Technique des changements de prothèse totale du genou : étapes et stratégies
Technique of revision total knee arthroplasty: steps and strategies
Résumé
Le changement d’une prothèse totale du genou est une entreprise difficile. L’analyse de la cause d’échec est un élément important à prendre en considération pour ne pas répéter deux fois la même erreur. Il faut insister sur l’importance du planning qui doit suivre une check-list reprenant point par point les éléments cliniques et radiographiques. Le but de l’intervention est de restaurer un genou stable, réaligné et mobile. La réalisation pratique peut répondre à plusieurs stratégies. Le recours à des trous de mèche précédant l’ablation des implants est une méthode fiable pour restaurer l’interligne. La reconstruction des extrémités osseuses ou « équilibrage osseux », en prenant comme référence le tibia, nous paraît être le meilleur postulat de départ. L’espace fémoral postérieur, puis l’espace fémoral distal sont alors restaurés successivement. Cependant, l’ascension de l’interligne est parfois rendu nécessaire pour équilibrer certains genoux raides. Une prothèse à glissement, postérostabilisée, munie d’extensions modulaires, permet de répondre à la plupart des situations. Toutefois, l’existence d’une laxité asymétrique doit conduire à utiliser un implant de contrainte supérieure.
Summary
Revision total knee arthroplasty (TKA) is a challenging procedure. Thorough analysis of the reason for failure is an important factor to be taken into consideration, to ensure that the same error will not occur again. The importance of preoperative planning is emphasized, and it should include a checklist with point-by-point recapitulation of pertinent clinical and radiological data. The aim of revision surgery is to obtain a stable and well-aligned knee with an acceptable range of motion. Several strategies are available for knee reconstruction. The use of land marks made by drilling holes prior to implant removal is a reliable method for accurately restoring joint line level. The reconstruction of both femoral and tibial extremities or “bone balancing”, with the tibial base-plate as reference appears to be the best strategy at the onset. The posterior femoral flexion gap, then the lateral femoral extension gap are successively restored. Nevertheless, raising the joint line level is sometimes required to address certain cases of stiff knees. Postero-stabilized implants with appropriate modular extensions can be used in most cases ; however, when persistent asymmetrical imbalance is observed, the use of a more constrained implant may have to be considered.
La prothèse totale du genou est une intervention particulièrement fiable puisque l’on estime le taux d’échecs (en prenant pour critère le changement d’implants) à 3 %. Néanmoins le nombre total de changements est important (22 000 aux États-Unis en 1999) et il augmente en raison du nombre toujours plus important de prothèses mises en place [65].
Le changement d’une prothèse comporte un risque élevé de complications [62] et de reprise itérative précoce [31, 66]. Cette décision doit être mûrement réfléchie et faire l’objet d’explications claires précisant le caractère aléatoire du résultat : nettement moins bon que celui d’une prothèse de première intention [9, 10], voire d’une prothèse après échec d’ostéotomie [2] ou d’une prothèse unicompartimentale [18].
Stratégie
Rappelons à cet égard la distinction que font à juste titre Krackow [42, 43] et Ries [58] à propos de « l’équilibrage ligamentaire ». Il existe deux aspects qui prêtent parfois à confusion. Il faut distinguer, d’une part, l’équilibrage destiné à restituer un axe normal du membre inférieur (au moins en extension), en règle par libération de la concavité et, d’autre part, l’équilibrage destiné à faire coïncider des espaces prothétiques rectangulaires en flexion et en extension (appelé, par certains, correspondance des espaces), parfois par un geste ligamentaire, mais le plus souvent par un « calage » prothétique ou un geste osseux qui a ses limites. C’est cette étape qui conditionne le positionnement de l’interligne, nous y reviendrons.
Rappelons également que l’espace fémoropatellaire est influencé par les espaces fémorotibiaux. Une de nos préoccupations essentielles est de restituer la hauteur de la rotule par rapport au tibia et à la trochlée, mais surtout par rapport au tibia. Une rotule basse, en effet, peut être source de conflit avec le polyéthylène tibial (PE) et de douleurs résiduelles [27]. Cela justifie la restauration première de la plate-forme tibiale comme référence, à partir de laquelle le genou est progressivement reconstruit.
