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Chirurgie du genou arthrosique
Définition et épidémiologie
Le genou est la plus grosse articulation du corps humain, composée de trois compartiments : fémorotibial interne/externe et fémoropatellaire.
Le genou doit sa stabilité à l’appareil méniscoligamentaire et à l’enveloppe musculaire vue sa faible congruence articulaire.
L’appareil capsuloligamentaire et la forme des surfaces articulaires déterminent le mouvement tridimensionnel du genou sous forme d’un roulement-glissement autour d’un centre de rotation mobile.
La gonarthrose est une affection très fréquente qui consiste en une atteinte dégénérative des cartilages, pouvant concerner les trois compartiments du genou ou un seul. L’usure des cartilages des compartiments fémorotibiaux est la plus fréquente. Elle peut être complète et détruire l’os sous-chondral, entraînant une déviation frontale avec une distension progressive des ligaments et une luxation de l’articulation (figure 13.1).
Figure 13.1 Arthrose du genou avec l’atteinte cartilagineuse plus ou moins importante selon les compartiments.
L’arthrose a une prévalence d’environ 30 % chez les plus de 75 ans, elle est la résultante de phénomènes biologiques et mécaniques qui déstabilisent l’équilibre entre la synthèse et la dégradation du cartilage et de l’os sous-chondral.
Classification
La gonarthrose est une maladie évolutive et la connaissance de ses différents stades d’évolution permet de discuter du pronostic et du traitement. L’usure du cartilage et de l’os sous-chondral peut être mesurée sur des radiographies.
Nous utilisons la classification radiologique d’Ahlbäck pour l’arthrose fémorotibiale (figure 13.2) et celle d’Iwano pour l’arthrose fémoropatellaire (encadré 13.1).
Mécanisme, physiopathologie
La gonarthrose est avant tout un problème mécanique favorisé par :
• des déformations fémorotibiales (genu varum/usure interne, genu valgum/usure externe) ;
• des altérations des surfaces articulaires ;
• des séquelles traumatiques osseuses ;
• des sollicitations mécaniques anormales et répétitives de l’articulation ;
• des méniscectomies (perte du rôle d’amortisseur, de cale et de répartition des charges) ;
• des ruptures ligamentaires (la rupture du LCA est la cause la plus fréquente de gonarthrose chez le patient de moins de 45 ans) ;
• un système extenseur subluxé favorisant l’usure fémorotibiale externe ;
Parallèlement, des altérations biochimiques dans le cartilage (dont la qualité diminue avec l’âge) et une perte de ses propriétés mécaniques ainsi que des prédispositions génétiques favorisent le développement de la gonarthrose.
L’arthrose fémorotibiale est dite essentielle ou idiopathique lorsqu’aucun des facteurs cités ci-dessus n’est retrouvé. Elle est considérée comme une affection dégénérative de l’adulte âgé.
Manifestation clinique
Symptômes
Douleurs mécaniques évolutives (jour > nuit).
Tuméfaction de l’articulation (hydarthrose).
Sensation d’instabilité du genou, épisodes de lâchage et de blocage, en particulier lorsque des fragments cartilagineux se libèrent dans l’articulation.
Gêne fonctionnelle avec une limitation des activités, des loisirs puis douleurs devenant invalidantes au quotidien avec restriction du périmètre de marche, douleurs en terrain irrégulier, à la montée et/ou à la descente, et dans les escaliers.
Status
Morphotype (figure 13.3) : varus/valgus (mesuré par les distances intercondylienne et intermalléolaire respectivement). L’axe des membres inférieurs apporte des éléments quand aux zones articulaires surchargées, et il est important de le noter car il influencera une éventuelle voie d’abord chirurgicale.
Figure 13.3 Morphotypes.
A. Valgus caractérisé par la distance intermalléolaire DIM. B. Normoaxé. C. Varus caractérisé par la distance intercondylienne DIC. AMMI : axe mécanique du membre inférieur.
Marche : boiterie antalgique (appui monopodal écourté du côté douloureux), décoaptation (en raison de l’usure d’un des compartiments).
Mobilité des hanches : les douleurs arthrosiques de hanche peuvent se référer à la partie antérieure de la cuisse et du genou (nerf obturateur), raison pour laquelle le status clinique de la hanche fait partie de l’examen de base du genou.
État cutané : présence d’anciennes cicatrices indiquant des interventions à rechercher dans les antécédents du patient.
Épanchement intra-articulaire, signant une inflammation ou une atteinte ostéocartilagineuse intra-articulaire par le signe du glaçon. On le cotera en trois niveaux différents suivant son ampleur (+, ++, +++).
Mobilité en flexion-extension (FE) : la mobilité normale moyenne en FE d’un genou est de 140-0-5°. Il faudra noter la présence d’un éventuel flessum, et s’il est ou non réductible.
Examen des points douloureux de l’articulation, en particulier les interlignes articulaires fémorotibiaux interne, externe et fémoropatellaire, ainsi que les insertions proximales et distales des ligaments latéraux.
Testing ligamentaire : on notera la stabilité dans le plan sagittal et frontal en extension et à 30° de flexion (pseudo-laxité/rétraction des formations capsuloligamentaire) et la présence d’une déformation réductible ou non.
