13 Malades psychosomatiques
Pour comprendre les aspects psychopathologiques des malades psychosomatiques, il est indispensable de préciser tout d’abord un certain nombre de termes et d’élucider des notions qui ont donné lieu à de nombreuses discussions entre les chercheurs.
Évolution des idées
Actuellement, l’attitude psychosomatique correspond à une conception de la médecine. Plutôt que de considérer une médecine des organes, elle met l’accent sur une médecine générale de l’organisme, dans une approche globale, holistique, de l’individu malade. Cette conception, héritière de l’école hippocratique de Cos, postule l’unité psychosomatique de l’homme qui peut être le siège de phénomènes morbides ; ceux-ci peuvent être étudiés de façon complémentaire sous l’angle psychologique ou sous l’angle physiologique. Dans cet esprit, on pourrait dire que tout malade est psychosomatique.
Mais il existe un courant de recherches pour lequel la médecine psychosomatique « est une branche de la médecine qui concerne l’étude des phénomènes de l’esprit et leur signification dans l’apparition et le développement des maladies affectant le corps » (Von Uexküll). Dans l’étiologie de maladies à manifestations somatiques, telles que l’hypertension artérielle, l’asthme, l’ulcère gastrique, les observations cliniques ont attribué un rôle important aux facteurs psychologiques et à la personnalité des malades. Chez ce type de malades psychosomatiques souffrant d’affections que l’on appelle aussi névroses d’organe, l’examen clinique met en évidence l’existence de conflits intrapsychiques.
Essai de définition
De même, il est délicat de situer la frontière entre les maladies psychosomatiques et les autres maladies, car l’importance des facteurs psychologiques varie par degrés insensibles d’un extrême à l’autre.
C’est ainsi que l’on peut parcourir la gamme des maladies, depuis celles où les facteurs biologiques, toxi-infectieux, traumatiques ou génétiques jouent un rôle étiologique prépondérant, jusqu’aux affections où les facteurs psychosociaux sont manifestement déterminants, sous la forme d’émotions, de conflits actuels ou anciens. Mais qu’il s’agisse d’organogenèse ou de psychogenèse prévalente, qu’il s’agisse d’expressions pathologiques somatiques ou mentales, il faudrait cependant ne pas perdre de vue l’unité psychosomatique de l’homme malade.
Quoi de plus mécanique qu’un traumatisme ? Et pourtant combien d’accidents sont-ils des actes manqués, entrant dans le cadre de la psychopathologie de la vie quotidienne ! Ce sont souvent les mêmes sujets qui sont victimes de traumatismes, leur propension aux accidents relevant d’un facteur émotionnel qui perturbe leur équilibre affectif.
On peut retenir cette citation de Weiss et English : « La médecine psychosomatique n’accorde pas moins d’importance que la médecine générale aux facteurs organiques, mais elle en accorde plus aux facteurs psychiques, remettant ainsi en valeur un principe ancien, selon lequel l’esprit et le corps ne sont pas des éléments opposés, mais interdépendants. » Les malades psychosomatiques ne peuvent donc pas être définis comme des malades qui présenteraient des caractéristiques mentales particulières, ni comme des sujets qui souffriraient d’une pathologie à symptomatologie double, mentale et somatique, voire fonctionnelle sans substratum organique.
Pour pouvoir dire qu’une maladie est psychosomatique, il faut faire ressortir l’existence d’un conflit. On doit pouvoir établir « la relation précise qui existe entre la situation conflictuelle du malade et sa maladie, et cela jusque dans la forme même de cette maladie » (Marty). Pas plus qu’on ne peut soutenir comme naguère que toute pathologie est organique, on ne peut défendre actuellement une théorie purement psychogénétique déclarant que les troubles psychiques engendrent les troubles somatiques. En fait, il s’agit de conflits de l’individu, d’abord avec le monde extérieur, puis intrapsychiques. Ces conflits provoquent des manifestations mentales ou des manifestations somatiques, ou des deux sortes en proportion variable. Les psychiatres connaissaient de longue date des cas de balancements psychosomatiques, où les symptômes des deux séries se succèdent dans le temps, mais sans que l’on soit pour autant en droit d’affirmer que les troubles névrotiques produisent les troubles somatiques.
