Chapitre 11 Tumeurs non épithéliales
Hémopathies malignes
Les hémopathies malignes sont développées à partir des cellules d’origine hématopoïétique et sont classées selon 4 lignées de différenciation : myéloïde, lymphoïde, histiocytaire/dendritique et mastocytaire. Elles se manifestent soit par une leucémie (= envahissement sanguin et médullaire) soit sur un mode tumoral (on parle alors de lymphome pour les hémopathies lymphoïdes).
L’immunohistochimie est presque toujours nécessaire au diagnostic anatomopathologique des hémopathies. Elle permet habituellement de préciser l’origine ou le phénotype de la prolifération hématopoïétique. Sur les prélèvements tissulaires parvenus non fixés, il est possible de réaliser des appositions (permettant une étude cytologique), de la congélation (pour études en biologie moléculaire), de la cytogénétique ou de la cytométrie en flux, techniques qui apportent des renseignements complémentaires et sont parfois indispensables pour classer précisément la maladie (voir chapitre 1).
Hémopathies myéloïdes
Elles se développent à partir des cellules souches hématopoïétiques précurseurs de la lignée myéloïde (érythrocytaire, granuleuse et mégacaryocytaire). Elles sont le plus souvent diagnostiquées par les hémato-cytologistes, mais les pathologistes sont parfois sollicités : localisation extra-médullaire, évaluation de la fibrose et de la richesse médullaire, etc.
On rappellera ici seulement les trois principales catégories de néoplasies myéloïdes :
• Leucémies aiguës myéloblastiques (LAM).
• Syndromes myéloprolifératifs. Ils sont habituellement associés à la production excessive de cellules myéloïdes matures (différenciées). Les principaux syndromes myéloprolifératifs sont les suivants :
• Syndromes myélodysplasiques. Ils représentent un groupe d’affections clonales des précurseurs myéloïdes caractérisés par une hématopoïèse inefficace (défaut de maturation) avec cytopénie et comportent un risque de transformation en leucémie aiguë.
Hémopathies lymphoïdes
Plus de 80 % des hémopathies lymphoïdes dérivent de la lignée B. La classification OMS distingue les proliférations des précurseurs lymphoïdes (B ou T), les lymphomes B, les lymphomes T et NK (natural killer) et la maladie de Hodgkin.
Certaines hémopathies lymphoïdes se présentent souvent sous forme leucémique, comme les proliférations des précurseurs lymphoïdes (= leucémies lymphoblastiques) ou la leucémie lymphoïde chronique. Mais des hémopathies malignes de même nature peuvent se présenter sous forme essentiellement tumorale, et seront alors dénommées lymphome (respectivement lymphome lymphoblastique et lymphome lymphocytique). Les lymphomes (ganglionnaires ou extra-ganglionnaires) ont un aspect macroscopique typiquement « chair de poisson » : blanc nacré, luisant, homogène (figure 11.1).
Les hémopathies lymphoïdes sont des entités d’agressivité très variable.
Les lymphomes sont classés en deux groupes principaux :
• cytologiques : taille des cellules (petite, moyenne ou grande), aspect des noyaux ou des cytoplasmes ;
• histologiques : architecture diffuse ou nodulaire ;
• phénotypiques : lymphomes B ou T/NK ;
• génotypiques : avec notamment des translocations récurrentes pouvant être mises en évidences par des techniques de biologie moléculaire ou de cytogénétique.
Pour plus d’informations, voir le complément en ligne En savoir plus 11.1 : « Étude phénotypique et génotypique des lymphomes ».
En savoir plus 11.1
Étude phénotypique et génotypique des lymphomes
Hémopathies lymphoïdes matures B
• La leucémie lymphoïde chronique (LLC) B et le lymphome lymphocytique B sont des proliférations de petits lymphocytes B matures (figure 11.2) exprimant le plus souvent le CD5 et le CD23. Ces proliférations évoluent sur un mode chronique, mais peuvent se transformer en lymphomes plus agressifs (= syndrome de Richter).
