Chapitre 14
Lymphomes : principes thérapeutiques et imagerie post-thérapeutique
É. Herin, J. Chalaye, J.-L. Lagrange, K. Belhadj, É. De Kerviler, A. Luciani, A. Rahmouni and E. Itti
Principes thérapeutiques des lymphomes de haut grade et des maladies de Hodgkin
Lymphomes Non Hodgkiniens
Principes thérapeutiques
L’index pronostique international, et plus encore son dérivé, l’index pronostique international ajusté à l’âge (aaIPI) prenant en compte le stade clinique, l’état général et le taux de LDH prédisent la réponse au traitement et guident le choix de la stratégie thérapeutique [1]. Au total, et outre l’âge, sont identifiés comme facteurs de risque les éléments suivants : stade III ou IV d’Ann Arbor, nombre de sites extraganglionnaires atteints > 1, augmentation des LDH, et performance status. Il existe néanmoins une certaine variabilité dans le devenir des patients au sein d’un même groupe de patients défini par l’IPI témoignant d’une hétérogénéité certaine d’un point de vue biologique de ces lymphomes et du besoin de définir des facteurs pronostiques biologiques plus stringents. L’étude du profil d’expression génique a permis la caractérisation de deux sous-types moléculaires de lymphome diffus à grandes cellules B, les uns avec une signature de type « centre germinatif » : GC B-like (GCB), de pronostic favorable ; les autres avec une signature de type « cellules B activées » : Activated B Cells-like (ABC), de pronostic défavorable [2]. Cette distinction moléculaire n’est pour le moment pas encore employée en routine dans le choix des traitements car difficile à mettre en place à large échelle et en multicentrique de façon prospective.
Traitements de première ligne
L’introduction du rituximab, un anticorps chimérique anti-CD-20, antigène présent dans la majorité des lymphomes diffus à grandes cellules B, a permis l’amélioration de la survie sans progression et de la survie globale (OS) faisant de cet anticorps la pierre angulaire de tous les régimes de traitement [3–6].
Patients âgés (60 à 80 ans)
La moitié des cas diagnostiqués concerne cette tranche d’âge [7]. L’essai thérapeutique 98-5B du GELA (Groupe d’étude des lymphomes de l’adulte) randomisant 8 cures de R-CHOP contre 8 cures de CHOP administrés tous les 21 jours chez des patients ayant au moins un facteur de l’aaIPI a démontré un bénéfice à l’adjonction de rituximab dans l’obtention d’une réponse complète (RC) (76 % vs 63 % ; p = 0,0005) et en OS (70 % vs 57 % ; p = 0,007), ce bénéfice a été confirmé avec 5 et 10 ans de suivi médian en FFProg et OS (p = 0,00001 et p = 0.0073 respectivement) [7–9]. L’essai allemand RICOVER 60 randomisant chez ces malades 6 R-CHOP14 (administrés tous les 14 jours) suivis de 2 injections de rituximab contre 8 R-CHOP14 ou contre 6 ou 8 CHOP14 suggérait la supériorité d’un régime de 6 R-CHOP administré tous les 14 jours (pas de bénéfice à poursuivre le traitement jusqu’à 8 cures). Ces résultats sont démentis par les résultats de l’essai LNH (lymphome non hodgkinien) 03–6B du GELA ne trouvant pas de bénéfice à 8 cures de R-CHOP14 contre 8 cures de R-CHOP21 [10].
Patients jeunes (18 à 60 ans)
Les traitements des sujets jeunes sont stratifiés sur l’aaIPI.
Présence d’un facteur de mauvais pronostic de l’aaIPI
L’étude du GELA 93-1B testant l’ACVBP (chimiothérapie intensive associant doxorubicine, cyclophosphamide, vincristine, bléomycine et prednisone) suivie d’une consolidation contre 4 CHOP suivis d’une irradiation focale a montré la supériorité de l’ACVBP en survie globale chez des patients avec 0 facteur de l’aaIPI (OS à 5 ans de 90 % vs 81 %, p = 0,03) [11].
À l’aire du rituximab, l’étude MInt portant sur plus de 800 malades avec 0 ou 1 facteur de l’aaIPI a démontré un bénéfice à l’adjonction de rituximab à 6 cures deCHOP ou CHOP-like plus radiothérapie focale en cas d’atteinte bulky ou extra-nodale : FFProg 79,9 % vs 63,8 % (p < 0,0001) et OS : 89,8 % vs 80 % (p = 0,001) [12].
