13: Vieillissement du rachis lombal

Chapitre 13


Vieillissement du rachis lombal



Les descriptions des manuels présupposent que la structure du rachis lombal est conforme à une sorte de standard ou à un modèle idéal, et qu’une description standard est applicable à tous les individus. Ces descriptions ne reflètent pourtant qu’une moyenne sur un rachis d’adulte jeune en bonne santé. Le rachis lombal aussi est sujet à des variations de forme et d’orientation des articulations zygapophysaires (chapitre 3), de la lordose lombale (chapitre 5) et d’amplitude de mouvement (chapitre 8). Un rachis lombal considéré comme « normal » n’est qu’une synthèse des valeurs moyennes ou de la plupart des formes courantes possibles de ces variables.


À cet égard, la structure « normale » est définie comme celle qui est la plus fréquente dans une population. L’âge influe énormément sur la normalité ainsi définie. Le rachis lombal des individus vieillissants subit des modifications qui sont uniformément reflétées dans la population. Par conséquent, ce qui est « normal » dans une population de jeunes adultes peut ne pas être « normal » dans une population plus âgée. En outre, les modifications toujours présentes et asymptomatiques ne peuvent pas être considérées comme pathologiques. Elles ne sont que des éléments d’un processus de vieillissement biologique naturel. Chaque tranche d’âge définit donc ses propres standards. Afin que les cliniciens ne confondent ni ne mésinterprètent le vieillissement avec les changements pathologiques, ils doivent prendre conscience de ce qui constitue les modifications naturelles du rachis lombal liées à l’âge.


À cet égard, le vieillissement fondamental du rachis lombal se produit au niveau biochimique. Celui-ci affecte à son tour les propriétés microbiomécaniques et biomécaniques évidentes du rachis, se reflétant en définitive dans la morphologie de différentes composantes du rachis lombal et de ses types de mouvements.



ALTÉRATIONS BIOCHIMIQUES


Un des changements les plus fondamentaux du rachis lombal se produit dans les nucléus pulposus. Les changements biochimiques sont plus remarquables de l’enfance jusqu’à l’âge de 10 ans [1,2]. Ils semblent être déclenchés par la régression pendant l’enfance de la faible vascularisation discale, et déterminent la tendance que l’on retrouve plus tard au cours de la vie, lorsque le disque s’adapte au métabolisme anaérobie [1,2].


Le taux de synthèse des protéoglycanes et leur concentration dans le nucléus pulposus diminue avec le vieillissement [3,47]. Les protéoglycanes s’élèvent à environ 65 % du poids sec du nucléus au commencement de l’âge adulte (chapitre 2), mais n’en constituent que 30 % vers l’âge de 60 ans [8]. Les protéoglycanes résiduels ont une taille [11,12] et un poids moléculaire plus petits [9,10]. Le pourcentage d’agrégats de protéoglycanes diminue [3] et le nombre de gros agrégats de protéoglycanes diminue tellement que, vers l’adolescence, le nucléus pulposus est composé en grande partie d’amas de petites molécules d’aggrécanes et de protéoglycanes non agrégées [5]. Une diminution de la concentration des protéines de liaison fonctionnelles est associée à ces dernières modifications [5].


En dehors des modifications de composition, la nature des protéoglycanes change aussi. Alors que le contenu discal en kératane sulfate reste assez constant, la concentration de chondroïtine sulfate chute et entraîne une augmentation du rapport kératane sulfate/chondroïtine sulfate (KS/CS) [6,1215].


L’augmentation de la teneur en collagène dans le nucléus pulposus [5,16] et celle des liaisons collagène–protéoglycane [9] sont d’autres modifications majeures. La teneur en collagène de l’anulus fibrosus s’accroît également [17]. Mais la concentration des fibres élastiques dans l’anulus chute, passant de 13 % à l’âge de 26 ans, à environ 8 % à l’âge de 62 ans [18].


