13 Approche psychothérapeutique des patients souffrant de troubles psychiques en rapport avec le travail
Dans ce chapitre nous ne discuterons que la dimension relevant spécifiquement du travail dans la démarche psychothérapeutique. La construction de l’identité, qui est au fondement de la santé mentale individuelle, se joue en effet dans deux champs : dans le champ érotique d’une part, et la construction de l’identité passe ici par l’amour ; dans le champ social d’autre part, et la construction de l’identité passe là par le travail (cf. Partie I). Les deux champs de construction (érotique et social) de l’identité sont foncièrement différents et sont organisés, selon des logiques spécifiques (l’amour et le travail) que tout oppose. Cette différence essentielle entre les dynamiques qui structurent les deux champs n’implique pas pour autant une indépendance entre eux. Ce qui se passe dans l’un des deux champs peut avoir des conséquences sur l’autre. De sorte que les conflits surgissant dans la sphère du travail peuvent affecter la sphère de l’amour, et réciproquement. Dans certains cas toutefois on découvre une sorte d’étanchéité entre les deux sphères. Mais alors la rigidité de la séparation n’est pas donnée. Elle est intentionnellement établie par le sujet, et cette étanchéité a une fonction spécifique dans l’organisation mentale. Cette dernière peut être décrite comme un « clivage du Moi » ; c’est-à-dire comme un dispositif permettant en quelque sorte la coexistence, à l’intérieur d’une même personnalité, de deux modes de fonctionnement psychique qui se déploient à l’insu l’un de l’autre. Un sujet, dont la vie privée et familiale en impose pour une personnalité sensible et généreuse, fonctionne au travail comme une véritable brute qui n’hésite pas à persécuter ses collègues ou ses subordonnés. Mais la formule inverse existe aussi : un sujet particulièrement serviable et solidaire dans ses relations professionnelles, se révèle comme un monstre ou un tyran dans la sphère domestique. Ce double fonctionnement de type Dr Jekyll and Mr Hyde, ne sera pas ici étudiée, parce qu’il soulève des problèmes de technique psychothérapeutique trop complexes pour être abordés dans le cadre de ce volume. Nous nous en tiendrons donc au cas plus commun, où les deux sphères de l’amour et du travail, bien que différenciés, ont, l’une sur l’autre des effets réciproques.
Deux principes guident la démarche psychothérapeutique :
• l’analyse du rapport subjectif au travail est une voie d’accès à la connaissance du patient et de son fonctionnement psychique ;
• pour avoir accès au rapport subjectif au travail, il faut remonter jusqu’au réel du travail et à la souffrance qu’il engendre ; et on ne peut pas s’en tenir à l’exploration des relations entre les individus telles qu’on les envisage dans la clinique conventionnelle (il faut examiner comment le rapport au travail contribue à structurer les relations entre les individus).
Organisation du travail
On sait que ce sont électivement les contraintes organisationnelles qui mettent en cause l’organisation mentale et le fonctionnement psychique du patient. C’est pourquoi il convient de pousser l’investigation jusqu’à ce que le patient parle du décalage entre les prescriptions qui encadrent le travail et le travail effectif qu’il accomplit (décalage entre tâche et activité). L’important est de saisir ce qui fait obstacle à la maîtrise technique, ce qui gêne le chemin à parcourir pour atteindre l’objectif fixé. Le clinicien ne peut pas s’en tenir à ce qu’il connaît en général de ce métier dont parle le patient. Il doit s’efforcer au contraire de saisir comment le patient pense personnellement et spécifiquement son rapport aux difficultés de la tâche. Et il convient de faire porter principalement l’investigation sur le rapport individuel au réel.
Coopération
Dans un deuxième temps seulement, il devient utile de comprendre comment les autres interfèrent avec les efforts faits par le patient. Comment les supérieurs hiérarchiques interviennent-ils ? Comment les collègues agissent-ils, réagissent-ils, coopèrent-ils ou se dérobent-ils, comment se construisent, s’entretiennent ou se détruisent les relations de confiance ? La coopération n’est pas seulement un « travailler ensemble » avec les collègues de même niveau hiérarchique. Elle implique aussi les chefs. Aussi est-il utile de préciser si la hiérarchie s’en tient à un management entre prescription et contrat d’objectif d’une part, mesure de la performance d’autre part, assorti de menaces sur les primes, les mutations ou l’emploi ; ou si au contraire la hiérarchie apporte une aide, voire une assistance technique lorsque le patient se heurte à des difficultés particulières dans l’exercice de son travail professionnel. La forme concrète de la coopération verticale joue un rôle important dans la souffrance comme dans le plaisir au travail (entre mépris et reconnaissance).
Évaluation
On sait qu’aujourd’hui en raison des nouvelles formes d’organisation du travail et de gestion, la solitude dans un environnement social hostile est devenue l’un des éléments majeurs dans la genèse de la souffrance au travail et dans la déstabilisation de l’équilibre psychique. De ce fait, il est important d’accorder de l’attention aux changements, et à la nature de ces changements, qui ont éventuellement été introduits dans les méthodes d’organisation du travail, dans les contraintes de temps et d’objectifs, dans les formes de gestion, et surtout dans les méthodes d’évaluation en usage dans l’entreprise. On s’intéressera en particulier à la façon dont le patient réussit ou échoue à penser les décalages inévitables entre le « travailler » (c’est-à-dire l’expérience subjective des difficultés occasionnées par le réel du travail et leur surmontement) d’une part, les formes, méthodes, instruments et dispositifs d’évaluation d’autre part.

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