12. Évaluation nutritionnelle de l’insuffisant respiratoire chronique obstructif

Chapitre 12. Évaluation nutritionnelle de l’insuffisant respiratoire chronique obstructif

Éric Marchand




L’importance de la nutrition comme déterminant de l’état de santé général est largement acceptée. Toutefois, ce n’est que relativement récemment qu’on s’est intéressé à l’importance de l’état nutritionnel des patients souffrant de maladies respiratoires chroniques, en particulier dans le cadre de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et de la mucoviscidose. Dans ces affections, la perte de poids et la dénutrition sont des facteurs ayant un impact négatif tant sur le pronostic vital que sur la qualité de vie, comme nous le discuterons plus tard en prenant l’exemple de la BPCO.


Comment évaluer l’état nutritionnel ?



Le poids et la taille


La mesure du poids et de la taille permet le calcul de divers indices pouvant servir de première base à l’évaluation de l’état nutritionnel. La mesure du poids s’effectue idéalement en sous-vêtements, le matin à jeun.

Le poids du sujet est comparé à une valeur normale de référence pour évaluer son état nutritionnel. Deux méthodes sont couramment utilisées. La première consiste à exprimer le poids en pourcentage du poids idéal établi en fonction des tables des compagnies d’assurance-vie [1]. On considère généralement qu’il existe une dénutrition lorsque le poids observé est inférieur à 90 % du poids idéal. La seconde méthode consiste à calculer l’indice de masse corporelle (IMC) ou indice de Quételet. C’est le rapport poids (kg)/taille (m)2 ; il s’exprime donc en kg/m2. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère que la fourchette d’IMC normal ou idéal se situe entre 18,5 et 24,9kg/m2. En dessous de 18,5kg/m2, on parlera de maigreur, alors qu’on parlera souvent de dénutrition en dessous de 17kg/m2. La surcharge pondérale est définie par un IMC supérieur à 25kg/m2, l’obésité par un IMC supérieur à 30kg/m2. Au-delà de 40kg/m2, on parle d’obésité morbide [2].

Par ailleurs, il semble que la valeur seuil d’IMC en deçà de laquelle une dénutrition doit être évoquée augmente avec l’âge, particulièrement au-delà de 65 ans [3]. Certains auteurs ou sociétés savantes considèrent donc que la limite inférieure normale d’IMC proposée par l’OMS est trop basse. Dans nos sociétés développées en particulier, on propose souvent de retenir comme patient à risque de dénutrition ceux présentant un IMC inférieur à 20kg/m2, surtout après 65 ans [4].

Il est toutefois important de noter que si l’on considère comme normal un état nutritionnel où existe un équilibre entre apports et besoins protéinoénergétiques, l’IMC est un reflet imparfait de cet état nutritionnel. Il est donc hasardeux de conclure à une dénutrition (définie par un déséquilibre entre apports et besoins protéinoénergétiques, associé à une perte tissulaire involontaire) sur seule base d’un IMC inférieur à 17 ou 20kg/m2.


Estimation de la masse maigre, de la masse grasse et de la masse musculaire




À partir des mesures anthropomorphiques



Les plis cutanés


La mesure de l’épaisseur du pli cutané qui consiste en une double couche de peau et de graisse sous-cutanée permet une évaluation de la masse grasse de l’organisme [5]. Ceci repose sur le postulat qu’il existe une relation constante entre la masse grasse totale et l’épaisseur de la graisse sous-cutanée aux endroits où sont effectuées les mesures. Ceci n’est pas toujours le cas, en particulier chez les sujets âgés où la graisse est préférentiellement située au niveau du tronc. Ainsi, cette méthode tend à surestimer la MM et sous-estimer la MG chez des patients BPCO [6]. Les mesures de plis cutanés sont le plus souvent effectuées à l’aide d’un compas adapté au niveau bicipital, tricipital, suprailiaque et sous-scapulaire. Elles sont réalisées par traction franche du pli entre le pouce et l’index de manière à ne saisir que la peau et la graisse sous-cutanée, sans muscle. Bien que simple, la mesure de l’épaisseur du pli cutané nécessite une certaine expérience.


Mesure de la circonférence brachiale


Elle s’effectue à mi-distance entre l’acromion et l’olécrâne, à l’endroit où sont mesurés les plis cutanés bicipital et tricipital. On peut obtenir une évaluation de la circonférence musculaire brachiale en combinant les mesures de circonférence brachiale (CB) et la mesure du pli cutané tricipital (PCT) [ou alternativement la moyenne des plis cutanés tricipital et bicipital] : CMB = CB − (π × PCT). Comme celle des plis cutanés, cette mesure a été peu utilisée dans l’évaluation nutritionnelle des patients souffrant de pathologies respiratoires chroniques [7, 8 and 9]. Ainsi que pour toutes les mesures anthropométriques, la présence d’œdème qui influence la mesure doit rendre prudente son interprétation.

