13: Essais cliniques


Essais cliniques






Histoire des recherches sur l’humain



Le temps des expériences


Déjà à Alexandrie, aux IVe et IIIe siècles avant Jésus-Christ, on pratiquait l’expérience sur l’homme. Deux médecins de l’époque, Erasistrate de Céos et Hérophile de Chalcédoine ont pour la première fois pratiqué une vivisection sur des « criminels qu’ils avaient obtenus des rois ». Claude Bernard, dans son Introduction à la médecine expérimentale, nous rappelle qu’en 137 avant Jésus-Christ, Attale III Philométor expérimentait des poisons sur des condamnés à mort.


Les vivisections et même les dissections seront interdites pendant la période du Moyen-Âge, période d’obscurantisme pour la science et pour la médecine, le tout sous peine d’excommunication. Mais avec l’arrivée de la Renaissance, de nouvelles expériences sont autorisées ; ainsi, au XVIe siècle, le Grand Duc de Toscane autorisa Gabriel Fallope à Pise à étudier l’effet de l’opium sur les crises de fièvre quarte sur un condamné.


Au XVIIIe siècle a lieu la première expérience où, sans être volontaires au sens propre du terme, les sujets furent réellement informés : la femme de l’ambassadeur du Royaume-Uni, de retour de Turquie, promeut la variolisation et arrive à persuader le roi Georges IV d’accorder sa grâce aux prisonniers de la prison de Newgate qui accepteraient l’expérience. Le 9 août 1721, six prisonniers volontaires se virent inoculer par le chirurgien Maitland le virus de la variole, pour tester l’efficacité et l’innocuité de la variolisation, le tout sous la surveillance attentive d’un collège de médecins, chirurgiens, apothicaires, dont des membres de la Royal Society et du Royal College of Physicians. Tous survécurent et furent libérés. En 1796, c’est Jenner qui améliora l’expérience et expérimenta son procédé sur un enfant.


En 1741 a lieu une célèbre expérience, celle de l’Écossais James Lind, qui essaya et trouva un remède contre le scorbut qui faisait alors des ravages parmi les marins. Six groupes de deux marins furent constitués avec chacun un remède à tester : du cidre, du vinaigre, du vitriol dilué, de l’eau de mer, un mélange d’ail de raifort et de noix de muscade, et du jus d’orange et de citron. Il démontra l’efficacité de ce dernier et ce n’est que bien plus tard qu’on identifiera la vitamine C comme la substance prévenant le scorbut, d’où son nom d’acide ascorbique.


En 1784 a lieu en France un des premiers doubles essais en aveugle. Sur décision de Louis XVI, une commission composée, entre autres, de Lavoisier, de Guillotin et de Benjamin Franklin doit étudier les supposés effets du mesmérisme, qui était présenté comme un magnétisme animal aux vertus thérapeutiques et magiques. Le rapport démontre l’importance de l’imaginaire et de la croyance des patients et révèle ce que l’on n’appelle pas encore l’effet placebo.


Toujours en France, en 1835, Pierre Charles Alexandre Louis, médecin, démontre l’intérêt de faire des observations sur un grand nombre de patients et peu de temps après le Hongrois Semmelweis, grâce à un essai clinique, démontre l’intérêt du lavage des mains pour limiter la propagation des infections et ouvre ainsi la voie aux travaux de Pasteur.



Le temps des réglementations


À peu près à la même époque, aux États-Unis, un médecin nommé Beaumont signe un des premiers contrats d’expérimentation de l’histoire avec un jeune homme. Ce dernier, trappeur, avait reçu une balle qui avait formé une fistule permettant une observation de l’estomac par sonde. Beaumont devint l’un des pères de la gastro-entérologie moderne grâce à ces expériences.


Dès le début du XXe siècle, avec les progrès exponentiels de la biologie, le besoin d’expériences sur l’homme se fait sentir de plus en plus et le manque d’encadrement conduit inexorablement à des catastrophes. Ainsi Albert Neisser, découvreur du pathogène de la blennorragie (Neisseria gonorrhœae), s’essaye à l’injection de sérum de syphilitique sur des sujets sains, sans leur consentement, pensant pouvoir prévenir la maladie. En réponse, la Prusse réfléchit aux problèmes posés par l’expérimentation sur l’être humain, et par décret du 29 décembre 1900, impose l’obtention d’un consentement avec une information convenable. Elle interdit en outre les expérimentations sur les mineurs et les personnes incapables.