Tractus rotulien : palpation des points d’ancrage de l’appareil extenseur, pôle supérieur et inférieur de la patella, ainsi que de la tubérosité tibiale antérieure. Vérification de la course rotulienne, et de l’absence d’appréhension. Vérification de la compétence active du quadriceps à l’extension contre-résistance.
Trophicité musculaire, en particulier du quadriceps et des ischio-jambiers qui sont les moteurs du genou.
Examen neurovasculaire. Un déficit constaté sur un de ces deux plans appelle à des investigations complémentaires en cas d’intervention chirurgicale envisagée.
Examens complémentaires
Radiographies standards, incidences :
• genou de face AP (antéropostérieure) en charge (figure 13.4A), de profil à 30° de flexion (figure 13.5A) ;
Figure 13.4 Radiographie des genoux de face en charge (A) et selon Schuss (B) chez le même patient : gonarthrose fémorotibiale Ahlbäck 3 à droite et 2 à gauche.
Figure 13.5 Radiographies des genoux de profil (A, B) et en axial (C) des patellas.
La boule opaque sur le cliché A est un repère de facteur d’agrandissement.
• patella axiale à 30° (figure 13.5B) de flexion Schuss (figures 13.4B et 13.8A) ;
Figure 13.6 Axe mécanique et axe anatomique des membres inférieurs.
L’axe mécanique (en rouge) relie le centre de la tête fémorale au centre de la cheville. L’axe anatomique (en bleu) relie deux droites passant par le centre des diaphyses du fémur et du tibia. L’angle entre l’axe anatomique et l’axe mécanique est de ± 6° de valgus pour le fémur et de ± 3° de varus pour le tibia en règle générale.
Figure 13.7 Radiographie des membres inférieurs totaux en charge (MIT) : gonarthrose interne varisante avec axe mécanique passant par le bord interne du plateau tibial interne des deux membres inférieurs.
Figure 13.8 Radiographie des genoux selon Schuss (A) et MIT (B) : morphotype en valgus avec axe mécanique passant par le milieu du plateau tibial externe et gonarthrose fémorotibiale externe Ahlbäck 3.
• et pangonogramme en charge (radiographie des membres inférieurs totaux) (figures 13.6, 13.7 et 13.8B). Celui-ci permet d’évaluer le morphotype, les axes mécanique et anatomique des membres inférieurs.
Radiographie en stress valgus forcé en cas de varus et vice versa, permettant de quantifier la réductibilité en cas de morphotype non normoaxé.
L’examen radiologique standard est en général suffisant pour le bilan d’une gonarthrose. Il doit toujours être le premier examen complémentaire à effectuer (avant l’IRM, qui est utile dans les stades précoces afin d’éclaircir le diagnostic différentiel).
Diagnostic différentiel
arthrites inflammatoires (bilan biologique) ;
déchirure méniscale (IRM complémentaire, cf. chapitre 14) ;
Cas particulier de l’ostéochondrite disséquante
Elle survient généralement chez un sujet jeune, de sexe masculin dans 75 % des cas.
Elle est presque toujours localisée au condyle fémoral interne, à son bord axial (figure 13.9).
• des douleurs d’effort avec boiterie d’évitement ;
• des blocages vrais avec lâchage et ressaut ; parfois on peut retrouver la « souris articulaire », un corps fuyant sous le doigt à l’examen clinique.
En plus du bilan radiologique standard, une incidence dite en « tunnel » permet souvent de mieux visualiser la lésion. Une IRM sera effectuée afin d’avoir un bilan précis des lésions.
Une classification arthroscopique existe (figure 13.10).
Il n’y a pas de traitement médical, la décharge antalgique peut faire passer un cap pour un fragment non détaché.
Le traitement chirurgical est indispensable si le fragment est détaché.
Traitement
La prise en charge doit toujours commencer par un traitement conservateur sous forme de physiothérapie. Celle-ci a pour but d’améliorer la lubrification et la nutrition du cartilage, uniquement assurée par le liquide articulaire. Elle a aussi pour but de maintenir l’amplitude articulaire et la force musculaire.
Elle est associée à la prise d’antalgique et/ou d’AINS, voire de viscosupplémentation et cure de sulfate de chondroïtine pour autant que le stade arthrosique reste précoce.
Le patient doit également diminuer ses activités sportives et perdre du poids en cas de surcharge pondérale, pour éviter des surcharges mécaniques sur un cartilage déjà fragilisé.
En cas d’échec de ce dernier, nous pouvons discuter des différentes alternatives chirurgicales qui se divisent en trois types : les ostéotomies, la prothèse unicompartimentale et la prothèse totale de genou.
Nous ne parlerons pas de toilette articulaire sous arthroscopie qui n’apporte qu’une amélioration transitoire dans le meilleur des cas, ni de l’arthrodèse qui reste une solution de sauvetage.
L’analyse systématique du patient, de ses antécédents, de ses plaintes fonctionnelles, de ses motivations, associée à l’examen clinique et radiologique, permet d’éclaircir le choix thérapeutique. Souvent, l’indication chirurgicale est un compromis et un choix que font, ensemble, patient et chirurgien.