Chapitre 12
Immunodéficiences congénitales et acquises
Maladies provoquées par des réponses immunitaires déficientes
Des dysfonctionnements affectant le développement et les fonctions du système immunitaire entraînent une augmentation de la sensibilité aux infections nouvellement acquises, de l’incidence de certains cancers ainsi qu’une réactivation d’infections latentes, par exemple par le cytomégalovirus, le virus d’Epstein-Barr ou le bacille de la tuberculose, que le système immunitaire tient en échec mais ne peut éradiquer. Ces conséquences liées aux déficits immunitaires sont prévisibles dans la mesure où, comme cela a été souligné dans cet ouvrage, la fonction normale du système immunitaire est de défendre les individus contre les infections et certains cancers. Les troubles provoqués par un dysfonctionnement de l’immunité sont appelés immunodéficiences. Certaines de ces maladies peuvent provenir d’anomalies génétiques affectant un ou plusieurs constituants du système immunitaire. Elles sont alors appelées immunodéficiences congénitales (ou primaires). D’autres altérations du système immunitaire peuvent provenir d’infections, de carences nutritionnelles, de traitements responsables d’une perte ou d’anomalies de la fonction de différents éléments du système immunitaire. Il s’agira alors d’immunodéficiences acquises (ou secondaires). Dans ce chapitre, nous décrivons les causes et la pathogénie des immunodéficiences congénitales et acquises. Parmi les immunodéficiences acquises, ce chapitre traite plus particulièrement du syndrome d’immunodéficience acquise (sida), maladie qui résulte d’une infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), l’une des infections les plus dévastatrices à travers le monde.
Les questions suivantes sont abordées :
Quels sont les mécanismes qui compromettent l’immunité dans les immunodéficiences les plus fréquentes ?
Comment le VIH provoque-t-il les anomalies cliniques et pathologiques du sida ?
Immunodéficiences congénitales
Les immunodéficiences congénitales (ou primaires) sont dues à des anomalies génétiques qui entraînent le blocage de la maturation ou des fonctions de différents éléments du système immunitaire. On estime qu’environ une personne sur 500 aux États-Unis et en Europe souffre à des degrés divers d’immunodéficience congénitale. Toutes les immunodéficiences congénitales ont en commun plusieurs caractéristiques, la principale étant les complications infectieuses (fig. 12.1). Cependant, les manifestations cliniques et pathologiques des différentes immunodéficiences congénitales peuvent présenter des différences considérables. Certaines de ces maladies, qui peuvent se déclarer tôt après la naissance, entraînent une très forte augmentation de la sensibilité aux infections et peuvent même s’avérer fatales si la déficience n’est pas corrigée. Les autres immunodéficiences congénitales, qui entraînent des infections légères, pourront être détectées au cours de la vie adulte.
Fig. 12.1 Caractéristiques des déficits immunitaires.
Le tableau résume les principales caractéristiques diagnostiques et cliniques des déficits immunitaires affectant différentes composantes du système immunitaire. Dans chaque groupe, différentes maladies et même différents patients souffrant de la même maladie peuvent montrer des variations considérables. Une diminution du nombre de cellules B ou T est souvent observée dans certaines de ces maladies.
EBV, virus d’Epstein-Barr ; Ig, immunoglobuline.
Cette section décrit brièvement la pathogénie de certaines immunodéficiences. Certaines de ces maladies ont été mentionnées au cours des chapitres précédents afin d’illustrer l’importance physiologique des différents éléments du système immunitaire. Comme nous l’avons vu au chapitre 9, des déficiences congénitales touchant des molécules impliquées dans la tolérance au soi se manifestent par une maladie auto-immune.
Défauts de maturation des lymphocytes
De nombreuses immunodéficiences congénitales résultent d’anomalies génétiques entraînant le blocage de la maturation des lymphocytes B, des lymphocytes T ou des deux lignées (fig. 12.2 et 12.3). Les troubles qui ont pour origine des dysfonctionnements des deux lignées lymphocytaires B et T du système immunitaire adaptatif sont classés comme déficiences immunitaires combinées sévères (SCID, severe combined immunodeficiency).
Fig. 12.2 Immunodéficiences congénitales provoquées par des anomalies de maturation des lymphocytes.
Certaines des immunodéficiences les plus courantes causées par des défauts génétiques dans la maturation des lymphocytes sont présentées. Les voies de maturation des lymphocytes sont décrites au chapitre 4. JAK3 (Janus kinase 3) est une kinase impliquée dans la signalisation par les récepteurs de nombreuses cytokines ; ARTEMIS est une protéine impliquée dans la recombinaison des gènes des récepteurs d’antigène ; BTK (Bruton’s tyrosine kinase) est une kinase qui délivre des signaux du pré-BCR et du BCR ; ZAP-70 est une kinase impliquée dans la signalisation du TCR et les protéines TAP transportent des peptides pour leur présentation par des molécules du CMH de classe I.
