11. Psychiatrie de catastrophe et urgence

Chapitre 11. Psychiatrie de catastrophe et urgence

G. Vaiva, F. Ducrocq and S. Molenda



Faisant partie aujourd’hui de la médecine de catastrophe, ces aspects de la psychiatrie d’urgence se conjuguent autour d’événements collectifs (attentats, catastrophes naturelles ou industrielles) tout autant que microsociaux (agressions, viols, accidents de la route et du travail). L’objet des soins peut se résumer au diagnostic et à la prise en charge des psychotraumatismes (dont le trouble le plus spécifique est l’état de stress post-traumatique), qui sont alors dispensés tant aux urgences qu’en préhospitalier. Depuis les années quatre-vingt, on a pu assister dans notre pays à une prise de conscience progressive des enjeux multiples de l’aide à apporter aux victimes de psychotraumatisme. Ces enjeux humains, républicains, sociaux et médicaux ont conduit les pouvoirs publics à renforcer les droits des victimes et à développer des systèmes d’assistance, d’indemnisation et de soutien spécifiques, parfois sous la pression d’associations de victimes de plus en plus nombreuses et actives. Dans la rencontre à l’urgence, nous accueillons d’abord les victimes ou témoins d’un événement catastrophique et c’est notre examen qui permettra d’identifier parmi elles les patients confrontés à un potentiel psychotraumatique : c’est un passage conceptuel très important, pour nous soignants, que celui du statut de victime (pour lequel nous n’avons pas d’autre légitimité que la nécessaire humanité) à celui de patient faisant l’objet de nos soins.


ÉPIDÉMIOLOGIE


Trois importantes études épidémiologiques en population générale nous fournissent la mesure du problème de santé publique, aux niveaux nordaméricain, européen et français.

En 1995, Kessler pilota la plus grande enquête de l’époque en randomisant 5 877 sujets âgés de 15 à 54 ans d’un plus large échantillon de 8 098 personnes de la National Comorbidity Survey [12]. La prévalence vie entière de l’exposition à un événement traumatique était fixée à 60,7 % pour les femmes et 51,2 % pour les hommes quand la prévalence du trouble constitué était de 7,8 %, également double chez les femmes par rapport aux hommes (10,7 % versus 5,4 %). Dans la NCS, les événements les plus communément rapportés à l’origine d’un ESPT étaient représentés chez l’homme par le fait d’avoir été témoin d’un événement violent et d’avoir été exposé à une situation de combat militaire quand les agressions sexuelles étaient très fréquemment dénoncées comme origine du trouble chez les femmes. Tout récemment, ce même auteur a publié une nouvelle série de travaux dans le but d’établir un profil évolutif sur 10 ans, comparant ses données initiales couvrant la période 1990-1992 et la période 2001-2003. Cette réplication, nommée NCS-R, s’est basée sur une méthodologie identique au travers de 4 319 entretiens en face à face [13]. Les troubles anxieux B9782294054761500114/u11-01-9782294054761.jpg is missing, les troubles de l’humeur B9782294054761500114/u11-01-9782294054761.jpg is missing et les abus de substances B9782294054761500114/u11-01-9782294054761.jpg is missing présents pendant une période de 12 mois avant l’interview étaient explorés sur une critériologie DSM-IV. Si les troubles anxieux représentaient le diagnostic le plus fréquemment porté (28 % de la population étudiée), l’ESPT était formellement établi dans 6,8 % des cas, augmentant progressivement avec l’âge jusqu’à 60 ans pour décroître ensuite (18-29 ans : 6,3 %, 30-44 ans : 8,2 %, 45-59 ans : 9,2 % et 2,5 % après 60 ans). Signalons en revanche qu’une exploration en amont, réalisée chez la totalité des 9 282 répondants, établissait un chiffre de prévalence largement moindre, fixé à 3.5 % sur des critères DSM-IV et WMH-CIDI, trouble considéré selon l’algorithme des auteurs comme sévère (36,6 %), modéré (33,1 %) ou léger (30,2 %) [14].

En Europe, l’étude ESEMeD [1] a été réalisée par échantillonnage de 21 425 habitants de six pays d’Europe : l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie, l’Espagne et la France. Le recueil téléphonique des données était basé sur un entretien semi-standardisé : le CIDI short form. La prévalence vie entière de l’ESPT a été estimée à 1,9 % de la population (2,9 % chez les femmes et 0,9 % chez les hommes) ; ce chiffre étant ramené à 0,7 % dans l’année précédant l’évaluation (1,3 % chez les femmes et 0,4 % chez les hommes).

