14 Chirurgie intracrânienne
• Malgré leur caractère encore exceptionnel en pratique vétérinaire et la technicité qu’elles réclament, les interventions sur le cerveau fournissent des résultats très satisfaisants pour certaines indications (méningiomes, hydrocéphalie). Elles doivent donc être proposées de manière plus systématique.
ANESTHÉSIE
Toutes les mesures prises en périodes pré-, per- et postopératoires visent à limiter autant que possible l’hypertension intracrânienne. Que cette dernière soit la conséquence d’un traumatisme accidentel ou chirurgical, les mesures sont identiques : lutter contre l’œdème et limiter la lésion secondaire.
PROTOCOLE
Le protocole d’anesthésie générale de la chirurgie intracrânienne recherche une pression intracrânienne minimum, et elle est donc particulière. Le protocole d’anesthésie générale fait ainsi appel à des produits connus pour leur effet hypotenseur. Parmi les principaux anesthésiques généraux couramment employés en chirurgie vétérinaire, certains sont à proscrire car ils augmentent considérablement la pression intracrânienne. C’est en particulier le cas des arylcyclohexanones dont la kétamine (50 % d’augmentation) ou de l’halothane (150 % d’augmentation). Cette augmentation peut suffire pour être à l’origine d’un engagement peropératoire et favoriser parallèlement le saignement lorsqu’il se déclenche. On doit porter son choix sur des produits ayant tendance à diminuer cette pression ; l’association entre le diazépam (moins 10 %), le thiopental (moins 50 %), la buprénorphine (moins 20 %) et l’isoflurane (moins 30 %) constitue le protocole le plus couramment utilisé.
PRESSIONS
Le principe anesthésique employé n’est pas le principal élément impliqué dans les variations de la perfusion cérébrale. La pression artérielle, les pressions partielles en oxygène (PaO2) et en gaz carbonique (PaCO2) interviennent également dans cette régulation. La pression du liquide céphalorachidien, inférieure à 10 mmHg, est représentative de la pression intracrânienne. Chez les chiens atteints de tumeur, cette pression peut s’élever au-delà de 30 mmHg. En faisant varier le flux sanguin cérébral, il est possible de réaliser une hypotension contrôlée qui évite l’engagement et limite l’œdème chirurgical tout en conservant au parenchyme cérébral une perfusion compatible avec son homéostasie. La pression partielle en gaz carbonique est le facteur le plus important à prendre en compte. Si la PaCO2 passe de 40 à 60 mmHg, le flux cérébral double. À l’opposé, une diminution de cette variable jusqu’à 20 mmHg engendre une ischémie cérébrale létale. En pratique, on peut se fixer comme objectif de maintenir une légère hypocapnie entre 25 et 35 mmHg en réalisant une hyperventilation modérée (de l’ordre de 15 mvt/min).
CONTENTION
Les veines jugulaires internes peuvent être considérées comme les terminaisons principales du réseau veineux encéphalique. Tout défaut d’écoulement est immédiatement retransmis au sein de la boîte crânienne. Les solutions retenues emploient généralement la surélévation de la tête contenue par le maxillaire. Une telle position dégage parfaitement les jugulaires mais ne convient qu’aux voies rostro-tentorielles. Pour les voies caudo-tentorielles, la flexion de la tête comprime le système veineux. Ces différents facteurs pris en compte lors de l’anesthésie générale sont résumés dans le tableau 14.I.
Tableau 14.I Principaux objectifs durant l’anésthésie en chirurgie intro-cranienne
Anomalies observées | Objectifs du traitement |
---|---|
Hypercapnie | Hypocapnie modérée (30–35 mmHg PaCO2) |
Hypoxie | Normoxie |
Acidose (systémique ou locale) | pH 7,4 |
Hyperthermie | Noramidopyrine |
Hypotension ou hypertension systémique | Pression artérielle 100–140 mm Hg |
Convulsions | Prophylaxie postopératoire |
Hémorragie | Isotoniques seulement, hypotoniques à proscrire |
Le protocole habituel comporte une induction réalisée à base de thiopental ou de propofol suivi d’une maintenance associant propofol et morphine, sous isoflurane. La saturation en CO2 est maintenue inférieure à 40 mmHg par ventilation contrôlée. La tête est légèrement surélevée pour favoriser le retour veineux.
BIOPSIE INTRACRÂNIENNE
Malgré les progrès de l’imagerie, celle-ci n’est pas suffisante pour établir un diagnostic histologique. La biopsie de l’encéphale a donc de nombreuses indications en neurochirurgie. La biopsie est actuellement réalisée par stéréotaxie. Le matériel est constitué pour l’essentiel d’un biopseur à guillotine à ouverture latérale muni de deux tiges coaxiales (type Sedan) dont l’extrémité mousse permet une pénétration atraumatique au sein des formations normales. La biopsie par stéréotaxie assistée par tomodensitométrie consiste à repérer un point, ou cible, dans le cerveau et à y amener avec précision et innocuité un instrument de biopsie. Chez l’animal d’expérimentation comme chez l’homme, des atlas de stéréotaxie fournissent les coordonnées spatiales des différentes formations anatomiques de l’encéphale. La diversité des formats rencontrés en clinique ne permet pas d’utiliser ces atlas et un repérage individuel (par tomodensitométrie dans le cas présent) est indispensable. Le cadre de stéréotaxie comporte des repères qui, retranscrits sur l’image tomodensitométrique, permettent de localiser la cible dans l’espace (fig. 14.1). Il permet de prélever des tumeurs à partir de 6 mm de diamètre, ce qui correspond aux tumeurs habituellement rencontrées en pratique vétérinaire. La procédure comporte les temps principaux suivants : 1) mise en place du cadre et adaptation au patient, 2) réalisation d’un scanner, 3) calcul des coordonnées, 4) repérage de la cible au moyen du « fantôme », 5) préparation du patient dans le cadre au bloc opératoire, 6) craniotomie au trépan débrayable, 7) biopsie de la cible (la réalisation de biopsies étagées est intéressante pour appréhender la configuration spatiale de la tumeur), 8) fermeture de la craniotomie.

