Chapitre 12 Soins intensifs
La médecine des soins intensifs concerne principalement la prise en charge, dans une unité spécialisée, d’un patient atteint d’une affection potentiellement mortelle, dite en phase critique. Elle comprend également la réanimation et le transport de personnes tombées gravement malades ou victimes de blessures à l’intérieur ou à l’extérieur de l’hôpital. Une unité de soins intensifs (USI) dispose des installations et de l’expertise pour fournir une assistance cardiorespiratoire à ces malades, dont certains peuvent être également en insuffisance rénale ou hépatique ; le traitement de ces complications est décrit dans les chapitres correspondants.
Tous les patients admis aux soins intensifs nécessitent des soins infirmiers spécialisés (il faut une infirmière, ou un infirmier, par patient) ainsi que de la physiothérapie. De nombreux patients nécessitent un soutien nutritionnel ; dans ce cas, la voie entérique, quand elle est possible, est toujours préférable (voir chap. 3). Les soins généraux comprennent le traitement de la douleur et de la détresse avec des analgésiques et des sédatifs selon les besoins, la prévention des thromboses veineuses, des escarres et de la constipation, ainsi que des perfusions d’insuline pour normaliser la glycémie. Afin de prévenir l’ulcère gastroduodénal de stress, des antagonistes des récepteurs H2 sont indiqués chez certains patients à haut risque. Divers systèmes de stadification, comme APACHE (Acute Physiologyand Chronic Health Evaluation), sont utilisés pour l’évaluation de la gravité de la maladie et de son évolution.
Sélection des patients – abstention et interruption du traitement
Il est essentiel que seuls les patients susceptibles de bénéficier de soins intensifs soient admis dans l’unité. Pour certains patients en phase critique, l’entrée dans une l’USI est inappropriée, car le pronostic est clairement désespéré, et cela ne fera que prolonger leur agonie et leurs souffrances ainsi que celles de leurs proches ; une telle admission consomme également des ressources limitées sans bénéfice pour le malade. Une décision de ne pas admettre un patient à l’USI est fondée sur son état de santé et sa qualité de vie antérieurs, le diagnostic et le pronostic de l’affection sous-jacente. Ces décisions devraient être prises en conjonction avec le personnel médical et infirmier, les patients et les proches, et consignées dans les dossiers médicaux.
Systèmes d’intervention et d’alerte précoces
Dans un hôpital pour cas aigus, l’état d’un patient présent dans un service général peut se détériorer soudainement et nécessiter des soins plus attentifs. Son identification rapide et l’instauration d’un traitement par des spécialistes permettront souvent d’éviter qu’un stade critique ne soit atteint. L’organisation d’un système d’intervention et d’alerte précoces permet d’assurer la qualité de la prise en charge de ces patients qui vise trois objectifs :
• éviter l’admission dans l’USI ou s’assurer qu’elle le soit en temps opportun par la détection précoce des patients dont l’état se détériore ;
• permettre la sortie de l’USI en aidant le processus de récupération auquel doivent participer les proches dans et hors de l’hôpital ;
• partager les compétences en soins intensifs avec le personnel dans et hors de l’hôpital.
Un collapsus terminal cardiovasculaire, neurologique ou respiratoire est souvent précédé par une période d’anomalies physiologiques au cours de laquelle une vie peut être sauvée par une intervention thérapeutique précoce. Le score modifié d’alerte précoce (Modified Early Warning Score [MEWS], tableau 12.1) est fondé sur l’ensemble des observations de routine dans un service hospitalier ; c’est un détecteur des signaux d’alarme qui requièrent des soins prioritaires immédiats. Les protocoles hospitaliers varient, mais en général un score MEWS de 4, ou plus, indique la nécessité d’une réévaluation médicale urgente, pouvant aboutir à l’admission en USI.
Perturbations aiguës de la fonction hémodynamique (choc)
Le terme « choc » décrit une insuffisance circulatoire aiguë rendant la perfusion des tissus inadéquate ou inappropriée, ce qui réduit leur oxygénation. Initialement, les effets sont réversibles, mais une privation prolongée d’oxygène perturbe de manière critique les processus des cellules, entraîne leur nécrose ainsi que la défaillance terminale des organes et la mort du patient. Le diagnostic et le traitement d’un choc doivent donc être aussi rapides que possible. Le tableau 12.2 énumère les causes de choc. Celui-ci est souvent la conséquence d’une combinaison de ces facteurs ; par exemple, en cas de sepsis, le choc distributif est souvent compliqué par une hypovolémie et une dépression myocardique.