Ces chiffres sont comparables à ceux relevés par le Centre français de l’OMS qui a mené un travail sur un échantillon de 36 416 sujets de plus de 18 ans représentatifs de la population française métropolitaine [10]. Le recueil des données se faisait lors d’un entretien en se basant sur le MINI. Cette étude SMPG (Santé mentale en population générale) retrouvait une prévalence instantanée de 0,9 % pour l’ESPT (1,1 % chez les femmes et 0,6 % chez les hommes). Plus intéressant peut-être, le « diagnostic » de psychotraumatisme au sens large était trouvé chez 4,6 % de la population (5 % chez les femmes et 4 % chez les hommes) ; ce diagnostic englobant l’exposition à un événement traumatique, des reviviscences en rapport avec l’événement et au moins un élément de retentissement psychopathologique dans le mois écoulé (conduite d’évitement ou d’hyperéveil).


MODES D’ARRIVÉE



Dispositif préhospitalier


Il est de mieux en mieux déployé en France, et même s’il reste perfectible, c’est le meilleur du monde : nous faisons référence aux CUMP, mais plus encore à la sensibilisation contingente des Samu/Smur et surtout des Centres 15, qui réalisent de plus en plus d’adressages aux urgences pour motif principal de psychotraumatisme.

L’autre cas en préhospitalier, plus rare, est celui du déclenchement des grands plans d’urgence (MASH ou Plan rouge). Toute la chaîne des soins est alors en tension et le médecin urgentiste est susceptible de rencontrer ces patients à toutes les étapes du processus : sur les lieux mêmes, dans un PMA (poste médical avancé), dans un lieu de confinement ou aux urgences quand il y a adressage de repli sur un service proche des lieux.


Urgences


Il est rare qu’un sujet se présente avec une plainte psychotraumatique ou un fléchage préalable psychotraumatique. Ce cas se rencontre néanmoins. Le sujet se présente lui-même et il est alors souvent accompagné, mais il est rarement adressé par un médecin B9782294054761500114/u11-02-9782294054761.jpg is missing traitant.

Généralement le tableau psychotraumatique passe au second plan et nous pouvons distinguer trois cas :




– le sujet est blessé physiquement (il est victime d’un accident, du travail ou de la circulation, ou il a été agressé). Les soins physiques B9782294054761500114/u11-01-9782294054761.jpg is missing sont prioritaires même si ces blessures sont légères. Il est important (pourquoi pas à l’occasion des soins physiques) d’explorer un éventuel impact psychotraumatique et de reconnaître cette part de souffrance dans la globalité de l’expérience que traverse cet individu ;


– le sujet se présente dans un contexte médicolégal ; il est blessé ou non et adressé vers la médecine pour un début de reconnaissance du préjudice subi : il est souhaitable d’explorer un éventuel psychotrauma et de le mentionner dans un certificat B9782294054761500114/u11-02-9782294054761.jpg is missing médical initial (on ne décrira en urgence que les réactions de détresse péritraumatique, puisqu’il est encore impossible de décrire un trouble constitué). Un cas particulier très important, qualitativement et en termes de fréquence, est celui des agressions sexuelles et en particulier des viols. Ces situations « touchent » profondément les équipes de soins : il est frappant de constater l’énergie déployée par les équipes d’urgences pour soutenir ces femmes avec empathie, pour déployer tout le savoir médical en termes de prévention du risque infectieux ou de grossesse, et de constater à quel point il leur est difficile d’explorer la dimension psychotraumatique. Pourtant, à côté de la souillure sexuelle et symbolique, la rencontre éventuelle de l’image de la mort apparaît très fréquente et mérite une analyse spécifique : ces victimes n’abordent pas volontiers cet aspect du risque de mort qu’elles ont vécu, en partie par crainte de ne pas être reconnues dans l’atteinte symbolique. Quand cette dimension du psychotrauma est abordée trop directement par l’équipe et que l’enquête se révèle négative (il n’y a pas psychotrauma), il est important de se recentrer sur la dimension sexuelle B9782294054761500114/u11-02-9782294054761.jpg is missing et symbolique et de la traiter avec la même importance médicale ;


– le sujet accompagne quelqu’un qui, lui, est l’objet de soins médicaux B9782294054761500114/u11-01-9782294054761.jpg is missing C’est le cas le plus difficile à identifier si nous n’adoptons pas d’attitude systématique. L’accident de voiture où un sujet est gravement touché, pris en charge aux soins intensifs des urgences, avec les trois autres occupants du véhicule dans le couloir : il faut rencontrer (même brièvement) ces autres victimes de l’accident.


