14: Biométrie et calcul d’implant

CHAPITRE 14 Biométrie et calcul d’implant



Le calcul d’implant après chirurgie réfractive reste un art difficile de par la multiplicité des techniques de chirurgie réfractive sur des yeux d’anatomies différentes et des réfractions traitées. La modélisation est donc hasardeuse et les différentes techniques de calcul proposées tendent à améliorer les résultats obtenus en moyenne, sur un échantillon donné, mais la dispersion des résultats reste souvent importante.


L’objectif de l’emmétropie postopératoire après chirurgie de la cataracte sur des yeux opérés de chirurgie réfractive reste un but atteint de façon majoritaire mais sans véritable reproductibilité en fonction de chaque cas. Le rajout d’une exigence de multifoca-lité après chirurgie du cristallin, sur ces patients sélectionnés pour leur exigence de qualité de vision, représente un défiimportant pour les années à venir. Ce but est cependant incontournable pour s’élever au niveau des technologies actuellement disponibles en matière de correction de la presbytie.


Quelle que soit la technique de calcul employée, le principe de la prédiction de la réfraction postopératoire repose sur l’utilisation de formules de calcul fondées sur des valeurs mesurées ou estimées à partir de constatations faites sur les yeux de ces patients candidats à une chirurgie du cristallin.


Le calcul d’implant est donc indissociable du couple formé par la formule de calcul et les mesures nécessaires à la bonne mise en œuvre de cette formule.


L’évolution des formules se fait en fonction des technologies disponibles, en tenant compte des spécificités à la fois des appareils de mesures et des éléments technologiques des implants utilisés. Cette chaîne complexe ne donne son optimum que lorsque chaque maillon est analysé avec précision et que les différents éléments restent cohérents entre eux. Cette cohérence de la chaîne de calcul fait l’objet d’adaptations et de correctifs souvent dévolus à la constante A. Cette constante décrite avec les premières formules de calcul, dites de régression, permet souvent de réajuster des éléments variables comme les différences de mesure de longueur axiale, soit en mode ultrasonore soit en mode optique, les différences de mesure de la puissance cornéenne, les différences d’appréciation de la position de l’implant. La constante A se comporte souvent comme une « boîte noire » censée compenser tous les éléments aléatoires du calcul, avec nécessité de l’adapter à la technique chirurgicale, à l’implant utilisé, à la formule choisie et au chirurgien. Ces multiples paramètres font évoluer la notion de constante A vers la notion de variable A assez difficile à appréhender.


En fonction de chaque situation, il est nécessaire d’analyser les paramètres cruciaux du calcul d’implant et les risques d’erreur liés à cette situation donnée.


Le calcul d’implant standard et le calcul d’implant visant à compenser la presbytie obéissent aux mêmes règles, avec une exigence plus grande dans la recherche de l’emmétropie en cas de chirurgie de la presbytie.


Depuis la première formule SRK, les formules de calcul ont évolué régulièrement, avec une meilleure appréciation de la position de l’implant en postopératoire et en prenant plus de mesures sur les yeux du patient candidat à l’opération de la cataracte.



Principes du calcul d’implant


Le calcul de la puissance des implants intraoculaires repose sur l’utilisation de formules mathématiques de plus en plus précises. De nombreux facteurs interviennent dans le résultat réfractif postopératoire. La plupart de ces facteurs peuvent être mesurés en préopératoire, comme la kératométrie et la longueur axiale, qui sont les deux mesures pratiquées couramment. Cependant, l’évolution des formules de calcul se fait vers la personnalisation des mesures pour chaque patient, avec l’intégration de valeurs préopératoires additionnelles, comme la profondeur de la chambre antérieure phake (ou préopératoire), l’épaisseur du cristallin, le diamètre cornéen horizontal, la réfraction préopératoire et l’âge du patient.


L’amélioration de la prédictibilité de la réfraction postopératoire se fait sur deux axes : l’amélioration des formules de calcul et l’amélioration de la précision des mesures préopératoires.


La base de la précision des différentes formules de calcul repose sur l’appréciation de la position effective de l’implant dans un globe oculaire de dimensions connues. Cette position de l’implant intraoculaire dépend de trois éléments : la géométrie de l’implant, l’anatomie de l’œil opéré et la précision du geste chirurgical lors de l’implantation.


