Confusions Phonétiques
F. Lefèvre
La surdité par atteinte neurosensorielle induit des difficultés de compréhension plus ou moins importantes. Les syllabes prononcées par un locuteur dans un contexte donné peuvent être entendues mais indistinctement perçues, créant ainsi des confusions de syllabes ou confusions phonétiques. Rappelons qu’il est possible d’en distinguer cinq causes : la carence d’audibilité, le recrutement, la dégradation de la sélectivité fréquentielle, le masquage, la dégradation de l’acuité temporelle.
1. CARENCE D’AUDIBILITÉ
Elle est directement liée à la perte audiométrique tonale. Le sujet déficient auditif n’entend plus les sons faibles dans une ou plusieurs régions fréquentielles. Il ne peut capter les portions d’enveloppes temporelles les plus faibles. Cela n’a que peu d’incidence tant que seules les portions les plus faibles sont concernées car, comme plusieurs auteurs (SHANNON, DRULLMAN entre autres) l’ont démontré, c’est la portion d’enveloppe temporelle située entre −5 à −10dB en dessous du niveau moyen de la parole qui est la plus stratégique pour une correcte perception.
2. RECRUTEMENT
Avec la perte auditive, il contribue à réduire le champ auditif d’intensité et crée ainsi des saturations cochléaires à fortes intensités pour lesquelles les courbes d’accord sont moins performantes, entraînant ainsi une dégradation de la sélectivité fréquentielle. Souvent, les déficients auditifs décrivent qu’ils comprennent encore moins bien lorsque l’on parle trop fort.
3. DÉGRADATION DE LA SÉLECTIVITÉ FRÉQUENTIELLE ET MASQUAGE
Généralement, il existe une dégradation de la sélectivité fréquentielle dans la surdité neurosensorielle. Cette dégradation n’est pas nécessairement en relation directe avec la perte audiométrique tonale. Il n’est plus possible de séparer auditivement toutes les composantes fréquentielles des sons complexes, c’est-à-dire de percevoir correctement leur structure fine. Il en résulte des difficultés de distinction des syllabes qui s’exacerbent dès lors que les conditions d’écoute se dégradent (bruit de fond, brouhaha, réverbération, distance accrue du locuteur…) ou peuvent même persister systématiquement en situation d’écoute optimale chez les cas les plus touchés, comme dans le calme ou avec l’usage d’un audiomètre vocal sans bruit de gêne. Le potentiel de masquage d’un signal concurrent peut prendre ainsi des proportions considérables.
4. DÉGRADATION DE L’ACUITÉ TEMPORELLE
Les enveloppes temporelles véhiculent des informations majeures pour la perception de la parole. Une dégradation de l’acuité temporelle aura des effets délétères considérables sur la compréhension. Ce type de dégradation ne semble se produire que pour des atteintes rétro-cochléaires ou centrales. L’ensemble des travaux portant sur la surdité d’origine purement cochléaire aboutit à la conclusion que l’acuité temporelle reste préservée excepté pour les cas de pertes extrêmes.
5. CONFUSIONS PHONÉTIQUES
Quelles sont les confusions phonétiques induites par les atteintes neurosensorielles périphériques ? Ce type d’étude portant sur des francophones malentendants n’est pas fréquent.
Citons les travaux de LAFON qui avait établi des matrices de confusions phonétiques sur une population de sujets auditivement sains dégradés par du bruit. Il est cependant impossible de transposer ces résultats aux malentendants.
En 1982, nous avons nous-même établi des matrices de confusions sur une population de 70 malentendants avec les listes cochléaires de LAFON (tableaux 12.1 et 2). La perte tonale moyenne de cette population correspondait à une surdité moyenne groupe II avec des graves moins touchés que les aigus. Les sujets étaient testés au casque à une intensité correspondant au maximum acceptable vocal (MAV défini par DE BOCK).
En 2004, puis 2005 et enfin 2006, nous avons initié de nouvelles études de confusions phonétiques chez des malentendants avec un test de syllabes, le test syllabique (LEFÈVRE, 2004). Ces études ont été réalisées respectivement par Anthony ARRIGONI, Pauline LEMESLE et Agathe ADAM, avec notamment des mesures au casque dans le silence et dans le bruit à intensité confortablement supraliminaire, sans lecture labiale. Les résultats présentés ci-après sont une synthèse de ces différents travaux portant essentiellement sur des atteintes cochléaires avec un degré de surdité moyenne.
