14: Les comorbidités psychiatriques et addictives du jeu pathologique

Chapitre 14 Les comorbidités psychiatriques et addictives du jeu pathologique



Les troubles de l’axe I sont très fréquemment associés au jeu pathologique (JP), que les joueurs pathologiques soient issus de la population générale (Petry et al., 2005; Kessler et al., 2008) ou surtout soient recrutés dans des lieux de soins (Ibanez et al., 2001; Fuentes et al., 2006; Ladouceur et al., 2006). Certains auteurs formulent même l’hypothèse que l’accès aux soins pourrait être favorisé par les comorbidités (Petry et al., 2005). Le JP peut précéder la survenue des comorbidités, qui sont alors à considérer comme des dommages, au même titre que les dettes ou les conflits conjugaux. Il arrive aussi que le JP en soit une conséquence. Le plus souvent, JP et comorbidités coexistent, et il est alors parfois difficile d’établir la chronologie d’apparition respective des troubles (Kessler et al., 2008). Il est important de préciser que les joueurs pathologiques rapportant aussi des comorbidités de l’axe I se caractérisent par la sévérité du JP, qui augmente de façon linéaire avec le nombre de comorbidités diagnostiquées (Ibanez et al., 2001).



Les troubles de l’humeur


À l’instar des sujets souffrant d’addiction à des substances psychoactives, la prévalence sur la vie entière des troubles de l’humeur est élevée chez les joueurs pathologiques (Petry et al., 2005), allant de 17 % pour le trouble bipolaire à 38,6 % pour l’épisode dépressif majeur et la dysthymie (Kessler et al., 2008). Dans leur revue de littérature, Kim et ses collaborateurs notaient que l’incidence de la bipolarité allait de 8 à 31 % et celle de la dépression unipolaire de 28 à 76 % chez les joueurs pathologiques, significativement plus élevées que celles retrouvées en population générale (Kim et al., 2006).


La dépression est un trouble comorbide retrouvé chez nombre de joueurs pathologiques, jusqu’à 3/4 d’entre eux répondant aux critères diagnostiques de l’épisode dépressif majeur dans certaines études (Kim et al., 2006). L’association du JP avec le trouble bipolaire est particulièrement forte, et il semble qu’il soit un facteur prédictif de développer des problèmes de jeu (Kessler et al., 2008). Certains auteurs avancent même l’idée que le JP pourrait être un trouble du spectre bipolaire, et qu’impulsivité et bipolarité pourraient être liées (Dell’Osso et al., 2005). Enfin, le risque suicidaire, associé ou non à un épisode dépressif majeur actuel, doit toujours être recherché, tant il est une éventualité fréquente. Ainsi, dans un échantillon de joueurs pathologiques hospitalisés pour ce motif, plus du tiers rapportaient avoir déjà attenté à leurs jours, la plupart du temps à cause du jeu (Kausch, 2003). Dans un autre échantillon de joueurs pathologiques en soins, la moitié rapportaient avoir des idées suicidaires, voire avoir déjà fait une tentative de suicide (Petry et Kiluk, 2002).



