11. Mémoire épisodique

Chapitre 11. Mémoire épisodique

France Daniel and Gilles Defer



MémoireépisodiqueLes troubles mnésiques et en particulier épisodiques constituent une des plaintes cognitives les plus fréquentes des patients atteints de SEP et sont de ce fait très étudiés depuis une vingtaine d’années. Il faut cependant noter que la plupart des travaux dans ce domaine emploient le terme de mémoiremémoire à long termemémoireà long terme, regroupant en théorie les concepts de mémoire sémantique et épisodique. Il convient donc de définir dans un premier temps le concept de mémoire épisodique.


Concept de mémoire épisodique

Selon Tulving [1], la mémoire épisodique correspond à la mémoire des événements inscrits dans un contexte spatial et temporel précis. Dans son modèle d’organisation de la mémoire (modèle SPI, pour sériel, parallèle et indépendant), ce système serait le plus élevé dans la hiérarchie et dépendrait de l’intégrité des systèmes inférieurs. Il serait de ce fait le plus susceptible d’être affecté lors d’une pathologie.

Il est aujourd’hui admis que trois processus sont impliqués dans la mémoire épisodique : l’encodageencodage, le stockagestockage, la récupérationrécupération :


• l’encodage est la phase durant laquelle les caractéristiques d’une information perceptive sont traitées et converties en trace mnésique, susceptible d’être réactivée ultérieurement. Selon la théorie de profondeur de traitement de Craik et Lockart [2], un encodage superficiel aboutirait à une trace mnésique plus faible et moins durable qu’un traitement profond sémantique. De plus, selon la théorie de spécificité de l’encodage de Tulving et al. [3], l’information cible ne serait pas la seule à être traitée. Ainsi, les informations contextuelles intégrées à la trace mnésique constitueraient autant d’indices pour accéder aux souvenirs;


• le stockage correspond aux processus de mise en réserve de l’information pour usage ultérieur éventuel. Cette phase ne serait pas passive et comporterait une consolidation de l’information acquise (notamment au cours du sommeil);


• la récupération a pour but de restituer les données qui ont été mémorisées lors de la phase d’acquisition. Il existe différents types de conduites de restitution, qui sont le rappel libre ou indicé et la reconnaissance.

En neuropsychologie clinique et expérimentale, il est possible de contrôler une ou plusieurs de ces phases afin de mieux définir la nature des troubles observés en mémoire épisodique. Si par exemple, l’examinateur s’assure du bon encodage de l’information, les déficits subsistant pourront être attribués à un déficit de stockage et/ou de restitution.

Précisons enfin que le concept de mémoire épisodique défini ci-dessus regroupe deux composantes : antérograde et rétrograde. Tandis que le bilan neurospychologique propose presque systématiquement une évaluation de la mémoiremémoire épisodiquemémoireépisodique antérogrademémoireépisodiqueantérograde (évaluation de la capacité à encoder, stocker et restituer de nouvelles informations), le versant rétrograde (mémoire du passé lointain, mémoiremémoire autobiographiquemémoireautobiographique) n’est aujourd’hui exploré que dans un cadre expérimental. Notons à ce propos que les patients atteints de SEP n’ont pas toujours de plaintes concernant leurs souvenirs anciens. Par ailleurs, il n’existe que peu (voire pas) d’épreuves simples et validées pour évaluer la mémoiremémoire autobiographiquemémoireautobiographique en routine. Ces raisons peuvent expliquer au moins en partie le peu d’études concernant la mémoiremémoire épisodiquemémoireépisodique rétrogrademémoireépisodiquerétrograde comparées aux très nombreux travaux portant sur la mémoire épisodique antérograde.


Mémoire épisodique antérograde et SEP


Revue de la littérature

Il est aujourd’hui admis que les patients atteints de SEP ont une mémoiremémoire épisodiquemémoireépisodique antérogrademémoireépisodiqueantérograde perturbée [[4][5] and [6]]. L’atteinte spécifique de la mémoire épisodique pourrait même concerner un pourcentage de patients supérieur à celui observé classiquement dans les études portant sur les troubles cognitifs en général [7]. Ce déficit majeur et ses conséquences possibles sur le quotidien des patients admis, la question d’une connaissance approfondie de la nature des processus perturbés permettant en théorie de proposer une prise en charge adaptée est primordiale. Cependant, les différentes méthodologies et interprétations proposées par les études que nous allons détailler ci-dessous ne permettent pas de conclure formellement à un déficit de restitution et/ou d’encodage et aucune à notre connaissance n’a exploré spécifiquement les phénomènes de stockagestockage et de consolidation.


