turcique vide– à la radiographie, la selle turcique (la structure osseuse qui entoure l’hypophyse) semble vide de tissu pituitaire. Dans certains cas, l’hypophyse est excentrée et la fonction est généralement normale ; dans d’autres, l’hypophyse est atrophique (après une blessure, une chirurgie ou une radiothérapie), ce qui cause un hypopituitarisme.
Soins
• le remplacement des hormones thyroïdiennes ne peut commencer avant la démonstration d’une fonction normale des glucocorticoïdes ou l’instauration d’une thérapie de remplacement des stéroïdes, sinon cela pourrait déclencher une « crise » surrénalienne ;
• un déficit en glucocorticoïdes masque une diminution de la capacité de concentration urinaire. Le diabète insipide se manifeste après le remplacement des stéroïdes, ceux-ci étant nécessaires pour l’excrétion de la surcharge aqueuse.
Syndromes d’hypersécrétion pituitaire
Acromégalie et gigantisme
L’hormone de croissance hypophysaire (GH) est sécrétée de façon pulsatile sous le contrôle de deux hormones hypothalamiques : la somatolibérine (GH releasing hormone [GHRH]) stimule et la somatostatine inhibe la sécrétion de la GH. La ghréline, qui est synthétisée dans l’estomac, augmente également la sécrétion de GH. La GH exerce son activité indirectement par l’induction du facteur de croissance analogue à l’insuline (IGF-1), qui est synthétisé dans le foie et d’autres tissus, ou directement sur des tissus comme le foie, les muscles, les os ou la graisse, ce qui induit des changements métaboliques. Une production excessive de GH conduit au gigantisme chez les enfants (si elle survient avant la fusion des épiphyses des os longs) et à l’acromégalie chez les adultes. L’acromégalie est rare et causée, dans presque tous les cas, par un adénome pituitaire bénin producteur de GH. Les hommes et les femmes sont affectés de manière égale et l’incidence est plus élevée à l’âge mûr.
Caractéristiques cliniques
Parmi les manifestations cliniques de l’acromégalie (fig. 14.5), on distingue celles dues à l’expansion locale de la tumeur et à la compression des structures environnantes – maux de tête, perte du champ visuel et hypopituitarisme –, et celles liées aux effets métaboliques de la sécrétion excessive de GH. Des photographies anciennes du patient peuvent être utiles pour démontrer un changement dans la morphologie et les caractéristiques physiques. Le début est insidieux, de nombreuses années séparant l’apparition des symptômes et le diagnostic. Insuffisamment traitée, l’acromégalie prédispose aux maladies cardiovasculaires et au cancer et entraîne donc une mortalité accrue.
Examens
• Si le taux plasmatique de GH est indétectable, cela permet d’exclure l’acromégalie, mais une valeur détectable n’a pas de valeur diagnostique.
• Dans l’acromégalie, le taux sérique d’IGF-1 est presque toujours élevé et fluctue moins que celui de la GH. Un taux sérique d’IGF-1 normal est un solide argument contre le diagnostic d’acromégalie.
• Le test de tolérance au glucose a une valeur diagnostique. Si le taux sérique d’IGF-1 est élevé ou équivoque, la GH sérique doit être dosée 2 heures après une charge orale de glucose. Dans un test positif, la suppression du taux sérique normal de GH sous 1 mU/l ne s’observe pas. Certains montrent même une augmentation paradoxale.
• Une IRM de l’hypophyse révélera presque toujours un adénome.
• Le champ visuel est fréquemment réduit et doit être mesuré par campimétrie.
• Les tests hypophysaires fonctionnels montrent habituellement un hypopituitarisme partiel ou complet.
Hyperprolactinémie
La dopamine de l’hypothalamus inhibe fortement la libération de prolactine et les facteurs qui induisent la sécrétion de prolactine (par exemple la TRH) sont probablement moins puissants (fig. 14.2). La prolactine sérique augmente physiologiquement pendant la grossesse, l’allaitement et un stress important.
Examens
• Taux de prolactine sérique. Au moins trois dosages doivent être effectués. Après exclusion des causes physiologiques ou médicamenteuses, d’autres tests sont appropriés.
• Tests de fonction thyroïdienne, puisque l’hypothyroïdie est une cause d’hyperprolactinémie.