En 1901, une expédition scientifique américaine s’installe à Cuba dans le but de trouver un moyen d’endiguer la fièvre amarile. Un contrat fut rédigé avec des volontaires pour attester qu’ils s’inscrivaient de leur plein gré et étaient informés du risque encouru : ils se faisaient volontairement piquer par un moustique vecteur de la fièvre. En contrepartie, les participants se voyaient rémunérés.


En 1931, toujours en Allemagne, en pleine République de Weimar, survient un accident de vaccination contre la tuberculose où 77 personnes décéderont (on parle de la Lübeck Totentanz). Un autre texte, en date du 28 février 1931 est promulgué : « Directives concernant les thérapeutiques nouvelles et l’expérimentation scientifique de l’homme ». Ce texte renforce le précédent et réaffirme le principe de la nécessité du consentement du patient.


En 1937, suite aux incidents survenus en Allemagne, la France publie un arrêté en date du 19 juin sur « les essais en vue de l’application usuelle à la thérapeutique de produits pharmaceutiques nouveaux » : les essais avec des sérums ou des vaccins doivent faire l’objet d’une autorisation.


Pendant la Seconde Guerre mondiale, les nazis et les Japonais conduisirent d’inavouables recherches sur le corps humain, parmi lesquelles des expériences sur les frontières de la survie à l’hypothermie, à la décompression, à l’hyperpression, aux transfusions animales, aux pathogènes, à des toxiques ; mais aussi des stérilisations forcées par application de produits caustiques ou par utilisation de rayons ionisants sur les utérus, des expériences sur la régénération osseuse et musculaire… Ces exactions furent jugées lors du procès dit « procès des docteurs » de Nuremberg le 9 décembre 1946 conformément à l’ordre n˚ 68 du gouverneur militaire américain en Allemagne ; sur le banc des accusés se trouvaient vingt médecins et trois chercheurs.


Devant le vide juridique évident, les quatre juges du tribunal militaire ont compris le besoin d’avoir des repères internationaux sur l’éthique des recherches sur l’humain, et décidèrent de rédiger, avec l’aide d’experts (le professeur Andrew Ivy et le docteur Leo Alexander) le Code de Nuremberg. Ce Code institue le « consentement volontaire » en principe intangible, en condition sine qua non.



Les dix principes du Code de Nuremberg




1. Le consentement volontaire du sujet humain est absolument essentiel. Cela veut dire que la personne intéressée doit jouir de capacité légale totale pour consentir : qu’elle doit être laissée libre de décider, sans intervention de quelque élément de force de fraude, de contrainte, de supercherie, de duperie ou d’autres formes de contraintes ou de coercition. Il faut aussi qu’elle soit suffisamment renseignée, et connaisse toute la portée de l’expérience pratiquée sur elle, afin d’être capable de mesurer l’effet de sa décision. Avant que le sujet expérimental accepte, il faut donc le renseigner exactement sur la nature, la durée, et le but de l’expérience, ainsi que sur les méthodes et moyens employés, les dangers et les risques encourus ; et les conséquences pour sa santé ou sa personne, qui peuvent résulter de sa participation à cette expérience. L’obligation et la responsabilité d’apprécier les conditions dans lesquelles le sujet donne son consentement incombent à la personne qui prend l’initiative et la direction de ces expériences ou qui y travaille. Cette obligation et cette responsabilité s’attachent à cette personne, qui ne peut les transmettre à nulle autre sans être poursuivie.


2. L’expérience doit avoir des résultats pratiques pour le bien de la société impossible à obtenir par d’autres moyens : elle ne doit pas être pratiquée au hasard et sans nécessité.


3. Les fondements de l’expérience doivent résider dans les résultats d’expériences antérieures faites sur des animaux, et dans la connaissance de la genèse de la maladie ou des questions de l’étude, de façon à justifier par les résultats attendus l’exécution de l’expérience.


4. L’expérience doit être pratiquée de façon à éviter toute souffrance et tout dommage physique et mental, non nécessaires.


5. L’expérience ne doit pas être tentée lorsqu’il y a une raison à priori de croire qu’elle entraînera la mort ou l’invalidité du sujet, à l’exception des cas où les médecins qui font les recherches servent eux-mêmes de sujets à l’expérience.