Hypovolémique (précharge réduite) |
Hémorragie : traumatismes, saignements gastro-intestinaux, fractures, rupture d’anévrisme aortique Perte de liquide : brûlures, diarrhée sévère, occlusion intestinale (accumulation de liquide dans l’intestin) |
Cardiogénique (défaillance cardiaque) |
Infarctus du myocarde Myocardite Arythmies auriculaires ou ventriculaires Bradycardies Rupture d’une cuspide valvulaire |
Obstructif |
Obstacle à l’écoulement : embolie pulmonaire massive, pneumothorax sous tension Remplissage cardiaque insuffisant : tamponnade cardiaque, péricardite constrictive |
Distributif (diminution de la résistance vasculaire systémique) |
Dilatation vasculaire : médicaments, sepsis Shunt artérioveineux Distribution inadéquate du flux sanguin, par exemple septicémie, anaphylaxie |
Physiopathologie
Voie sympathico-adrénalienne. Une hypotension déclenche une augmentation réflexe de l’activité nerveuse sympathique et la libération de catécholamines par la médullaire surrénale. La vasoconstriction et l’augmentation de la contractilité myocardique et du rythme cardiaque qui en résultent rétablissent la pression artérielle et le débit cardiaque. L’activation du système rénine–angiotensine conduit aussi à la vasoconstriction et à la rétention de sel et d’eau, ce qui contribue à restaurer le volume circulant.
Réponse neuroendocrinienne
Des hormones hypophysaires sont sécrétées : ACTH, vasopressine et opioïdes endogènes. La libération de cortisol provoque une rétention hydrique et s’oppose aux effets de l’insuline. Cependant, dans le choc septique, la production du cortisol sous l’effet de l’ACTH est atténuée ; on en ignore la raison. La sécrétion de glucagon ainsi que des catécholamines élève la glycémie.
Libération de médiateurs
Une infection grave, de vastes zones de tissus endommagés (par exemple après un traumatisme ou une chirurgie extensive) ou des épisodes prolongés ou répétés d’hypoperfusion peuvent déclencher une réaction inflammatoire avec activation massive de leucocytes, du complément et de la cascade de coagulation. Le processus est bénéfique quand il est limité à des foyers infectieux ou de tissu nécrosé, mais son extension peut entraîner un choc et des lésions tissulaires diffuses.
• Des composants de la paroi cellulaire des bactéries à Gram négatif (lipopolysacharride) et à Gram positif (par exemple acide lipotéichoïque) forment un complexe avec des protéines spécifiques sériques avant de se lier à un marqueur de surface cellulaire (CD14) et de déclencher une cascade de réactions partant des récepteurs membranaires de type Toll et se propageant dans la cellule par diverses voies de signalisation (MYD 88, NF-κB). Celles-ci aboutissent à la libération d’espèces réactives oxygénées et azotées qui tuent les bactéries, ainsi que de cytokines qui déclenchent l’inflammation (facteur de nécrose tumorale, interleukine–1 et –6) et la réponse métabolique ; en réaction, des cytokines anti-inflammatoires (interleukine–10) sont, à leur tour, libérées et, si elles sont produites en excès, elles peuvent inhiber le système immunitaire.
• Les cytokines pro-inflammatoires favorisent l’adhérence des leucocytes activés à la paroi vasculaire et leur migration extravasculaire, ce qui entraîne des lésions tissulaires et une dysfonction d’organe.
• Le facteur d’activation plaquettaire et des enzymes lysosomiques (en convertissant les kininogènes inactifs en kinines vasoactives) augmentent la perméabilité vasculaire.
• L’oxyde nitrique produit par les cellules endothéliales vasculaires sous l’influence de certaines cytokines induit une vasodilatation, une hypotension et une réactivité atténuée aux médiateurs adrénergiques.
Modifications microcirculatoires
Le choc septique commence par une vasodilatation, une augmentation de la perméabilité capillaire avec œdème interstitiel et shunt artérioveineux. Ces processus surviennent également dans le choc anaphylactique. Au début d’autres formes de choc et dans les phases plus tardives du sepsis et de l’anaphylaxie, le sang est séquestré dans les capillaires. Sous l’effet de la pression, le liquide sort dans l’espace extravasculaire et provoque de l’œdème interstitiel, une hémoconcentration et une augmentation de la viscosité du plasma.
Système de coagulation
Le système de coagulation est activé dans toutes les formes de choc, ce qui entraîne l’agrégation plaquettaire, une thrombose intravasculaire généralisée et une insuffisance de la perfusion tissulaire ; c’est le développement de la coagulation intravasculaire disséminée (CIVD, voir chap. 5).
Défaillance progressive d’un organe
Une telle défaillance peut se développer en raison de la réaction inflammatoire systémique et des modifications microcirculatoires. Dans le syndrome de dysfonction d’organes multiples (DOM), aussi appelé « défaillance multiviscérale » (DMV), les poumons sont généralement les premiers touchés par le développement du syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA). La mortalité en cas de DMV est élevée, et le traitement est symptomatique.