L’étude du GELA 03-2B testant chez les patients avec un facteur de l’aaIPI 4 cures de R-ACVBP suivies d’une consolidation contre 8 cures de R-CHOP21 a démontré un bénéfice à 3 ans en survie sans événement (EFS) (80,9 % vs 66,7 %, p = 0,0035), en FFProg (86,8 % vs 73,4 %, p = 0,0015) et en OS (92,2 % vs 83,8 %, p = 0,0071) au prix d’une toxicité néanmoins plus élevée [13].
Présence de 2 ou 3 facteurs de mauvais pronostic de l’aaIPI
Il n’existe pas de consensus sur le traitement de sujets jeunes de mauvais risque de l’IPI. Si un régime à base de R-CHOP est acceptable, des régimes intensifiés sont également utilisés (R-CHOEP, R-ACVBP). Le débat sur une intensification thérapeutique avec autogreffe de cellules souches est toujours posé. En France l’induction par R-ACBP suivie d’une intensification par BEAM et autogreffe de cellules souches périphériques est considérée comme un standard de traitement [14] avec une FFProg à 76 % et une OS à 78 % à 4 ans. Une méta-analyse portant sur 15 études randomisées a échoué à démontrer un bénéfice incontestable de cette procédure en première ligne de traitement [15]. Il est vraisemblable que dans ces présentations l’obtention d’une rémission complète métabolique précoce est un facteur pronostique stringent [16–22] à même d’identifier les patients devant justifier d’une intensification thérapeutique et donc servir de base à l’élaboration d’un algorithme de traitement. Cette question est posée par l’étude GELA 2007-03B dont les résultats ne sont pas encore connus.
Lymphomes hodgkiniens
Principes thérapeutiques
Comme pour les lymphomes non hodgkiniens, le choix d’un traitement dans le lymphome de Hodgkin dépend des facteurs pronostiques initiaux au sein desquels le plus important est le stade clinique qui permet de définir d’une part les stades locorégionaux (IA, IB et IIA) et d’autre part les stades avancés (IIB, II et IV) [23].
L’intégration de la TEP dans le bilan initial a conduit dans 13 à 24 % des cas à majorer le stade clinique défini par le scanner avec, dans 7 à 15 % des cas, un passage d’un stade locorégional à un stade avancé [24–26].
Les stades locorégionaux sont divisés en favorable ou défavorable en fonction de critères pronostiques au diagnostic tels que la vitesse de sédimentation, l’âge, les signes généraux ou une atteinte ganglionnaire médiastinale bulky [27], les différents groupes coopérateurs varient malheureusement dans la définition de ces deux groupes [28] rendant la comparaison des résultats des différents essais thérapeutiques délicate. Pour les stades avancés, le score pronostique international (IPS) repose sur les facteurs pronostiques péjoratifs suivants : sexe masculin, âge > 45 ans, stade IV, albumine sérique < 40 g/L, hémoglobine < 10,5 g/dL, taux de leucocytes ≥ 15 000/mm3, lymphocytes < 600 mm3 ou < 8 % du total des leucocytes. La présence de plus de 3 facteurs définit le groupe défavorable.
Traitement de première ligne
Stades locorégionaux favorables
Un traitement combiné comprenant une polychimiothérapie suivie d’une radiothérapie focale a supplanté le traitement par radiothérapie exclusive en diminuant le taux de rechutes par l’éradication des foyers tumoraux occultes et en diminuant la toxicité à long terme de la radiothérapie par la réduction de la taille des champs d’irradiation [29–32].
Longtemps, le traitement de référence a été 4 cycles d’ABVD (doxorubicine, bléomycine, vimblastine et dacarbazine) suivis d’une radiothérapie focale à la dose de 36 Gy. Ce traitement est aujourd’hui clairement surdimensionné. Le groupe coopérateur allemand dans l’essai HD10 randomisant 2 contre 4 cures d’ABVD suivies d’une irradiation focale à la dose de 20 ou 30 Gy ne montrait pas de différence en survie sans progression et en survie entre les quatre groupes de traitement avec un excès de toxicité pour les groupes avec 4 ABVD et/ou une radiothérapie à 30 Gy [29].