Les troubles anxieux


Les enquêtes épidémiologiques menées en population générale indiquent que les joueurs pathologiques présentent aussi un antécédent de trouble anxieux pour 41,3 % (Petry et al., 2005), voire 60,3 % d’entre eux (Kessler et al., 2008). Dans cette dernière enquête, le trouble panique est le trouble anxieux le plus souvent associé au JP. Une méta-analyse récente indiquait que la prévalence des troubles anxieux chez les joueurs pathologiques et problématiques était de 37,4 % (Lorains et al., 2011). Lorsque la population d’étude concerne des joueurs pathologiques en soins, on retrouve un trouble anxieux actuel et un trouble anxieux sur la vie entière chez respectivement 4,3 % et 7,2 % des sujets (Ibanez et al., 2001). Certains échantillons rapportent même des taux plus importants : le trouble anxieux généralisé concerne 36 % des sujets, les phobies spécifiques 33,2 % des sujets et le trouble panique 5,1 % des sujets (Fuentes et al., 2006). Le lien avec le trouble obsessionnel compulsif (TOC) est complexe. Certains auteurs considèrent que le JP appartient au spectre des troubles reliés au TOC, plus proche du pôle « impulsif » sur un axe dimensionnel « impulsif-compulsif » (Hollander, 1993). Les antécédents de TOC n’ont pas été recherchés chez les joueurs pathologiques inclus dans les deux principales études épidémiologiques (Petry et al., 2005; Kessler et al., 2008), mais on retrouve un TOC actuel chez 6,5 % des sujets inclus dans une étude évaluant des joueurs pathologiques en soins (Fuentes et al., 2006). Le syndrome de stress post-traumatique représente aussi une particularité. Une étude a ainsi indiqué qu’environ 15 % des sujets répondant aux critères du JP (sur la vie entière) rapportaient aussi un syndrome de stress post-traumatique (sur la vie entière) (Kessler et al., 2008). Alors que les autres troubles anxieux préexistaient au jeu pathologique la plupart du temps, on retrouvait pour ce qui concerne le syndrome de stress post-traumatique une chronologie inverse dans près de la moitié des cas. Dans les échantillons de joueurs pathologiques en soins, le pourcentage de sujets souffrant aussi de syndrome de stress post-traumatique est encore plus élevé, atteignant pour certains 29 % (Najavits et al., 2011).



Les troubles addictifs


Les troubles liés à l’usage de substance sont très certainement les comorbidités les plus associées au JP, comme en attestent de nombreuses études (Cunningham-Williams et al., 2005; Kessler et al., 2008; Lorains et al., 2011). Les troubles co-existent ou se succèdent. Certains auteurs ont évoqué pour décrire ce phénomène la notion de « switching addictions » (Hodgins et al., 2005). On retrouve ainsi, en population générale, une prévalence très élevée de la dépendance au tabac et des troubles liés à l’usage de substances (illicites et alcool) chez les joueurs pathologiques et problématiques. Une méta-analyse récente concluait que 60,1 % d’entre eux souffraient aussi de dépendance au tabac, 28,1 % d’un trouble lié à l’usage de l’alcool, 17,2 % d’un trouble lié à l’usage d’une substance illicite (Lorains et al., 2011). Autant les troubles thymiques et anxieux semblent être des facteurs prédictifs de la survenue et de la persistance du JP, autant l’inverse est vérifié pour ce qui concerne les troubles addictifs : le JP est identifié comme un facteur prédictif de la dépendance aux substances. L’association entre le JP et les troubles liés à l’usage de substance est encore plus forte lorsque l’on étudie des échantillons de joueurs pathologiques en soins. Ainsi, la prévalence sur la vie entière de la dépendance à une substance, en particulier l’alcool, s’élève à 63,3 % (Kruedelbach et al., 2006). En ne considérant que les troubles actuels, la dépendance à la nicotine concerne 68,7 % des sujets et les troubles liés à l’usage de substance (hormis la nicotine) 21 % des sujets (Fuentes et al., 2006). Il existe peu de données sur les comorbidités du JP avec d’autres addictions comportementales. Les troubles du comportement alimentaire représentent une comorbidité du JP très rare, dont la prévalence est estimée autour de 1 % dans un échantillon clinique (Fuentes et al., 2006). En population générale, la prévalence de l’hyperphagie boulimique s’élève à 12 % chez les joueurs problématiques et pathologiques, ne permettant pas de les différencier des groupes de non joueurs et de joueurs non problématiques (Cunningham-Williams et al., 2005). Par ailleurs, il semble que jouer à certains types de jeux vidéo constitue un risque de développer des problèmes liés à la pratique des jeux de hasard et d’argent (Delfabbro et al., 2009).

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May 23, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 14: Les comorbidités psychiatriques et addictives du jeu pathologique

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