13. La parole de l’enfant – l’enfant et sa maladie

Chapitre 13. La parole de l’enfant – l’enfant et sa maladie


Parole (de l’enfant)MaladieDans les services de pédiatrie, les protagonistes sont nombreux autour de l’enfant : il est l’objet de préoccupations parentales, l’objet de soins de l’équipe pédiatrique. Pesé, mesuré, examiné, hospitalisé, scanné, diagnostiqué, «malade», il est au centre des échanges entre les adultes, mais n’a pas souvent son mot à dire. Dans ce contexte, c’est tout d’abord à travers ses symptômes que l’enfant s’adresse à son environnement. C’est ensuite à travers le sens qu’il attribue à la maladie qu’il trouve à s’exprimer. Si l’espace lui en est donné, l’enfant va trouver à se dégager de ce qui, de son vécu, interfère avec son développement et sa relation au monde.


L’être malade


La maladie apparaît dans la vie de l’enfant de façon toute particulière. C’est tout d’abord à partir de changements au sein de son environnement qu’il aborde l’«être malade» : ce sont par exemple les blouses blanches, les médicaments, les piqûres, le fait de rester au lit, de ne pas aller à l’école… C’est aussi à partir des paroles ou des attitudes de ses parents : «tu es malade». C’est encore à partir de certains ressentis corporels, même s’il appréhende encore mal la localisation des organes, leur fonction, son intégrité corporelle. Ainsi, la prise de conscience de la maladie est plus longue chez l’enfant et se fait principalement par référence aux réalités extérieures plutôt que par la perception de l’intériorité de son corps.

Lors de l’annonce de la maladie, ce ne sont pas les informations médicales que l’enfant va comprendre, mais les émotions parentales qu’il va percevoir dans un registre infralangagier à travers leurs comportements, leurs mimiques, leurs regards, leurs émotions… Il est primordial de prendre en compte l’enfant sans forcément l’associer systématiquement au projet de soins. Tout ne peut pas lui être dit. Il faut tenir compte de son âge, de sa maturité, de la gravité de sa maladie, des modalités d’échanges au sein de sa famille. À partir de ces premiers ressentis corporels, mots échangés, émotions partagées, la maladie va prendre un sens pour l’enfant de façon très liée à ce qu’être malade veut dire dans la relation réelle et fantasmatique entre ses parents et lui.


Vécu de l’enfant


La maladie provoque des modifications du fonctionnement psychique de tout individu. «Il est universellement connu et il nous semble aller de soi que celui qui est affligé de douleur organique et de malaises abandonne son intérêt pour les choses du monde extérieur, pour autant qu’elles n’ont pas de rapport avec sa souffrance. Une observation plus précise nous apprend qu’il retire aussi son intérêt libidinal de ses objets d’amour, qu’il cesse d’aimer aussi longtemps qu’il souffre. La banalité de ce fait ne doit pas nous empêcher de lui donner une traduction dans les termes de la théorie de la libido. Nous dirions alors : le malade retire ses investissements de libido sur le moi, pour les émettre à nouveau après la guérison. Libido et intérêt du moi ont ici le même destin et sont à nouveau impossibles à distinguer l’un de l’autre» (S. Freud, 1920).

La maladie et plus encore la douleur représentent une blessure narcissique. Elles amènent dès lors une position régressive défensive, avec une réactivation d’angoisses de différentes natures, d’autant plus archaïques que la douleur devient trop forte, que les appuis relationnels viennent à manquer et globalement qu’aucune symbolisation n’est plus possible. Les angoisses peuvent être de morcellement, d’annihilation (conflits préœdipiens), de castration (en lien avec le conflit œdipien), mais aussi d’abandon. La maladie renvoie toujours l’enfant aux deux couples suivants : faute-culpabilité et agression-punition.

L’enfant met en place des défenses qu’on peut répartir selon trois registres :




• le registre de l’opposition : l’enfant rejette la maladie et son cortège de soins par des mécanismes parfois massifs (déni, clivage, identification projective). Les manifestations sont à type de réactions de prestance, de colère, d’agitation, voire d’attitudes de provocation;


• le registre de la soumissionSoumission : l’enfant vit la maladie comme une perte (de l’intégrité corporelle, mais aussi de la toute-puissance). Les manifestations sont à type de dépendance passive à l’entourage, voire de dépression;


• le registre de la sublimationSublimationet de la collaboration : l’enfant s’approprie la maladie qui peut être source d’identifications positives et être intégrée au grandissement à travers par exemple la prise en charge autonome du traitement.

Ce vécu dépend beaucoup chez l’enfant de son stade de développement psychoaffectif ainsi que des positions parentales. Chez l’enfant fragilisé par la maladie, et tout particulièrement chez l’adolescent, un conflit peut naître entre un mouvement régressif de dépendance accrue aux parents et le nécessaire mouvement de maturation qui pousse le jeune à s’autonomiser pour affirmer son identité. Les deux mouvements sont néanmoins nécessaires afin de consolider le narcissismeNarcissisme de l’enfant tout en lui permettant de poursuivre son développement et de réinvestir les relations aux autres. Les modifications du comportement de l’enfant, les émotions qui le submergent, traduisent la façon dont l’enfant tente de vivre avec la maladie, de se l’approprier : des éprouvés avant tout corporels deviennent des éprouvés psychiques. Parfois cette transposition est court-circuitée : elle alimente alors certains symptômes physiques ou psychiques.


Symptôme


SymptômePhénomènes physiques et psychiques peuvent être intriqués de différentes manières au cours d’une maladie. Le terme de «pathologie psychosomatique» est souvent usité pour décrire ces liens entre psyché et soma. Ils sont néanmoins complexes. Kreisler et al. décrivent le domaine de la psychosomatique comme celui des «maladies physiques dans le déterminisme ou l’évolution desquelles on peut reconnaître le rôle prévalent des facteurs psychiques ou conflictuels» (Kreisler et al., 1974). Ce qui conditionne ce diagnostic est le type de la maladie, le lien de causalité et le processus psychique particulier sous-jacent. Kreisler exclut de cette définition :




• les conséquences psychiques des maladies somatiques;


• la conséquence directe de comportements anormaux (pathomimie, auto-agression directe);


• l’expression physique de phénomènes mentaux (conversion);


• les troubles mentaux directement provoqués par une agression du système nerveux central;


• les faux problèmes (offre symptomatique).

En effet, il s’agit alors d’une clinique psychiatrique qui met en jeu le corps malade.

Quelle que soit l’étiologie, le patient a à faire avec son symptôme qui lui-même engendre un certain nombre de mécanismes psychiques secondaires : conséquences psychologiques de la maladie, sens secondaire du symptôme, utilisation de la maladie par le sujet…

Dans tous les cas, le symptôme parle dans le sujet, pour le sujet, voire à la place du sujet. «Le symptôme est pour le psychanalyste la marque de la singularité et de la vérité du Sujet» (Raimbault & Zygouris, 1976). Il est subjectif, inaccessible à la généralisation. Il est le discours particulier qui anime ce corps-là et qui échappe pour partie au discours scientifique et rationnel. «Le symptôme est à ranger du côté des réalités singulières dont il serait bien audacieux de contester l’existence. Connaissons-nous jamais le singulier, l’individuel?» (Duverger, 1991).

Only gold members can continue reading. Log In or Register to continue

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Apr 22, 2017 | Posted by in PÉDIATRIE | Comments Off on 13. La parole de l’enfant – l’enfant et sa maladie

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access