ADA, adénosine désaminase ; CSH, cellule souche hématopoïétique ; SCID, déficit immunitaire combiné sévère ; DP, double positifs ; PLC, progéniteur lymphoïde commun ; PNP, purine nucléoside phosphorylase ; RAG, recombinaison-activating gene.
Fig. 12.3 Caractéristiques des immunodéficiences congénitales dues à des anomalies de la maturation lymphocytaire.
Le tableau reprend différents déficits immunitaires congénitaux dans lesquels des blocages génétiques ont été identifiés et présente leurs principales caractéristiques.
ADA, adénosine désaminase ; SCID, déficit immunitaire combiné sévère ; Ig, immunoglobuline ; IL-7, interleukine 7 ; PNP, purine nucleoside phosphorylase ; RAG, recombination-activating gene.
Plusieurs anomalies génétiques différentes provoquent des déficiences immunitaires combinées sévères. Environ la moitié de ces cas sont liés au chromosome X et n’affectent par conséquent que les enfants de sexe masculin. Plus de 99 % des cas de SCID liés à l’X sont provoqués par des mutations d’une sous-unité de signalisation d’un récepteur de plusieurs cytokines. Cette sous-unité est dénommée chaîne γ commune (γc), car ce composant est partagé par les récepteurs de nombreuses cytokines, notamment les interleukines IL-2, IL-4, IL-7, IL-9 et IL-15 — du fait que la chaîne γc a été identifiée pour la première fois comme l’une des trois chaînes du récepteur pour l’IL-2, elle est souvent dénommée la chaîne IL-2Rγ. Lorsque la chaîne γc n’est pas fonctionnelle, les lymphocytes immatures aux stades pro-T et pro-B ne peuvent plus proliférer en réponse à l’IL-7, le principal facteur de croissance de ces cellules. Une réponse déficiente à l’IL-7 raccourcit la survie et perturbe la maturation des précurseurs des lymphocytes. Chez l’homme, cette anomalie affecte principalement la maturation des lymphocytes T, alors que chez la souris, le nombre de cellules B est aussi fortement réduit. La conséquence de ce blocage est une réduction importante du nombre de lymphocytes T matures, une altération de l’immunité cellulaire et une immunité humorale insuffisante provoquée par l’absence de coopération des lymphocytes T — même si par ailleurs les lymphocytes B parviennent à maturité presque normalement. Les cellules NK sont également déficientes, car la chaîne γc fait partie du récepteur de l’IL-15, la cytokine principale responsable de la prolifération et de la maturation des cellules NK.
Environ la moitié des cas de SCID autosomique sont provoqués par des mutations d’une enzyme appelée adénosine désaminase (ADA), qui participe à la dégradation des purines. Le déficit en ADA conduit à une accumulation de métabolites toxiques des purines dans les cellules qui synthétisent activement de l’ADN, c’est-à-dire les cellules en prolifération. Les lymphocytes sont particulièrement susceptibles aux altérations par des métabolites des purines, car ces cellules prolifèrent énormément au cours de leur maturation. Le déficit en ADA bloque davantage la maturation des lymphocytes T que celle des lymphocytes B ; le dysfonctionnement de l’immunité humorale est en grande partie une conséquence du déficit fonctionnel des lymphocytes T auxiliaires. Un phénotype similaire est observé chez des sujets qui ont une déficience de la purine nucléotide phosphorylase (PNP). Une autre cause importante de SCID autosomique provient de mutations d’un gène codant une kinase participant aux voies de signalisation induites par la chaîne γc des récepteurs de cytokines. Ces mutations provoquent les mêmes anomalies que le SCID lié à l’X et dû à des mutations de la chaîne γc, comme décrit plus haut. De rares cas de SCID autosomique sont provoqués par des mutations des gènes RAG1 et RAG2, qui codent des composants de la recombinase V(D)J. Ceux-ci sont nécessaires à la recombinaison des gènes codant les immunoglobulines et les récepteurs des lymphocytes T, ainsi que pour la maturation des lymphocytes (voir chapitre 4). Avec la généralisation du dépistage d’immunodéficience congénitale chez les nouveau-nés, d’autres causes de SCID sont souvent découvertes.