L’enveloppe fibreuse a parfois été allongée pour équilibrer le genou prothétique. Il peut s’agir d’un allongement unilatéral (dû par exemple à une résection asymétrique compensée par une libération interne proportionnelle à cette asymétrie dans un varus constitutionnel) ou d’un allongement bilatéral (exemple précédent avec en outre une distension de la convexité nécessitant de libérer d’autant le plan interne pour retendre la convexité) [55]. Dans de tels cas, où l’enveloppe fibreuse est devenue « plus grande », l’équilibrage, lors de la reprise, est obtenu par « calage prothétique », le plus souvent aux dépens du composant fémoral (déplacé distalement), afin de privilégier la hauteur de la rotule.
Réalisation pratique
Étapes préopératoires
Détermination de la cause de l’échec
• la décision même de reprise. Une douleur inexpliquée, après une enquête minutieuse éliminant, notamment une infection (biologie, scintigraphie, ponction avec recherche d’acide désoxyribonucléique (ADN bactérien…) est une mauvaise indication de changement et donne régulièrement des résultats décevants [11, 65]. La chronologie de la douleur a son importance : préexistante à la prothèse, elle doit faire évoquer une douleur projetée (hanche, rachis…), postopératoire immédiate, elle oriente vers une erreur technique, survenant après un intervalle libre, elle évoque une usure ou un descellement [71]. Les symptômes sont parfois trompeurs. Une instabilité, par exemple, peut se manifester par une douleur isolée [69]. Certaines douleurs inexpliquées relèvent d’un défaut de rotation qu’il faut savoir dépister par un scanner [4, 24] ou sont des douleurs projetées qu’une scintigraphie [71] aide à comprendre. Le terrain doit être considéré et peut faire renoncer au changement d’un implant pourtant défaillant. Les causes d’échec ont évolué et sont pour Sharkey [65] : l’usure du PE (25 %), le descellement (24 %) associé à un défaut d’axe dans 44 % des cas, l’instabilité (21 %) et l’infection (17, 5 %) ;
• le type de reprise, qui comporte ou non le changement de tout ou partie des composants. Lorsqu’une reprise rotulienne isolée est discutée, il faut s’astreindre à démasquer un trouble de rotation du composant fémoral qui sera étudié dans le chapitre consacré aux complications rotuliennes. Devant une laxité symétrique secondaire à un mauvais « calage » des espaces en flexion et en extension, on peut proposer un insert plus épais, mais le changement isolé du plateau tibial doit être mûrement réfléchi sous peine d’échec [14, 26]. Un défaut d’axe associé peut faire discuter une ostéotomie en l’absence de tige obstruant la métaphyse.
• le « timing » chirurgical, c’est-à-dire le degré d’urgence de la reprise et sa réalisation en un ou deux temps. La chirurgie en deux temps reste la règle en cas d’infection. En cas de doute, certains recommandent les examens biologiques, la ponction articulaire, les prélèvements peropératoires, avec éventuellement une cytologie extemporanée pour décider de l’opportunité d’une réimplantation immédiate ou différée [28]. Nous préférons, étant donné les enjeux, différer la réimplantation de principe. L’existence d’une anomalie d’axe importante, une instabilité, ou une menace de faillite mécanique [13, 17], qui conduiront à un descellement doivent faire proposer un changement sans attendre la survenue de pertes de substance osseuse majeures. De même, une raideur d’origine mécanique, accessible à la chirurgie, doit faire envisager une réintervention rapide ;
• et finalement l’information au patient, qui est capitale dans cette chirurgie à haut risque de complication [62]. L’attente d’un geste « salvateur » ne doit pas faire nourrir des espoirs excessifs quant à la qualité du résultat fonctionnel.
Évaluation du stock osseux et interligne(s)
L’évaluation du stock osseux consiste à estimer les pertes de substance osseuse périprothétiques en vue de leur comblement, lequel assure une bonne stabilité et une bonne orientation des implants [25, 46]. Elle ne se conçoit qu’après avoir décidé de la position finale de l’interligne. Cependant, elle doit être réévaluée au cours de l’intervention après ablation des pièces prothétiques [16]. L’indication de cales et de tiges appropriées est alors définitive. Lorsque la perte de substance osseuse intéresse les insertions ligamentaires, un implant plus contraint peut être nécessaire. Les fractures sur prothèse constituent un cas particulier et posent le problème d’une ostéosynthèse associée au changement de composants [68].