Stades locorégionaux défavorables
Le traitement combiné est la règle dans ce type de présentation. Le groupe EORTC dans l’essai H9 [33] a testé 4 ou 6 cures d’ABVD suivies d’une radiothérapie focale à la dose de 30 Gy avec une FFProg (87 % et 91 %, respectivement, à 4 ans) et une OS comparables. L’essai allemand H14 [34] a testé 4 cures d’AVBD contre 2 cures de BEACOPP renforcé (bléomycine, étoposide, doxorubicine, cyclophosphamide, vincristine, procarbazine, et prednisone) suivies de 2 cures d’ABVD. Dans les deux groupes de traitement, la chimiothérapie était suivie d’une radiothérapie focale. Le faible bénéfice en FFProg du bras « 2 + 2 » (« 2 + 2 » : 97 % ; ABVD : 91 %, p = 0,0017) s’est fait au détriment d’une toxicité tardive probable (stérilité et risque de cancer secondaire) jugée rédhibitoire. Le traitement par 4 cures d’ABVD suivies d’une irradiation focale est donc le traitement de référence de ces présentations.
Stades avancés
Le MOPP (méchloréthamine, vincristine, procarbazine, et prednisone) a été introduit dans le traitement des formes avancées il y a plus de 40 ans avec des taux de rémission de 50 %. Il a été remplacé par l’ABVD qui, outre une meilleure efficacité, démontrait une moins grande toxicité dans plusieurs essais de phase III comparant l’ABVD au MOPP, au MOPP/ABV (méchloréthamine, vincristine, procarbazine, prednisone/doxorubicine, bléomycine, vinblastine) ou à une alternance de MOPP et d’ABVD [35–38], faisant de l’ABVD le régime de référence dans cette indication.
Dans ces essais traitant les formes avancées de lymphome de Hodgkin par ABVD, la FFProg à 5 ans varie de 60 à 75 %, la moitié des patients rechutant étant rattrapés par un traitement de deuxième ligne [36, 37, 39–41].
• la première [42] testait 6 cures d’ABVD contre 4 cures de BEACOPP renforcé suivies de 4 cures de BEACOPP standard chez 205 patients avec un bénéfice pour le BEACOPP par diminution du risque de progression dont la FFProg à 5 ans de 81 % vs 68 % pour le groupe ABVD (p = 0,038) sans traduction en OS (92 % vs 84 %) ;
• la deuxième étude [43] testait également 6 ABVD contre 4 BEACOPP renforcés suivies de 4 BEACOPP standard. Elle concernait 321 malades et ne montrait pas de différence avec une EFS à 7 ans de 78 % contre 71 % (p = 0,15) et une OS de 89 % contre 84 % (p = 0,39) ;
• la troisième étude [44] testait 8 ABVD contre 4 cures de BEACOPP renforcés suivies de 4 cures de BEACOPP standard chez 550 patients avec un IPS à 3 ou plus, elle échouait également à montrer un bénéfice du BEACOPP avec une EFS à 4 ans de 63,7 % contre 69,3 % (p = 0,313) et une OS de 86,7 % contre 90,3 % (p = 0,208).
Rôle de la radiothérapie dans les formes avancées
L’essai H89 du GELA [45] a démontré qu’une radiothérapie chez des patients en rémission complète à 6 cycles d’un régime de type MOPP/ABV ou ABVPP (doxorubicine, bléomycine, vinblastine, procarbazine, prednisone) n’était pas supérieure à 2 cycles supplémentaires de la chimiothérapie (survie sans maladie à 78 % vs 73 %, p = 0,07 et survie globale 79 % vs 84 %, p = 0,29). La place de la radiothérapie et les nouvelles stratégies de radiothérapie seront développées plus bas.
Impact de la réponse précoce à la TEP : un marqueur pronostique indiscutable
La démonstration du caractère pronostique bénéfique de l’obtention d’une rémission métabolique précoce a été faite dans le lymphome de Hodgkin avancé. L’obtention de cette dernière efface le caractère péjoratif de l’IPS [46, 47]. Ces résultats ont conduit à des projets thérapeutiques différents testant soit un régime de désescalade thérapeutique par de l’ABVD en cas de rémission métabolique complète après 2 BEACOPP renforcés, soit un régime d’escalade thérapeutique par BEACOPP après rémission partielle métabolique après 2 ABVD et ce tant dans les formes avancées que dans les formes localisées dont nous attendons les résultats.
