12: Préambule


Préambule






Histoire du médicament



Du néant…


La notion de médicament est quasiment aussi ancienne que l’origine de l’humanité. Certains archéologues pensent que l’homme de Néandertal se soignait déjà. En effet, furent retrouvées dans le tartre de leurs dents, des traces de camomille (Chamaemelum nobile Asteraceae), d’éphédra (Ephedra altissima Ephedraceae), de rose trémière (Althaea rosea Malvaceae), ainsi que de centaurée (Centaurea solstitialis Asteraceae)… Or ces plantes n’ont aucune vertu nutritive, il en a donc été déduit qu’elles avaient été utilisées pour leurs vertus médicinales.


À l’aube des temps, le médicament se lie intimement à la notion de magie, de chamanisme, et dans certaines cultures, cette notion existe toujours. Ainsi le médicament primitif faisait partie intégrante d’un rite où l’on utilisait des drogues afin d’entrer en transes, de contacter les Esprits ou les Dieux.




En Égypte


Plus tard, on retrouve en Égypte trois papyrus fondamentaux pour l’étude du médicament dans l’Antiquité : le papyrus de Smith, le papyrus de Brugsch et surtout le papyrus d’Ebers (figure 12.1). Ce dernier date de 1538 avant Jésus-Christ, il fait état de remèdes que l’on ne peut dissocier d’incantations et de formules au caractère divin. Les ingrédients sont parfois peu engageants, comme des déjections de mouche, de pélican ou encore de chauve-souris, de l’urine de femme, des yeux de porc, du sperme. Pour autant, malgré ces substances insolites, les autres ingrédients sont tout à fait rationnels comme l’aloès, l’absinthe, l’aneth, l’anis, le sulfate de cuivre, l’alun, le tilleul, la gomme arabique…La thérapeutique égyptienne est très évoluée : en effet, les collyres et pommades ophtalmiques sont monnaie courante, de même que l’opération de la cataracte. Les Égyptiens connaissent bon nombre de préparations galéniques qui n’ont rien à envier à celle du XIXe siècle : pilules, onguents, potions, cataplasmes, clystères.





En Grèce


On ne peut comprendre l’histoire du médicament sans aborder la Grèce antique, patrie d’Asclépios dieu de la médecine et de sa fille Hygie déesse de la Santé (figure 12.2). C’est la coupe de cette dernière et le serpent qu’elle tient qui formeront l’emblème de la pharmacie, emblème dont la première trace remonte à 1222 (où il fut utilisé pour la première fois par des apothicaires de Pise et de Padoue pour ne réapparaître qu’en 1796 sur les jetons de la société de pharmacie de Paris). En Grèce, les guérisseurs forment par ailleurs la caste des Asclépiades (figure 12.3).




Plusieurs « écoles » de médecine furent créées : celle de Crotone et celle d’Alexandrie où officiaient Hérophile de Chalcédoine et Erasistrate de Céos. Bénéficiant de l’ouverture d’esprit des Ptolémée, ils purent disséquer des humains (voir en ce sens « Le temps des expériences », Chapitre 13).



Asclépios


Asclépios ou Esculape chez les Romains, est le dieu de la médecine et l’un des héros d’Homère qui le mentionne à deux reprises dans L’Iliade (II, 731 et IV, 194 sqq). Fils d’Apollon, il fut sauvé in extremis du ventre de sa mère, qui fut brûlée par le dieu pour sa relation adultère avec un mortel. Il fut nourri par une chèvre et protégé par un chien de troupeau.


Plus grand, il fut alors confié au centaure Chiron, qui devint son percepteur et lui enseigna l’art de la médecine et l’immortalité. Il devient le roi de Trikka en Thessalie et eut deux fils, Machaon et Podalirios qui devinrent de célèbres médecins du camp grec à la guerre de Troie, ce dernier fonda les Asclépiades dont Hippocrate fut le membre le plus célèbre. Asclépios eut également deux filles : Hygie, déesse de la santé et Panacée, déesse des remèdes (on lui prête d’autres filles : Acéso, Iaso et Eglé).