La géométrie de l’implant représente un élément important dans la prédiction de la réfraction et, surtout, dans la reproducti-bilité des résultats.


L’anatomie de l’œil à implanter va influer directement sur la position de l’implant; en effet, la position du cristallin et son épaisseur peuvent être différentes pour des yeux de même longueur axiale, ce qui entraîne une variation de la position de l’implant intraoculaire et donc une variation de la réfraction finale.


La généralisation de la phacoémulsification avec implantation dans le sac capsulaire réduit la variabilité de positionnement des implants, pour un même opérateur mais aussi entre différents opérateurs. Ce progrès technique incontestable s’accompagne d’une récupération visuelle rapide, dont le corollaire est une constatation tout aussi rapide des erreurs de calcul prédictif. S’agissant de patients opérés à visée réfractive, l’objectif de perfection dans le calcul d’implant doit s’appliquer à toutes les étapes de cette chirurgie.


Les deux paramètres principaux du calcul d’implant, à savoir la kératométrie et la longueur axiale, font donc l’objet d’études plus approfondies qui bénéficient des progrès de nouveaux appareillages comme la vidéokératoscopie et les kératomètres automatiques, les analyses par Scheimpflug camera, par ray-tracing ou OCT, d’une part, et la biométrie guidée par l’échographie en mode B et l’interférométrie d’autre part.



Formules de calcul d’implant


Le calcul d’implant se fait à partir de données mesurées sur l’œil à implanter et de données caractéristiques de l’implant qui sera utilisé. Schématiquement, les formules de calcul se divisent en deux grandes catégories : les formules théoriques et les formules de régression.


Les formules théoriques font appel aux lois de l’optique géométrique avec détermination du pouvoir optique d’un système optique complexe. Ces calculs nécessitent de connaître les indices de réfraction des milieux traversés ainsi que la position des plans optiques principaux.


Les formules de régression linéaire sont fondées sur une étude statistique de résultats réfractifs obtenus avec tel ou tel type d’implant.




HISTORIQUE


Les calculs optiques décrits par Gauss en 1841 servent toujours de base aux formules de calcul d’implants intraoculaires [12]. C’est Fyodorov qui, en 1967, a décrit la première application moderne de l’optique gaussienne au calcul des implants intraoculaires [7]. Ces calculs reposent sur des formules théoriques que plusieurs auteurs ont progressivement adaptées. La famille des formules théoriques utilise six variables : la puissance optique cornéenne totale (K), la longueur axiale (AL), la puissance optique d’un implant théorique sans épaisseur (IOLP), la position effective de cet implant (ELP), la réfraction désirée (R) et la distance du vertex du verre correcteur (V).


La base de ces formules théorique s’écrit1:



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La relative complexité de mise en œuvre des formules théoriques a poussé Sanders, Retzlaff et Kraff à proposer, en 1980, une formule plus simple d’utilisation fondée sur l’analyse statistique de grandes séries de patients opérés [29].


Il s’agit d’une formule de régression linéaire, dénommée formule SRK, qui s’écrit:



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avec comme variables la longueur axiale (L) et la kératomé-trie (K), la constante A résumant les caractéristiques de l’implant, notamment la position de l’implant par rapport à la cornée. Cette formule permet, avec seulement deux variables, de calculer rapidement la puissance d’un implant de constante A connue. Malheureusement, si les résultats réfractifs obtenus avec les formules de régression sont assez précis pour des valeurs moyennes de kérato-métrie et de longueur axiale, ils deviennent beaucoup moins précis pour les globes oculaires hors norme. Une première adaptation de la formule SRK a été proposée, par les mêmes auteurs, pour corriger les erreurs de calcul constatées pour les yeux myopes et hypermétropes : cela a donné naissance à la formule SRK II, qui modifie les résultats de la formule SRK en fonction de la longueur axiale [31].


La formule SRK II a fait référence pendant de très nombreuses années mais la constatation de résultats qui restent moins précis pour les yeux hors norme et la vulgarisation des équipements informatiques a permis un retour vers les formules théoriques et l’abandon progressif des formules de régression linéaire. Sanders, Retzlaff et Kraff sont eux-mêmes revenus aux formules théoriques en développant en 1990 la formule SRK/T qui, malgré une appellation trompeuse, est radicalement différente de la formule SRK II [30].