Radiothérapie
Évolution des traitements des formes localisées de la maladie de Hodgkin : un exemple de désescalade raisonnée des traitements par irradiation
L’irradiation de la maladie de Hodgkin est l’une des techniques les plus compliquées et qui a le plus évolué depuis qu’il a été montré que cette maladie pouvait être guérie et que de longues survies étaient obtenues. La compréhension de l’extension tumorale de site en site puis les progrès des techniques d’irradiation et les risques de développement de complications ou de séquelles à long terme sont à l’origine de cette évolution. La mise à disposition de rayonnement de haute énergie et la possibilité d’irradier de grands champs incluant toutes les aires ganglionnaires sus et sous-diaphragmatiques sont à l’origine des gains thérapeutiques initiaux. L’adjonction de la chimiothérapie, la mise en évidence des effets à long terme de l’irradiation ont conduit à une réflexion par plusieurs groupes permettant la réduction des volumes irradiés, la diminution des doses délivrées. Enfin les techniques récentes d’imagerie comme la TEP conduisent à une meilleure définition des aires ganglionnaires atteintes [48]. Aussi nous centrerons notre propos autour des améliorations techniques et les modifications de dose conduisant aux techniques d’irradiation actuelles. Toutefois les effets à long terme se développent plusieurs années après une irradiation, chez ces patients ayant une survie de plusieurs années aussi est-il utile de connaître les techniques qui ont été utilisées 10 ou 20 ans auparavant voire plus.
Évolution des techniques d’irradiation
Kaplan le premier a décrit une technique d’irradiation prenant en compte toutes les aires ganglionnaires sus et sous-diaphragmatiques. Ainsi dès 1956 est utilisée l’irradiation en mantelet qui permet en un seul champ antéropostérieur d’irradier toutes les aires ganglionnaires au-dessus du diaphragme tout en protégeant les poumons. Progressivement la technique s’est affinée avec l’introduction d’un cache infraclaviculaire et un cache sous-carénaire afin de limiter la dose au cœur. Enfin le champ couvrant l’anneau de Waldeyer a été introduit depuis 1964 pour certains patients [49].
Description du mantelet
Il inclut l’ensemble des aires ganglionnaires au-dessus du diaphragme considéré comme étant à haut risque d’envahissement. Il s’étend des mandibules aux insertions du diaphragme. L’énergie des photons recommandée est de 6 MV, toutefois de nombreuses équipes utilisent des énergies plus élevées, atteignant 25 MV. La position du patient doit être reproductible et permettre la protection des régions non atteintes. La limite supérieure est située 1 cm au-dessus de la pointe mastoïdienne, la limite inférieure au niveau de l’interligne T10–T11. Au niveau médiastinal l’ensemble du médiastin ainsi que des hiles pulmonaires sont inclus avec une marge d’environ 1 cm. Les aires axillaires sont incluses dans un volume dont la limite externe est définie par la moitié du fût diaphysaire huméral et 1 cm en dedans du grill costal. Et la limite inférieure est située au niveau de la pointe de la scapula. Cette limite interne rejoint la limite du médiastin en suivant le 5e espace intercostal, passant sous la clavicule. Au niveau de la cavité buccale un cache est préparé qui suit la mandibule. Enfin un cache postérieur allant de C1 à C7 inclus permet de protéger la moelle épinière. En antérieur un petit cache est mis en regard du larynx. Cette forme de base peut être modifiée selon les circonstances. Ainsi dès 1970 un cache sous la carène a été institué au-delà de 25–30 Gy afin de protéger le cœur et le péricarde. Dans certaines situations rares, avec expansion tumorale dans les poumons à partir de l’atteinte ganglionnaire hilaire, une irradiation pulmonaire peut être effectuée soit grâce à un cache d’épaisseur réduite laissant passer une partie de l’irradiation soit par l’absence de cache initial au niveau du poumon et sa mise en place à une dose de l’ordre de 20 Gy [49].
Irradiation sous-diaphragmatique
Les aires ganglionnaires inguinales sont ajoutées lorsqu’il y a une atteinte iliaque externe.
