12: Implants accommodatifs

CHAPITRE 12 Implants accommodatifs



La chirurgie de la cataracte avec implantation intraoculaire est aujourd’hui devenue une procédure de routine. Il y a seulement deux générations, l’ablation d’un cristallin opaque était le seul but de cette chirurgie et l’extraction intracapsulaire du cristallin sans remplacement prothétique a ainsi été pendant plusieurs décennies la technique de référence.


Nos chirurgies modernes associent maintenant la phako-émulsification par microincision à des implants de plus en plus performants, souples, corrigeant l’astigmatisme et les aberrations optiques. La progression extraordinaire des techniques chirurgicales et la précision des appareils biométriques, couplée à l’évolution des formules de calcul, autorisent désormais — et imposent véritablement — des résultats optiques d’une grande précision et ont transformé la chirurgie de la cataracte en une véritable chirurgie réfractive.


Et pourtant, la presbytie reste encore le principal défi puisque nous n’avons pas encore réussi à résoudre ce problème de façon parfaitement satisfaisante.


Les implants multifocaux, ou plutôt bifocaux pour l’immense majorité d’entre eux, représentent bien évidemment une option très largement utilisée et leurs résultats sont infiniment meilleurs que ceux obtenus avec les implants multifocaux de première génération. Ils continuent cependant de représenter une solution de compromis, de modeste compensation de la perte d’accommodation, offrant une pseudoaccommodation certes de plus en plus acceptable mais qui laisse encore un certain nombre de problèmes non résolus : réduction de l’intensité lumineuse, diplopie monoculaire, éblouissement et, surtout, halos, pouvant constituer une gêne en vision nocturne, en particulier pour la conduite automobile. La sélection des patients doit être rigoureuse et écarter en particulier, à juste titre, tous les patients ayant des risques identifiables de pathologie maculaire, dont la multifocalité décuplerait les conséquences délétères sur la qualité de vision.


L’alternative à ces implants multifocaux réside dans des lentilles capables de modifier leur forme et/ou leur position dans le sac capsulaire sous l’effet du réflexe d’accommodation induisant une contraction du muscle ciliaire. C’est la définition même des implants accommodatifs qui visent un idéal : celui de la restauration de l’accommodation.


Sur le plan théorique, ces implants accommodatifs ont l’avantage majeur de réduire le risque d’aberrations optiques ou de perte de sensibilité au contraste puisqu’ils n’imposent pas au cerveau de choisir entre plusieurs images. Cependant, aucun des implants accommodatifs existant aujourd’hui n’est capable de reproduire de façon parfaite le mécanisme de l’accommodation et l’amélioration des performances de ces implants constitue donc un défi d’importance capitale dans les années à venir, ainsi qu’un enjeu commercial majeur pour les laboratoires impliqués dans la recherche et le développement des lentilles intraoculaires du futur.



Physiopathologie, mécanismes


L’accommodation se définit comme la modification dynamique du pouvoir de réfraction de l’œil, lui permettant de faire la mise au point à différentes distances; elle dépend de la contraction du muscle ciliaire (cf. partie I).


La théorie de Helmholtz stipule que, lorsque le muscle ciliaire se contracte, l’essentiel de sa masse se contracte vers l’avant et surtout vers l’intérieur, ce qui réduit son diamètre interne et aboutit au relâchement de la tension des fibres zonulaires. Du fait de son élasticité naturelle, la capsule cristallinienne permet alors au cristallin d’augmenter sa convexité et donc sa puissance dioptrique. Cette modification de la forme du cristallin entraîne une avancée de la cristalloïde antérieure et un léger recul de la cristalloïde postérieure. La résultante de cette modification de forme et de position du cristallin est une puissance d’accommodation qui peut dépasser 10 D chez le sujet jeune et phaque.


Bien que les mécanismes en cause dans l’évolution de la presbytie ne soient pas totalement élucidés, car la théorie de Helmholtz ne résume sans doute pas tous les processus mis en jeu au cours de l’accommodation, beaucoup d’études ont démontré l’importance des modifications cristalliniennes qui sont impliquées dans la perte du pouvoir d’accommodation.


On connaît l’augmentation continue du volume cristallinien au cours de la vie, modifiant ses relations avec la zonule, et d’autres études ont montré qu’il existait, avec l’âge, des modifications des propriétés élastiques du cristallin et de sa capsule. A contrario, d’autres travaux utilisant l’UBM ou l’IRM de haute résolution ont pointé la persistance de bonnes capacités contractiles du muscle ciliaire chez des sujets âgés, y compris chez des sujets pseudophaques, rendant compte des performances parfois étonnantes en vision de près de certains patients opérés de cataracte équipés d’implants monofocaux, et faisant parler de pseudoaccommodation ou d’accommodation apparente — le terme de pseudoaccommodation est en effet aujourd’hui plutôt utilisé pour rendre compte des performances en vision de près des yeux pour lesquels la chirurgie vise à créer un système bi- ou multifocal, qu’il s’agisse d’implants cristalliniens, réfractifs et/ou diffractifs ou d’une chirurgie cornéenne en presbyLASIK ou en kératotomies intrastromales au laser femtoseconde.