Le syndrome clinique le plus fréquent provoqué par un blocage de la maturation des lymphocytes B est l’agammaglobulinémie liée à l’X (connue jadis sous le nom d’agammaglobulinémie de Bruton). Dans cette maladie, les lymphocytes B de la moelle osseuse ne parviennent pas à dépasser le stade de lymphocyte pré-B, ce qui entraîne une diminution sévère, voire une absence de lymphocytes B matures et d’immunoglobulines sériques. Cette maladie, provoquée par des mutations du gène codant une kinase dénommée tyrosine kinase des lymphocytes B ou tyrosine kinase de Bruton (BTK, Bruton’s tyrosine kinase), aboutit à un défaut de production ou de fonction de cette enzyme. L’enzyme est activée par le prérécepteur des lymphocytesB exprimé par les lymphocytes pré-B, et elle participe à la transmission de signaux biochimiques responsables de la prolifération et de la maturation de ces cellules. Le gène codant cette enzyme est situé sur le chromosome X. Par conséquent, les femmes qui portent un allèle mutant du gène Btk sur l’un de leurs chromosomes X transmettent la maladie, et la descendance masculine héritant du chromosome X anormal sera affectée. Environ un quart des patients souffrant d’agammaglobulinémie liée à l’X développent des maladies auto-immunes, en particulier des arthrites ; un lien entre une immunodéficience et l’auto-immunité semble paradoxal : une explication possible de cette association est que BTK contribue à la signalisation du BCR et serait donc nécessaire pour l’induction de la tolérance centrale des lymphocytes B ; une BTK défectueuse pourrait ainsi entraîner l’accumulation de lymphocytes B autoréactifs.
Les déficits sélectifs de la maturation des lymphocytesT sont assez rares. Le plus fréquent d’entre eux est le syndrome de Di George, qui se traduit par un développement incomplet du thymus (et des glandes parathyroïdes) et par un défaut de maturation des lymphocytes T. Les patients souffrant de cette maladie ont tendance à voir leur état de santé s’améliorer avec l’âge, vraisemblablement parce que la faible quantité de tissu thymique qui néanmoins se développe permet d’assurer une certaine maturation des lymphocytes T.
Le traitement des immunodéficiences primaires qui affectent la maturation lymphocytaire varie selon la maladie. Les SCID sont mortels dans les premières années de la vie, à moins que le système immunitaire du patient ne soit reconstitué. Le traitement le plus largement utilisé est la transplantation de cellules souches hématopoïétiques, avec respect le plus strict possible de la compatibilité entre donneur et receveur afin d’éviter les réactions, potentiellement graves, du greffon contre l’hôte. En cas de déficience sélective des lymphocytes B, les patients peuvent être traités par l’administration d’immunoglobulines de donneurs sains, ce qui leur procure une immunité passive. Ce traitement de substitution s’est avéré particulièrement bénéfique dans l’agammaglobulinémie liée à l’X. Le traitement idéal de l’ensemble des immunodéficiences congénitales est la thérapie génique. Ce traitement reste cependant un objectif lointain pour la plupart des maladies. Les résultats les plus impressionnants de la thérapie génique ont été obtenus chez des patients souffrant de SCID lié à l’X dont le système immunitaire a été reconstitué au moyen des cellules de leur propre moelle osseuse dans lesquelles un gène normal de γc avait été introduit. Chez certains de ces patients, cependant, une leucémie à cellules T s’est développée plus tard, apparemment parce que le gène avait été inséré près d’un oncogène, qui a été ainsi activé. Chez tous les patients souffrant de ces maladies, les infections qui surviennent sont traitées, le cas échéant, par des antibiotiques.
Défauts d’activation et de fonction des lymphocytes
Avec l’amélioration des connaissances quant aux molécules impliquées dans l’activation et les fonctions des lymphocytes, on a identifié des mutations et d’autres anomalies touchant ces molécules et entraînant ainsi des immunodéficiences (fig. 12.4). Cette section décrit certaines maladies dans lesquelles les lymphocytes viennent normalement à maturité, mais dont l’activation et les fonctions effectrices sont altérées.
Fig. 12.4 Immunodéficiences congénitales associées à des anomalies de l’activation et des fonctions effectrices des lymphocytes.
Les déficits immunitaires congénitaux peuvent être provoqués par des anomalies génétiques affectant l’expression des molécules nécessaires à la présentation des antigènes aux lymphocytes T, la signalisation par les récepteurs d’antigènes des lymphocytes T ou B, l’activation des lymphocytes B et des macrophages par les lymphocytes T auxiliaires et la différenciation des cellules B productrices d’anticorps. Des exemples de points de blocage des réponses immunitaires sont illustrés en A et les caractéristiques de certaines de ces maladies sont résumées en B. Notez que des anomalies dans l’expression du CMH de classe II et dans la signalisation du complexe TCR peuvent causer une maturation défectueuse des lymphocytes T (voir fig. 12.2), ainsi qu’une activation défectueuse des lymphocytes en voie de maturation, comme montré ici.
