Chapitre 13 Médicaments, intoxications et alcoolisme
Prescription de médicaments
Les médicaments ne doivent être prescrits que s’ils sont nécessaires, et dans tous les cas, le bénéfice attendu doit être confronté au risque des effets indésirables. Pendant la grossesse et l’allaitement, les risques pour le fœtus ou le bébé doivent être pris en compte en plus de ceux encourus par la mère. Les noms des médicaments et des préparations doivent être écrits en entier. Si des médicaments génériques sont disponibles, ils doivent être choisis, sauf dans de rares circonstances où il faut éviter des différences pharmacocinétiques entre préparations ; c’est le cas par exemple pour la théophylline à libération modifiée. Les noms suivis du symbole® sont, ou ont été, utilisés comme noms commerciaux dans le monde occidental.
Concordance en thérapie médicamenteuse
Selon certaines estimations, environ un tiers des médicaments prescrits à long terme ne sont pas utilisés de manière optimale. L’objectif du concept de concordance est d’assurer une utilisation plus efficace des médicaments. Une consultation concordante est un dialogue entre un professionnel de la santé et un patient dans lequel les décisions thérapeutiques prennent en compte les points de vues des deux interlocuteurs. Les termes anciens de non-observance ou de non-adhésion à la posologie ont une connotation paternaliste et dogmatique, le patient ne participant que peu à la planification de son traitement. Simplifier une cure médicamenteuse peut améliorer la concordance. Par exemple, une prise ou deux par jour est préférable à trois ou quatre et la combinaison des médicaments dans une seule préparation diminue le nombre de prises, mais avec le désavantage de ne pouvoir ajuster les doses de chaque ingrédient. L’utilisation d’un pilulier à compartiments multiples est souvent utile, en particulier pour les personnes âgées.
• La nature du médicament ; comment et quand le prendre.
• Les bénéfices thérapeutiques attendus.
• Les effets indésirables probables ou graves ; comment réagir si ceux-ci semblent se manifester ?
• Que se passera-t-il si les médicaments ne sont pas pris ?
• Si nécessaire, comment arrêter le traitement ou réduire la posologie ?
• Choisir entre des médicaments et un traitement non pharmacologique.
Effets indésirables
Tout médicament ou vaccin peut produire des effets indésirables ou inattendus. Les professionnels de santé (médecins, dentistes, médecins légistes, pharmaciens, infirmières) et, dans certains pays, les patients et les soignants, sont encouragés à signaler les réactions indésirables (même en cas de doute sur la causalité) à l’organisme de réglementation compétent. En France, les patients et les associations de patients ont désormais la possibilité de déclarer directement les effets indésirables des médicaments par le biais d’un formulaire proposé en ligne (au format pdf) par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) (NdT). Il est donc possible de déclarer les effets indésirables liés à un médicament, mais aussi les mauvais usages, abus ou erreurs médicamenteuses (avérés ou potentiels) auprès du Centre régional de pharmacovigilance dont les patients dépendent géographiquement (les coordonnées des Centres étant indiquées sur le formulaire). Ces rapports constituent un système d’alerte précoce relevant des réactions non constatées antérieurement. Les personnes âgées sont plus sensibles aux effets indésirables et aux interactions médicamenteuses en raison de la comorbidité, de la polymédication et des changements dans la distribution des médicaments liés à une réduction de la masse corporelle et surtout du volume d’éjection systolique atteignant le cerveau (ce qui explique pourquoi les personnes âgées sont plus vulnérables aux effets des médicaments agissant au niveau central). Une altération des fonctions rénale et hépatique peut nécessiter une réduction de la posologie ou contre-indiquer certains médicaments.
Rédaction d’une ordonnance
Toutes les prescriptions doivent être rédigées de manière lisible et indélébile ; elles doivent être datées et le nom du médicament écrit en entier ou sous forme d’abréviations officiellement approuvées, reprises généralement dans le Résumé des caractéristiques du produit (RCP). La prescription doit inclure le nom complet du prescripteur (avec adresse pour les prescriptions en ambulatoire) ainsi que nom, adresse et date de naissance ou âge du patient. En milieu hospitalier, les prescriptions doivent aussi comporter le numéro d’identification du patient et la liste des allergies médicamenteuses. Le prescripteur doit signer chaque ordonnance. De nombreux hôpitaux et autorités locales ont émis leurs propres directives et réglementations, en particulier pour la prescription d’antibiotiques. Parmi les erreurs médicales, celles liées aux ordonnances sont les plus courantes : erreur sur la nature du médicament, posologie incorrecte en raison d’une mauvaise écriture, voie d’administration inadéquate et prescription d’un médicament à un patient dont l’allergie à ce produit était établie.
Bonnes pratiques en matière de prescription
• Écrire clairement et de manière lisible.
• Inclure la dose, la fréquence des prises, la voie d’administration et la date de début pour chaque médicament. La durée du traitement, par exemple des antibiotiques, doit également être indiquée.
• Pour les administrations intraveineuses, le nom et le volume du liquide diluant ou de perfusion, ou les deux, doivent être mentionnés.
• Lorsque les médicaments sont prescrits en fonction du poids corporel, par exemple mg/kg, la dose totale effective doit être indiquée.