Dans l’œil pseudophaque équipé d’un implant monofocal, cette accommodation apparente est généralement liée à la sommation d’un certain nombre de facteurs qui ne relèvent d’aucun facteur proprement accommodatif : constriction pupillaire augmentant la profondeur de champ, myopie faible résiduelle, astigmatisme inverse et, surtout, aberrations optiques de degré élevé, en particulier asphéricité négative et/ou coma.


Bien entendu, le but ultime poursuivi par toutes les équipes de recherche travaillant sur la restauration chirurgicale de l’accommodation serait de remplir le sac cristallinien avec une substance capable de reproduire le comportement d’un cristallin jeune : ces techniques sont regroupées sous le concept de phako-ersatz. Jusqu’à présent, un certain nombre d’expérimentations animales ont été réalisées avec des polymères élastiques ou avec des ballons liquidiens introduits dans le sac cristalliniens, sans pour l’instant qu’il ait été possible de passer à l’expérimentation humaine. Malgré l’importance des travaux réalisés dans ce domaine, de nombreux obstacles persistent:



En attendant la mise au point de ce phako-ersatz dont nous rêvons depuis plusieurs décennies, les implants accommodatifs représentent pour l’instant la seule approche cliniquement disponible visant à restaurer un vrai processus d’accommodation.


L’utilisation de ces implants nécessite cependant une technique chirurgicale sûre et reproductible, conduisant à la fois au succès chirurgical et à un résultat optique prédictible.


Un certain nombre de modèles d’implants accommodatifs sont actuellement distribués ou encore en cours d’évaluation clinique. La plupart de ces implants sont à simple ou à double optique ou encore à optiques déformables.


Les premiers implants accommodatifs mis au point puis commercialisés furent des implants à simple optique, avec le BioCom-fold® puis le 1CU®, le Crystalens® et, plus récemment, d’autres modèles comme le Tetraflex®.


Parallèlement au Crystalens® et à d’autres modèles d’implants accommodatifs à simple optique, d’autres équipes ont développé des concepts d’implants à double optique dont le mécanisme d’action est sensiblement proche, mais dont le fondement est de mieux « rentabiliser » le déplacement antérieur de l’optique de l’implant. L’objectif est, là encore, d’aboutir à une augmentation de la puissance dioptrique de l’implant lors des efforts accommodatifs, mais le principe optique utilisé est théoriquement plus performant. En effet, l’optique postérieure, de puissance négative, est censée rester fixe dans le sac capsulaire, alors que l’optique antérieure, de forte puissance, se déplace vers l’avant lors de la contraction du muscle ciliaire. Cette combinaison de deux lentilles, analogue à celle des télescopes traditionnels, a pour but de produire une amplitude d’accommodation supérieure à celle obtenue avec le déplacement antérieur d’un implant à optique simple. Elle impose en revanche un centrage parfait, les défauts d’alignement des deux optiques ayant des conséquences potentiellement dévastatrices sur la qualité de la vision. D’autres implants à double optique, encore en phase de développement, sont fondés sur un principe optique totalement différent.


D’autres concepts d’implants accommodatifs peuvent être regroupés sous le nom d’implants à optique déformable, dans lesquels un changement de courbure de l’implant au cours des efforts d’accommodation peut induire une modification importante de puissance de l’implant malgré un déplacement minime de l’optique.


D’autres dispositifs existent, reposant sur des déplacements magnétiques de la capsule et de l’implant sous l’effet de microaimants répulsifs activés lors de l’accommodation, et d’autres ne sont qu’au stade du concept, comme les implants autofocus électroniques.


Beaucoup de ces implants accommodatifs sont encore au stade du développement ou de l’évaluation expérimentale et ne font pas encore partie de nos pratiques. Ils comportent des risques d’astigma tisme liés à la nécessité de recourir à de grandes incisions, mais également de baisse de la sensibilité au contraste, de réduction du champ visuel périphérique et sont très sensibles à de faibles défauts de positionnement intraoculaire.