Données cliniques
L’évaluation clinique peut révéler un défaut d’axe, une laxité (de réduction ou réelle), une inégalité de longueur des membres ou un trouble de rotation patent, jugé sur l’angle du pas, la manœuvre de Netter. L’interrogatoire recherche un antécédent de fracture lequel doit faire rechercher un trouble de torsion par un scanner [75].
Données radiologiques
Plan frontal
La hauteur de l’interligne est évaluée par rapport au côté sain ou à des radiographies antérieures (figure 1). Cela nous conduit à distinguer « l’interligne tibial » qui est notre priorité et « l’interligne fémoral distal ». On peut ainsi programmer la restauration de l’interligne fémoral et/ou tibial, toute la question étant de reporter de manière fiable cette programmation en peropératoire [1, 21].
Figure 1 Évaluation de la hauteur de l’interligne par mesure des segments osseux et par référence au côté sain. Ici, l’interligne est abaissé de 10 mm.
L’orientation de l’interligne est donnée par la mesure des angles mécaniques fémoral et tibial.
Il faut insister sur l’utilisation des calques qui permettent non seulement de mesurer l’angle de valgus fémoral mais aussi de déterminer le centrage des quilles, et donc de prévoir leur point d’introduction en peropératoire (figure 2).
Plan sagittal
Du côté tibial, il faut vérifier, en superposant la tige et la cavité médullaire, que l’« offset » de la pièce (distance entre la tige et la périphérie de l’embase) n’entraînera aucun débord de l’embase [22]
Du côté fémoral, il est essentiel de déterminer le centrage et le diamètre de la tige requise au moyen de calques, ainsi que le bon alignement de la trochlée prothétique avec la corticale fémorale antérieure (figure 3).
Figure 3 Détermination des dimensions et du positionnement de la quille fémorale et de la projection de la trochlée prothétique sur la corticale antérieure.
Évaluation des laxités
Données cliniques
La laxité en extension est contrôlée par la mise en tension de la capsule postérieure. Il faut savoir tester le genou « déverrouillé », c’est-à-dire en légère flexion [18]. En flexion à 90°, la mobilité de la hanche rend le testing difficile. La rotation extrême de la hanche facilite l’examen [13]. L’existence d’un flexum ou d’une limitation de la flexion compromet cette évaluation.
Une laxité n’est interprétable qu’en fonction des données radiologiques. Il faut notamment s’assurer de l’absence de descellement car une mobilité dans l’interface os–implant rend aléatoire l’interprétation d’une laxité [69].
Données radiologiques
Plan frontal
L’examen comporte des clichés dynamiques en valgus et en varus forcés ou idéalement une gonométrie en stress. L’existence d’un bâillement asymétrique est rattachée à coup sûr à une laxité ligamentaire lorsque les segments osseux sont normaux. La réductibilité d’une désaxation suggère une laxité de résection (figure 4).
Données opératoires
Une nouvelle évaluation peropératoire de l’état des ligaments est indispensable. En effet, l’abord du genou et la luxation tibiale sont susceptibles de créer une laxité, notamment interne par lésion du ligament latéral interne (LLI) dont les qualités sont altérées comme le souligne Dorr [22].
Choix de l’implant
L’existence d’une laxité consécutive à une insuffisance de l’enveloppe capsuloligamentaire est le plus souvent prévisible et fait appel à une contrainte prothétique plus importante, et non à une inflation de cales métalliques ou de l’épaisseur du polyéthylène, qui modifie l’anatomie donc la fonction du genou. Néanmoins, la règle d’utiliser l’implant le moins contraint possible est partagée par la majorité des auteurs [35, 40, 53, 63, 64].
Contrainte
Pour certains, l’utilisation d’une prothèse conservant le croisé postérieur peut se discuter, en particulier pour reprendre une prothèse unicompartimentale [7], mais l’absence de quille expose au descellement itératif [48].
En pratique, une prothèse postérostabilisée est le plus souvent suffisante, lorsque l’enveloppe ligamentaire l’autorise, à condition que la hauteur de la cage soit adaptée à l’espace en flexion [40].
Nous sommes peu favorables aux implants plus contraints, généralement dépourvus de rotation axiale et dont les cages et les tiges sont imposantes. Cependant plusieurs études semblent montrer de bons résultats de ces implants, avec une morbidité moindre que celle des prothèses charnière [29].