La tendance actuelle est donc d’améliorer la précision des formules théoriques, surtout par une meilleure appréciation de la véritable position de l’implant dans l’œil à opérer.


En 1981, Binkhorst a affiné la prédiction de la position de l’implant en corrélant la position effective de l’implant à la longueur axiale, ouvrant ainsi la voie à la deuxième génération de formules théoriques [2].


En 1988, Holladay a montré une amélioration des résultats par une corrélation de la position de l’implant avec, non seulement la longueur axiale, mais aussi la kératométrie, ce qui correspond à la troisième génération de formules théoriques [18].


En 1995, Olsen a publié une formule qui apprécie la position de l’implant pour un patient donné à partir de quatre variables : la longueur axiale, la kératométrie, la profondeur de chambre antérieure préopératoire et l’épaisseur du cristallin [28].


En 1996, Holladay a modifié sa formule dans le but d’améliorer les résultats pour les globes très courts : la formule de Holladay 2 intègre la profondeur de la chambre antérieure préopératoire, le diamètre cornéen de blanc à blanc et l’épaisseur du cristallin [8, 22].


Haigis a écrit une formule de calcul adaptée à l’appareil IOLMaster®, cette formule optimise le calcul d’implant en tenant compte des valeurs mesurées par cet appareil (kératométrie, profondeur de chambre antérieure, longueur axiale par inter-férométrie et distance de blanc à blanc) [13]. L’adaptation de la constante A à cette formule et à cet appareillage fait l’objet d’une mise à disposition des études sur le site internet ULIB2, de façon à adapter les constantes utilisées avec telle ou telle formule en fonction de tel ou tel implant.


Cette évolution des formules se fait vers une meilleure intégration des véritables mesures de l’œil à implanter, ce qui a comme corollaire la nécessaire amélioration de la précision des mesures préopératoires.



FORMULES THÉORIQUES


Le principe de ces formules est de ramener le système optique oculaire à une association de deux lentilles simples, l’une représentant la cornée et la seconde représentant l’implant intraoculaire. Le pouvoir optique de ce système doit entraîner la focalisation des images sur le plan des photorécepteurs de la fovéola.


La cornée présente deux dioptres principaux : un antérieur entre l’air et la face antérieure cornéenne, puis un second dioptre entre face postérieure de la cornée et humeur aqueuse. Dans les formules de calcul, la cornée est ramenée à un dioptre théorique unique séparant l’air de l’humeur aqueuse avec un plan principal secondaire situé à 0,05 mm de la surface cor-néenne.


L’implant est lui aussi ramené schématiquement à une lentille simple de faible épaisseur, qui représente la résultante des deux dioptres véritables de l’implant : celui entre humeur aqueuse et face antérieure de l’implant et celui entre face postérieure de l’implant et humeur aqueuse.


Un débat récent semble prôner le retour vers l’utilisation de modèles optiques non plus fondés sur le modèle de la lentille optique fine pour schématiser les différents éléments du système optique de l’œil, mais sur un modèle de lentille épaisse reposant sur des mesures directes des rayons de courbure et des épaisseurs des différents éléments que sont la cornée et le cristallin. Ce changement sur le fondement même des formules accompagnera vraisemblablement le calcul d’implant plus complexe en cas de chirurgie réfractive et en cas de compensation de la presbytie, mais il nécessite des outils adaptés pour les mesures d’épaisseur et de rayons de courbure, par exemple, des faces antérieure et postérieure de la cornée et du cristallin.




Mesures préopératoires



KÉRATOMÉTRIE



KÉRATOMÈTRES MANUELS ET AUTOMATIQUES


La mesure des rayons de courbure de la cornée représente un des éléments essentiels du calcul d’implant. Cette mesure peut être réalisée par différents instruments, mais la kératométrie sur le principe de Javal représente la référence de nombreuses formules de calcul d’implant. Avec un kératomètre de Javal, les mesures sont prises en projetant, sur la zone cornéenne centrale, deux mires distantes d’environ 3 mm. Cette distance entre les deux mires varie en fonction de la courbure cornéenne : plus la cornée est courbe et plus la mesure s’éloigne du centre. La rotation à 90° des deux premières mires permet d’obtenir une mesure supplémentaire portant à quatre points de mesure les informations données par les kératomètres de type Javal.


