Chapitre 13 Deuils compliqués et psychothérapie de soutien
Tous les deuils ne sont pas identiques. Certains sont brutaux, inattendus et accidentels, d’autres sont annoncés, prévisibles, parfois souhaités. Le deuil représente une expérience humaine obligatoire, et chaque individu l’éprouvera à plusieurs reprises dans son existence. Le monde occidental redoutant la souffrance et son expression estompe progressivement les rituels sociaux du deuil. Les règles sociales et les usages – voile, registre de condoléances, visite à la famille, cartes, etc. – tendent à disparaître. Porter le deuil ou l’exprimer par une marque vestimentaire sont devenus des pratiques plus rares. Or, le deuil d’une personne fonctionne comme un processus étagé dans la durée. Au début, les sentiments de tristesse, de détresse ou d’angoisse, et les pleurs sont continus. Progressivement, ils évoluent par vagues ou bouffées d’abord spontanées, puis initiées par une image ou une parole. Le deuil aigu s’inscrit dans les premières semaines et sensiblement dans les 3 premiers mois après une disparition. Puis s’installe un processus dit de travail de deuil où se mélangent la souffrance, la démoralisation, l’insomnie mais aussi une réflexion sur la perte ou un mélange d’acceptation et de renoncement.
Le processus de deuil fait progressivement évoluer les pensées tristes, les pleurs et les images de la personne défunte vers une constitution de souvenirs moins présents et moins douloureux. La dernière partie de ce processus de transition ouvre une porte vers la reprise d’un fonctionnement retrouvé dans l’existence et une ouverture vers d’autres projets et d’autres investissements.
Comment un deuil est-il compliqué ?
1. il existe une difficulté à admettre la mort de la personne, un sentiment d’incrédulité, comme si la réalité de sa disparition n’était pas admise ;
2. une amertume et plus souvent une colère peuvent être énoncées concernant la disparition de cet être proche ;
3. des bouffées d’émotions douloureuses associées à une nostalgie vis-à-vis de la personne défunte surgissent régulièrement ;
4. on trouve des pensées récurrentes autour de la personne disparue ; certaines, pouvant être intrusives, se manifestent à plusieurs moments de la journée ;
5. un comportement d’évitement des circonstances ou des lieux qui rappellent la personne décédée se manifeste.
Les symptômes du deuil compliqué comportent des intrusions de pensées, des signes d’évitement et des altérations du sommeil sous la forme d’insomnies mais aussi de cauchemars où la personne décédée se manifeste. Ces différents symptômes créent une véritable gêne dans la vie de l’individu, qu’elle soit professionnelle, familiale ou de loisirs. Pour certains, ces troubles doivent durer au moins 6 mois ; pour d’autres, le diagnostic de deuil compliqué ne peut se faire qu’après la date anniversaire d’un deuil, soit au moins 14 mois après la survenue du décès.
D’autres complications symptomatiques existent, tels des phénomènes de dissociation sous la forme de déréalité, de flottement, de suspension du temps, ou le sentiment d’être coupé de ses actions et de ses émotions. On peut également voir apparaître des hallucinations, surtout auditives. On parle d’hallucinations de veuvage. On entend la voix de la personne disparue et on éprouve le sentiment qu’elle vous a appelé. D’autres modalités hallucinatoires comprennent l’impression d’une présence derrière soi ou dans la pièce à côté.
Pourquoi un deuil est-il compliqué ?
Il existe plusieurs éléments qui rendent compte de la complication d’un deuil. Ils appartiennent à des théories explicatives différentes ou à des contextes variés.
Les théories de l’attachement
Elles rendent compte du processus relationnel qui se manifeste dans les familles mais aussi pour des amis. L’attachement s’est forgé au fil du temps, a été rendu plus solide par de nombreuses rencontres et une fréquentation de proximité selon Bowlby (1988). L’attachement a pu engendrer un sentiment de sécurité, prenant la forme d’un tuteur qui a pu soutenir une personne durant de nombreuses années. Cet attachement est pour partie lié avec l’amitié, l’affection ou l’amour. Le deuil représente une fracture dans ce processus. Plus l’attachement était intense, plus le deuil sera source de difficultés.
Le cramponnement à l’objet interne
Lorsque l’on a eu des sentiments, une relation affective avec quelqu’un, on a intériorisé un certain nombre d’images, de comportements ou de réactions qui participent à notre propre personnalité. Cette personne disparue nous donne le sentiment d’être vide, dépossédé, voire de devenir inexistant. Il s’agit d’un investissement narcissique qui participe à la constitution du sujet. Accepter de s’en séparer, de tourner une page, est presque impossible : cela revient à accepter de se séparer d’une part de soi-même.