• Si un prolactinome est en cause, la fonction hypophysaire et le champ visuel (évaluation clinique et campimétrique) doivent être testés.
Axe thyroïdien
La glande thyroïde sécrète principalement la thyroxine (T4) Thyroxine (T4)et seulement une petite quantité de l’hormone biologiquement active, la triiodothyronine (T3)Triiodothyronine (T3). La T3 circulante est produite surtout par la conversion périphérique de T4. L’iode est essentiel pour la synthèse des hormones thyroïdiennes. Plus de 99 % de T4 et T3 circulent liés aux protéines plasmatiques, principalement à la TBG (thyroxine-binding globulin), mais seule l’hormone libre agit sur les tissus. Les hormones thyroïdiennes contrôlent le métabolisme de nombreux tissus. La voie de rétroaction qui régule la sécrétion de TSH est décrite plus haut. La fonction thyroïdienne est évaluée par la mesure de :
Tests d’évaluation de la fonction thyroïdienne
Tester la fonction thyroïdienne est indiqué chez les patients entrant dans les catégories suivantes :
• en cas de symptômes ou de signes évocateurs d’hypo- ou d’hyperthyroïdie (tableau 14.2). Chez les patients qui souffrent d’une maladie aiguë, comme une pneumonie (sauf si la maladie de la thyroïde est fortement suspectée), la fonction thyroïdienne ne doit pas être évaluée puisque les changements dans les protéines de liaison, dans les hormones thyroïdiennes (T4 et T3 totales et libres sont faibles) et la TSH (normale) surviennent en cas de maladie grave non thyroïdienne (« syndrome euthyroïdien »). Le test répété après la guérison de la maladie aiguë montrera que, dans la plupart des cas, ces patients sont euthyroïdiens ;
• chez les patients qui sont traités pour hypo- ou hyperthyroïdie ;
• en cas de traitement par des médicaments causant des troubles de la thyroïde, par exemple l’amiodarone ;
• après irradiation, qu’il s’agisse d’un traitement à l’iode radioactif ou d’une irradiation cervicale externe ;
Hypothyroïdie
Une hypoactivité de la thyroïde peut être liée directement à une maladie de la glande (primitive) ou, beaucoup moins souvent, secondaire à une affection hypothalamo-hypophysaire (hypothyroïdie secondaire).
Étiologie
• La thyroïdite auto-immune peut être associée à un goitre (thyroïdite de Hashimoto) ou à une atrophie thyroïdienne. Le tissu thyroïdien est détruit par des anticorps et diverses cellules immunitaires. Presque tous les patients ont des anticorps sériques dirigés contre la thyroglobuline, la peroxydase thyroïdienne (anticorps antimicrosomes thyroïdiens) et contre le récepteur de la TSH, dont la liaison est ainsi bloquée. Elle est associée à d’autres maladies auto-immunes, telles que l’anémie pernicieuse et la maladie d’Addison. Une thyroïdite auto-immune, normalement transitoire, peut survenir après l’accouchement, provoquant une hypo- ou hyperthyroïdie, parfois les deux, de façon séquentielle.
• Iatrogène. Une thyroïdectomie (pour le traitement de l’hyperthyroïdie ou la résection d’un goitre), un traitement à l’iode radioactif ou une irradiation cervicale externe pour cancer de la tête ou du cou peuvent causer une hypothyroïdie.
• Induite par les médicaments comme le carbimazole, le lithium, l’amiodarone et l’interféron.
• La carence en iode existe encore dans certaines zones, notamment les zones montagneuses (Alpes, Himalaya, Amérique du Sud). Le goitre, parfois massif, est commun. Un excès d’iode peut aussi causer une hypothyroïdie chez les patients atteints d’une maladie thyroïdienne préexistante.
• L’hypothyroïdie congénitale est liée à une aplasie ou une dysplasie de la glande, ou bien à une synthèse défectueuse des hormones thyroïdiennes.
Caractéristiques cliniques
La figure 14.6 illustre les signes et symptômes de l’hypothyroïdie. Par myxœdème, on entend l’accumulation de mucopolysaccharides dans les tissus sous-cutanés. Les manifestations cliniques sont souvent difficiles à distinguer chez les personnes âgées et les jeunes femmes. L’hypothyroïdie doit être exclue chez toutes les patientes atteintes d’oligoménorrhée/aménorrhée, de ménorragie, de stérilité et d’une hyperprolactinémie. De nombreux cas sont détectés par un dépistage biochimique de routine.