La quantité de collagène du disque intervertébral augmente, et ses caractéristiques se modifient. Le diamètre des fibrilles de collagène dans le nucléus pulposus [5,1922] augmente tellement que le collagène de type II du nucléus commence à ressembler au collagène de type I de l’anulus fibrosus. Inversement, le diamètre moyen des fibrilles dans l’anulus fibrosus diminue [20]. Les différences sont donc moindres entre le collagène du nucléus pulposus et de l’anulus fibrosus.


Les modifications du collagène sont non seulement liées à l’âge, mais aussi à sa localisation [23]. Alors que la teneur en collagène de l’anulus s’accroît généralement avec l’âge, la quantité de collagène de type I augmente significativement dans les lames externes du quadrant postérieur de l’anulus, alors que le collagène de type II diminue. Cela permet de penser que certaines modifications du collagène ne sont pas dues à un vieillissement généralisé, mais à des réponses métaboliques actives en réaction aux changements de contraintes internes de l’anulus [23].


La concentration des protéines non collagéneuses dans le nucléus pulposus augmente [2428], et le vieillissement est caractérisé par l’apparition de certaines protéines non collagéneuses distinctes [28]. La signification des modifications de ces protéines reste cependant obscure, car les fonctions des protéines non collagéneuses ne sont pas connues (voir chapitre 2). En revanche, les modifications du collagène, des protéoglycanes et des fibres élastiques ont des effets biomécaniques majeurs sur le disque.


La chondroïtine sulfate étant une source majeure de radicaux ioniques liant l’eau aux protéoglycanes (voir chapitre 2), on s’attendrait à ce que la modification du rapport KS/CS conduise à une diminution de la capacité de rétention d’eau et de la contenance en eau du nucléus pulposus. La contenance en eau du nucléus diminue en effet avec l’âge [16]. Elle est d’environ 88 % à la naissance, et chute à environ 65–72 % vers l’âge de 75 ans [6,29]. Cependant, la plus grande partie de cette déshydratation se produit lors de l’enfance et de l’adolescence. La contenance en eau du nucléus pulposus ne diminue que de 6 % environ entre le début de l’âge adulte et la vieillesse [30].


Des études biochimiques élaborées ont révélé que la perte des protéoglycanes ou la modification du rapport KS/CS ne sont pas les seuls phénomènes diminuant la capacité de rétention d’eau du nucléus. L’augmentation du collagène et celle du lien collagène–protéoglycane laisse moins de groupes polaires de protéoglycanes disponibles pour retenir l’eau [16]. La diminution de la capacité à retenir l’eau du nucléus dépend d’un processus complexe d’altération des interactions ioniques entre les protéoglycanes et les protéines [10,11].


Quel que soit le mécanisme réel, les disques intervertébraux s’assèchent avec l’âge, et deviennent plus fibreux et moins résistants avec l’augmentation du collagène et la perte d’élastine. L’augmentation du collagène et celle du lien collagène–protéoglycane rendent les disques plus rigides, c’est-à-dire plus résistants à la déformation. La diminution de leur capacité à retenir l’eau diminue leur capacité de récupération à la suite d’une déformation de fluage. La conséquence clinique de ces modifications se manifeste par des modifications de la mobilité du rachis lombal décrites dans une des sections suivantes.



ALTÉRATIONS STRUCTURELLES DES DISQUES INTERVERTÉBRAUX


Le nombre de cellules viables dans le nucléus diminue lorsque le disque vieillit, et le pourcentage de cellules présentant des nécroses passe de 2 % pendant l’enfance à 50 % chez l’adulte jeune et à 80 % chez les personnes âgées [5]. Les granules de lipofuscine s’accumulent avec le vieillissement [31].


La distinction entre le nucléus pulposus et l’anulus fibrosus devient macroscopiquement moins évidente au fur et à mesure que le disque intervertébral devient plus fibreux. Les deux régions fusionnent et le nucléus pulposus semble envahi par l’anulus fibrosus [32]. Le nucléus pulposus devient progressivement plus compact, sec et granulaire dans la seconde moitié de la vie [32].