Évaluation et mesure de l’effet des implants accommodatifs


Pour pouvoir analyser l’efficacité d’un implant accommodatif, il est nécessaire de disposer de méthodes objectives de mesure des modifications biométriques associées aux efforts d’accommodation. Des tests seulement subjectifs, mesurant l’acuité visuelle de près ou l’amplitude d’accommodation grâce à une courbe de défocalisation, ne sont pas suffisants car ils ne peuvent différencier une accommodation réelle d’une pseudoaccommodation. Bien que ces mesures soient évidemment indissociables de l’étude de l’efficacité d’un implant, elles peuvent également être influencées par la motivation du patient et/ou du praticien et elles doivent donc obligatoirement être complétées par des tests objectifs incluant la rétinoscopie, l’aberrométrie et l’autoréfraction, complétées par l’analyse des mouvements de l’optique.



MESURE OBJECTIVE DE L’AUGMENTATION DE PUISSANCE DIOPTRIQUE


La mesure directe de la modification du pouvoir dioptrique de l’œil en réponse à un stimulus de l’accommodation est théoriquement la méthode optimale d’évaluation de l’efficacité d’un implant accommodatif, mais les différents travaux publiés laissent persister des controverses quant aux méthodes à utiliser.



RÉTINOSCOPIE DYNAMIQUE


La rétinoscopie est considérée comme une technique objective de mesure permettant de visualiser de façon directe la modification du pouvoir dioptrique de l’œil. La procédure « manuelle » traditionnelle repose cependant sur l’interprétation de celui qui procède à l’examen; ces résultats apparaissent assez peu reproductibles [47].


En revanche, les techniques de photorétinoscopie automatisée fournissent des mesures objectives de la réfraction. Plusieurs publications portant sur l’évaluation d’implants accommodatifs rapportent les résultats, intéressants du fait de leur reproductibilité, obtenus avec le photorétinoscope PowerRefrator® de la société PlusOptix (Allemagne), cet appareil permettant une mesure rapide de la réfraction, qui se fait simultanément de façon bilatérale. La précision et la prédictibilité des mesures ont pu être comparées à celles obtenues avec un autoréfractomètre Nidek®, le PowerRefractor® ayant en outre l’intérêt de mesurer la position de l’œil, la taille de la pupille et la dynamique de l’accommodation [3]. Un calibrage préalable de l’appareil est cependant nécessaire avant chaque patient.


J.S. Wolffsohn [49] rapporte ainsi, dans une étude portant sur vingt patients implantés avec l’implant 1CU®, une amplitude objective moyenne d’accommodation de 0,72 D, alors que l’amplitude subjective mesurée était de 2,24 D, la différence s’expliquant par la profondeur de champ des yeux implantés et par la nature asphérique de l’implant. L’étude montrait en outre une diminution dans le temps des performances accommodatives de l’implant.





ANALYSE DES MOUVEMENTS DE L’OPTIQUE


Au-delà des mesures optiques sur un œil équipé d’un implant accommodatif, la mise en évidence de modifications de la profondeur de la chambre antérieure lors de la contraction du muscle ciliaire peut être utilisée comme indicateur de la réelle capacité accommodative de l’implant grâce à un enregistrement dynamique des mouvements intraoculaires d’un œil soumis à accommodation (par variation de lumière ou changement de focus).


De nombreuses techniques biométriques ont été utilisées : biomicroscopie ultrasonique de haute fréquence, interférométrie à cohérence partielle (IOLMaster®, Carl Zeiss), OCT du segment antérieur (Visante®, Carl Zeiss) et, plus récemment, les appareils utilisant la réflectométrie de faible cohérence comme le Lenstar® (Haag-Streit), intéressant parce que capable de mesurer la position du cristallin avec une résolution de 10 µm. L’interférométrie est cependant sans doute aujourd’hui la méthode la plus appropriée pour mesurer les déplacements antéropostérieurs de l’optique d’un implant, du fait de sa très haute résolution et du système de fixation de l’œil analysé permettant un alignement parfait dans l’axe optique. D’autres techniques font intervenir la fixation de l’œil controlatéral et, de ce fait, peuvent induire un mouvement de convergence créant un biais dans la mesure de la profondeur de la chambre antérieure. La variété des méthodes de mesure utilisées est sans doute en partie à l’origine des différences d’appréciation qui peuvent exister d’une étude à l’autre en matière d’analyse de l’efficacité des implants accommodatifs.


Si ces différents appareils peuvent permettre de déterminer le déplacement axial d’une optique, ils ne mesurent en revanche pas de façon directe la modification de la puissance dioptrique de l’œil. Celle-ci peut cependant être calculée à l’aide d’une formule mathématique très simple, telle que proposée par McLeod [28]:



image



avec:



Ces mesures permettent de calculer que, pour un œil ayant des rayons de courbure cornéens antérieur et postérieur mesurant respectivement 7,8 mm et 6,5 mm et une pachymétrie cornéenne de 550 µm, il faut 0,67 mm de déplacement antérieur d’une optique de 19 D pour produire une accommodation d’environ 1 D.


