Chapitre 11 Radiologie interventionnelle en pathologie rachidienne traumatique
Au cours de ces quinze dernières années, la prise en charge des traumatismes du rachis s’est vue grandement modifiée par les développements de la radiologie interventionnelle et notamment par l’introduction de la vertébroplastie percutanée. La vertébroplastie consiste à injecter un ciment dans un corps vertébral via un trocart osseux afin d’en assurer sa consolidation. Si cette technique a été initialement décrite par Deramond et Galibert pour traiter un angiome vertébral agressif [1], les indications de la vertébroplastie se sont rapidement étendues aux traitements des fractures vertébrales ostéoporotiques et des métastases vertébrales hyperalgiques qui constituent aujourd’hui les deux indications principales de cette technique [2].
Traitement des fractures rachidiennes ostéoporotiques par vertébroplastie percutanée
Indications
Les indications de la vertébroplastie en pathologie traumatique sont dominées par les fractures par compression vertébrale survenant chez le sujet âgé, ostéoporotique [3, 4]. Celles-ci causent douleurs, limitation fonctionnelle, bascule en cyphose. Leur traitement conventionnel associe repos, antalgiques et biphosphonates. En cas d’échec du traitement conservateur, la vertébroplastie est envisagée pour maîtriser les douleurs, assurer la consolidation vertébrale et permettre la remise en charge rapide. Le délai idéal pour réaliser ce type de procédure reste source de débat car malgré les progrès de l’imagerie, il est difficile de prédire l’évolution spontanée d’une fracture vertébrale : guérison rapide ou au contraire collapsus, voire pseudarthrose à l’origine de douleurs chroniques. La plupart des équipes considèrent qu’un délai de 4 semaines est un délai raisonnable avant de proposer une vertébroplastie pour fracture ostéoporotique, mais cette limite théorique doit être adaptée au cas par cas, en prenant en compte les comorbidités mais aussi le niveau fracturé. En effet, les fractures thoraciques nécessitent un traitement plus rapide car elles s’accompagnent de restrictions du volume pulmonaire par bascule en cyphose. Par ailleurs, la remise en charge rapide du sujet âgé ostéoporotique est un élément majeur pour réduire les complications de décubitus telles que les thrombophlébites, les pneumonies et les escarres [5].
Cliniquement, les patients présentent une douleur rachidienne mécanique exacerbée lors de la mise en charge et lors de la percussion du processus épineux de la vertèbre lésée. De nombreux patients souffrant d’ostéoporose présentent de multiples tassements vertébraux adjacents. Dans ce cas, il est très difficile de déterminer cliniquement quel(s) niveau(x) est(sont) responsable(s) de la symptomatologie douloureuse aiguë. Si la radiographie standard et le scanner donnent d’importantes informations morphologiques, l’IRM incluant des séquences T1 et T2 STIR dans le plan sagittal est l’examen décisif pour planifier une vertébroplastie. Cet examen démontre parfaitement l’œdème intraspongieux dans le corps vertébral récemment fracturé. L’IRM peut parfois montrer d’autres vertèbres pathologiques présentant un état préfracturaire (œdème sans déformation vertébrale), et relevant aussi d’une prise en charge par vertébroplastie (fig. 11.1). Les résultats de l’imagerie doivent être systématiquement confrontés aux données de l’examen clinique pour confirmer la pertinence de la vertébroplastie. Dans le cas de tassements vertébraux subaigus ou chroniques, l’absence d’œdème intraspongieux signe la consolidation ; si des douleurs persistent, elles sont alors le plus souvent en rapport avec la déformation rachidienne et relèvent d’un traitement fonctionnel [6]. En cas de contre-indication à l’IRM, l’association scintigraphie et scanner constitue une excellente alternative pour ne pas méconnaître des fractures aiguës. La clé du succès de la vertébroplastie repose sur une évaluation clinique solide, combinée à une imagerie précise et récente. En effet, les deux principaux écueils sont de méconnaître une vertèbre préfracturaire, mais aussi de surtraiter une vertèbre spontanément en voie de consolidation.
Les ostéonécroses vertébrales (syndrome de Kümmel-Verneuil) constituent une entité à part car elles évoluent vers une pseudarthrose avec collapsus vertébral lent. L’IRM montre typiquement une bande de nécrose en hypersignal T2 très intense le long du plateau vertébral supérieur mais la nécrose peut s’étendre à la totalité du corps vertébral (fig. 11.2) ; du gaz intravertébral peut être visible en scanner ou sur les clichés standard. Dans ce cas, la vertébroplastie reste indiquée même si le traumatisme initial remonte à plusieurs mois, car la vertèbre n’est pas consolidée [7]. La cimentoplastie des ostéonécroses requiert souvent des volumes de ciment très supérieurs à ceux utilisés pour les fractures ostéoporotiques simples car la cavité nécrotique doit être totalement remplie pour assurer la stabilité vertébrale. L’état du mur vertébral postérieur doit être précisément analysé sur les coupes axiales de scanner ou d’IRM, car les ostéonécroses peuvent induire une séparation d’un fragment libre postérieur, susceptible d’être déstabilisé vers le canal lors de l’injection de ciment.
Fig. 11.2 Ostéonécrose vertébrale.
c, d. Du gaz intravertébral est visible en scanner (c) et en radiographie conventionnelle (d).
e. Mise en place du trocart de vertébroplastie dans le foyer de nécrose.
