Chapitre 12. Dépression et idées de suicide*
Bien souvent, devant des idées dépressives exprimées lors d’un entretien, le thérapeute se sent limité au premier lien : celui de leur origine, de leur causalité. Or, il existe 3 ou 4 étapes psychothérapeutiques, elles peuvent servir de guide au fil des entretiens.
Comment décèle-t-on la tristesse ?
À l’exception de circonstances où le patient l’exprime spontanément car il ne se sent pas bien et s’autorise de la partager, dans bien des cas, ce sera au thérapeute de traduire ce qu’il voit ou ce qu’il ressent en posant devant divers tableaux la question d’un moment de tristesse ou de détresse chez son patient.
Certains restent silencieux, taciturnes. De façon défensive, ils ne souhaitent pas aborder le sujet. Mais ils montrent, aussi bien par leur attitude que par les éléments non verbaux de leur gestuelle, qu’ils ne se sentent pas bien.
Chez d’autres patients, la tristesse se manifeste par de la colère, de l’irritabilité. Un peu comme une personne piquée à vif, ils peuvent répondre de façon hostile ou lapidaire : « Pourquoi posez-vous toutes ces questions ; de toute façon ça ne sert à rien ? ».
Chez d’autres enfin, l’expression de la tristesse passe par des comportements de prise d’alcool ou de cannabis. Parfois, ces comportements expriment l’impulsivité, l’agressivité ; ceci peut être une rupture manifeste avec l’état habituel de la personne. Parfois, ce sont les proches qui donnent la clé de l’état d’esprit du sujet, ils indiquent, en contradiction avec les propos du patient, qu’il a pu exprimer des idées défaitistes, morbides ou suicidaires.
La reconnaissance de la tristesse s’accompagne forcément d’une évaluation de son intensité. S’agit-il d’une tristesse fluctuante, plastique, modelable ? Ce type de tristesse se dissipera devant un événement positif, une compagnie distrayante, un divertissement joyeux. À l’inverse, il existe des tristesses permanentes, sombres, nourries de ruminations dont on doit en permanence poser la question si elles s’accompagnent d’idées morbides pour l’individu. Ces idées morbides répondent à des questions du type : « Avez-vous eu des idées agressives envers vous-même, avez-vous pensé qu’il valait mieux tout arrêter ; avez-vous eu des idées très noires ? ». Il s’agit dès lors en cas de réponses positives d’apprécier la permanence de ce type d’idées. Deux niveaux de gravité supplémentaire s’expriment par des projets ou des plans de suicidesuicide puis par un début de mise à exécution : préparatifs, achat d’agents toxiques… Une fois ces éléments reconnus, le premier lien de causalité cherche à définir l’origine de la tristesse ; c’est ce lien qui vient le premier à l’esprit.
Cause de la tristesse
À la question « pourquoi êtes-vous triste ? » répond dans la plupart des cas une explication du patient. Cette explication concerne une déception, un deuil, une perte réelle ou symbolique. Dans les pertes réelles, il s’agit de deuils au premier rang desquels les enfants, les conjoints et les parents − il a déjà été souligné l’importance des animaux de compagnie. Dans certains cas, les pertes réelles touchent les capacités corporelles : cécité, surdité, paralysie d’une fonction… Les pertes symboliques concernent des statuts professionnels, des échecs à des examens ou à des progressions dans une hiérarchie ou dans une carrière.
Certaines pertes symboliques renvoient à des ambiances, à la nostalgie d’époques antérieures.
Clémence a vécu toute son enfance dans un quartier où les rues étaient bordées de vieux platanes dressant une voûte ombragée entre les enfilades de maisons. Ces rues représentaient ses premiers pas, ses randonnées en bicyclette, les moments heureux au sein de sa famille. Deux ans après le départ de ses enfants pour faire leurs études, la réfection de la voirie dans son quartier va imposer l’abattage des arbres. À ce moment un diabète survient. Clémence a le double sentiment de devenir malade et de perdre une partie importante de sa vie ; elle emprunte le fusil de son mari et tire des chevrotines dans son ventre. Quelques mois plus tard, Clémence peut dire que ces arbres abattus, tronçonnés sur le trottoir lui paraissaient être des figures humaines.