13: Technique des changements de prothèse totale du genou : étapes et stratégies: Technique of revision total knee arthroplasty: steps and strategies


Technique des changements de prothèse totale du genou : étapes et stratégies


Technique of revision total knee arthroplasty: steps and strategies







La prothèse totale du genou est une intervention particulièrement fiable puisque l’on estime le taux d’échecs (en prenant pour critère le changement d’implants) à 3 %. Néanmoins le nombre total de changements est important (22 000 aux États-Unis en 1999) et il augmente en raison du nombre toujours plus important de prothèses mises en place [65].


Le changement d’une prothèse comporte un risque élevé de complications [62] et de reprise itérative précoce [31, 66]. Cette décision doit être mûrement réfléchie et faire l’objet d’explications claires précisant le caractère aléatoire du résultat : nettement moins bon que celui d’une prothèse de première intention [9, 10], voire d’une prothèse après échec d’ostéotomie [2] ou d’une prothèse unicompartimentale [18].


Une analyse précise et méthodique de la cause de l’échec et son traitement spécifique sont indispensables pour obtenir le meilleur résultat possible. L’essentiel des problèmes à résoudre est prévisible si l’intervention a été soigneusement planifiée.


La restauration de « l’anatomie prothétique » du tibia d’une part et du fémur d’autre part est la garantie du rétablissement le plus exact possible de l’interligne articulaire à l’intérieur de l’enveloppe ligamentaire, sur laquelle on ne peut guère agir dans ce contexte particulier.


Certains points spécifiques (voies d’abord, comblement des pertes de substance, contrainte prothétique, tiges, rotule) font l’objet de chapitres particuliers de ce livre et nous ne ferons que les évoquer. Nous exposerons notre stratégie et les raisons de nos choix et nous discuterons les autres propositions de la littérature.



Stratégie


Il est difficile de donner des clés simples tant il existe de cas particuliers. Cependant, l’objectif global est superposable à celui des prothèses de première intention : restituer un membre normoaxé, avec des implants fémoral et tibial perpendiculaires à l’axe mécanique et un interligne de hauteur satisfaisante, seuls garants d’un genou stable, mobile et indolore.


Laxité et alignement sont interdépendants, et la compréhension des phénomènes qui régissent leurs rapports est la clé de notre stratégie et de la planification préopératoire.


Rappelons à cet égard la distinction que font à juste titre Krackow [42, 43] et Ries [58] à propos de « l’équilibrage ligamentaire ». Il existe deux aspects qui prêtent parfois à confusion. Il faut distinguer, d’une part, l’équilibrage destiné à restituer un axe normal du membre inférieur (au moins en extension), en règle par libération de la concavité et, d’autre part, l’équilibrage destiné à faire coïncider des espaces prothétiques rectangulaires en flexion et en extension (appelé, par certains, correspondance des espaces), parfois par un geste ligamentaire, mais le plus souvent par un « calage » prothétique ou un geste osseux qui a ses limites. C’est cette étape qui conditionne le positionnement de l’interligne, nous y reviendrons.


Ainsi, la stabilité du genou prothétique est régie par l’intégrité de l’enveloppe ligamentaire et par la reconstruction des extrémités fémorale et tibiale (implants compris), qui détermine l’interligne prothétique. C’est ce qui nous fait distinguer les « instabilités ligamentaires », des « instabilités osseuses » et c’est ce qui nous fait distinguer les espaces, non pas prothétiques en flexion et en extension mais « l’espace tibial » et les espaces « fémoral en flexion » et « fémoral en extension ».


Rappelons également que l’espace fémoropatellaire est influencé par les espaces fémorotibiaux. Une de nos préoccupations essentielles est de restituer la hauteur de la rotule par rapport au tibia et à la trochlée, mais surtout par rapport au tibia. Une rotule basse, en effet, peut être source de conflit avec le polyéthylène tibial (PE) et de douleurs résiduelles [27]. Cela justifie la restauration première de la plate-forme tibiale comme référence, à partir de laquelle le genou est progressivement reconstruit.