Au fur et à mesure qu’il s’assèche et devient plus fibreux, le nucléus pulposus est moins capable d’exercer une pression liquidienne [33,34]. Il est ainsi moins capable de transmettre directement la charge et d’exercer une pression radiale sur l’anulus fibrosus (voir chapitre 2). Une plus grande part des charges verticales est donc supportée par l’anulus fibrosus. Par conséquent, l’anulus fibrosus est sujet à des contraintes plus importantes et subit des modifications reflétant l’augmentation des différentes déformations endurées.


L’épaisseur des lamelles de collagène de l’anulus augmente avec l’âge et celles-ci se fibrillent et se lézardent de plus en plus [3538]. Des cavités peuvent se développer [5,39] et augmenter pour former des crevasses et de véritables fissures [32]. Le nombre de lamelles incomplètes augmente [37]. De telles modifications ne sont pas nécessairement dues à des lésions subies de l’extérieur par le rachis, mais peuvent être simplement dues à la répétition de lésions mineures subies par l’anulus fibrosus en surcharge, lors de mouvements du tronc au cours d’activités de la vie quotidienne. Il n’existe pas de relation directe entre l’âge et les propriétés de traction, bien que la force de traction de l’anulus diminue avec la dégénérescence discale [40].


Le rétrécissement des disques intervertébraux a d’abord été considéré comme un des signes pathologiques du vieillissement du rachis lombal [32,41,42], mais des études postmortem à grande échelle ont maintenant réfuté cette notion. Les dimensions des disques intervertébraux augmentent avec l’âge. Entre l’âge de 20 et 80 ans, le diamètre antéropostérieur augmente d’environ 10 % chez la femme et 2 % chez l’homme [30] ; l’augmentation de la hauteur de la plupart des disques est d’environ 10 % [30]. La convexité des surfaces supérieures et inférieures des disques est en outre augmentée [30]. Ce changement se produit aux dépens de la forme des corps vertébraux (voir ci-après).


La conservation de la hauteur discale est une caractéristique « normale » du vieillissement, et la diminution de la taille du tronc avec l’âge est la conséquence de la diminution de la hauteur des corps vertébraux [4346]. Le rétrécissement apparent du disque invite à considérer un autre processus que celui du vieillissement ; celui-ci est examiné au chapitre 15.



ALTÉRATIONS DU PLATEAU VERTÉBRAL


Le plateau vertébral fait partie du cartilage de croissance du corps vertébral chez le nouveau-né. La zone articulaire du plateau vertébral est formée de fibrocartilage à proximité du disque intervertébral, alors que des rangées de cellules proliférantes se développent en direction du corps vertébral qui s’ossifie (voir chapitre 12). Vers l’âge de 10 à 15 ans, la zone articulaire du plateau vertébral devient relativement plus épaisse, alors que l’épaisseur de la zone de croissance et que le nombre de cellules proliférantes diminue [47]. Le plateau vertébral est progressivement isolé du corps vertébral par le développement de la plaque osseuse sous-chondrale, lors du ralentissement de la zone de croissance vertébrale, entre la 17e et la 20e année. Après l’âge de 20 ans, seule persiste la zone articulaire du cartilage de croissance d’origine [47]. Entre l’âge de 20 et 65 ans, le plateau devient plus fin [47] et une mort cellulaire survient dans les couches superficielles du cartilage [38].


Les canaux vasculaires de l’os sous-chondral du plateau vertébral s’occluent graduellement [47], entraînant une diminution de la perméabilité de la zone du plateau vertébral pour les nutriments du disque. Cette diminution de la nutrition peut être un des facteurs engendrant les modifications biochimiques du nucléus pulposus. Elle semble cependant intervenir trop tard pour en être la cause principale.


En vieillissant, la résistance apparente du plateau vertébral diminue [34,48], mais cette modification est mieux prise en compte avec les autres altérations affectant le corps vertébral, car la résistance du plateau vertébral dépend de la résistance du corps vertébral sous-jacent.

Only gold members can continue reading. Log In or Register to continue

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Apr 24, 2017 | Posted by in RADIOLOGIE | Comments Off on 13: Vieillissement du rachis lombal

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access