• La macroglobulinémie de Waldenström et le lymphome lymphoplasmocytaire sont souvent révélés par un pic monoclonal à IgM. Ce sont des proliférations de petites cellules B avec souvent une différentiation plasmocytaire. Leur évolution est souvent prolongée.
• Les lymphomes B de la zone marginale, qu’ils soient ganglionnaires, spléniques ou extra-ganglionnaires, sont des proliférations de petits lymphocytes B matures, généralement CD5 négatifs. Leur évolution est souvent indolente pendant de longues années. L’atteinte gastrique (lymphome du MALT de faible grade) est le plus souvent liée à une infection par Helicobacter pylori.
• Les lymphomes du manteau dérivent des cellules situées en périphérie des centres germinatifs. Ils sont liés à une translocation chromosomique t(11; 14) qui induit une surexpression de la cycline D1, et donc une anomalie du contrôle du cycle cellulaire. Ils sont de plus mauvais pronostic que les autres lymphomes B matures.
• Les lymphomes folliculaires sont parmi les plus fréquents des lymphomes. L’atteinte ganglionnaire est d’architecture nodulaire avec un mélange de petites cellules (centrocytes) et de grandes cellules (centroblastes). La translocation chromosomique t(14; 18) est très fréquente et responsable de la surexpression de la protéine anti-apoptotique Bcl2. Les lymphomes folliculaires peuvent se transformer en lymphomes agressifs.
• Les lymphomes diffus à grandes cellules B sont les lymphomes les plus fréquents (deux tiers des lymphomes agressifs ou « de haut grade »). Les grandes cellules (centroblastes et/ou immunoblastes) se disposent en plages diffuses.
• Les lymphomes de Burkitt (figure 11.3) sont des lymphomes très agressifs surtout observés chez l’enfant et l’adulte jeune, caractérisés par une prolifération intense de cellules B de taille moyenne contenant une translocation t(8; 14) ou plus rarement t(2; 8) ou t(8; 22), responsable d’une surexpression de l’oncogène MYC. Malgré leur grande agressivité, ils répondent en général favorablement à une chimiothérapie lourde.
• La plus fréquente des proliférations plasmocytaires est le myélome (myélome multiple ou maladie de Kahler), qui se manifeste souvent par une atteinte osseuse lytique (figure 11.4), et/ou par un pic d’immunoglobuline monoclonale.
Figure 11.2 Leucémie lymphoïde chronique (LLC) : prolifération médullaire faite de petits lymphocytes matures.
Figure 11.3 Lymphome de Burkitt : cellules à chromatine immature et présence de macrophages dispersés.
Maladie de Hodgkin (lymphome de Hodgkin)
C’est une affection tumorale du tissu lymphoïde, touchant préférentiellement les sujets jeunes, caractérisée par une prolifération de cellules malignes de grande taille dont certaines, les cellules de Reed-Sternberg, sont nécessaires au diagnostic de la maladie. Ces cellules, qui ne représentent que 1 à 5 % de la masse tumorale le plus souvent, induisent l’accumulation à leur voisinage de cellules non tumorales formant le « granulome hodgkinien ». La nature des cellules de Reed-Sternberg est restée mystérieuse pendant de nombreuses années, mais il est maintenant établi qu’il s’agit de cellules lymphoïdes de la lignée B, dérivant du centre germinatif.