CLINIQUE



Réactions immédiates



STRESS ADAPTÉ ET STRESS DÉPASSÉ


Confronté à un événement soudain et menaçant, le sujet va spontanément développer un ensemble de manifestations biopsychophysiologiques appelées réaction de stress. Considérée comme un moyen de défense, cette réaction va engendrer des phénomènes d’urgence normaux qui viseront à une adaptation du sujet à la situation, afin qu’il s’y soustraie ( flight) ou s’en défende ( fight). À côté du processus biophysiologique (libération d’endorphine, excitation du SNC : système nerveux central et du SNA : système nerveux autonome, inondation noradrénergique) entraînant un état d’alerte repérable par la tachypnée, la tachycardie et l’HTA, le processus psychologique sera à l’origine de plusieurs phénomènes : focalisation d’attention, mobilisation d’énergie, incitation à l’action, focalisation sur la situation dangereuse, hyperéveil, inventaire des moyens de faire face, phénomènes qui finalement permettront une prise de décision et une soustraction au danger. Des manifestations cliniques peuvent apparaître précocement : hyperéveil, souvenirs intrusifs, dissociation B9782294054761500114/u11-01-9782294054761.jpg is missing, agitation B9782294054761500114/u11-01-9782294054761.jpg is missing, troubles du sommeil B9782294054761500114/u11-02-9782294054761.jpg is missing, réactions de sursauts et cauchemars. Signalons l’état ambigu d’euphorie et d’épuisement décrit par les sujets peu après la soustraction à la menace. Utile, adaptative mais brève, cette réaction de stress sera très coûteuse en énergie et sera susceptible, surtout si le danger persiste, de s’épuiser et de contribuer à l’effondrement de la résistance du sujet et au développement de troubles psychotraumatiques ultérieurs.





la réaction de sidération représente un état de stupeur B9782294054761500114/u11-02-9782294054761.jpg is missing affective et de sidération motrice laissant un sujet figé et incapable de toute stratégie cognitive aidant à prendre une décision, notamment pour se soustraire au danger ;


la réaction d’agitation incoordonnée et stérile va faire ressentir au sujet un besoin impérieux d’agir qui va, au travers de ses gesticulations, le rendre incapable d’élaborer un comportement adapté ;


– forme clinique de cette dernière, la réaction de fuite panique est décrite depuis bien longtemps, notamment dans des situations de conflit armé B9782294054761500114/u11-02-9782294054761.jpg is missing (paniques de tir), et semble la plus contagieuse car fréquemment à l’origine de paniques collectives. L’aidant parfois à se soustraire à la menace, ce comportement de fuite affolée, effrénée et irréfléchie, sera au contraire susceptible de le précipiter au cœur du danger. Les sujets présentant ce type de manifestations occasionnent sur le terrain un danger non seulement pour eux-mêmes, mais également pour l’organisation des secours ou la dimension collective de l’événement. Une attitude, certes apaisante mais bien davantage cadrante, visera, parfois au travers d’une sédation médicamenteuse, à isoler rapidement le sujet pour lui faire bénéficier d’une aide adaptée ;


– moins fréquemment repérée car moins « bruyante », le 4 e type de réaction de stress dépassé et inadaptatif est représenté par l’action automatique. Agissant de manière spontanée ou par mimétisme comme un automate, le patient sera dans un état second, comme dans une bulle hypnotique, présentant un discours et un comportement stéréotypé : recherche vaine d’objets perdus, marche et gestes automatiques, préoccupations inadaptées au contexte.