Examens
• Le taux sérique de T4 libre est faible.
• Des anticorps antithyroïdiens et spécifiques d’autres organes peuvent être détectés dans le sérum.
• Les autres signes sont notamment une anémie (normocytaire ou macrocytaire), une hyperlipidémie, une hyponatrémie (due à une augmentation de l’hormone antidiurétique et à une réduction de la clairance de l’eau libre) et une augmentation du taux sérique de créatine kinase associée à une myopathie.
Soins
Hypothyroïdie infraclinique (euthyroïdie compensée)
Le taux sérique de TSH est légèrement augmenté, mais la concentration sérique de T4 libre est normale (tableau 14.2). La plupart des cas correspondent à la phase précoce d’une thyroïdite chronique auto-immune et, chaque année, environ 2 à 4 % évolueront vers une hypothyroïdie manifeste. Les avantages du traitement sont controversés. Le traitement par la lévothyroxine est normalement recommandé lorsque la TSH se maintient, 3 mois après le test initial, au-dessus de 10 mU/l, quand le titre des anticorps antithyroïdiens est élevé, en cas d’anomalies lipidiques ou quand le tableau clinique est évocateur d’hypothyroïdie. Chez les patients non traités, il faut doser la TSH chaque année afin de détecter une possible transformation en hypothyroïdie patente.
Coma myxœdémateux
Une hypothyroïdie grave peut se manifester, mais rarement, par de la confusion et un coma, en particulier chez une personne âgée. Les caractéristiques typiques sont entre autres : hypothermie (voir plus loin), insuffisance cardiaque, hypoventilation, hypoglycémie et hyponatrémie. Le traitement optimal est controversé et les données probantes font défaut ; l’encadré 14.1 fournit quelques recommandations. Le traitement est lancé sur la base d’une suspicion clinique avant même que les résultats des tests de laboratoire ne soient connus. Les indices de l’origine myxœdémateuse possible d’un coma sont des antécédents de maladie thyroïdienne, éventuellement rapportés par des membres de la famille.
Encadré 14.1 – Urgence Traitement du coma myxœdémateux
► Taux sériques de TSH, T4 et cortisol avant le traitement à l’hormone thyroïdienne
► Hémogramme complet, urée et électrolytes sériques, glycémie, hémocultures
► T3 par voie orale ou intraveineuse de 2,5 à 5 μg toutes les 8 heures
► Oxygène (par ventilation mécanique si nécessaire)
► Réchauffement progressif (voir encadré 14.4)
► Hydrocortisone 100 mg IV toutes les 8 heures (au cas où l’hypothyroïdie est une manifestation d’hypopituitarisme)
► Perfusion de glucose pour prévenir l’hypoglycémie
► Traitement de soutien du patient dans le coma (voir chap. 17)
Hyperthyroïdie
L’hyperthyroïdie (hyperactivité thyroïdienne, thyrotoxicose) est fréquente, touchant, à un moment donné, 2 à 5 % de toutes les femmes, principalement entre 20 et 40 ans. Trois troubles thyroïdiens intrinsèques représentent la majorité des cas d’hyperthyroïdie : la maladie de Basedow, l’adénome toxique et le goitre multinodulaire toxique. Des causes plus rares sont une infection virale (thyroïdite de De Quervain), une consommation cachée de T4 (thyroïdite factice), un médicament (amiodarone), un carcinome thyroïdien différencié métastatique et des tumeurs sécrétrices de TSH (par exemple de l’hypophyse).
• La maladie de Basedow est la cause la plus fréquente d’hyperthyroïdie ; elle est la conséquence de la liaison d’anticorps IgG au récepteur de la TSH, ce qui stimule la production des hormones thyroïdiennes. Elle se manifeste par des signes cliniques caractéristiques (voir ci-dessous) et peut être associée à d’autres maladies auto-immunes, telles qu’une anémie pernicieuse ou une myasthénie.