La plupart des études qui ont essayé de mesurer le déplacement antérieur d’un implant accommodatif en réponse à un effort accommodatif ont utilisé une stimulation pharmacologique (test à la pilocarpine) du muscle ciliaire, le plus souvent par application topique de pilocarpine à 2 %, parfois couplée à des mesures faites, au contraire, après application de cyclopentolate destinée à entraîner une relaxation maximale du muscle ciliaire. Cette stimulation pharmacologique a l’avantage de ne pas dépendre de la compliance du patient, contrairement à l’accommodation induite par un stimulus visuel. Elle a cependant l’inconvénient de ne pas rendre compte de la réponse accommodative physiologique, puisqu’elle peut entraîner un véritable spasme accommodatif sans commune mesure avec celui produit par un stimulus visuel, conduisant à surestimer la réponse accommodative. Kriechbaum [19] a ainsi montré, dans un travail portant sur le 1CU® (cf. infra), que le déplacement antérieur moyen de l’implant était de 200 µm après pilocarpine, alors que les mouvements étaient non détectables avec un stimulus visuel.


La stimulation pharmacologique de l’accommodation garde cependant l’intérêt de permettre la mesure de la performance maximale d’un implant accommodatif.


En pratique, le myosis induit par la pilocarpine peut rendre difficiles voire impossibles les mesures objectives des modifications réfractives induites par l’accommodation.


Au total, l’évaluation idéale d’un implant accommodatif devrait associer des mesures objectives de la réfraction et des modifications biométriques, de préférence sans agent pharmacologique, afin de démontrer l’existence d’une réelle accommodation pseudo phaque en réponse à un stimulus visuel. Si les mesures subjectives de l’acuité visuelle ne peuvent évidemment pas être exclues d’une étude clinique, elles ne peuvent pas être le seul élément analysé.


Jusqu’à aujourd’hui, la plupart des études publiées portant sur des implants accommodatifs ont tendance à ne tenir compte que des résultats subjectifs, éventuellement associés aux résultats des stimulations pharmacologiques. À l’inverse, très peu de travaux ont analysé les modifications objectives de la réfraction et de la position des implants accommodatifs en réponse à des stimuli visuels. Une standardisation des méthodes objectives d’analyse de l’accommodation de l’œil pseudophaque paraît hautement souhaitable dans l’avenir [41].



Implants à optique unique


Le principe des implants accommodatifs actuellement commercialisés est fondé sur le déplacement antérieur de l’optique sous l’effet de la contraction du muscle ciliaire, bien que le mécanisme précis de ce déplacement antérieur varie selon le type d’implant.


Le premier implant accommodatif mis sur le marché fut le BioComFold 43A® (Morcher, Allemagne) en 1996 mais, aujourd’hui, seul le Crystalens® (Bausch & Lomb) a reçu l’agrément de la FDA.


En Europe, le Crystalens® mais aussi le Tetraflex® (Lenstec, États-Unis) et le 1CU® (HumanOptics, Allemagne) ont obtenu le marquage CE. Le Tetraflex® est actuellement en phase III des études FDA.



IMPLANT CRYSTALENS® AO (BAUSCH & LOMB)


Né des travaux de J.S. Cumming, l’implant Crystalens® a connu, depuis, de nombreuses modifications de son design. La version actuelle est un implant asphérique « aberration-free », en Biosil®, silicone biocompatible de troisième génération. Ses haptiques, plates et rectangulaires, sont pourvues à leurs extrémités de deux prolongements en polyimide destinés à maintenir l’implant dans le sac capsulaire, évitant ainsi sa luxation lors des mouvements antérieurs de l’optique. Il existe à la base de l’haptique, tout près de l’optique, une zone amincie de 50 %, constituant une charnière qui sert d’articulation à l’implant afin de permettre sa translation antérieure.


L’optique a un diamètre de 5 mm et l’implant existe en deux versions, de 11,5 mm ou de 12 mm de diamètre hors-tout selon la puissance (fig. 12-1). De 33 D à 17 D, le diamètre est ainsi de 11,5 mm et passe à 12 mm pour les implants de 16,5 D à 10 D, destinés à des yeux myopes dont le sac capsulaire est susceptible d’être de plus grand diamètre.




DESCRIPTION, HISTORIQUE


Stuart Cumming fut l’un des premiers chirurgiens à travailler sur les implants accommodatifs à optique simple car, dès 1989, il avait remarqué que certains opérés de la cataracte en situation d’emmétropie étaient pourtant capables d’excellentes performances en vision intermédiaire et en vision de près. Les études faites sur ces patients en utilisant des agents pharmacologiques induisant un spasme ou, au contraire, une relaxation du muscle ciliaire, lui permirent de démontrer, chez certains de ces patients, l’existence de mouvements antérieurs de l’optique de l’implant lors de la contraction du muscle ciliaire.


