Chapitre 11. Sexualité en pédiatrie
Ces deux termes, «sexualité» et «pédiatrie», apparaissent a priori antinomiques : la sexualité n’existe pas en pédiatrie. Lorsque l’on pense aux enfants, innocence, pureté et naïveté sont de mise. Et d’ailleurs, lorsqu’il est question de sexualité dans un service de pédiatrie, c’est généralement qu’il y a eu abus ou violence (maltraitance), c’est-à-dire une situation inacceptable et condamnable.
À un autre niveau, dans les unités pédiatriques accueillant des adolescents, lorsque la sexualité est entraperçue, les soignants sont mal à l’aise : qu’une jeune fille se retrouve enfermée dans la douche avec un jeune garçon et tout le service est sens dessus, dessous!
De la même façon, la sexualité ne trouve pas sa place dans les manuels de pédiatrie. Il est question de corps et de maladies, de syndromes et traitements, de protocoles et de conduites à tenir. L’enjeu est de réparer et de soigner, objectivement; les enjeux subjectifs sont peu abordés. Pourtant, pourquoi le bébé suce-t-il son pouce? Pourquoi l’enfant ne peut-il pas s’endormir sans son «doudou»? Qu’en est-il de la vie émotionnelle de l’enfant? Des émois adolescents? Et qu’en est-il de la «sexualité infantileSexualitéinfantile» et de ses intrications avec la maladie? Autrement dit, quelle place de la sexualité en pédiatrie?
Éléments de psychopathologie
Développement psychosexuel de l’enfant : enjeux
Parler de «développement psychosexuel» de l’enfant souligne l’étroite intrication qui existe entre le développement psychique et la sexualité au sens large du terme. La sexualité est ici à comprendre comme l’énergie avec laquelle le bébé, l’enfant, puis l’adolescent, investit sa relation à lui-même et aux autres. Cette énergie est à considérer comme le produit d’une excitation qui s’origine dans le corps (source de l’excitation) et dont le seul but est d’être soulagée afin d’abaisser le niveau de tension physique et psychique qu’elle génère. La particularité de cette excitation est qu’elle trouve son apaisement à travers la rencontre avec un certain nombre d’objets extérieurs. Sont ici réunis tous les ingrédients de ce que l’on nomme «les pulsions», qui sont à percevoir comme étant sans cesse en quête d’objets visant à soulager l’excitation. C’est ainsi que les pulsions ont une source (l’excitation d’une zone du corps qui met l’activité psychique en tension), un but (l’apaisement de cet état de tension physique et psychique), un objet (ce par quoi se satisfait la pulsion). L’énergie que ce phénomène implique est appelée «libido».
Ce qui est constant dans la vie pulsionnelle, c’est son but, c’est-à-dire la satisfaction. En revanche, la source et l’objet des pulsions évoluent au cours du temps. C’est ainsi que S. Freud (1905, 1914, 1915, 1920) a pu décrire différents stades du développement psychosexuel (stade oral, stade anal, stade urétral, stade phallique, stade œdipien) correspondant aux différentes zones du corps dont l’excitation génère un mouvement pulsionnel qui met en lien le bébé, l’enfant, puis l’adolescent, avec son environnement. L’objet des pulsions ainsi générées est, au départ, la mère (ou son substitut), qui assure les soins du bébé. Mais ces différents soins ne se limitent pas à la seule satisfaction d’un besoin primaire : le lien qui s’établit en effet entre la mère et le bébé offre à ce dernier une prime de plaisir qui dépasse le besoin initial. Le maternage comprend effectivement tout le cortège de manifestations affectives que l’on connaît, qui apporte au bébé cette prime de plaisir, et qui lui permet d’érotiser le lien à sa mère et d’entrevoir par là les prémices du plaisir et de la sexualité. L’activité autoérotique qu’il développera ensuite (succion de la langue, premiers jeux, rêves, etc.) aura pour but d’«halluciner» l’objet d’amour à travers sa propre activité autoérotique. Peu à peu, l’objet d’amour se sépare de la mère pour concerner une sphère beaucoup plus élargie. Ce processus évolutif trouve son acmé au moment de l’explosion pubertaire et génère à ce moment-là tout le travail de séparation-individuation. Ce dernier se traduit concrètement par une forte quête d’autonomie, d’autant plus que la reviviscence du complexe d’Œdipe (et son cortège de fantasmes incestueux) rend impérieuse la prise de distance entre l’adolescent (devenu sexuellement actif) et ses parents.
L’enjeu du développement psychosexuel est donc considérable : il concerne autant le développement de la libido narcissique (c’est-à-dire l’énergie avec laquelle le sujet s’investit lui-même) que la libido d’objet (c’est-à-dire l’énergie avec laquelle le sujet investit le monde extérieur), ainsi que l’équilibre nécessaire entre ces deux types d’investissements par ailleurs étroitement interdépendants. Il est par ailleurs capital de garder à l’esprit le fait que la psychogénèse s’étaye sur le corps et son développement anatomo-physiologique et pulsionnel. On comprend aussi que tout ce qui va affecter le corps (traumatisme, maladie…) interfère sur ce développement psychosexuel de l’enfant et donc sur ses capacités à investir son corps et sa psyché ainsi que le monde extérieur.
Effets de la maladie sur le développement psychosexuel de l’enfant
Effets sur l’image du corps
Image du corpsCorpsimage duLe concept d’image du corps est abordé dans le chapitre 12 («À qui appartient le corps?»).
La maladie, en attaquant le corps de manière incontrôlable, opère un déplacement de ses effets de laminage physique vers la psyché, l’appareil psychique reprenant à son compte l’attaque du corps en se l’appropriant sous une forme persécutrice afin d’en contrôler les différents mouvements. Il en va ainsi pour toute pathologie somatique, la pulsion risquant ainsi de se trouver détournée vers une jouissance dans le déplaisir, ce qui a pour effet de créer une enveloppeEnveloppe (corporelle)de souffrance (à la fois physique et psychique) dont le risque est qu’elle organise chez l’enfant tout son rapport au monde et à lui-même sous une forme masochique. L’image du corps risque ainsi de se trouver construite à partir de cette enveloppe de souffrance, et ce d’autant plus que l’enfant est jeune.
Une jeune fille anorexique nous permettra d’illustrer les effets, sur le corps cette fois, de l’attaque par la psyché : le corps de cette jeune fille est objectivement trop maigre. La perception qu’elle en a est au contraire celle d’un corps «gros». Ce qui lui pose problème, ce n’est pas l’appréhension d’un corps mis à l’épreuve de la relation à l’autre, mais l’obsession de l’image spéculaire de son corps. L’accrochage à la perception de sa propre image spéculaire l’emporte ainsi sur l’investissement libidinal du corps, qui suppose le détour par la contingence de l’autre, à l’instar de ce qui se produit lors des toutes premières expériences libidinales du bébé à l’origine de la mise en place des premières ébauches de l’image du corps. Interroger ce qu’il en est de l’image que cette patiente anorexique a de son corps, c’est introduire la question de l’articulation entre corps et libido, c’est-à-dire entre le corps et l’énergie psychosexuelle avec laquelle ce corps est investi, via le détour par l’investissement libidinal de l’autre.

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