• Goitre multinodulaire toxique. De nombreux patients porteurs d’un goitre multinodulaire toxique sont restés euthyroïdiens pendant plusieurs années avant le développement d’une autonomie nodulaire. Il se développe fréquemment chez les femmes âgées, et le traitement médicamenteux est rarement couronné de succès dans l’induction d’une rémission prolongée.
• Le nodule ou adénome solitaire toxique est responsable d’environ 5 % des cas d’hyperthyroïdie. À nouveau, un traitement médicamenteux aboutit rarement à une rémission prolongée.
• Thyroïdite de De Quervain. L’hyperthyroïdie transitoire résulte parfois d’une inflammation aiguë de la glande, probablement en raison d’une infection virale. Elle est généralement accompagnée de fièvre, de malaise et de douleur dans le cou. Le traitement est à base d’aspirine, la prednisolone étant réservée aux patients ayant des symptômes graves.
Caractéristiques cliniques
La figure 14.7 illustre les symptômes et manifestations typiques. Les caractéristiques cliniques varient avec l’âge et l’étiologie sous-jacente. Une ophtalmopathie (voir ci-dessous), un myxœdème prétibial (lésions cutanées symétriques, rouge-violet, surélevées à la face antérolatérale des tibias) et une acropachie thyroïdienne (doigts en baguettes de tambour, enflés et néoformation osseuse périostée) ne s’observent que dans la maladie de Basedow. Les patients âgés peuvent être atteints de fibrillation auriculaire et/ou d’insuffisance cardiaque, ou leur tableau clinique peut ressembler à une hypothyroïdie (thyrotoxicose apathique).
Examens
• La TSH est abaissée (< 0,05 mU/l).
• Les taux sériques de T4 et T3 libres sont élevés. Parfois, seul celui de T3 est augmenté (toxicose T3).
• Des anticorps sériques antimicrosomes et antithyroglobuline sont présents dans la plupart des cas de maladie de Basedow. Les anticorps antirécepteur de la TSH ne sont pas dosés de façon routinière.
• L’échographie thyroïdienne contribuera à différencier la maladie de Basedow d’un adénome toxique.
Soins
Médicaments antithyroïdiens
Le carbimazole (20 à 40 mg par jour) est le plus souvent prescrit en France, alors que son métabolite, le thiamazole (méthimazole) est utilisé aux États-Unis. Tous deux bloquent la biosynthèse des hormones thyroïdiennes ; ils exercent aussi des effets immunosuppresseurs sur le processus responsable de la maladie de Basedow. Comme le bénéfice clinique ne se manifeste qu’après 10 à 20 jours, on recourt à des β-bloquants (généralement le propranolol) pour contrôler rapidement les symptômes, car de nombreuses manifestations dépendent du système sympathique. Après 4 à 6 semaines à la dose complète, le carbimazole est progressivement réduit en 6 à 24 mois à 5 mg par jour et abandonné lorsque le patient est redevenu euthyroïdien. L’objectif du traitement pendant cette période est de maintenir des taux normaux de T4 libre et de TSH. A l’arrêt du traitement médicamenteux, principalement dans les deux années suivantes, 50 % des patients font une rechute et ont besoin d’un traitement complémentaire (médicament antithyroïdien à long terme, iode radioactif ou chirurgie). Le plus grave effet secondaire du carbimazole est une agranulocytose. Tous les patients débutant un traitement doivent être avertis ; en cas de mal de gorge ou de fièvre inexpliquée, ils doivent cesser le carbimazole et demander une formule sanguine en urgence. Si cet effet toxique survient, on remplace le carbimazole par le propylthiouracile.
Iodure de sodium radioactif (131I) par voie orale
Iodure de sodium radioactif (131I)Ce produit est largement utilisé pour le traitement de l’hyperthyroïdie, mais est contre-indiqué pendant la grossesse et l’allaitement. Il s’accumule dans la glande qu’il irradie localement. La fonction thyroïdienne redevient normale en 4 à 12 semaines. Si l’hyperthyroïdie persiste, une dose supplémentaire d’131I peut être administrée, même si celle-ci augmente la fréquence d’hypothyroïdie subséquente.