S’appuyant sur des travaux plus anciens de Busacca, Thornton et Coleman, il arriva à la conclusion que, lors de la contraction du muscle ciliaire, la redistribution spatiale de sa masse entraînait une augmentation de pression dans la cavité vitréenne dont la transmission à la chambre antérieure avait pour conséquence une bascule vers l’avant de l’optique de l’implant. À l’inverse, la relaxation du muscle ciliaire permettait un retour de l’optique à sa position initiale grâce à une diminution de la pression intravitréenne.


À la lumière de ces études, Cumming développa un concept d’implant utilisable dans la chirurgie de cataracte capable de reproduire ces déplacements antérieurs mimant l’accommodation.


Le premier prototype fut implanté en Grande-Bretagne en 1991 chez une patiente de quatre-vingt-cinq ans, avec des résultats plus qu’encourageants puisque des mouvements antérieurs de l’implant d’une amplitude de 2,5 mm furent mesurables, avec pour conséquence de bonnes performances de lecture. On sait en effet que, sur le plan théorique, un déplacement vers l’avant de l’optique de 1 mm équivaut à une accommodation d’environ 1,25 D.


Malheureusement, l’implant se luxa spontanément au bout de six mois, conduisant Cumming à travailler sur un nouveau design de son implant qui, lui aussi, donna de bons résultats initiaux avant d’aboutir de nouveau à des problèmes de luxations spontanées.


Le septième design de cet implant correspond à l’implant Crystalens® AT45, qui fut utilisé pour la première fois en 1998 et qui fut le premier implant accommodatif à obtenir l’approbation de la FDA en 2003. Depuis lors, son dessin a encore été modifié à plusieurs reprises, pour aboutir aujourd’hui au Crystalens® AO (fig. 12-2), représentant la cinquième génération commercialisée de cet implant accommodatif qui est, encore aujourd’hui, le seul ayant reçu l’agrément de la FDA aux États-Unis.



Il a connu en vérité différentes évolutions de son dessin:




MODE D’ACTION


Les implants asphériques à optique « aberration-free » sont conçus pour induire un taux d’aberrations sphériques proche de zéro. De tels implants sont censés avoir des performances optiques stables quelle que soit leur position par rapport à la cornée. Surtout, ils ont pour conséquence, comme les implants monofocaux asphé-riques, l’obtention d’un niveau élevé de transfert de modulation de contraste mais également d’une profondeur de champ réduite, qui condamne d’une certaine façon l’implant à avoir une véritable action accommodative pour être efficace en vision de près et en vision intermédiaire. Les mesures du front d’onde et de la MTF (Modulation Transfer Function) confirment pour cet implant une puissance constante sur toute sa surface et un taux négligeable d’aberrations sphériques, qui rendent son optique parfaitement comparable à celle d’un implant asphérique monofocal.


Ceci est intéressant lorsqu’on compare le Crystalens® AO au Crystalens® HD, qui en était la version précédente dans laquelle une petite pastille centrale de 1,5 D pouvait accréditer l’hypothèse d’un effet bifocal et non plus purement accommodatif. Les mêmes mesures de front d’onde et de MTF montrent que cet implant possède une optique se comportant plutôt comme celle d’un implant multifocal, avec une augmentation de la puissance centrale, une réduction du transfert de modulation du contraste et une augmentation de profondeur de champ (fig. 12-3 à 12-5).





Le mécanisme proposé pour expliquer l’efficacité accommodative du Crystalens® AO est double. Il repose d’abord sur la théorie dite de la « suspension hydraulique » proposée par Coleman en 1986 : lors de l’effort accommodatif, le muscle ciliaire se contracte et la redistribution de sa masse crée une protrusion dans la cavité vitréenne qui a pour conséquence une augmentation de la pression intravitréenne, qui a elle-même pour effet de repousser l’implant vers l’avant. L’optimisation du dessin de l’implant, en particulier l’existence de la charnière entre l’optique et les haptiques, permettrait ainsi d’obtenir une véritable translation antérieure de l’optique (figure image animée 12-1 et fig. 12-6).



En outre, la contraction du sac capsulaire lors de l’accommodation entraîne une augmentation de la courbure de la face antérieure de l’implant qu’on peut mettre en évidence par analyse aberrométrique, montrant une augmentation des aberrations de haut degré, en particulier aberration sphérique et coma, qui sont, par la nature même de l’implant aberration-free, quasi nulles pour l’implant au repos.