Technique de vertébroplastie percutanée
La vertébroplastie percutanée peut être réalisée sous neuroleptanalgésie ou sous anesthésie générale. Le patient est contrôlé en continu par scope, saturométrie et mesure de la tension artérielle. Une asepsie stricte est indispensable. Bien qu’il n’y ait pas de consensus strict, la plupart des équipes réalisent une couverture antibiotique antistaphylococcique (céfazoline 1 g intraveineux) pendant la procédure. La mise en place des trocarts osseux et l’injection du ciment sont effectuées sous guidage fluoroscopique. Pour certains cas complexes, la combinaison d’un arceau de scopie mobile et du scanner peut être utile [8].
Voies d’abord rachidiennes
Elles sont similaires à celles utilisées pour les biopsies vertébrales. Pour les vertèbres lombaires et thoraciques, l’approche est postérolatérale, patient positionné en procubitus. La vertébroplastie est effectuée par voie uni- ou bilatérale selon le type de fracture et la technique employée, mais hormis le cas particulier de la cyphoplastie à ballonnets, l’approche unilatérale est dans l’immense majorité des cas suffisante pour effectuer un traitement optimal [9].
Abord vertébral lombaire
La ponction vertébrale est effectuée par un trajet transpédiculaire oblique (fig. 11.3). Cette approche reste à distance des structures neurologiques. Elle doit être préférée à la voie extrapédiculaire qui accroît le risque d’hématome par lésion des veines lombaires situées entre le muscle psoas et le corps vertébral. Le passage précis à travers le pédicule sous contrôle fluoroscopique est facilité par l’emploi de trocarts osseux biseautés qui permettent de réajuster la direction de quelques degrés, y compris dans l’os. Après anesthésie locale des plans superficiels jusqu’au périoste du pédicule, le trocart de vertébroplastie est avancé jusqu’au contact osseux. En projection antéropostérieure, le pédicule apparaît comme un anneau, son bord interne constituant la limite avec le canal rachidien. Sur une vue fluoroscopique de face, le trocart est avancé en profondeur selon un trajet oblique dans le pédicule, de sorte qu’il se rapproche progressivement du bord interne de l’anneau. Il ne doit cependant pas dépasser cette limite avant d’avoir franchi le mur postérieur sur une projection fluoroscopique de profil. Le trocart a alors dépassé le pédicule et peut être avancé dans le corps vertébral. En cas d’approche unipédiculaire, la pointe du trocart doit être positionnée sur la ligne médiane, dans le tiers antérieur du corps vertébral. En cas d’approche bipédiculaire, les trocarts sont positionnés dans les parties antérolatérales du corps vertébral selon des trajets légèrement moins obliques.
Abord vertébral thoracique
Au contraire, la voie intercostopédiculaire permet d’effectuer la vertébroplastie thoracique par abord unilatéral (fig. 11.4). Sous contrôle fluoroscopique avec une rotation du tube de 35° latéralement à partir d’une vue antéroposterieure stricte, le trocart osseux est inséré entre deux structures ovalaires représentant respectivement la projection de la tête de côte en dehors et la projection du pédicule en dedans. Ceci permet de rester à distance de la plèvre et du canal rachidien. Il est impératif que l’axe de ponction soit situé à proximité du plateau vertébral supérieur pour rester à distance du foramen et donc éviter le paquet vasculonerveux intercostal. Une fois en butée sur le coin postérolatéral du corps vertébral, le trocart osseux est avancé dans le tiers antérieur du corps vertébral sur la ligne médiane.
Abord du sacrum
Pour le traitement radio-guidé des fractures des ailerons sacrés, l’approche est effectuée par voie postérieure directe avec un axe de ponction proche du plan sagittal, entre les foramens sacrés en dedans et l’articulation sacro-iliaque en dehors (fig. 11.5). Certains auteurs préconisent une angulation caudocrâniale supplémentaire de 20°, parallèle au grand axe du sacrum, pour limiter les risques de fausse route vers la cavité pelvienne. Compte tenu de la difficulté de bien analyser la position des foramens sacrés en fluoroscopie, le guidage combiné scanner–fluoroscopie offre un maximum de précision et de sécurité tout en limitant le taux d’irradiation lorsqu’une cimentoplastie est envisagée [10].
Injection de ciment
Le ciment le plus communément employé est le polyméthylméthacrylate (PMMA). Cette colle acrylique de faible viscosité présente un temps de durcissement de 6 à 10 minutes. Une fois le trocart osseux positionné dans la vertèbre fracturée, le ciment est préparé en mélangeant le monomère liquide et la poudre. Les ciments utilisés pour la vertébroplastie contiennent un radio-opacifiant (zirconium, tungstène, tantale ou baryum) qui permet leur utilisation sous guidage fluoroscopique. Le volume de ciment injecté est adapté au type de fractures mais aussi au volume du corps vertébral traité. Pour obtenir une consolidation mécanique optimale, le remplissage des colonnes antérieure et moyenne du corps vertébral est suffisant. Un remplissage excessif du corps vertébral peut être responsable de douleurs et la rigidité qu’il entraîne peut augmenter les contraintes mécaniques sur les segments adjacents [11, 12]. De plus, le remplissage du tiers postérieur du corps vertébral est associé à une augmentation du taux de complications, essentiellement par fuite de ciment intracanalaire. Dans le cadre de fractures traumatiques sur terrain ostéoporotique, le volume de ciment injecté ne devrait pas excéder 30 % du volume du corps vertébral, excepté dans le cas d’ostéonécrose où la cavité nécrotique doit impérativement être comblée en totalité. Un maximum de six niveaux peut être traité en une seule session, compte tenu de la toxicité du monomère et de possibles déplacements de moelle osseuse induits par l’injection de ciment (fig. 11.6).