À partir des mesures des plis cutanés et des circonférences brachiales, des équations évaluant les masses grasse et maigre ont été proposées. Ces mesures sont toutefois non validées et représentent une évaluation assez grossière. Le lecteur intéressé trouvera plus de renseignements à ce sujet dans un document de synthèse publié par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes) française disponible sur la Toile [4].


Méthodes physiques et d’imagerie


La technique la plus courante, qui permet de plus une utilisation au lit du malade, est l’impédance bioélectrique. Elle consiste à faire passer un courant alternatif de faible intensité d’une extrémité à l’autre de l’organisme (par des électrodes placées au poignet et à la cheville). Cette technique est tout à fait indolore. La mesure de la résistance (impédance) à ce courant permet d’extrapoler le volume de l’eau corporelle et donc la MM, en admettant un facteur d’hydratation constant (73 %). La MG est alors calculée par soustraction. Le poids, la taille, l’âge, le sexe sont nécessaires pour obtenir ces résultats à partir des diverses équations prédictives proposées.

L’absorptiométrie biénergétique (dual energy X-ray absorptiometry [DEXA]) permet une analyse de l’image densitométrique du corps entier, ainsi que l’analyse de la composition corporelle globale et de sa distribution régionale. La DEXA permet en effet de mesurer simultanément la composition corporelle en termes de MM, de MG et de masse calcique. Il s’agit d’une méthode coûteuse. D’autres techniques telles que la dilution isotopique qui permet une mesure de l’eau totale par dilution d’isotopes stables peuvent également être utilisées, mais sont réservées à la recherche car coûteuses et difficiles à mettre en œuvre.


Pourquoi une évaluation nutritionnelle ? L’exemple de la BPCO


L’état nutritionnel d’un patient BPCO est important à prendre en compte tant comme déterminant de sa tolérance à l’exercice que comme élément pronostique. La proportion de patients BPCO présentant un poids inférieur au poids idéal dépend bien entendu de la population étudiée. Elle augmente ainsi avec la gravité de la BPCO. Dans l’IPPB Trial aux États-Unis, 16 % des patients avec un volume expiratoire maximum par seconde (VEMS) supérieur à 47 % des valeurs prédites présentaient un poids inférieur à 90 % du poids idéal, contre 21 % et 35 % pour un VEMS entre 35 et 47 % et inférieur à 35 % des valeurs prédites, respectivement [10]. Chez des patients enrôlés dans un programme de réhabilitation respiratoire, Schols et al. ont pu mettre en évidence qu’environ un tiers des patients présentant un poids inférieur à 90 % du poids idéal avaient en fait une MM normale et qu’en revanche 15 % des patients avec un poids normal avaient en fait une MM abaissée [11]. Selon les critères utilisés, la proportion de patients présentant un IMC normal et une MM diminuée peut monter jusqu’à 30 % dès le stade modéré de la BPCO selon Global Initiative for Chronic Obstructive Lung Disease (GOLD) [VEMS < 80 % valeurs prédites] [12].


L’état nutritionnel influence le pronostic vital dans la BPCO


Dans la population générale, il existe un excès de mortalité tant chez les patients dénutris que chez les patients obèses. À l’inverse, chez les patients BPCO, si un IMC abaissé est effectivement associé à une mortalité très augmentée, l’obésité est associée à un meilleur pronostic vital, en tout cas lorsque le VEMS chute sous 50 % [13]. Lorsque l’IMC est normal, une MM abaissée est également un facteur de mauvais pronostic vital [12].

L’évolution de l’état nutritionnel d’un patient BPCO est également un déterminant important du pronostic vital. Ainsi, comme dans la population générale, une perte de poids est associée à une mortalité augmentée. Chez les patients BPCO présentant un IMC inférieur à 25, une prise pondérale améliore le pronostic vital [14]. Ceci rejoint des observations faites par l’équipe de Maastricht, qui avait constaté que les patients qui gagnaient du poids dans un programme de supplémentation nutritionnelle avaient un meilleur pronostic vital [15].

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Oct 9, 2017 | Posted by in IMAGERIE MÉDICALE | Comments Off on 12. Évaluation nutritionnelle de l’insuffisant respiratoire chronique obstructif

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