Ce phénomène, dénommé « arching », permettrait ainsi, par pseudoaccommodation, d’augmenter la profondeur de champ et d’améliorer les performances visuelles de près et à distance intermédiaire, expliquant l’obtention de résultats cliniques supérieurs à ceux attendus par la seule translation antérieure de l’optique.


Ces deux mécanismes sont complémentaires à proportions variables selon la puissance dioptrique de l’implant. En effet, pour des raisons optiques (ΔDc = (Dm/13) × Δs), l’amplitude d’accommodation produite par le déplacement antérieur de l’optique est plus importante pour les fortes puissances d’implant avec, à l’inverse, une déformabilité réduite de l’optique liée à son épaisseur, rendant compte d’un arching plutôt faible. À l’opposé, les implants de faibles puissances bénéficient moins sur le plan optique d’un niveau identique d’antérotranslation mais ont une optique plus déformable, permettant aux phénomènes d’arching et de la pseudoaccommodation qui en résulte d’être plus marqués.



RÉSULTATS


Le Crystalens® AO, dernière version commercialisée de cet implant, n’est utilisé en France que depuis avril 2010 et les résultats publiés par le laboratoire sont limités et consacrés essentiellement à ses résultats fonctionnels. Les résultats publiés en février 2011 portaient sur trente-huit yeux de dix-neuf patients présentant une cataracte non traumatique et sans pathologie oculaire associée:



La différence de résultats en vision intermédiaire et en vision de près s’explique par l’existence pour un certain nombre de patients d’un défocus myopique de loin, majorant les performances en vision rapprochée.


La littérature est plus fournie sur le Crystalens® AT45, première version commercialisée et premier implant accommodatif approuvé par la FDA en 2003, grâce à l’étude multicentrique menée pour la FDA portant sur deux cent soixante-trois patients [7]. Sur le plan fonctionnel, 79 % des patients opérés de façon unilatérale et 96 % des patients opérés de façon bilatérale obtenaient à la fois une acuité visuelle supérieure ou égale à 5/10 de loin et Jaeger 3 de près; 73 % des yeux opérés obtenaient une acuité visuelle de près sans correction à Jaeger 1 (équivalent de Parinaud 2), cette proportion passant à 52 % après correction d’une éventuelle erreur réfrac-tive en vision de loin. Sur le plan qualitatif, malgré le diamètre de 4,5 mm de l’optique dans cette première version de l’implant, il n’existait pas plus d’éblouissement ou de réduction de la sensibilité au contraste que dans le groupe contrôle équipé d’un implant monofocal standard.


À côté des résultats fonctionnels, d’autres publications portant sur un nombre plus restreint de patients ont tenté d’analyser les performances accommodatives objectives de cet implant. Plusieurs études ont porté sur la mesure du shift antérieur de l’implant; les résultats sont contradictoires.


En utilisant une stimulation pharmacologique de l’accommodation par la pilocarpine, Stachs [43] rapporte en effet, grâce à des mesures réalisées à l’UBM sur un groupe de quatre patients seulement, un léger mouvement antérieur de l’optique, mesuré à 0,13 mm en moyenne avec des extrêmes à 0,05 mm et 0,20 mm, ainsi qu’une modification de l’angulation des haptiques de 3,3° en moyenne avec des extrêmes allant de 0° à 7°. Dans cette même étude, l’amplitude d’accommodation mesurée avec un réfractomètre n’est que de 0,44 D en moyenne avec des extrêmes entre 0,25 D et 0,75 D.


En revanche, Koeppl et Findl [17] présentent une étude sur quarante-quatre yeux de vingt-huit patients, dans laquelle le shift de l’optique de l’implant, induit par la pilocarpine et mesuré par interférométrie, est postérieur et non pas antérieur, d’une amplitude moyenne variant de 122 µm à 151 µm selon qu’on réalisait ou non un polissage de la capsule antérieure. Les auteurs ont en effet voulu individualiser un sous-groupe de vingt-quatre yeux dans lequel la fibrose capsulaire était prévenue par un polissage soigneux de la capsule antérieure. La différence de shift postérieur entre les deux groupes n’était cependant pas significative. Les auteurs concluent ainsi à un effet contre-productif de la pilocarpine et mesurent en outre des niveaux d’acuité visuelle de près sans correction à Jaeger 5 à un mois et Jaeger 4 à trois mois, qu’ils qualifient de comparables à ceux d’un implant monofocal.