5.1. Taux d’erreurs des voyelles et des consonnes
Dans notre étude de 1982, le taux d’erreurs des voyelles était de 12 %, celui des consonnes de 19 % avec le test cochléaire de LAFON pratiqué dans le silence. Sur une population de 68 malentendants, ADAM en 2006 obtient 22 % d’erreurs sur les voyelles et 30 % sur les consonnes avec le test syllabique qui présente une plus grande sensibilité (figure 12.1).
Figure 12.1 |
La dégradation neurosensorielle cochléaire touche plus la perception des consonnes que celle des voyelles. Les consonnes présentent une difficulté perceptive en moyenne de 36 % supplémentaires par rapport aux voyelles dans le silence (figure 12.2).
Figure 12.2 |
5.2. Taux d’erreurs de chaque voyelle
La voyelle la plus résistante est le a (6 % d’erreurs) et les plus fragiles le i et le y (34 et 35 % d’erreurs). Pour faciliter la lecture de ceux qui ne connaissent pas ou peu le code phonétique, nous écrivons les sons des phonèmes en écriture française (figure 12.3).
Figure 12.3 |
En classant les voyelles de la plus résistante à la plus fragile, cela donne : « a », « eu », « o », « an », « ou », « é », « on », « in », « i », « u ».
Il est intéressant de remarquer que, globalement, les voyelles les plus résistantes sont graves et les moins résistantes sont aiguës. Il s’agit de la même tendance que pour la perte audiométrique tonale de cette population de déficients auditifs, alors qu’il n’existe pas de corrélation au cas par cas.
5.3. Taux d’erreurs de chaque consonne
Les consonnes les plus résistantes sont « r », « che » et « je » (11 % d’erreurs), la plus fragile est « ze » (47 % d’erreurs). Beaucoup de consonnes, les plus fragiles, sont caractérisées par une faible énergie (figure 12.4).
Figure 12.4 |
5.4. Nature des confusions phonétiques de voyelles
Statistiquement, il est intéressant d’observer la nature des confusions phonétiques, c’est-à-dire d’observer en quoi un phonème émis est perçu. Notre étude de 1982 a permis d’aboutir à la matrice de confusions exposée dans le tableau 12.1.
E\R | % confusions | a | o | ai | é | eu | ou | u | i | an | on | in | v | z | l | m | n | r | j | x |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
a | 13,09 | 3,2 | 1,3 | 0,7 | 0,3 | 1,6 | 5,2 | 0,7 | ||||||||||||
o | 12,35 | 2,17, | 1,3 | 0,1 | 2 | 1,3 | 0,7 | 0,4 | 2,3 | 1,9 | 0,3 | |||||||||
ai | 11,85 | 0,74 | 6,3 | 1,1 | 0,4 | 1,5 | 1,9 | |||||||||||||
é | 13,64 | 0,5 | 0,5 | 0,5 | 1 | 1,5 | 0,51, | 1,5 | 0,5 | 1 | 1 | 1 | 4 | |||||||
eu | 23,88 | 9,7 | 0,8 | 1,5 | 0,8 | 3,7 | 1,5 | 1,5 | 0,8 | 3,7 | ||||||||||
ou | 7,14 | 0,3 | 3,6 | 2,4 | 0,9 | |||||||||||||||
u | 12,22 | 0,37 | 0,4 | 4,4 | 5,6 | 0,4 | 0,4 | 0,7 | ||||||||||||
i | 11,02 | 0,2 | 0,4 | 0,6 | 3,6 | 5,9 | 0,2 | |||||||||||||
an | 10,71 | 0,51 | 3,6 | 0,5 | 4,6 | 1,5 | ||||||||||||||
on | 8,57 | 1,43 | 1,4 | 1,4 | 2,9 | 1,4 | ||||||||||||||
in | 26,56 | 18,75 | 1,6 | 1,6 | 4,7 |