Cela nous commande d’évaluer en premier lieu l’ensemble des segments de membre, prothèse incluse, dans les plans frontal et sagittal, par comparaison au côté sain ou aux radiographies antérieures. Leur restauration est une garantie de la restitution « automatique » de l’interligne (ou des interlignes fémorotibial en extension, fémorotibial en flexion et fémoropatellaire).


L’enveloppe fibreuse a parfois été allongée pour équilibrer le genou prothétique. Il peut s’agir d’un allongement unilatéral (dû par exemple à une résection asymétrique compensée par une libération interne proportionnelle à cette asymétrie dans un varus constitutionnel) ou d’un allongement bilatéral (exemple précédent avec en outre une distension de la convexité nécessitant de libérer d’autant le plan interne pour retendre la convexité) [55]. Dans de tels cas, où l’enveloppe fibreuse est devenue « plus grande », l’équilibrage, lors de la reprise, est obtenu par « calage prothétique », le plus souvent aux dépens du composant fémoral (déplacé distalement), afin de privilégier la hauteur de la rotule.


Lorsqu’il existe au contraire une laxité asymétrique par défaut de libération initiale, une libération est envisageable, en cas de reprise précoce, lorsque les différents éléments qui composent l’enveloppe sont identifiables et ont conservé leurs qualités. En revanche, en cas de distension de la convexité, nous ne sommes pas favorables aux retensions ligamentaires car la qualité osseuse est souvent médiocre.


Lorsque, malgré tout, il persiste une laxité frontale asymétrique ou une discordance majeure entre espaces en extension et en flexion, nous faisons appel à un implant plus contraint.



Réalisation pratique


On peut schématiquement distinguer quatre étapes préopératoires et six étapes peropératoires qui constituent un algorithme de prise en charge du patient, depuis la décision d’intervenir jusqu’à la réalisation pratique de l’intervention.



Étapes préopératoires


C’est le temps de la planification préopératoire, dont l’importance est soulignée par tous les auteurs.



Détermination de la cause de l’échec


Ne pas reproduire deux fois la même erreur pourrait être le grand principe de la reprise. Cette étape essentielle conditionne :



• la décision même de reprise. Une douleur inexpliquée, après une enquête minutieuse éliminant, notamment une infection (biologie, scintigraphie, ponction avec recherche d’acide désoxyribonucléique (ADN bactérien…) est une mauvaise indication de changement et donne régulièrement des résultats décevants [11, 65]. La chronologie de la douleur a son importance : préexistante à la prothèse, elle doit faire évoquer une douleur projetée (hanche, rachis…), postopératoire immédiate, elle oriente vers une erreur technique, survenant après un intervalle libre, elle évoque une usure ou un descellement [71]. Les symptômes sont parfois trompeurs. Une instabilité, par exemple, peut se manifester par une douleur isolée [69]. Certaines douleurs inexpliquées relèvent d’un défaut de rotation qu’il faut savoir dépister par un scanner [4, 24] ou sont des douleurs projetées qu’une scintigraphie [71] aide à comprendre. Le terrain doit être considéré et peut faire renoncer au changement d’un implant pourtant défaillant. Les causes d’échec ont évolué et sont pour Sharkey [65] : l’usure du PE (25 %), le descellement (24 %) associé à un défaut d’axe dans 44 % des cas, l’instabilité (21 %) et l’infection (17, 5 %) ;


• le type de reprise, qui comporte ou non le changement de tout ou partie des composants. Lorsqu’une reprise rotulienne isolée est discutée, il faut s’astreindre à démasquer un trouble de rotation du composant fémoral qui sera étudié dans le chapitre consacré aux complications rotuliennes. Devant une laxité symétrique secondaire à un mauvais « calage » des espaces en flexion et en extension, on peut proposer un insert plus épais, mais le changement isolé du plateau tibial doit être mûrement réfléchi sous peine d’échec [14, 26]. Un défaut d’axe associé peut faire discuter une ostéotomie en l’absence de tige obstruant la métaphyse.


