12. Le corps dans la psychose

Anzieu D. Le Moi-peau, Dunod, Paris, 1995.


Si la personne psychotique est d’accord pour participer à ces techniques de « pack », si elle y trouve plaisir et réconfort, il est possible de les lui proposer, mais il est bon de garder à l’esprit que certains psychotiques ne supporteront pas les massages ou tout contact corps à corps avec le soignant de manière générale ; dans ce cas, il vaut mieux s’abstenir de les mettre dans ces situations difficiles et parfois source de décompensation (de délire, d’hallucinations) que le soignant n’est pas vraiment formé à accueillir et qui peuvent s’avérer violente.

La meilleure façon de pouvoir entrer en confiance avec une personne schizophrène, c’est de lui expliquer clairement les gestes qui vont être pratiqués, annoncer le geste avant de toucher le corps, répondre à ses questions, et si c’est possible, différer l’intervention si la personne n’est pas en mesure de l’accepter ou si le lien avec le soignant n’est pas encore suffisamment instauré dans un climat positif de confiance. La parole est ici une nécessité. Pas de longs discours ni de termes techniques formulés dans un jargon médical difficile à saisir. Des termes clairs et précis permettront une meilleure conception de l’acte et son acceptation.



◗ Le corps dans l’autisme


Pour la personne autiste, le corps est source de plus grandes souffrances encore. L’autiste, comme le schizophrène, n’a pas de corps au sens où ses organes ne sont pas symbolisés ni perçus comme rassemblés dans un corps unifié. Au niveau pulsionnel, les réactions sont violentes puisque les pulsions et excitations liées au corps ne sont pas circonscrites ni localisées précisément dans telle ou telle partie du corps, tandis que, lorsque l’être se construit correctement, il perçoit les différentes parties de son corps comme unies entre elles et clairement identifiées, y compris dans leur utilité.

Certains auteurs, comme Meltzer14, disent que le corps de l’autiste est démantelé : le « démantèlement » est un moyen de défense dont use l’autiste, qui l’oblige à traiter une par une les sensations, sans pouvoir les associer, afin d’accéder à la construction d’un objet total, différencié. Certaines stéréotypies de léchage, flairage ou tapotage des personnes autistes correspondent à cette tentative de connaissance du monde à travers un sens privilégié. De même, on voit souvent les autistes boucher leurs oreilles et fermer leurs yeux dans le même mouvement, comme si le regard et la voix n’étaient pas séparés l’un de l’autre. Cette indifférenciation empêche effectivement toute articulation qui suppose une séparation, une distinction entre les sensations.


Le corps de l’autiste est envahi de pulsions non canalisables puisque le corps ne fait pas limite. Cela peut surprendre et gêner des soignants non prévenus. En effet, la façon dont certains jeunes garçons autistes peuvent se masturber devant tout le monde, sans notion de pudeur ni d’interdit social, montre qu’il y a une mécanique génitale, instinctuelle, non rattachée à des images érotiques ni à un objet (voir Fiche 9, page 154) le plus souvent. Le geste est souvent destiné à soulager la tension désagréable provoquée par l’excitation non canalisable pulsionnellement par les adolescents et par les adultes autistes. Parfois ils crient, hurlent, attaquent, parce que cette excitation les envahit, les submerge, se meut en angoisse de destruction et qu’ils ne savent pas comment l’évacuer.

Lorsque l’autiste se masturbe, cela montre au moins que la source de la tension est repérée et que l’autiste a compris comment y remédier pour retrouver un équilibre pulsionnel propice à sa tranquillité. Parfois, l’adolescent autiste ne sait pas comment faire passer mécaniquement l’excitation gênante, surtout lorsque le corps est vécu comme démantelé15, et que sont démantelés aussi les objets perçus, de sorte à ne pouvoir constituer un objet total clairement différencié. Voici ce qu’en dit Meltzer16:

« Nous en arrivâmes à penser que dans l’état autistique proprement dit il existait une sorte d’état de non mentalisation dans lequel l’équipement sensoriel de l’enfant était démantelé à partir d’un mode de fonctionnement unifié, consensuel. Il apparaissait que chaque modalité tendait à rechercher un élément isolé de l’environnement pour entrer en contact avec lui et que le comportement moteur correspondant était du type le plus rudimentaire, le plus mécanique, non fantasmatique, n’ayant aucune source dans les éléments préalablement appréhendés ni aucune conséquence sur les suivants. Pour autant qu’ils semblaient être les débris de fantasmes et de relations d’objet désorganisés, le travail d’interprétation de l’analyste avait pour but l’identification de l’image fragmentée, comme un archéologue cherche à reconstituer un vase à partir des débris d’un tas de détritus. »



Les réactions « éducatives » (dans la psychologie comportementale) visant à interdire à l’autiste de se masturber sont souvent sans effet ou très pénibles pour lui puisqu’il ne sait pas évacuer autrement l’excitation et qu’il faut qu’il l’évacue sous peine d’angoisses terrifiantes. Le mieux pour le soignant, s’il se trouve confronté à cette situation, est de détourner le regard à ce moment-là et de sortir de la chambre, en formulant qu’il reviendra plus tard.

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May 9, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 12. Le corps dans la psychose

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