DÉTRESSE PÉRITRAUMATIQUE


Cette notion s’articule autour de deux dimensions : celle des émotions négatives (« j’étais frustré ou en colère, j’avais honte de mes réactions émotionnelles, etc. ») et celle du sentiment de menace vitale (« je pensais que j’allais mourir, j’avais peur pour ma sécurité, etc. »). La dissociation péritraumatique ne protège vraisemblablement pas de la détresse péritraumatique. Une étude récente indiquait, dans les suites des attentats du 11 septembre, que les sentiments de perte de contrôle, d’impuissance et de colère étaient de bons indices prédictifs des symptômes d’ESPT ultérieur [19]. D’autres équipes travaillent sur des indicateurs péritraumatiques végétatifs (souffle court, tremblements, tachycardie et sueurs) ; ces items pourraient augmenter la puissance prédictive du critère A2 pour un ESPT ultérieur (la réaction du sujet à l’événement s’est traduite par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur)[4].


EFFROI


Des travaux insistent sur l’importance du concept freudien d’effroi ( fright en anglais), marqueur d’une effraction traumatique de l’appareil psychique au cours de l’exposition à un événement hors du commun [15]. L’effroi se caractérise par :




– la soudaine confrontation au « réel » de la mort, traditionnellement associé à l’absence de représentation dans l’inconscient ;


– l’expérience transitoire d’une absence totale d’affect (peur et anxiété en particulier), accompagnée d’une perte totale des pensées et des mots, et vécue comme un événement inimaginable.

La plupart du temps, une telle réaction ne dure que quelques secondes, mais la victime peut rapporter le sentiment d’un état durant de quelques heures à quelques jours. Une étude menée dans un échantillon de victimes d’accidents de la route hospitalisés plus de 72 heures dans une unité de traumatologie montrait une forte corrélation entre la réaction d’effroi et un ESPT deux mois plus tard [20]. Les données portant sur ces réactions et sur la détresse péritraumatique semblent contradictoires (absence d’affects versus affects négatifs) et soulèvent un débat intéressant : l’effroi postule l’expérience chez le sujet d’une sidération péritraumatique, mais dénuée d’affect, particulièrement d’angoisse B9782294054761500114/u11-02-9782294054761.jpg is missing. Un examen empirique approfondi de la relation entre les concepts d’effroi, de détresse et de dissociation péritraumatique est requis afin d’éclairer la ou les trajectoires susceptibles de déboucher sur un ESPT.


ÉTAT DE STRESS AIGU


L’état de stress aigu (ESA), apparu dans le DSM-IV en 1994 tout comme la réaction aiguë à un facteur de stress de la CIM, est la seule entité clinique postimmédiate reconnue à ce jour par les classifications internationales. Dans les heures ou les jours suivant le traumatisme, des symptômes dissociatifs B9782294054761500114/u11-01-9782294054761.jpg is missing (stupeur B9782294054761500114/u11-02-9782294054761.jpg is missing, engourdissement, dépersonnalisation B9782294054761500114/u11-02-9782294054761.jpg is missing, déréalisation, etc.) sont associés au trépied classique du stress traumatique (répétition, évitement/émoussement, activation neurovégétative). Une durée inférieure à 4 semaines est en faveur d’un ESA ; lorsque celle-ci dépasse 4 semaines, il faut envisager un ESPT. Selon différents échantillons, la fréquence de l’ESA serait de 14 à 33 % chez les sujets exposés. Ce diagnostic est ainsi un facteur prédictif d’un ESPT : selon les études, de 57 à 83 % des victimes qui présentent un ESA développent ultérieurement un ESPT [3], mais ce dernier point a été critiqué dans plusieurs travaux [5]. Pour certains, sur un versant neuropsychologique, les mécanismes dissociatifs aigus pourraient prévenir le processus d’intégration mnésique B9782294054761500114/u11-02-9782294054761.jpg is missing de l’information concernant l’exposition traumatique, contribuant ainsi au développement des symptômes d’ESPT. Cependant, d’autres auteurs voient l’ESA davantage comme une simple forme précoce d’ESPT, souffrant d’une faible discrimination symptomatique, plutôt qu’une entité distincte et prédictive.


État de stress post-traumatique


La clinique du trouble est maintenant bien codifiée et cohérente dans les dernières versions des nosographies DSM-IV-TR et CIM-10. Nous reprenons les critères du DSM [2] :




– A – Le sujet a été exposé à un événement traumatique dans lequel les deux éléments suivants étaient présents :


Jun 8, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 11. Psychiatrie de catastrophe et urgence

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