Asclépios apprit d’Athéna comment ressusciter les morts avec le sang des Gorgones. Il ressuscita alors le fils d’Hippolyte et le fils de Minos ce qui provoqua l’ire de Zeus qui décida alors de le foudroyer.


Un culte lui était voué à Epidaure où de nombreux pèlerins venaient dans l’espoir d’être guéris par incubation, au sens historique du terme, c’est-à-dire en dormant dans le temple et en écoutant les conseils du dieu se manifestant dans leurs rêves.


Le bâton d’Asclépios autour duquel s’entoure un serpent et qui est surmonté du miroir de la prudence est l’emblème de la médecine. C’est un même serpent qui prend place sur le bras d’Hygie. En effet le serpent, contrairement dans la chrétienté, n’est pas associé à l’image du mal. D’ailleurs les serpents d’Asclépios sont non venimeux, et plusieurs d’entre eux étaient entretenus dans l’espace sacré du temps d’Epidaure (le Hiéron).


Il faut noter que l’emploi du mot caducée, bien que commun, est erroné aussi bien pour parler de l’emblème des médecins que des pharmaciens. En effet le caducée est l’attribut d’Hermès (ou Mercure en latin), et est un bâton ailé entouré de deux serpents.


Une autre école fut célèbre : l’école de Cos, l’école d’Hippocrate, « le père de la médecine ». Il naquit en 460 avant Jésus-Christ, étudia quelque temps en Égypte et sur l’île de Cos et s’installe en Thessalie où il exerce et enseigne. Il synthétise les connaissances anciennes et celle de l’époque : il rédige bien évidemment le serment éponyme et on lui attribue environ 70 ouvrages, bien que certains soient en fait ceux de ces disciples comme Polybe qui décrit dans La Nature de l’Homme la théorie des humeurs énoncée par son maître. Cette théorie selon laquelle les maladies du corps humain s’expliquent par un déséquilibre entre quatre humeurs : le sang, élément chaud-humide, le phlegme (ou pituite ou lymphe), froid et humide, la bile, jaune, chaude et sèche, et enfin l’atrabile ou bile noire, froide et sèche (figure 12.4). Afin de corriger ces déséquilibres, le médecin doit faire attention à l’alimentation du malade, et peut utiliser des purgatifs, des laxatifs, des diurétiques, etc. Hippocrate essaye d’apporter une certaine rationalité à la médecine et de se démarquer ainsi de la magie ou du religieux. D’autres médecins grecs furent renommés, comme Théophraste, un remarquable médecin botaniste qui écrivit De historia plantarum.



En Grèce, le médicament est géré certes par les médecins, mais aussi par des corps de métiers particuliers comme les rhisotomos, chargés de la cueillette des plantes médicinales, les pharmacopoles, sortes de droguistes, et dans une certaine mesure, les myrepses en charge des parfums.



Rome


Rome et l’empire furent un berceau pour de grands noms de la médecine et de la pharmacie. On peut citer Pline l’ancien, Dioscoride et Celse ; tous décrivirent la fabrication de nombreux médicaments, à base de plantes, d’animaux ou de minéraux. Dioscoride, se place la droite lignée de Théophraste, qui dans sa célèbre De materia medica, décrit non seulement les remèdes, mais aussi les plantes qui servent à les fabriquer, et instaure des notions de toxicologie dans ses ouvrages.


Mais le personnage le plus célèbre sera Galien (figure 12.5), appelé « le père de la pharmacie », car il s’attachera à décrire avec soin la fabrication des médicaments. Il naquit à Pergame, en Asie Mineure, autour de 130 après Jésus-Christ. Après de nombreux voyages, il devient le médecin personnel des empereurs Marc Aurèle, Commode et Septime Sévère. Inlassable chercheur, en soif de connaissances, il devient un adepte de la dissection des animaux, mais se refuse à disséquer les hommes, et réaffirme l’importance de l’observation et de l’expérimentation.