Fig. 14.1 Biopsie par stéréotaxie assistée par tomodensitométrie chez le chien.
Le positionnement reproductible de la tête de l’animal au sein du cadre permet de conduire l’extrémité du trocart de biopsie vers la zone à prélever avec une précision de l’ordre de 3 mm.
La biopsie est un geste invasif intracrânien qui réclame une surveillance postopératoire de 48 heures environ même si la plupart des patients regagnent les locaux d’hospitalisation en laisse dès le réveil. Les risques encourus par le patient vont d’une aggravation transitoire de l’état d’hypertension intracrânienne (effet œdème) à une détérioration plus nette pouvant aller jusqu’à la mort (hématome localisé ou saignement de la tumeur). On enregistre actuellement 3,5 % de complications graves.
L’analyse cytologique immédiate est compatible avec l’analyse histologique finale dans 80 % des cas, ce qui autorise une action thérapeutique immédiate sur la tumeur. Cette technique a profondément modifié le diagnostic et la thérapeutique des affections intracrâniennes chez le chien.
CHIRURGIE DE L’HYPOPHYSE
L’hypophysectomie s’adresse aux animaux présentant un syndrome de Cushing d’origine hypophysaire ou un macroadénome de l’hypophyse. L’abord se réalise actuellement par voie buccale au travers de l’os sphénoïde pour accéder à la selle turcique contenant l’hypophyse. Cette technique est peu employée en pratique vétérinaire, même si les résultats récemment publiés en démontrent tout l’intérêt.
ANATOMIE CHIRURGICALE DE L’HYPOPHYSE
La taille moyenne de l’hypophyse chez le chien est de 1 cm de longueur, 0,7 cm de largeur et 0,5 cm de hauteur. Elle est incluse dans un récessus de l’os basisphénoïde appelé selle turcique. L’hypophyse est entourée latéralement par les sinus caverneux contenant des sinus veineux et les artères carotides internes ; son abord est donc complexe.
INDICATIONS DE L’HYPOPHYSECTOMIE
Les tumeurs hypophysaires sécrétantes du chien et du chat fournissent les indications chirurgicales. Les tumeurs non sécrétantes et n’exerçant pas d’effet de masse ne sont pas diagnostiquées. La principale tumeur est l’adénome corticotrope, à l’origine de la maladie de Cushing chez le chien, affection rarement rencontrée chez le chat. Beaucoup plus exceptionnellement, l’acromégalie, liée à un adénome somatotrope, est diagnostiquée dans l’espèce féline.
IMAGERIE DE LA RÉGION HYPOPHYSAIRE
Le scanner fournit de nombreuses indications sur la glande. L’hypophyse est difficilement visualisée avant l’injection. Comme la glande est située en dehors de la barrière hémato-encéphalique, le produit de contraste diffuse librement, elle apparaît donc plus dense que le cerveau après injection de produit de contraste iodé IV. L’IRM est beaucoup moins employée chez les carnivores, bien qu’il s’agisse de l’examen de référence chez l’homme.
TECHNIQUE D’HYPOPHYSECTOMIE
De nombreuses techniques ont été décrites mais c’est actuellement la voie orale qui est la plus employée chez le chien et le chat. Outre le repérage par tomodensitométrie, la voie d’abord se fonde sur des repères anatomiques. La selle turcique est située dans le plan médian de la boîte crânienne entre la suture intersphénoïde et une ligne tracée entre la partie caudale des processus hamulaires. En ce lieu, l’os sphénoïde est fraisé jusqu’à découvrir la selle turcique dans laquelle le récessus dural contenant l’hypophyse est logé. Ce dernier étant incisé, la glande est aspirée ou dégagée de son enveloppe.
La période postopératoire vise à pallier la disparition brutale des sécrétions hypophysaires. L’opéré reçoit une supplémentation en corticoïdes sous forme d’hydrocortisone à la dose de 1 mg/kg toutes les 6 heures (injection IV), et en hormone antidiurétique sous forme de desmopressine, à la dose d’une goutte dans le cul-de-sac conjonctival toutes les 8 heures. La douleur est contrôlée par de la buprénorphine à 0,3 μg/kg toutes les 8 heures (en injection sous-cutanée), pendant 3 jours. Dès que l’animal est capable de s’alimenter normalement, la supplémentation orale vient remplacer les injections : acétate de cortisone à 1 mg/kg toutes les 12 heures, et thyroxine à 10 μg/kg toutes les 12 heures. La desmopressine est arrêtée au bout d’une semaine.

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