• le « timing » chirurgical, c’est-à-dire le degré d’urgence de la reprise et sa réalisation en un ou deux temps. La chirurgie en deux temps reste la règle en cas d’infection. En cas de doute, certains recommandent les examens biologiques, la ponction articulaire, les prélèvements peropératoires, avec éventuellement une cytologie extemporanée pour décider de l’opportunité d’une réimplantation immédiate ou différée [28]. Nous préférons, étant donné les enjeux, différer la réimplantation de principe. L’existence d’une anomalie d’axe importante, une instabilité, ou une menace de faillite mécanique [13, 17], qui conduiront à un descellement doivent faire proposer un changement sans attendre la survenue de pertes de substance osseuse majeures. De même, une raideur d’origine mécanique, accessible à la chirurgie, doit faire envisager une réintervention rapide ;


• et finalement l’information au patient, qui est capitale dans cette chirurgie à haut risque de complication [62]. L’attente d’un geste « salvateur » ne doit pas faire nourrir des espoirs excessifs quant à la qualité du résultat fonctionnel.



Évaluation du stock osseux et interligne(s)


L’évaluation du stock osseux consiste à estimer les pertes de substance osseuse périprothétiques en vue de leur comblement, lequel assure une bonne stabilité et une bonne orientation des implants [25, 46]. Elle ne se conçoit qu’après avoir décidé de la position finale de l’interligne. Cependant, elle doit être réévaluée au cours de l’intervention après ablation des pièces prothétiques [16]. L’indication de cales et de tiges appropriées est alors définitive. Lorsque la perte de substance osseuse intéresse les insertions ligamentaires, un implant plus contraint peut être nécessaire. Les fractures sur prothèse constituent un cas particulier et posent le problème d’une ostéosynthèse associée au changement de composants [68].


En dehors de cette analyse « segmentaire », il faut considérer globalement le membre inférieur, dont font désormais partie intégrante les implants prothétiques, de la même manière que l’on n’étudie pas séparément l’épiphyse du reste du squelette dans la chirurgie conservatrice.



Données cliniques

L’évaluation clinique peut révéler un défaut d’axe, une laxité (de réduction ou réelle), une inégalité de longueur des membres ou un trouble de rotation patent, jugé sur l’angle du pas, la manœuvre de Netter. L’interrogatoire recherche un antécédent de fracture lequel doit faire rechercher un trouble de torsion par un scanner [75].


L’évaluation de la mobilité est plus instructive. L’existence d’un flexum conditionne la voie d’abord mais surtout rend difficile l’interprétation des radiographies. Ce flexum peut conduire à réaliser une goniométrie « segmentée » au moyen de radiographies successives du fémur et du tibia, parallèlement à chacun des segments de membre. Une limitation de la flexion complique également l’abord articulaire et fait craindre une moins bonne mobilité finale. L’examen des hanches recherche une attitude vicieuse (notamment en adduction) susceptible de compromettre l’alignement du genou.



Données radiologiques

L’évaluation précise est radiologique. Elle repose sur la goniométrie de face en charge munie d’une règle graduée et sur les clichés de face et profil en appui monopodal.



Plan frontal

L’axe de chacun des segments de membre est tracé sur une goniométrie : pour le fémur, du centre de la tête fémorale au milieu du carter et pour le tibia, du milieu du bord supérieur du plateau tibial au centre de la cheville.


La hauteur de l’interligne est évaluée par rapport au côté sain ou à des radiographies antérieures (figure 1). Cela nous conduit à distinguer « l’interligne tibial » qui est notre priorité et « l’interligne fémoral distal ». On peut ainsi programmer la restauration de l’interligne fémoral et/ou tibial, toute la question étant de reporter de manière fiable cette programmation en peropératoire [1, 21].