C’est à Rome qu’Andromaque, médecin de Néron, réinvente un ancien mélange appelé mithridate et l’appelle thériaque. Les médecins d’alors étaient chargés de la préparation des médicaments et c’était un ensemble de castes qui était chargé de cueillir et gérer les plantes : les pigmentarii, les ungentarii et les aromatarii. La médecine était aussi pratiquée dans les camps militaires comme à Neuss où l’on retrouva une infirmerie avec des résidus d’aneth, de coriandre, de centaurée, de fenugrec, de verveine et de jusquiame.




En Gaule


Si Astérix et Obélix ont popularisé l’époque gauloise, ils ont aussi ancré de fausses idées sur ce peuple. Mais ce ne sont pas les seuls à blâmer : Jules César, en vainqueur, a écrit l’histoire, et a fait des Gaulois un peuple combattant torse nu, vivant dans des huttes, alors qu’il n’en était rien. Napoléon III, cherchant à recréer l’identité française, perpétuera ces mythes de nos fiers ancêtres les Gaulois…


En réalité, les Gaulois étaient un peuple évolué, avec de bonnes connaissances en médecine et en pharmacie. La population était répartie en caste, les druides (les « très savants ») étant les plus puissants et les plus instruits. À l’intérieur de la caste des druides, existaient plusieurs sous-castes organisées de façon complexe.


Par ordre d’importance, on peut en citer quelques-unes : Les druides proprement dits, magistrats, instructeurs, théologiens, puis venait les ovates ou eubages, des devins, médecins, férus d’astronomie et de sciences naturelles, qui servaient de prêtre auxiliaire auprès des druides, et enfin venaient les bardes, gardiens des poèmes. Les femmes des druides étaient les alraunes, à moitié sorcières, infirmières et sages-femmes.


Les Gaulois connaissaient et vénéraient de nombreuses plantes, à commencer par le gui, la verveine et le lycopode, mais aussi l’ail, la santonine, le nard celtique, le samolus, la petite centaurée, l’armoise et l’absinthe, la chélidoine, le lierre…. Nombre de ces plantes et de leurs utilisations sont décrites dans le traité De mendicamentis liber de Marcellus Burdigalensis, qui associe les remèdes de Pline l’ancien, ceux des médecins grecs et ceux du peuple gaulois. La préparation des médicaments n’était pas étrangère à nos ancêtres puisque plusieurs vestiges en témoignent, notamment une stèle du IIe siècle dite « stèle de la pharmacienne » (figure 12.6). L’on sait également que le peuple gaulois avait une très grande connaissance de l’ophtalmologie, sans savoir pourquoi cet art médical était si développé (on a retrouvé de nombreux cachets d’oculiste avec des formules de collyres en Gaule et de nombreux ex-voto dans le sanctuaire des sources de la Seine, actuellement conservés au musée Archéologique de Dijon).




Dans le monde arabe


C’est un passage important de l’histoire du médicament. En effet, c’est grâce aux scientifiques arabes que le flambeau des connaissances passera de l’Antiquité au Moyen-Âge : ce sont eux qui ont réintroduit et amélioré la médecine perdue de la Grèce et de Rome en Europe.


La rencontre de la connaissance gréco-romaine et arabe aura lieu avec l’exil de Chrétiens dissidents, les nestoriens, qui fonderont en Perse une école de médecine. Par la suite, de nombreuses écoles de médecine seront créées dans le monde arabe, et en particulier en Espagne comme à Cordoue.


À Bagdad, centre incontournable du monde arabe, seront créés les ancêtres des pharmaciens : les sayadila, profession réglementée et spécialisée dans la fabrication et la délivrance des médicaments. Les Arabes érigeront la pharmacie comme un art à part entière dont la place légitime est aux cotés de la médecine. Ainsi Cohen el Attar rapportait que : « La pharmacie, l’art des drogues et des boissons, est la plus noble des sciences avec la médecine ».