Étiopathogénie
On peut avoir à observer des malades qui présentent des troubles fonctionnels sans atteinte organique ou mentale décelable ; ou bien des malades porteurs de lésions s’accompagnant de symptômes découlant de facteurs psychologiques ; ou bien encore des malades qui ont des symptômes neurovégétatifs, comme un asthme, une hypertension artérielle…
Si l’on veut comprendre les symptômes dans leur étiologie, c’est-à-dire leur cause, et leur pathogénie, c’est-à-dire leur mode de formation, il faut renoncer au schéma classique qui faisait découler les troubles fonctionnels d’une lésion tissulaire, mais envisager la lésion comme une conséquence des troubles fonctionnels. On pense que la modification répétée ou continue d’une fonction entraîne à la longue des altérations tissulaires qui peuvent devenir irréversibles ; ainsi, par exemple, une contraction répétée ou constante des artérioles rénales finit par provoquer leur sclérose. À l’origine de ce mécanisme, on reconnaît que le système nerveux est doté d’un pouvoir de modulation sur les fonctions immunitaires de l’organisme, et l’on accorde une très grande importance à la notion de stress, c’est-à-dire la contrainte ou l’agression provenant du milieu extérieur qui déclenche chez le sujet une réaction de tension. Une émotion-choc est souvent invoquée à l’origine de certaines maladies (diabète, maladie de Basedow…). Mais il ne faut pas oublier qu’une situation donnée a une signification particulière pour un individu en fonction de son histoire et de son développement psychologiques. Des études cliniques, effectuées sur des malades dont on a pu établir tous les antécédents biographiques, ont montré l’existence d’un rapport chronologique entre l’évolution de leur maladie et les événements retentissant sur leur vie affective. La situation qui précipite le sujet dans la maladie revêt pour ce malade une signification affective particulière, parce qu’elle est liée à son passé ou à une problématique conflictuelle non résolue. C’est en raison de ces liens qu’elle a pour lui un effet de stress.
Les affects peuvent donc, par la tension émotionnelle chronique qu’ils entraînent, amener la production de troubles fonctionnels chroniques, puis de lésion organique.
D’autre part, si l’expression motrice ou verbale de l’agressivité ou de l’anxiété est bloquée, les décharges du système nerveux central sont détournées vers le système végétatif, amenant des désordres pathologiques dans le fonctionnement des organes.
On voit ainsi que la causalité de la maladie n’est pas linéaire, univoque, mais qu’elle est multifactorielle.
Mais existe-t-il réellement une spécificité émotionnelle des névroses d’organe, c’est-à-dire, y a-t-il une relation spécifique entre la nature du stress psychologique et l’organe atteint ? Les tenants de la théorie spécifique pensent avec F. Alexander que « la spécificité du trouble émotionnel engendre la spécificité du trouble organique fonctionnel, voire du dommage lésionnel ». En d’autres termes, chaque état émotionnel a son syndrome physiologique propre. Mais, en plus de la nature de l’émotion, interviendrait aussi la qualité de la structure prémorbide de l’individu. C’est ainsi que l’on a pu décrire les profils psychologiques de l’asthmatique, du coronarien, de l’obèse, du colitique, de l’ulcéreux, de l’hyperthyroïdien, du tuberculeux, du goutteux, de l’anorexique et de bien d’autres encore.
D’autres auteurs pensent, au contraire, que chaque émotion peut contribuer à la production de n’importe quel trouble organique. La question de la localisation improprement appelée choix de l’organe, dépendrait en fait, de façon non spécifique, de la vulnérabilité locale par suite de facteurs tels que la prédisposition génétique, l’infection ou un conditionnement préalable.