Macsai et al. [22] ont en revanche mené une large étude multicentrique sur deux cent vingt-quatre yeux de cent douze patients, dans laquelle l’amplitude accommodative était mesurée de façon objective par rétinoscopie dynamique et de façon subjective par deux méthodes, courbe de défocalisation d’une part et mesure de l’amplitude d’accommodation sur une cible proche d’autre part. Les patients étaient en outre divisés en deux groupes, l’un recevant le Crystalens® AT45 des deux côtés, alors que l’autre groupe de patients était équipé de façon bilatérale par un implant monofocal, l’observateur n’étant pas informé du type d’implants porté par chaque patient. Les résultats sont ici nettement en faveur du Crystalens®, avec 90 % de patients lisant Jaeger 3 ou mieux sans correction, contre 15 % dans le groupe contrôle.


La mesure de l’amplitude moyenne d’accommodation en réti-noscopie dynamique était de 2,42 D dans le groupe Crystalens® contre 0,91 D dans le groupe témoin. De même, l’étude montrait une différence significative de défocus monoculaire de 1,74 D dans le groupe Crystalens® contre 0,75 D dans le groupe témoin. Enfin, les auteurs notaient, sans en fournir d’explication, que dans le groupe Crystalens® l’accommodation subjectivement perçue par le patient était en moyenne de 5,79 D, très supérieure à l’accommodation réellement mesurée de façon objective ou par le défocus.


On peut enfin citer l’étude de Marchini [24], portant sur vingt yeux de quatorze patients pour lesquels le shift de l’implant était mesuré par l’UBM, avec des résultats montrant une réduction de la profondeur de chambre antérieure et donc un shift antérieur de l’optique de 320 µm (± 160) à un mois et de 330 µm (± 250) à six mois lors des efforts d’accommodation sur une cible rapprochée. L’UBM permettait également de mettre en évidence une réduction de l’ouverture de l’angle entre la sclère et les procès ciliaires lors de l’accommodation, mesurée à 4,43 D (± 1,85) à six mois. Le déplacement antérieur de l’implant et cette rotation du corps ciliaire mesurés par l’UBM étaient, selon les auteurs, proportionnels à l’amplitude accommodative mesurée chez ces patients.


À titre plus anecdotique, est à mentionner l’option développée à l’heure de la naissance du concept « custom-match » consistant à choisir le type d’implant et de combinaison en fonction des besoins visuels du patient : il fut ainsi proposé d’associer un implant accommodatif sur l’œil directeur préservant la vision de loin sans perturber la vision qualitative et un implant multifocal sur l’œil controlatéral permettant d’optimiser la vision de près. Le défaut de prédictibilité et l’inconstance de la tolérance binoculaire ont conduit à ne pas persévérer dans cette direction.


Sans surprise, les résultats dans ce type de configuration montrent une supériorité de l’implant multifocal en vision de près avec en revanche, pour l’implant accommodatif, des performances correctes en vision intermédiaire mais moins d’altérations de la sensibilité au contraste [36].


La fréquence de l’opacification capsulaire postérieure pose la question de l’effet de la capsulotomie au YAG sur le résultat réfractif. Nous n’avons pas trouvé dans la littérature de publication confirmant l’idée, souvent avancée, d’une amélioration des performances visuelles après réalisation d’une large capsulotomie. En revanche, la capsulotomie est évidemment bénéfique, voire salutaire, lorsqu’une fibrose capsulaire importante a conduit à une déformation de l’implant, ce qui a pu être observé avec le Crystalens® [16, 50] comme avec l’implant 1CU® [1].



IMPLANT TETRAFLEX® (LENSTEC)


Dessiné par Robert Kellan, le Tetraflex® est un implant en hydroxy-éthylmétacrylate (HEMA), acrylique hydrophile dont le taux d’hydro-philie est de 26 % (fig. 12-7). Avec une optique de 5,75 mm de diamètre et des bords carrés, ce monobloc est implantable au travers d’une incision de 2,5 mm. Les anses présentent avec l’optique une angulation antérieure de 5°, destinée à favoriser la translation antérieure de l’implant avec tout le sac capsulaire lors des efforts d’accommodation.



Il est commercialisé en Europe, en Australie, au Canada, en Chine et à Taïwan et au Moyen-Orient. Il est actuellement en phase III des études FDA, avec une étude multicentrique portant sur deux cent cinquante-cinq patients implantés de façon bilatérale avec un Tetraflex®, comparés à un groupe contrôle de cent un patients équipés de façon bilatérale d’implants monofocaux [39].