Irradiation limitée
Irradiation IFRT (fig. 14.1)
L’irradiation IFRT concerne donc une portion des champs classiques du mantelet ou Y inversé. Dans cette situation l’ensemble d’une aire ganglionnaire telle que décrite pour la maladie de Hodgkin est irradiée dans un seul champ dès qu’il y a une atteinte ganglionnaire. Ainsi au niveau cervical, l’atteinte d’un ganglion jugulocarotidien implique l’irradiation de toutes les aires ganglionnaires cervicales homolatérales : sus-claviculaire et jugulocarotidienne. Les champs sont étendus depuis la mastoïde jusqu’à la clavicule. En cas d’atteinte sus-claviculaire, l’ensemble de l’hémi-cou homolatéral est inclus. Une atteinte médiastinale implique l’irradiation du médiastin et des hiles. Elle s’étend de T1 à T8–9 [50].
Irradiation INRT (fig. 14.2)
L’irradiation uniquement des atteintes ganglionnaires initiales a été historiquement utilisée puis abandonnée à la suite des travaux de Kaplan. Cependant cette démarche a été progressivement réintroduite avec la mise en œuvre de traitements combinés de chimio et radiothérapie. Elle est actuellement en cours d’évaluation en particulier dans le protocole EORTC-GELA H10. Dans cette démarche est prise en compte l’atteinte ganglionnaire initiale ainsi que la régression tumorale. Cela suppose une grande rigueur d’évaluation des atteintes par tomodensitométrie et tomographie à positron [51].
La définition des volumes est fonction du siège de l’atteinte ganglionnaire avant toute chimiothérapie. Elle a été effectuée uniquement pour les présentations sus-diaphragmatiques. Elle utilise la nomenclature de l’ICRU [52] : GTV (Grosss Tumor Volume), CTV (Clinical Target Volume) et PTV (Planning Target Volume).
En cas de réponse partielle, le volume ganglionnaire résiduel sera délinéé afin de définir le volume qui recevra un complément de dose [53].
Traitement combiné dans la maladie de Hodgkin
Afin d’améliorer les résultats thérapeutiques, plusieurs groupes ont réalisé des essais randomisés combinant l’irradiation et la chimiothérapie. Il a ainsi pu être montré, pour les formes localisées, la supériorité d’une stratégie combinée. Rosenberg et Kaplan à Standford ont progressivement établi le rôle de l’irradiation en grands champs et montré l’intérêt de l’association IFRT et MOPP comparativement à une irradiation lymphoïde subtotale. Ils pouvaient écrire que le MOPP en adjuvant pouvait remplacer l’irradiation de la maladie occulte chez des patients PS (Performance Status) IA-IIA [54].
D’autres groupes ont confirmé la supériorité de la stratégie combinée à l’irradiation seule. Ainsi l’essai HD 7 du GHSG (German Hodgkin Study Group) comparant une irradiation étendue (EF) seule à la dose de 30 Gy suivi d’un complément localisé de 10 Gy à une association de 2 cycles d’ABVD suivis d’une irradiation selon le même schéma. À 7 ans la survie sans échec du traitement (FFTF) était de 67 % versus 88 % (p < 0,001) [55]. Dès lors que la supériorité de cette stratégie était établie, il était alors possible dans des essais de stratégie de tenter d’une part de réduire les volumes irradiés et d’autre part de diminuer la dose. En effet ces deux facteurs sont impliqués dans le risque de développer des complications.
Désescalade des volumes irradiés : des grands champs à l’irradiation INRT
Les patients ont été traités selon les groupes à risque favorable ou défavorable. Ces groupes présentent de discrètes différences, toutefois la synthèse de ces études confirme l’équivalence d’une irradiation limitée (IFRT) à une irradiation étendue (EFRT) (tableau 14.1). Bonadonna et al. [50] ont rapporté les résultats à long terme de l’essai de Milan comparant une irradiation subtotale incluant la rate à une irradiation des involved fields après une chimiothérapie par ABVD. Cette étude s’adressait à des patients ayant des stades cliniques IA, IB, IIA. Les doses étaient de 36 Gy en cas de réponse complète et de 40 Gy en cas de RCu ou de réponse partielle (RP) au niveau des aires ganglionnaires atteintes. Dans les aires ganglionnaires non atteintes, lorsqu’elles étaient irradiées les doses étaient de 30,6 Gy. Cent quarante patients ont été inclus et 136 étaient évaluables avec un suivi médian de 116 mois. Les deux groupes étaient équilibrés et comprenaient 15 stades IA, 81 stades II favorables et 40 stades II défavorables. Plus de trois sites étaient envahis dans 24 cas et une maladie Bulky était présent dans 28 cas (ces patients avaient soit un rapport médiastinothoracique de 0,33 soit des masses ganglionnaires > 10 cm) ; à long terme 93 % du groupe STNI (Subtotal Nodal Irradiation) et 94 % du groupe IFRT étaient sans évolution clinique (free of disease). La survie globale était respectivement de 94 et 96 %. Bien que l’échantillon ne soit pas suffisant pour prouver la non-infériorité de la stratégie IFRT, cette dernière est considérée comme effective. De plus la tolérance à long terme était excellente [50].