6. Les risques encourus ne devront jamais excéder l’importance humanitaire du problème que doit résoudre l’expérience envisagée.


7. On doit faire en sorte d’écarter du sujet expérimental toute éventualité, si mince soit-elle, susceptible de provoquer des blessures, l’invalidité ou la mort.


8. Les expériences ne doivent être pratiquées que par des personnes qualifiées. La plus grande aptitude et une extrême attention sont exigées tout au long de l’expérience, de tous ceux qui la dirigent ou y participent.


9. Le sujet humain doit être libre, pendant l’expérience, de faire interrompre l’expérience, s’il estime avoir atteint le seuil de résistance, mentale ou physique, au-delà duquel il ne peut aller.


10. Le scientifique chargé de l’expérience doit être prêt à l’interrompre à tout moment, s’il a une raison de croire que sa continuation pourrait entraîner des blessures, l’invalidité ou la mort pour le sujet expérimental.


Le problème est que ce Code n’a pas de caractère contraignant du point de vue du droit international, et que certains le considéraient comme « un bon Code pour les barbares, mais un Code inutile pour les médecins normaux ». En conséquence, la communauté médicale des pays sortis vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale ne se sentit pas concernée par ce Code. C’est pourquoi, entre la fin des années 1950 et le début des années 1960, de nombreuses expériences immorales furent réalisées aux États-Unis (affaires de Brooklyn, de Willowbrook et de Tuskegee). C’est pourquoi l’Association médicale mondiale, a, lors de sa 8e assemblée en 1954, rédigé un texte à Rome, mais sans grande portée : « Resolution on Human Experimentation : Principles for Those in Research and Experimentation ». Mais l’intérêt de ce texte fut de conduire à la déclaration d’Helsinki.


En 1964, l’Association médicale mondiale, lors de sa 18e assemblée, entérine la déclaration d’Helsinki, qui sera plus tard amendée à de maintes reprises (la dernière version étant Helsinki VII-Corée, octobre 2008). Cette déclaration, bien qu’elle aussi non contraignante, a fortement influencé les législations nationale et européenne.


Ainsi en 1975, la CEE impose dans la directive 75/318/CEE les essais cliniques dans le cadre des AMM. Or la France n’autorise pas les essais cliniques… Il faudra attendre 1983 et la création d’un Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé ainsi que 1988 et la loi Huriet pour qu’enfin un cadre clair soit établi. Lors de l’examen de la proposition de loi, Claude Huriet explique le besoin impératif de légiférer : « le texte de la proposition de loi qui est soumis aujourd’hui à votre examen répond à un triple souci. Il s’agit de mettre fin à une situation juridique paradoxale, qui, en France, n’assure pas la protection de l’individu, place le médecin dans une situation illégale et qui plus particulièrement porte préjudice à l’industrie pharmaceutique ».


La loi Huriet fut portée par Claude Huriet (médecin) et par Franck Serusclat (pharmacien) ; elle est le premier texte législatif en matière de recherche biomédicale. Parmi ses nombreux apports, on peut souligner qu’elle a :



La loi Huriet sera complétée par la loi de 1994 relative au respect du corps humain. Et en 2001 paraissent, avec la directive européenne 2001/20/CE, de nouvelles « bonnes pratiques cliniques ».


La loi Huriet sera remplacée par la loi de 2004 relative à la santé publique. Cette dernière a remplacé les CCPPRB par les CPP : Comités de Protection des Personnes, dont l’avis favorable devient obligatoire. Elle renforcera les contrôles et durcira les conditions d’autorisation tout en augmentant les missions et responsabilités des promoteurs. La vigilance est placée sous le contrôle de l’Afssaps et une procédure simplifiée est créée pour « les soins courants ». En outre, la loi de bioéthique de 2011 vient s’ajouter à ces textes.


Le dernier texte d’importance venant compléter l’arsenal législatif sera la loi dite Jardé. Cette loi, qui aura mis 4 ans pour naître, créé un bloc commun à toutes les « recherches impliquant la personne humaine » : elles auront toutes un promoteur et devront recevoir l’avis favorable d’un CPP.


Au sein des « recherches impliquant la personne humaine », la loi Jardé créé trois catégories de recherches :


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May 4, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 13: Essais cliniques

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