Parmi les grands médecins arabes, citons-en quelques-uns, parmi les plus connus :



• Ibn Zakariya al-Razi ou Rhazès (850–925), surnommé le Galien des Arabes, était médecin et alchimiste et aurait eu l’idée d’utiliser le mercure en pommade ;


• Abū’l-Qimagesim al-Zahrimagew ou Abulcassis (936–1013), qui était un grand chirurgien ;


• Ibn Sīnimage ou Avicenne (figure 12.7) (980–1037), probablement le plus grand médecin du monde arabe, rédigea le Canon de la médecine, un ouvrage exceptionnel qui rassemble les connaissances de l’Antiquité et du monde arabe et où environ 800 médicaments sont décrits. L’ouvrage sera traduit en latin au XIIe siècle par Gérard de Crémone.




La sombre époque du Moyen-Âge


Alors que les siècles précédents furent ceux du progrès médical et pharmaceutique, le Moyen-Âge sera enfermé dans le dogme du christianisme, tout n’est que stagnation et stérilité.



Le temps des couvents


La médecine sera placée sous le contrôle sévère des autorités ecclésiastiques, elle sera l’apanage des clercs. C’est le début de l’époque des couvents, lieu de conservation de la science et de pratique de la médecine : « Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux. » (Matthieu 10,7–15).


Le christianisme va gommer une partie des acquis de l’Antiquité, il faire oublier Asclépios et le remplacer par deux saints : saint Côme et saint Damien, respectivement saint patron des Médecins et saint patron des Pharmaciens.


Ce sont surtout les bénédictins, dont le premier monastère ouvre à l’abbaye du Mont-Cassin, où travailla Constantin l’Africain, qui vont conserver les traités de la médecine arabe et les diffuser à l’Occident monastique. En effet, les bénédictins s’implantent partout en Europe, notamment à Cluny.


Les moines savent préparer les médicaments et savent cultiver les plantes dont ils ont besoin ; on appelle ces plantes les simples. La culture de ces simples se fait dans un lieu précis : l’herbularius. Charlemagne fera paraître un célèbre capitulaire : le capitulaire De Villis, qui, dans son article 70, décrit les plantes qui doivent composer les jardins. Le plus célèbre exemple sera le jardin de l’abbaye de Saint Gall (figure 12.8).



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Figure 12.8 Le plan de Saint Gall Source originale : http://www.stgallplan.org (© University of California Los Angeles, University of Virginia, and University of Vienna). Retranscription de Mathieu Guerriaud.


Mais avec le temps, la concurrence médicale et pharmaceutique entre clercs et laïque fait rage, et en 1163, l’exercice de la médecine et de la chirurgie est interdit par les autorités ecclésiastiques, lors d’un concile, aux communautés religieuses d’Occident. Pourtant les religieux vont continuer très longtemps à exercer des activités médicales, tout au long des siècles, au XIIe siècle avec Hildegarde von Bingen, ou plus tard à travers des remèdes spécifiques comme la poudre de Jésuites, l’essence de vipères des Capucins, le baume tranquille des abbés Rousseau et Aignan, l’eau de mélisse des Carmes… Enfin, les derniers hospices comme ceux de Beaune ou de Tournus en Bourgogne, ne fermeront leurs portes que dans les années 1960.




La Renaissance et l’alchimie



Paracelse


L’un des personnages les plus étonnants du début de la Renaissance fut Paracelse (1493–1541). Il se serait lui-même nommé Paracelse, estimant sa connaissance médicale supérieure à celle du médecin grec Celse (il se nomme en réalité Philippus Theophrastus Aureolus Bombastus von Hohenheim). Il rejette violemment le dogme jusque-là intouchable de la médecine hippocratico-galénique : les médecins « sont attachés, avec un pédantisme extrême, aux sentences d’Hippocrate, de Galien et d’Avicenne, comme si celles-ci étaient sorties du trépied d’Apollon comme autant d’oracles, et comme si l’on n’avait pas le droit de s’en écarter d’un iota ! ».


Paracelse (figure 12.9) est un partisan de la médecine spagirique, autrement dit alchimique. Elle n’a pas pour but de transformer le plomb en or, mais de soigner, et mieux, de s’approcher de l’immortalité.


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May 4, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 12: Préambule

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