Tableau 14.1
Évolution des volumes irradiés dans les essais avec randomisation sur l’extension des volumes irradiés
OS : Overall Survival ; EFS : Event Free Survival ; FFProg : Free From Progression.
Désescalade de la dose : de 40 à 20 Gy
La maladie de Hodgkin est une maladie radiosensible. Des doses relativement faibles permettaient d’obtenir une régression tumorale temporaire. Les travaux de Kaplan ont montré que le contrôle durable de la maladie pouvait être obtenu avec des doses de 40 à 45 Gy. Mais ces doses étaient responsables de toxicité à long terme. Avec le développement des traitements combinés et devant ces risques, la désescalade de dose a été proposée de manière progressive. De nombreux essais thérapeutiques ont été effectués dans cet objectif. Par ailleurs les travaux ce Cosset et Dubray [56, 57] ont montré que le risque de complications pulmonaire et cardiaque était lié à la dose par fraction. En effet ils ont montré à partir de 499 patients porteurs de maladie de Hodgkin traités de 1971 à 1984 à l’institut Gustave Roussy que l’incidence à 10 ans des péricardites était de 9,5 %, celle des infarctus de 3,9 % alors qu’en l’absence d’irradiation chez 138 patients traités pendant la même période aucune toxicité cardiaque n’était retrouvée. Les doses par fraction utilisées à cette époque étaient de 2,5 Gy 4 fois/semaine, 3 ou 3,3 Gy par fraction 3 fois/semaine et les doses totales de 35 à 43 Gy. L’analyse multivariée a montré que le risque de péricardite était lié à la dose totale (> 41 Gy, RR [risque relatif] 3,25 ; p = 0,006) et à la dose par fraction > 3 Gy (RR 2,0 ; p = 0,06). Cet effet lié à la dose par fraction sur le risque de complication pulmonaire a aussi été mis en évidence par Dubray à partir des patients inclus dans les essais de l’EORTC H1, H2, H5. Ils avaient reçu une dose totale de 35–40 Gy et par fraction 5 × 1,8 Gy, 5 × 2,0 Gy, 4 × 2,5 Gy, 3 × 3,3 Gy/semaine. En analyse multivariée il y avait une augmentation du risque de pneumopathie liée à la dose par fraction (RR 2,22/Gy, de la dose totale médiastinale 1,06/Gy). Ceci justifie que la dose par fraction préconisée actuellement soit de 1,8 à 2 Gy chez l’adulte.
L’essai HD10 du groupe GHSG compare une irradiation de 20 Gy à celle de 30 Gy au niveau des aires initialement atteintes chez des patients de stade I ou II sans facteur de risque afin d’évaluer les possibilités de désescalade de dose de chimio et de radiothérapie (tableau 14.2). Mille cent trente et un patients ont été randomisés pour recevoir 4 ou 2 cycles d’ABVD et une irradiation de 20 versus 30 Gy ; 1 370 patients ont été inclus dans cet essai à 5 ans. Les deux stratégies de chimiothérapie ne différaient pas en termes de survie sans échec du traitement. Celle-ci était de 93 % (4 ABVD) et 91,1 % (2 ABVD). Lorsque l’on considère la dose d’irradiation, il n’y avait pas de différence entre les deux bras (p = 1,00) pour la survie sans échec au traitement ou pour la survie globale (p = 0,61). Ainsi pour les formes favorables selon la classification du GHSG, 2 cycles d’ABVD et 20 Gy au niveau des involved fields (territoires initialement atteints) semblent suffisants et moins toxiques que la stratégie comprenant 4 cycles d’ABVD et 30 Gy [58].
