13: Pour un essai de compréhension psycho-dynamique de la dépendance à l’objet-couple

Chapitre 13 Pour un essai de compréhension psycho-dynamique de la dépendance à l’objet-couple


Comme nous l’avons déjà soutenu par ailleurs, l’état de dépendance psychique est caractéristique de l’hyperactivité et de l’anorexie mentale ainsi que toutes autres formes d’addictions.



Comment se constitue l’état de dépendance ?


Précisons tout d’abord que notre hypothèse prend en compte l’ensemble des développements antérieurs, notamment ceux qui s’appuient sur la notion de défaillance du pare-excitation.


Il est classiquement convenu de considérer ces pathologies comme résultant d’une carence du pare-excitation, voire d’une effraction de celui-ci, qui serait à l’origine du trauma. Le sujet serait contraint, pour lutter contre la destructivité, de répéter un mouvement de décharge psychique et sensorimotrice d’une excitation perçue comme inélaborable du fait de cette carence initiale.


Si nous souscrivons à cette hypothèse, nous sommes portés à penser, à la suite de constatations cliniques maintes fois renouvelées, qu’il existe des processus primaires antérieurs constitutifs de cette défaillance du pare-excitation.


Il nous apparaît que ce processus primaire ou archaïque, loin de s’effacer, se retrouve dans la dynamique transféro-contre-transférentielle en jeu dans ce que R. Roussillon (2008) a nommé « l’objet-couple ».


Notre apport à cette conception serait de décrire le mode de relation à l’objet-couple mise en évidence par la relation du thérapeute à l’objet-couple.


Il s’agit pour le thérapeute de se laisser imprégner des éprouvés infantiles du sujet dans ses tentatives identificatoires à l’objet-couple afin d’en saisir les aléas.


En premier lieu, il semble important de considérer les liens primaires à l’objet pour faire ressortir le fait que l’objet, avant d’être un pare-excitant, possède une fonction de synthèse des différents états émotionnels du sujet. C’est cette fonction de synthèse qui permettrait au moi de l’enfant en voie de constitution de se donner une sensation de continuité psychique et somatique.


Cette fonction de synthèse émanant de l’objet récupéré ultérieurement par le moi du sujet permettrait la synthèse des rythmes corporels, l’accordage esthésique, l’attention conjointe, l’intrication et la vectorisation des pulsions agressives et libidinales. Bref cet ensemble synthétique permettrait au sujet de sortir d’un état de nébuleuse subjective de ce que J. Bleger nomme les « états des noyaux agglutinés » et d’acquérir progressivement un sentiment de continuité de soi.


La temporalité chronologique ou linéaire prendrait racine dans l’avènement de ce processus premier. Si l’inconscient est intemporel, notre psyché est aussi soumise à un temps conscient et linéaire. Le rapport à la temporalité linéaire est indispensable pour sortir de la circularité.


Nos observations cliniques respectives nous ont permis, dès les premiers entretiens, de mettre en évidence des fonctionnements psychiques maternels aux prises avec cette difficulté de synthèse.


Relation transférentielle laissant apparaître une labilité émotionnelle importante, « un coq à l’âne » émotionnel, accompagné d’une sensation, chez le thérapeute, d’un débordement et d’une forme de contamination émotionnelle. Tout se passe comme si le sujet tentait de se récupérer d’un état émotionnel en se précipitant sur un autre état émotionnel sans trouver le pare-excitation, c’est une fuite incessante d’un état vers un autre qui échoue à trouver le pare-excitation.


L’analyse du transfert par retournement permet au thérapeute de saisir par analogie comment un processus de débordement et d’effraction se met en place pour l’enfant.


Face à cette angoisse de débordement qui envahit essentiellement l’interlocuteur (thérapeute et conjoint), le sentiment d’effraction est davantage ressenti par les interlocuteurs que par la mère chez qui le passage d’un état émotionnel à un autre constitue une mise en dépôt hallucinatoire (troisième voie de l’affect). Dans ce contexte ni lié, ni non-lié, de plus en plus affecté, le discours où se mêlent sensorialité et hallucination appelle une intervention du conjoint.