Caractéristiques cliniques
Les antécédents indiquent souvent la cause du choc ; par exemple, un patient souffrant de blessures graves (en général internes et donc cachées) court le risque de développer un choc hypovolémique. Un patient qui a souffert d’ulcère gastroduodénal peut saigner dans son tractus digestif ; du méléna sera alors détecté au toucher rectal. Le choc anaphylactique se développe chez des personnes allergiques aux piqûres d’insectes ou à certains aliments (encadré 12.1 – Urgence).
• Choc hypovolémique. L’augmentation du tonus sympathique provoque une tachycardie (pouls > 100/min), des sueurs et une vasoconstriction périphérique (le sang est redirigé de la périphérie vers les organes vitaux). Celle-ci diminue la perfusion tissulaire, rend la peau froide et moite et ralentit le remplissage capillaire (> 3 secondes), dont la vitesse est évaluée par compression pendant 5 secondes d’un doigt du patient et comptage du nombre de secondes pour qu’ensuite la peau reprenne sa teinte rosée. La pression artérielle (en particulier en position couchée) peut être maintenue au départ, mais l’hypotension survient plus tard (PA systolique < 100 mmHg) avec oligurie, tachypnée, confusion et agitation.
• Choc cardiogénique. D’autres caractéristiques cliniques sont celles d’une insuffisance cardiaque aiguë, par exemple une augmentation de la pression veineuse jugulaire (PVJ), un pouls alternant (alternance d’impulsions fortes et faibles), un rythme dit de « galop » (3e et 4e bruits cardiaques supplémentaires), crépitements aux bases et œdème pulmonaire.
• Choc mécanique. En cas de tamponnade cardiaque, les bruits du cœur sont étouffés, le pouls est paradoxal (le pouls s’atténue à l’inspiration), la PVJ est élevée et montre le signe de Kussmaul (elle augmente à l’inspiration). Une embolie pulmonaire massive se manifeste par des signes de fatigue du cœur droit, avec une élévation de la PVJ et des ondes « a » éminentes, un soulèvement du ventricule droit et une accentuation du second bruit pulmonaire.
• Choc anaphylactique. Les symptômes apparaissent habituellement 5 à 60 minutes après l’exposition à l’allergène. L’importante vasodilatation rend la peau chaude et provoque de l’hypotension. Les autres manifestations peuvent être de l’urticaire, un œdème de Quincke, une respiration sifflante et une obstruction des voies aériennes supérieures en raison d’un œdème laryngé.
• Le sepsis est une infection associée à une réaction inflammatoire systémique (tableau 12.3), qui peut s’aggraver et évoluer vers un sepsis grave et/ou un choc septique. Un sepsis chez les personnes âgées ou chez les sujets immunodéprimés se manifeste en général sans les caractéristiques cliniques classiques d’une infection. Le syndrome de réaction inflammatoire systémique se développe également à la suite de graves brûlures, de traumatismes et de pancréatite aiguë et ces états peuvent donc simuler une infection.
Encadré 12.1 – Urgence Choc anaphylactique
Des symptômes et des signes typiques (voir tableau 12.3) se développent après une exposition à un agent connu pour être capable de déclencher une anaphylaxie.
‣ Supprimer le facteur déclenchant, par exemple cesser l’administration du médicament en cause
‣ Oxygénothérapie à haut débit
‣ Adrénaline : en cas de réactions mettant la vie en danger (détresse respiratoire ou choc), injecter par voie intramusculaire 0,5 ml d’une solution à 1/1 000 (500 μg). Répéter après 5 minutes en l’absence d’amélioration clinique. Ne recourir à la voie intraveineuse (5 ml 1/10 000) que si le cœur s’arrête. Pour les patients sous amitriptyline, imipramine ou β-bloquant, la dose d’adrénaline est réduite de moitié.
‣ Liquides, 500–1 000 ml de solution saline à 0,9 % IV
‣ Chlorphénamine (antihistaminique), 10 mg IM ou IV pendant 1–2 minutes
‣ Hydrocortisone, 200 mg IM ou IV pendant 1–2 minutes
‣ Hospitalisation des patients pour observation (6–8 heures) en raison du risque de réaction tardive
‣ Prévention de futures attaques. Consulter un immunologiste ou un allergologue, identifier l’allergène responsable (anamnèse poussée, tests cutanés, tests d’anticorps sériques par RAST ou ELISA). Le patient qui a eu une crise d’anaphylaxie et qui risque d’en vivre une autre devrait avoir sur lui une seringue préremplie d’adrénaline pour auto-administration (par exemple dispositif EpiPen®) et porter un bracelet d’informations appropriées.