AID, désaminase induite par activation ; Ig, immunoglobuline ; CMH, complexe majeur d’histocompatibilité ; TCR, récepteur des cellules T ; ZAP-70, protéine de 70 kDa associée à la chaîne ζ.
Le syndrome d’hyper-IgM lié à l’X est caractérisé par un défaut de la commutation de classe (isotype) de la chaîne lourde des lymphocytes B, aboutissant à une prépondérance des IgM dans le sérum et à une déficience sévère de l’immunité cellulaire contre les microbes intracellulaires. Cette maladie est provoquée par des mutations du ligand de CD40 (CD40L), la protéine des lymphocytes T auxiliaires qui se lie au récepteur CD40 se trouvant sur les lymphocytes B, les cellules dendritiques et les macrophages, et qui assure par conséquent l’activation de ces cellules (voir chapitres 6 et 7). L’incapacité d’exprimer un ligand de CD40 fonctionnel conduit à une altération des réponses des lymphocytes B dépendant des lymphocytes T, notamment un défaut de commutation isotypique dans l’immunité humorale, ainsi qu’à un défaut d’activation des macrophages dépendant des lymphocytes T dans l’immunité cellulaire. Les garçons atteints de cette maladie sont sensibles à une infection par Pneumocystis jirovecii, un champignon qui survit dans les phagocytes en absence de stimulation par les lymphocytes T. Un rare syndrome hyper-IgM autosomique récessif touche les sujets dont l’enzyme AID (activation-induced deaminase) impliquée dans la commutation isotypique et les hypermutations somatiques est altérée par des mutations (voir chapitre 7).
Les déficiences génétiques affectant la production de certains isotypes d’Ig sont assez fréquentes. Un individu sur 700 pourrait être atteint d’une déficience en IgA sans que cela n’entraîne de trouble clinique chez la plupart de ces patients. L’anomalie provoquant ces déficiences reste inconnue dans la majorité des cas ; rarement, elles sont dues à des mutations des gènes codant les régions constantes des chaînes lourdes d’Ig. L’immunodéficience commune et variable est un ensemble hétérogène de maladies constituant la forme la plus commune des immunodéficiences primaires. Ces troubles sont caractérisés par des réponses humorales insuffisantes contre les infections et par une réduction des concentrations sériques d’IgG, d’IgA et souvent d’IgM. Les causes sous-jacentes de l’immunodéficience commune et variable comprennent des défauts dans différents gènes impliqués dans la maturation et l’activation des lymphocytes B. Certains patients ont des mutations dans les gènes codant des récepteurs pour la croissance des cellules B ou des costimulateurs impliqués dans les interactions entre cellules T et B. Les patients développent des infections récurrentes, des maladies auto-immunes et des lymphomes.
Une activation défectueuse des lymphocytes T peut résulter d’un défaut dans l’expression des molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH). Le syndrome des lymphocytes nus est une maladie liée à l’absence des molécules du CMH de classe II, suite à des mutations affectant les facteurs de transcription qui induisent normalement l’expression de ces molécules. Rappelons que les molécules du CMH de classe II présentent les antigènes peptidiques afin qu’ils soient reconnus par les lymphocytes T CD4+, cette reconnaissance étant essentielle pour la maturation et l’activation des lymphocytes T. Cette maladie se manifeste par une diminution très importante du nombre de lymphocytes T CD4+, provoquée par un défaut de maturation de ces lymphocytes dans le thymus et une activation défectueuse dans les organes lymphoïdes périphériques.
De rares cas de déficiences sélectives de lymphocytes T ont été décrits. Les mutations affectent des voies de signalisation, des cytokines ou des récepteurs impliqués dans la différenciation des cellules T naïves en cellules effectrices. Selon le gène muté et l’étendue de l’anomalie, c’est l’ensemble de l’immunité cellulaire qui sera affecté ou seulement certaines de ses composantes : par exemple, si les lymphocytes TH1 sont touchés, le patient sera prédisposé aux infections mycobactériennes atypiques ; mais s’il s’agit des lymphocytes TH17, les infections fongiques ou bactériennes prédomineront. Ces déficiences sont des maladies rares, mais elles ont été très instructives, car elles ont révélé l’importance des diverses voies d’activation des lymphocytes T.