Ce dernier, pour faire face à cette angoisse de débordement, est amené à transformer l’appareil de langage en appareil d’action par une intervention qui court-circuite le discours ambiant.


Intervention qui conduit à un changement radical de registre qui éradique l’affect au profit de la réintroduction d’éléments perceptifs, factuels, visant à stopper le surgissement hallucinatoire.


Précisons que ce mode de réaction ne souligne pas un fonctionnement permanent chez le père mais plutôt un mode de défense face à une angoisse de débordement chez une personne susceptible par ailleurs de produire une associativité qui est elle-même court-circuitée à ce moment-là.


Ce que le thérapeute observe alors c’est qu’il est lui-même tenté d’adhérer à ce mode d’intervention. Figurant en cela comment l’enfant va être lui aussi amené à s’identifier à ce mouvement d’éradication. Ainsi nous pouvons avoir une représentation de l’éprouvé infantile dans la relation primaire à l’objet-couple qui marque les relations d’objet ultérieures sur ce mode binaire où trois est égal à deux fois deux, pervertissement de la relation triangulaire œdipienne.


Si nous tentons d’établir un modèle explicatif de cette dépendance psychique à l’objet, il s’agit précisément de l’imprévisibilité de l’objet à laquelle le sujet est confronté en permanence. En effet, c’est cette labilité des états émotionnels décrite précédemment chez la mère qui contraint le sujet à s’adapter en permanence aux besoins émotionnels de l’objet. Ce faisant, il doit renoncer en permanence à l’investissement moïque pour conserver le contrat narcissique. Il réussit une double relation de maîtrise à l’environnement maternel pour éviter la destruction de l’objet par le processus d’introjection mais aussi maîtrise de l’objet pour éviter d’être détruit par lui en l’incorporant.


L’imprévisibilité, l’absence de fiabilité des réactions de l’objet conduit le sujet à surinvestir l’environnement matériel en lieu et place de l’environnement maternel. Il tendra aussi à surinvestir le domaine sensoriel en lieu et place du domaine conceptuel (le conceptuel s’appuie sur l’abstraction et celle-ci requiert le lâcher prise par rapport à l’objet).


Une certaine stabilité peut être alors trouvée dans cette identification momentanée aux objets concrets et à la sensori-motricité du fait des objets « jamais absents » et dont la présence est maîtrisable. Ainsi s’expliquent les risques d’effondrement psychique qu’encourt le sujet lors d’un changement dans son cadre environnemental matériel (déménagement, entrée à l’école, quitter la maison, …). L’investissement de l’environnement matériel est tel qu’une perte de cet environnement équivaut à une perte d’identité.


Dans l’anorexie, l’investissement de la sensori-motricité et du corps va être bousculé par la puberté et le changement des sensations corporelles.


S’y rajoute à ce moment-là la perte de la bisexualité au profit de la génitalité qui n’est pas élaborable. En tout état de cause, l’enjeu majeur concerne l’absence de satisfaction des besoins du moi.


L’environnement maternel premier n’étant pas en mesure de satisfaire aux besoins du moi du sujet, ce dernier déplace sa libido sur les besoins du corps et les besoins matériels. Dans ces conditions de carence, le désir se fait besoin et le manque constitue un vide. Mais ce tableau ne saurait être suffisant sans l’étude de la position paternelle dans la relation d’objet-couple. Nous avons pu observer que le père, par ailleurs capable d’accès à une associativité fantasmatique, pouvait être momentanément saisi par ce contexte narcissique primaire où la différenciation n’est pas posée.


Rappelons le contexte, il s’agit d’une ou plusieurs consultations au cours desquelles les parents sont invités à parler de leur enfant en son absence. Ce contexte de séparation est de nature à re-convoquer les situations traumatiques antérieures de séparation chez les parents. Contrairement aux clichés traditionnels décrivant le père comme un personnage absent, non investi, il nous apparaît au contraire très présent dans ce tableau narcissico-identitaire. Son mode d’intervention dans un contexte particulier décrit ci-avant, le conduit à des modes d’interventions diffractants. Ses interventions provoquent des ruptures par rapport à l’enveloppe de continuité psychique recherchée par le thérapeute. Loin de jouer le rôle de pare-excitation, il crée de ce fait une diffraction supplémentaire qui se rajoute à la diffraction initiale.