L’étude, présentée par Donald Sanders, consultant pour le laboratoire Lenstec, analyse les résultats fonctionnels subjectifs de deux cent trente-neuf Tetraflex® et de quatre-vingt-seize patients du groupe contrôle, examinés douze mois après la chirurgie. La méthode choisie pour analyser les résultats en vision de près était le Minnesota Low-Vision Reading Test (MNRead Test) dans lequel une série de phrases est présentée au patient à 40 cm de distance dans des conditions d’éclairage standardisées, avec des caractères de taille décroissante, l’élément analysé étant la vitesse de lecture des phrases présentées. Il s’agit en fait d’une série de planches reproduisant des phrases formées de dix mots de longueur standard et dont la taille des caractères décroît, correspondant à une acuité visuelle de près allant de 20/400 (1,3 logMAR) à 20/6 (– 0,5 logMAR) par intervalles réguliers de 0,1 logMAR. Il apparaît dans cette étude, de façon statistiquement significative, que les patients du groupe Tetraflex® lisent mieux que ceux du groupe contrôle, pour toutes les tailles de caractères avec, en particulier, un pourcentage significativement plus élevé de patients capables de lire plus de quatre-vingts mots par minute. Par ailleurs, 96 % des patients du groupe Tetraflex® ne portent jamais de correction en vision de loin contre 80 % des témoins; 75 % des patients du groupe Tetraflex® ne portent jamais ou très occasionnellement une correction en vision de près (jamais : 21 %) pour la lecture de très petits caractères ou lorsque l’éclairage est tamisé; ce pourcentage passe à 46 % dans le groupe contrôle (jamais : 9 %). Enfin, la puissance moyenne des verres correcteurs nécessaires en vision de près apparaît plus faible dans le groupe Tetraflex®, avec 28 % de patients portant une correction ne dépassant pas + 1,25 D contre 7 % dans le groupe contrôle.


Le même Donald Sanders avait présenté en 2007 [38] une étude portant sur quatre-vingt-quinze yeux de cinquante-neuf patients avec, outre les mesures d’acuité visuelle, une mesure subjective de l’amplitude d’accommodation par la méthode du « push-up ». Cette méthode, utilisée par la Royal Air Force, consiste à présenter au patient un test d’acuité visuelle de près qu’on rapproche progressivement de l’œil du patient, corrigé en vision de loin, jusqu’à la distance à laquelle il ne parvient plus à le lire. L’inverse de la distance parcourue exprimée en mètres permet de définir l’amplitude d’accommodation en dioptries. Selon cette méthode, il apparaît que, six mois après l’intervention, tous les patients ont au moins 1 D d’accommodation et 75,7 % ont au moins 2 D. Ces mesures ne sont cependant que fonctionnelles et on peut sans doute regretter l’absence de groupe témoin dans cette étude.


La littérature est assez pauvre sur cet implant et comporte très peu d’études mettant en évidence des modifications biométriques ou réfractives objectives. On peut cependant citer la publication de Wolffsohn [48], portant sur treize yeux de huit patients suivis en postopératoire pendant au moins deux ans. L’étude consistait à mesurer, en réponse à un stimulus accommodatif variant de 0 à 4 D, d’une part les modifications de profondeur de la chambre antérieure en OCT Visante® et, d’autre part, les aberrations optiques de haut degré avec un aberromètre de type Hartmann-Shack. Il ressort de cette publication qu’aucun mouvement antérieur de l’implant n’a pu être mis en évidence avec, en moyenne, une translation plutôt postérieure de 20 µm, les extrêmes allant de 30 µm en avant à 70 µm en arrière. En revanche, des modifications aberrométriques significatives sont observées et sont attribuées à une modification de la forme de l’optique de l’implant sous l’effet des efforts accommodatifs, qu’on peut rapprocher du phénomène d’arching décrit avec l’implant Crystalens®. Les aberrations dont les modifications sont significatives sont le défocus, l’astigmatisme vertical primaire et secondaire, la coma verticale, le trefoil et l’aberration sphérique. Les auteurs concluent à la responsabilité au moins partielle de ce phénomène d’arching et des aberrations qui en résultent dans les performances en vision de près de l’implant Tetraflex®.


On peut enfin citer dans la littérature consacrée au Tetraflex® une étude comparative [6] des performances en vision de près de l’implant Tetraflex® et du Crystalens® dans sa version AT-50, version proche de l’AT45 avec une optique dont le diamètre était passé à 5 mm. Cette publication faisait partie de l’étude multicentrique FDA et comprenait quatre-vingt-seize patients implantés de façon bilatérale avec le Tetraflex® comparés à cinquante-cinq patients recevant un Crystalens® AT-50 dans les deux yeux suivis pendant un an. La méthode d’analyse était de nouveau le MNRead Test et les résultats rapportés mettaient en évidence de meilleures performances dans le groupe Tetraflex® pour la lecture des caractères de tailles correspondant à 20/25, 20/32, 20/40, 20/50 et 20/63, avec une vitesse significativement plus rapide dans le groupe Tetraflex®, dans lequel on notait en outre une proportion plus importante de patients capables de lire plus de quatre-vingts mots par minute pour ces cinq tailles de caractères.

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Jun 6, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 12: Implants accommodatifs

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