Aspect histologique général
La tumeur associe trois éléments :
• les cellules de Reed-Sternberg, dont la détection est nécessaire au diagnostic, sont des cellules de grande taille, à noyaux multiple ou unique mais polylobé, monstrueux, dont la chromatine est abondante et irrégulièrement disposée, avec plusieurs volumineux nucléoles. Elles sont de nature lymphoïde B (figure 11.5A) ;
• les cellules de Hodgkin sont des cellules tumorales de grande taille présentant des anomalies nucléaires moins marquées que les cellules de Sternberg ;
• le granulome hodgkinien est fait de cellules normales, en proportion variée, associant des lymphocytes, des plasmocytes, des polynucléaires neutrophiles et éosinophiles, des fibroblastes, des histiocytes-macrophages (figure 11.5B). Les remaniements sont fréquents : nécrose, sclérose nodulaire (figure 11.5C).
Pour plus d’informations, voir le complément en ligne En savoir plus 11.2 : « Localisations et stades du lymphome de Hodgkin ».
En savoir plus 11.2
Localisations et stades du lymphome de Hodgkin
L’atteinte ganglionnaire est la localisation la plus fréquente. D’autres atteintes sont possibles :
• l’atteinte splénique est fréquente. Macroscopiquement, la rate est augmentée ou non de volume et comprend à la coupe des nodules disséminés blanchâtres, de taille très variable ;
• l’atteinte médullaire est recherchée systématiquement par biopsie ostéo-médullaire ;
• la recherche d’une atteinte hépatique peut se faire par ponction-biopsie ;
• la localisation médiastinale est fréquente ;
• l’atteinte pulmonaire est plus rare et correspond le plus souvent à une atteinte par contiguïté d’une masse médiastinale antérieure volumineuse.
Le bilan d’extension de la maladie aboutit à la classification d’Ann Arbor en 4 stades :
• stade I : atteinte d’un seul groupe ganglionnaire ou de deux groupes contigus ;
• stade II : atteinte de plusieurs chaînes ganglionnaires, mais d’un seul côté du diaphragme ;
• stade III : atteinte ganglionnaire des deux côtés du diaphragme ;
Proliférations histiocytaires
On distingue les histiocytoses langerhansiennes des autres histiocytoses.
Proliférations mastocytaires : mastocytoses
La localisation préférentielle des mastocytoses est cutanée. Les formes systémiques (généralisées) sont plus rares, et ont souvent une atteinte médullaire. Sur les biopsies cutanées, l’infiltration par les mastocytes peut être difficile à objectiver. La recherche de la métachromasie à la coloration de Giemsa ou l’immunohistochimie sont souvent nécessaires.
Tumeurs mélanocytaires
Les mélanocytes sont à l’état normal, des cellules pigmentaires responsables de la synthèse de la mélanine, situées dans l’assise basale de l’épiderme où ils s’intercalent entre les cellules basales. Le pigment mélanique est responsable de la teinte macroscopique noirâtre ou bleutée de la plupart des tumeurs mélanocytaires. Il apparaît microscopiquement comme des mottes noirâtres ou brunâtres intra et extra-cytoplasmiques.
Les tumeurs bénignes mélanocytaires sont appelées nævus nævocellulaires. En effet, on considère qu’une partie d’entre eux corresponds à des hamartomes cutanés, notamment ceux présents à la naissance ou apparaissant dans la petite enfance. Elles sont définies par la prolifération de cellules rondes ou fusiformes, groupées en amas (en thèques) dans l’épiderme et/ou le derme. Ces cellules, appelées « cellules næviques », sont proches des mélanocytes par leurs caractéristiques ultrastructurales, immunophénotypiques (marquage par l’anticorps anti-protéine S100, par exemple) et fonctionnelles.
Pour plus d’informations, voir le complément en ligne En savoir plus 11.3 : « Lésions pigmentées non næviques courantes ».
En savoir plus 11.3
Lésions pigmentées non næviques courantes
• Le lentigo est une lésion pigmentée plane, très noire, correspond à une simple hyperplasie (augmentation de nombre) des mélanocytes de la basale épidermique, avec hyperpigmentation.
• Les hyperpigmentations mélaniques simples, telles les éphélides (ou taches de rousseur), sont dues à un hyperfonctionnement des mélanocytes, qui sont en nombre normal mais sécrètent une plus grande quantité de mélanine.