Crise thyroïdienne ou « tempête thyroïdienne »
C’est une affection rare qui peut mettre la vie en danger ; une thyrotoxicose s’aggrave rapidement avec hyperpyrexie, tachycardie, agitation extrême et finalement délire, coma et mort. Elle est généralement provoquée par une infection, un stress, la chirurgie ou un traitement à l’iode radioactif chez un patient non préparé. Grâce à un traitement minutieux, ce syndrome ne devrait plus se produire et la plupart des cas qualifiés de « crises » sont tout simplement une thyrotoxicose sévère, mais sans complications. Le traitement de la tempête thyroïdienne est le suivant : fortes doses de carbimazole (20 mg par voie orale toutes les 8 heures), propranolol (80 mg par voie orale toutes les 12 heures), iodure de potassium (15 mg par voie orale toutes les 6 heures, pour bloquer la libération aiguë d’hormone thyroïdienne par la glande) et hydrocortisone (100 mg IV toutes les 6 heures, pour inhiber la conversion périphérique de T4 en T3).
Complications ophtalmiques de la maladie de Basedow
La rétraction de la paupière (le blanc de la sclérotique visible au-dessus de la cornée lorsque le patient regarde en avant) et l’asynergie oculopal pébrale (retard dans le déplacement de la paupière supérieure lorsque l’œil se déplace vers le bas) sont dues au fait que le muscle releveur de la paupière supérieure est devenu plus sensible aux catécholamines. Ces anomalies s’observent dans toute forme d’hyperthyroïdie. L’exophtalmie (saillie des globes oculaires) et l’ophtalmoplégie (limitation des mouvements des yeux) sont caractéristiques des patients atteints de maladie de Basedow (maladie ophtalmique de Basedow).
Caractéristiques cliniques
L’atteinte oculaire est habituellement bilatérale. Les patients se plaignent d’une sensation de pression ou de douleur oculaire ; ils ont l’impression d’avoir du sable dans les conjonctives, leur vision est diminuée et ils deviennent photophobes. L’exophtalmie et l’ophtalmoplégie sont des effets directs de l’inflammation rétro-orbitaire, tandis que l’œdème conjonctival (chémosis), l’asynergie oculopalpébrale et les cicatrices de la cornée sont secondaires à l’exophtalmie et à l’absence de protection oculaire (fig. 14.8). Les manifestations oculaires n’évoluent pas en parallèle avec les signes cliniques de la maladie de Basedow ; elles peuvent apparaître avant ou après l’hyperthyroïdie.
Goitre (hypertrophie de la thyroïde)
Le goitre est plus fréquent chez les femmes que chez les hommes et peut être d’origine physiologique ou pathologique (tableau 14.3). La présence d’un goitre ne donne aucune indication sur l’état fonctionnel de la thyroïde du patient.
Diffus |
Physiologique : * puberté, grossesse Auto-immune : maladie de Basedow, maladie de Hashimoto Thyroïdite aiguë virale (thyroïdite de De Quervain)* Carence en iode (goitre endémique) Dyshormonogenèse Agents goitrogènes, par exemple les sulfonylurées |
Nodulaire |
Goitre multinodulaire Nodule solitaire Fibrotique (thyroïdite de Riedel) Kystes |
Tumeurs |
Adénome Carcinome Lymphome |
Divers |
Sarcoïdose Tuberculose |
* Le goitre se résout habituellement spontanément.
Examens
• Analyses de sang : tests de fonction thyroïdienne (tableau 14.2) et anticorps antithyroïdiens.
• Imagerie : une échographie thyroïdienne à haute résolution peut délimiter des nodules et déterminer s’ils sont kystiques ou solides. Les deux types de nodules sont généralement bénins, mais peuvent être malins ; une aspiration à l’aiguille fine (voir ci-dessous) sous contrôle échographique est donc nécessaire. En cas de goitre très volumineux ou de symptômes cliniques (difficulté à respirer), des radiographies du thorax et de sa partie supérieure peuvent montrer une compression de la trachée et une extension rétrosternale importante.
• Une aspiration à l’aiguille fine en vue de la cytologie est indiquée en cas de nodules solitaires ou de nodule dominant dans un goitre multinodulaire, car le risque de tumeur maligne est de 5 %.
• La scintigraphie thyroïdienne (125I ou 131I) distingue un nodule fonctionnel (rarement malin) d’un non fonctionnel (10 % sont malins). Toutefois, l’aspiration à l’aiguille fine a largement remplacé la scintigraphie isotopique.