• Pour les médicaments à prendre en fonction des besoins, la spécification de la dose maximale et de la fréquence maximale est obligatoire.
• Des ordonnances existantes ne devraient pas être corrigées. La prescription doit être réécrite si un changement est nécessaire.
• Les abréviations sont une cause importante d’incidents cliniques et devraient être évitées : utilisez microgramme et non μg, nanogramme et non ng, unités et non U ou u.
• Le recours aux décimales est à éviter ; par exemple, il faut utiliser 125 microgrammes et non 0,125 mg.
Intoxications médicamenteuses
Dans de nombreux hôpitaux du monde développé, l’intoxication aiguë est l’une des causes les plus communes de l’admission urgente dans un service médical. Les circonstances de l’empoisonnement peuvent être les suivantes :
Caractéristiques cliniques
À l’arrivée à l’hôpital, le patient doit être évalué de toute urgence (voies aériennes, respiration, circulation) et le stade du coma défini à partir de l’échelle de Glasgow (voir tableau 17.6).
Le tableau 13.1 présente les signes physiques qui peuvent faciliter l’identification des agents responsables de l’intoxication.
Caractéristiques | Poisons probables |
---|---|
Pupilles contractées | Opioïdes Insecticides organophosphorés Agents neurotoxiques |
Pupilles dilatées | Antidépresseurs tricycliques Amphétamines Cocaïne Médicaments antimuscariniques |
Strabisme divergent | Antidépresseurs tricycliques |
Nystagmus | Phénytoïne Carbamazépine |
Perte de vision | Méthanol Quinine |
Œdème papillaire | Monoxyde de carbone Méthanol |
Convulsions | Antidépresseurs tricycliques Théophylline Opioïdes Acide méfanamique Isoniazide Amphétamines |
Réactions dystoniques | Métoclopramide Phénothiazines |
Délire et hallucinations | Médicaments antimuscariniques Amphétamines Cannabis Récupération d’une surdose d’antidépresseur tricyclique |
Hypertonie et hyperréflexie | Antidépresseurs tricycliques Médicaments antimuscariniques |
Acouphènes et surdité | Salicylates Quinine |
Hyperventilation | Salicylates Herbicides phénoxyacétate Théophylline |
Hyperthermie | MDMA (ecstasy) |
Phlyctènes | Surviennent habituellement chez les patients comateux |
Lèvres et peau rouge cerise | Intoxication au monoxyde de carbone |
MDMA : 3,4-méthylène-dioxy-N-méthylamphétamine.
Soins
La plupart des patients auto-intoxiqués ne nécessitent que des soins généraux et de soutien des fonctions vitales. Cependant, pour quelques médicaments, une thérapie additionnelle est requise. La base de données des centres antipoison fournit des renseignements à jour sur le diagnostic, la prise en charge et le traitement des patients souffrant d’une exposition à un large éventail de substances et produits. Ce devrait être le premier point de référence dans tous les cas d’empoisonnement. Le tableau 13.2 résume les mesures à prendre devant un patient victime d’une surdose.
Réanimation d’urgence
• Coucher le patient en décubitus latéral gauche pour réduire le risque d’aspiration.
• Dégager les voies aériennes et intuber si le réflexe nauséeux est absent.
• Administrer de l’oxygène à 60 % par masque facial chez les patients non intubés.
• Une ventilation est parfois nécessaire en cas de troubles respiratoires.
• Traiter l’hypotension, les arythmies et les convulsions.
• Surveiller la fonction respiratoire (analyse des gaz artériels ou oxymétrie de pouls) et l’ECG chez certains patients.
• Prendre la température avec un thermomètre épitympanique, qui permet une lecture des températures basses, et traiter l’hypothermie.
Prévention de l’absorption du médicament
Les mesures qui suivent sont réservées aux patients qui ont ingéré une dose excessive, potentiellement dangereuse, voire mortelle.
• Le lavage gastrique est rarement utilisé en raison du risque de complications et uniquement s’il peut être pratiqué 1 heure après l’ingestion. Par un tube de gros calibre orogastrique, le patient étant en décubitus latéral gauche, 200 à 300 ml d’eau tiède ou de solution saline à 0,9 % sont instillés dans l’estomac puis aspirés, la manœuvre étant répétée jusqu’à élimination d’un maximum du produit toxique. Cette manœuvre est contre-indiquée si les voies respiratoires ne sont pas protégées ou si le produit ingéré est de l’essence, de la paraffine ou un agent corrosif. Les complications peuvent être une aspiration pulmonaire et une perforation de l’œsophage.
• Le charbon actif (50 g par voie orale) adsorbe le toxique résiduel dans l’intestin. Il n’est administré que si la substance en cause a été prise il y a moins d’une heure et est absorbable par le charbon ; c’est le cas pour l’aspirine, la digoxine, le paracétamol et les barbituriques.
• L’irrigation intestinale totale n’est pratiquée que pour des ingestions potentiellement toxiques de fer, de lithium, de médicaments à libération prolongée ou à enrobage entérique et de paquets de drogue ingérés. Une solution électrolytique de polyéthylène glycol, par exemple Klean-Prep®, est infusée par une sonde nasogastrique (1 à 2 l/h) jusqu’à ce que l’effluent rectal devienne clair (habituellement 3 à 6 heures).