L’orientation de l’interligne est donnée par la mesure des angles mécaniques fémoral et tibial.


Il est utile de mesurer l’angle entre les axes mécanique et anatomique du fémur, ou angle de valgus fémoral, généralement compris entre 3° et 9°, afin de le reproduire lors de la reconstruction.


La largeur et le centrage des implants doivent être évalués sur le tibia et le fémur, un débord pouvant expliquer des douleurs ou une raideur due à un conflit avec les parties molles, qui est aisément confirmé en peropératoire.


Il faut insister sur l’utilisation des calques qui permettent non seulement de mesurer l’angle de valgus fémoral mais aussi de déterminer le centrage des quilles, et donc de prévoir leur point d’introduction en peropératoire (figure 2).




Plan sagittal

La mesure de la longueur du condyle comparée à celle du côté sain ou à celle du condyle original sur les radios préopératoires permet de déterminer la position de « l’interligne fémoral postérieur » et de mettre en évidence une anomalie « d’offset » postérieur. L’étude de l’harmonie du contour de ce qui reste du condyle osseux (à sa partie haute) et du condyle prothétique peut révéler une ascension ou un abaissement de la pièce fémorale.


L’orientation des interlignes est donnée par la mesure des angles de bascule fémorale et de pente tibiale. Leur situation finale est dictée par la position des extensions utilisées.


Du côté tibial, il faut vérifier, en superposant la tige et la cavité médullaire, que l’« offset » de la pièce (distance entre la tige et la périphérie de l’embase) n’entraînera aucun débord de l’embase [22]


Du côté fémoral, il est essentiel de déterminer le centrage et le diamètre de la tige requise au moyen de calques, ainsi que le bon alignement de la trochlée prothétique avec la corticale fémorale antérieure (figure 3).



Toutes ces mesures doivent être confrontées à la mobilité dont la limitation peut s’expliquer par une anomalie d’un des « interlignes » : un allongement fémoral ou tibial (par la pièce prothétique) peut limiter l’extension, une pièce fémorale trop large ou trop grande d’avant en arrière peut limiter la flexion.



Évaluation des laxités


La question est de savoir s’il existe une instabilité d’origine ligamentaire vraie, par opposition à la laxité de résection secondaire à une coupe osseuse ou à un positionnement prothétique non orthogonal (coupes erronées, migration d’une pièce descellée).






Choix de l’implant


L’existence d’une laxité consécutive à une insuffisance de l’enveloppe capsuloligamentaire est le plus souvent prévisible et fait appel à une contrainte prothétique plus importante, et non à une inflation de cales métalliques ou de l’épaisseur du polyéthylène, qui modifie l’anatomie donc la fonction du genou. Néanmoins, la règle d’utiliser l’implant le moins contraint possible est partagée par la majorité des auteurs [35, 40, 53, 63, 64].



Contrainte

Pour certains, l’utilisation d’une prothèse conservant le croisé postérieur peut se discuter, en particulier pour reprendre une prothèse unicompartimentale [7], mais l’absence de quille expose au descellement itératif [48].


En pratique, une prothèse postérostabilisée est le plus souvent suffisante, lorsque l’enveloppe ligamentaire l’autorise, à condition que la hauteur de la cage soit adaptée à l’espace en flexion [40].


Nous sommes peu favorables aux implants plus contraints, généralement dépourvus de rotation axiale et dont les cages et les tiges sont imposantes. Cependant plusieurs études semblent montrer de bons résultats de ces implants, avec une morbidité moindre que celle des prothèses charnière [29].


Le recours à une charnière a le mérite de la fiabilité immédiate. Elle est indiquée en cas de laxité résiduelle importante malgré une bonne correction axiale, ou en cas de discordance majeure entre les espaces en extension et en flexion.

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Apr 27, 2017 | Posted by in CHIRURGIE | Comments Off on 13: Technique des changements de prothèse totale du genou : étapes et stratégies: Technique of revision total knee arthroplasty: steps and strategies

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