L’essai HD11 concernait les patients ayant une maladie de Hodgkin stade I-II ayant des facteurs défavorables (tableau 14.2). Il avait pour objectif d’évaluer les possibilités d’utiliser une chimiothérapie plus intensive et une irradiation. Dans cette étude randomisée à 4 bras les patients ont reçu soit une chimiothérapie de type ABVD soit BEACOPP associée à une irradiation de 30 Gy ou de 20 Gy. Mille trois cent quatre-vingt-quinze patients ont été inclus. À 5 ans, 85 % d’entre eux étaient sans échec thérapeutique, la survie globale était de 94,5 % et la survie sans progression de 86 %. S’il n’y avait pas de différence selon les bras selon la chimiothérapie ou la dose d’irradiation, en revanche la toxicité reliée au traitement était plus importante dans les bras intensifiés. Pour ces patients la référence reste une chimiothérapie par 4 cycles d’ABVD et une irradiation de 30 Gy des aires ganglionnaires initialement atteintes [59].
L’EORTC a évalué les possibilités de réduction de la dose chez des patients porteurs de maladie de Hodgkin de stade I-II (tableau 14.3). Selon les facteurs pronostiques les patients ont été classés en favorables ou défavorables. Dans le bras H9-F, 6 cycles EBVP (épirubicine, bléomycine, vinblastine, prednisone) ont été suivis d’une irradiation de 36, 20 ou 0 Gy. Sept cent quatre-vingt-trois patients ont été inclus, 79 % d’entre eux en RCu ont été randomisés pour la dose d’irradiation. Le bras sans irradiation a été interrompu en raison du nombre d’échec plus élevé que le nombre attendu. La survie sans événement à 33 mois était de 87 % versus 84 et 70 % respectivement (p = 0,001) mais la survie globale à 4 ans était de 98 % quel que soit le bras 20 Gy ou 36 Gy. Cette étude montre que l’absence d’irradiation est responsable d’un taux d’échec inacceptable mais que 20 Gy donnent des résultats équivalents à une irradiation de 36 Gy. Toutefois le schéma de chimiothérapie utilisé ici n’est peut-être pas optimal. En revanche pour les patients défavorables, la désescalade de dose n’a pas été évaluée dans H9-U [60].
Radiologie dans la prise en charge diagnostique et post-thérapeutique des lymphomes agressifs et de Hodgkin
Rôle de l’imagerie : du diagnostic au staging – Recommandations actuelles
Définition du ganglion pathologique
La définition du ganglion pathologique dans le lymphome repose depuis longtemps sur des critères morphologiques. Il est admis que plus un ganglion est grand, plus il a de chance d’être envahi. Il est communément utilisé la taille de 1 cm de petit axe [67–69] (PA) pour définir l’envahissement d’un ganglion (ou 1 cm de grand axe dans les critères de Cheson 1999 [70]). La taille maximale d’un ganglion sain est cependant difficile à déterminer de manière exacte [68]. Elle semble varier d’une région anatomique à l’autre ou d’un individu à l’autre [71, 72]. Dans ce contexte, quel est l’apport d’autres techniques d’imagerie de coupe ?
L’échographie couplée au Doppler apporte une information morphologique et vasculaire. Sa haute résolution spatiale notamment pour les ganglions superficiels et l’information apportée par le Doppler ont permis d’identifier des critères spécifiques d’envahissement : un cortex épaissi de manière focale, un aspect irrégulier du contour du ganglion, un flux Doppler montrant une vascularisation périphérique sont plus fréquemment retrouvés dans les ganglions atteints [73]. Ces données résultent d’abord de l’évaluation ganglionnaire de tumeurs solides, mais ont de faibles performances diagnostiques [74, 75] et ne s’appliquent pas dans les lymphomes [76]. Plus récemment l’échographie de contraste semble apporter des informations plus pertinentes, notamment concernant la sémiologie de la vascularisation ganglionnaire [74, 75]. La résolution en profondeur de l’échographie est limitée, rendant son utilisation difficile pour le bilan exhaustif d’un lymphome.