• La pigmentation mélanique de certaines tumeurs cutanées épithéliales bénignes (verrue séborrhéique, papillome) ou malignes (carcinome basocellulaire), est due à une simple diffusion de la mélanine sécrétée par les mélanocytes adjacents, non tumoraux.
Tumeurs bénignes : nævus nævocellulaires
Cliniquement, on distingue les nævus congénitaux et les nævus acquis. Ces derniers sont les plus fréquents et apparaissent pour la plupart durant l’enfance et l’adolescence. Ce sont des lésions uniques ou multiples, de quelques millimètres de diamètre, rarement plus étendues, habituellement pigmentées, parfois pileuses, à surface lisse un peu surélevée (nævus en dôme) ou papillomateuse, en saillie sur le tégument (nævus muriforme ou tubéreux).
Microscopiquement, il s’agit d’une prolifération de cellules næviques, petites cellules arrondies au cytoplasme éosinophile peu abondant plus ou moins chargé de pigment mélanique (figure 11.6). Elles se groupent en thèques (amas arrondis d’une dizaine de cellules dont la périphérie est dépourvue de membrane basale, à la différence des massifs épithéliaux) ou forment des nappes de cellules s’étendant plus ou moins profondément dans le derme. La bénignité est affirmée sur un faisceau de critères : bonne individualisation des thèques dans la partie superficielle du derme, absence d’infiltrat inflammatoire, présence d’un gradient de maturation vertical, absence d’atypie et de mitose.
Pour plus d’informations, voir le complément en ligne En savoir plus 11.4 : « Histologie des nævus nævocellulaires ».
En savoir plus 11.4
Histologie des nævus nævocellulaires
Selon la localisation des cellules næviques dans les plans cutanés, on distingue :
• le nævus jonctionnel, où les thèques de cellules næviques sont localisées dans les couches épidermiques profondes au contact de la membrane basale. Cette disposition topographique particulière est appelée « activité jonctionnelle » ou « composante jonctionnelle » ;
• le nævus dermique, où les cellules næviques s’agencent en thèques dans le derme superficiel à distance de la membrane basale épidermique et en nappes dans le derme moyen voire profond, sans cellule nævique dans l’épiderme. Le groupement en thèques des cellules næviques prédomine toujours dans le derme superficiel, alors que dans le derme moyen et profond les cellules prennent une forme plus petite ;
• le nævus composé dont les thèques næviques sont situées à la fois dans la zone de jonction épidermique et dans le derme.
Tumeurs mélanocytaires malignes : mélanomes
Les mélanomes intéressent le plus souvent la peau, rarement les muqueuses (respiratoires, digestives, génitales), la choroïde oculaire ou les structures cérébro-méningées.
Le pronostic des mélanomes dépend de leur extension en profondeur. Le risque métastatique est d’autant plus élevé que l’invasion est profonde. En pratique, on mesure l’épaisseur de la tumeur sur la coupe en millimètres, grâce à un oculaire micrométrique gradué (indice de Breslow). Une épaisseur supérieure ou égale à 0,76 mm est un élément de mauvais pronostic. Le risque de métastases ganglionnaires, viscérales, hépatiques (figure 11.7B), pulmonaires et cérébrales (figures 11.7C,11.7D) et d’une mortalité accrue (25 % des cas) est plus élevé.
Il est important de préciser histologiquement le niveau d’invasion du mélanome en repérant sur la coupe les cellules tumorales les plus profondément situées (voir complément en ligne En savoir plus 11.5 : « Principaux types histologiques de mélanomes et stades locorégionaux (selon Clark) »).
En savoir plus 11.5
Principaux types histologiques de mélanomes et stades locorégionaux (selon Clark)
1. Mélanomes à extension superficielle initiale. Les formes superficielles se répartissent en 3 groupes :