Comme les kératomètres manuels, les kératomètres automatiques mesurent les quatre points de kératométrie sur les 3 mm centraux. La tendance actuelle est d’utiliser les valeurs obtenues par les systèmes automatiques pour le calcul d’implant.


Plusieurs publications montrent que la reproductibilité et la précision de ces appareils autorisent leur utilisation pour le calcul d’implant, à condition de vérifier la valeur de l’indice de conversion entre millimètres et dioptries [3, 33]. Tous les réfractomètres mesurent le rayon de courbure cornéen antérieur puis le convertissent en puissance pour traduire l’association des deux dioptres cornéens antérieur et postérieur. Cette conversion se fait par le biais d’un indice qui représente, encore à l’heure actuelle, une source de discussion. L’indice de réfraction utilisé par les appareils de type Javal est de 1,3333, alors que les appareils reposant sur le principe Bausch & Lomb utilisent un indice de 1,3375. D’autres indices sont utilisés pour différents appareils, rendant un peu plus complexe la standardisation des mesures. Il est donc nécessaire de vérifier cette valeur sur l’instrument de kératométrie ou bien d’utiliser les données de la kératométrie en millimètres dans le calculateur d’implant pour limiter le risque de fluctuation, par exemple dans des sites de consultation disposant de différents appareils de kératométrie.



KÉRATOMÉTRIE ASSOCIÉE AUX SYSTÈMES PAR INFRAROUGE





TOPOGRAPHIE CORNÉENNE


Le développement des systèmes de topographie cornéenne, avec la possibilité de prendre des mesures de rayons de courbure en de très nombreux points de la cornée, donne une meilleure appréciation du pouvoir optique de l’aire centrocornéenne (fig. 14-1) [24]. Cependant, la valeur à retenir pour le calcul d’implant n’est pas encore clairement définie. La valeur le plus couramment utilisée est la moyenne du rayon de courbure sur les 3 mm centraux [26]. Mais la moyenne des points en regard de l’aire pupillaire ou l’équivalent de la kératométrie peuvent aussi être utilisés. À la difficulté du choix de la valeur à retenir pour le calcul d’implant se rajoute le problème de la diversité des appareillages. Les publications qui comparent les différents résultats le font en utilisant un kérato-mètre de référence dont les valeurs sont rapportées aux mesures de topographie cornéenne réalisées avec un appareil donné. Les conclusions des articles qui traitent de ce sujet ne valent donc que pour un couple d’appareillage donné. Pour transposer en pratique courante l’utilisation d’un système de topographie cornéenne, il est donc souhaitable de comparer les différentes valeurs kérato-métriques du vidéokératoscope à celles couramment obtenues avec l’appareil classique habituellement utilisé.



Les progrès des appareils récents de topographie cornéenne portent sur des cartographies d’élévation entre une sphère idéale et la courbure de la cornée soit sur sa face antérieure soit sur sa face postérieure. Cette possibilité est offerte par différents appareils dont les plus connus sont le topographe Orbscan® (Baush & Lomb) (fig. 14-1) et le Pentacam® (Oculus).


Les mesures dérivées du rayon de courbure postérieur peuvent venir en support de l’appréciation de la puissance cornéenne, notamment en cas de calcul d’implant après chirurgie réfractive.


La kératométrie reste un élément important du calcul d’implant, avec une nécessité de précision accrue du fait de l’amélioration de la précision de toute la chaîne de mesure, laissant un peu plus apparaître les imprécisions relatives de chaque mesure. La diversité des principes de mesure rajoute une variable sur le résultat réfractif postopératoire. De façon à limiter cette variabilité, il semble prudent, sur un site donné, d’utiliser un appareil de référence et d’adapter la constante A en fonction de l’appareil utilisé.


À l’heure actuelle, la force de la kératométrie automatisée est sa diffusion à large échelle et sa relative reproductibilité. La kérato-métrie par le système IOLMaster® de Zeiss bénéficie aussi d’une importante base de données comparative, permettant de recaler la constante A de façon spécifique. Les appareils plus récents comme le Lenstar® (Haag-Streit) suivront le même chemin, de façon à qualifier toute la chaîne de mesure.


En marge du calcul de la puissance de l’implant, les appareils de topographie cornéenne permettent une très bonne qualification de la puissance et de l’axe de l’astigmatisme cornéen. Cet élément est crucial lors du recours aux implants toriques.

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Jun 6, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 14: Biométrie et calcul d’implant

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