Aide au diagnostic histologique
En cas de suspicion de lymphome, il est désormais possible de confirmer le diagnostic anatomopathologique sur une biopsie guidée par l’imagerie [77, 78]. La quasi-totalité des sites ganglionnaires de l’organisme sont accessibles à ces ponctions percutanées [79]. Réalisées avec des aiguilles de calibre satisfaisant (16 ou 14 G dans l’idéal), avec des prélèvements fixés dans le formol, frais et congelés, elles fournissent à l’anatomopathologiste un matériel suffisant pour le diagnostic histologique, et la réalisation de l’immunohistochimie afin de poser un diagnostic complet dans 90 à 96 % des biopsies [77]. Ces biopsies ont de nombreux avantages pour le patient et en termes de coût, permettant de s’affranchir de la chirurgie de résection ganglionnaire [80].
La biopsie peut en outre être guidée par les données d’imagerie (notamment TEP-TDM), afin de biopsier la lésion la plus fixante en TEP-TDM (fig. 14.3), et ainsi éviter les portions nécrotiques ou fibreuses. La TEP permet aussi de chercher la meilleure cible pour prouver la transformation d’un lymphome indolent [81, 82].
Fig. 14.3 Patient de 29 ans traité pour maladie de Hodgkin.
Masse médiastinale antérieure résiduelle unique (A), hyperfixante en TEP-TDM (B). La TEP a permis d’orienter le geste, afin de biopsier la zone la plus métaboliquement active (C), et d’éviter la zone de remaniement fibro-nécrotique. La biopsie a permis de faire le diagnostic de rechute de maladie de Hodgkin chez ce patient.
Staging – Classification de Ann Arbor
Le stade de la maladie est établi selon la classification d’Ann Arbor [83], publiée en 1971 et dont les fondements sont aujourd’hui toujours valables, malgré l’évolution des techniques d’imagerie (fig. 14.4 ; tableau 14.4). Celle-ci a été légèrement modifiée en ce qui concerne le lymphome de Hodgkin en 1988 par la conférence de Cotswolds [84], en y ajoutant notamment le stade Bulky (X) (fig. 14.5) et les atteintes devenues décelables par l’avènement de la TDM.
Tableau 14.4
Stade I | Atteinte d’un seul groupe ganglionnaire ou d’un seul organe extralymphatique (IE) |
Stade II | Du même côté du diaphragme : atteinte de deux ou plusieurs groupes ganglionnaires ou atteinte d’un organe extralymphatique et d’un ou plusieurs groupes ganglionnaires (IIE) |
Stade III | Atteinte des deux côtés du diaphragme de groupes ganglionnaires, et éventuellement d’un organe extralymphatique (IIIE) |
Stade IV | Atteinte diffuse d’un ou plusieurs organes extralymphatiques, avec ou sans atteinte ganglionnaire, au-delà d’une atteinte d’organe définie par le stade E |
Au-delà du stade d’Ann Arbor, l’EORTC [85] puis le GHSG [86] ont identifié des groupes thérapeutiques, en fonction non seulement du stade mais aussi d’autres paramètres cliniques, biologiques et radiologiques (nombre d’aires ganglionnaires envahies). Ces groupes thérapeutiques permettent de choisir de manière personnalisée les stratégies thérapeutiques.
À titre d’exemple une maladie de Hodgkin localisée sus-diaphragmatique (stade I ou II) et du groupe « favorable », sera traitée par 3 cycles de chimiothérapie ABVD et une irradiation des territoires ganglionnaires atteints. À l’inverse une maladie de Hodgkin disséminée (stade III ou IV) sera traitée par 6 à 8 cycles de chimiothérapie (ABVD ou BEACOPP renforcé), sans radiothérapie, selon les dernières recommandations de l’INCA [87].
Le staging initial obtenu grâce à la classification d’Ann Arbor est un paramètre qui participe au pronostic du malade. Dans la maladie de Hodgkin, l’IPS [88] est utilisé. Il repose sur 7 paramètres cliniques et radiologiques, dont l’âge supérieur à 45 ans, le sexe masculin, le stade IV d’Ann Arbor. Chacun des paramètres grève de 8 % la survie sans progression à 5 ans. Dans les lymphomes non hodgkiniens, comme évoqué dans le chapitre introductif, on utilise l’IPI [89]. Ce score contient lui 5 paramètres (âge > 60 ans, stade III ou IV d’Ann Arbor, nombre de sites extraganglionnaires atteints > 1, augmentation des LDH [lactate-déshydrogénases], et performance status). Ces scores pronostiques composites sont intéressants car ils sont plus performants que la classification d’Ann Arbor seule.