Son intervention qui se veut quelque part protectrice, renforce le clivage car elle éradique l’état émotionnel ressenti par lui comme nocif. Il crée un blanc du point de vue de l’affect en s’agrippant à des éléments concrets.


Le thérapeute se voit confronté à deux modèles identificatoires, qui pour paraître différents dans la forme, renforcent tous deux, tour à tour, l’effet d’emprise qu’ils exercent sur le sujet.


Ces premières impressions doivent permettre au thérapeute de s’imprégner de ce en quoi l’enfant ou l’adolescent est aux prises avec des processus clivants déjà évoqués.



Le travail du thérapeute


Après une phase d’accueil du transfert par retournement (premier temps) et l’élaboration de l’éprouvé du thérapeute (deuxième temps), s’ensuit un travail de transformation et de mise en lien à partir du contre-transfert qui doit se constituer (troisième temps).


Ce travail de pensée et de transformation psychique du thérapeute va lui permettre de se dégager de la relation d’emprise.


Le quatrième temps sera celui de la reformulation par le thérapeute qui consiste à reprendre certaines formulations des parents accompagnées par l’écho produit en lui, c’est-à-dire d’un affect, d’un ressenti contre transférentiel sur les aspects contradictoires des énoncés de l’objet-couple. Notre intérêt se porte prioritairement sur l’objet-couple plutôt que sur le fonctionnement des individus qui le composent. Ce parti pris est dû au fait que nous pensons que les mouvements identificatoires, qu’ils soient actuels, adolescents, infantiles ou primaires présentent toujours un lien privilégié au couple. Ceci prioritairement aux identifications aux traits de chacun des membres du couple.


Il s’agit d’éviter toute forme de culpabilisation ou de dénonciation tout en gardant ouvert l’espace de la conflictualité.


Par exemple : « J’entends que vous dites d’un côté que votre enfant est sage (sous-entendu qu’il ne vous pose pas de problème) et de l’autre qu’il vous embête la vie. Comment faites-vous pour penser ces deux formulations en même temps ? »


Les couples de parents qu’il nous a été amené de rencontrer pour compléter notre étude sont des couples que nous pourrions qualifier d’aconflictuels. Si bien que cet objet-couple est dans l’impossibilité d’offrir à l’enfant un mouvement identificatoire adossé à la différenciation.


Comme le souligne R. Roussillon, la différence se compose d’un triptyque qui englobe le conflit, le différé et la différence. À l’intérieur de cet objet-couple, on peut repérer la présence de colère mais pas de conflits. Il n’est pas rare d’observer que ces couples se décrivent paradoxalement comme dépendants de relations où l’alternance colère/apaisement se manifeste, y compris dans la relation sexuelle. On retrouve également menace de séparation et annulation de séparation.


Comme l’affirme une mère d’adolescente anorexique : « Ni avec toi ni sans toi, malgré les conflits et les menaces de séparation et quand tout semble perdu, il y a à un moment donné une force qui nous permet d’y croire encore ; nous éprouvons encore du désir l’un pour l’autre ; sur les sujets importants (éducation, société…), nous avons le plus souvent la même vision des choses. D’accord sur le fond même si la forme nous oppose. » On ne saurait mieux résumer « l’impossible séparation ».


Cette absence de différenciation crée les conditions d’une triangulation qui se dissout dans deux relations duelles identiques dans lesquelles l’enfant se voit dans l’impossibilité d’accéder à la tiercéité. L’enfant va souffrir de sa participation à l’exclusion du tiers chaque fois qu’il est en relation avec l’un des membres du couple. La solution choisie, c’est de se rendre dépendant de l’objet-couple tout en luttant contre son envahissement.

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May 4, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 13: Pour un essai de compréhension psycho-dynamique de la dépendance à l’objet-couple

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