Études en faveur d’un déficit de restitution

Pendant longtemps, l’adage voulait que le profil neuropsychologique des patients atteints de SEP soit sous-cortico-frontal et que, par conséquent, les atteintes en mémoiremémoire épisodiquemémoireépisodique soient caractérisées par un déficit exclusif de la restitutionrestitution. Cette idée classique a été illustrée par plusieurs études. L’une des premières [8] portait sur l’apprentissage d’une liste de 24 mots en 4 essais en situation de rappel libre. Les auteurs ont constaté que les patients restituaient moins de mots que les témoins mais qu’en revanche le nombre d’intrusions était comparable, et ont conclu en l’absence d’un déficit d’encodageencodage. Dans la même perspective, Rao et al. [9] ont proposé une tâche de rappel sélectif et une épreuve de rappel d’histoire. Ils ont mis en évidence chez les patients une difficulté à restituer un nombre croissant d’items en rappel sélectif et un taux d’oublis pour le rappel d’histoire sensiblement comparable à celui observé chez les sujets contrôles. Ces résultats ont été interprétés en termes de déficit de restitution. Certaines études rapportant les performances de patients et de sujets sains à des épreuves de reconnaissance ont également conclu à un déficit de récupération. En effet, ces travaux ont fait apparaître soit une baisse mineure [9, 10], soit des performances correctes en reconnaissance [[11][12][13] and [14]], témoignant selon les auteurs de l’intégrité des processus d’encodage.

Ces premières études concluaient donc à un déficit de récupération, cependant la plupart d’entre elles ne proposaient qu’une modalité de restitution (soit rappel libre, soit reconnaissance), ce qui nécessite d’en modérer les conclusions.

D’autres études, aux méthodologies plus élaborées, ont porté sur la sensibilité aux interférences et ont également attribué la baisse des performances à un déficit des processus de restitution. Ainsi, Rao et al. [15] ont proposé l’apprentissage d’une liste A de 12 mots en 4 essais, suivi du rappel libre d’une liste interférente B, lui-même suivi du rappel libre et de la reconnaissance de la liste A. Après un délai de 30 minutes, la liste A faisait l’objet d’un rappel différé. Grâce à cette épreuve, les auteurs ont pu montrer que les patients atteints de SEP avaient des difficultés à récupérer l’information après l’apprentissage de la liste B et ont donc conclu à un déficit de restitution lié à une sensibilité excessive à l’interférence rétroactive. Quelques années plus tard, Jennekens-Schinkel et al. [16] ont soumis un groupe de patients et un groupe de sujets sains à différents tests de mémoire visuelle et verbale. Les auteurs ont rapporté des performances significativement inférieures chez les patients à la tâche de mémoiremémoire verbalemémoireverbale et particulièrement quand celle-ci était précédée d’une tâche de mémoire visuelle. Il y aurait donc une sensibilité accrue à l’interférence proactive engendrée par le premier apprentissage.

Ces deux études étayent donc l’hypothèse d’un déficit de restitution lié à une sensibilité excessive aux interférences rétro et proactives. Cependant, aucune de ces études n’avait contrôlé la phase d’encodage. En effet, soit cet encodage se fait sans consigne précise, soit le nombre d’essais est fixe et ne permet pas forcément l’acquisition effective de l’information.


Étude en faveur d’un déficit d’encodage

Tandis que Caine et al. [10] n’avaient pas interprété la légère baisse de performance en reconnaissance en termes de déficit d’encodage, d’autres études comme celle de Van der Burg et al. [17] ont considéré que le déficit observé en reconnaissance était caractéristique d’un dysfonctionnement dès la phase d’acquisition. En effet, la nature des processus mis en œuvre en reconnaissance est différente de celle impliquée en rappel, qu’il soit libre ou indicé. Ainsi, selon Mandler [18], la reconnaissance ne nécessiterait pas de recherche active en mémoire et reposerait davantage sur le sentiment de familiarité des items. Son atteinte serait donc le reflet d’un authentique trouble mnésique caractérisé par un déficit d’encodageencodage. Dans le même temps, des travaux contrôlant la phase d’encodage ont apporté d’autres arguments en faveur de cette hypothèse. Caroll et al. [19] ont ainsi proposé l’apprentissage d’une liste de mots pour laquelle il était conseillé d’adopter une stratégie afin d’optimiser les performances, suivi d’une tâche de reconnaissance d’images pour laquelle deux consignes d’encodage (superficiel et profond sémantique) étaient fournies. Ces auteurs ont montré que les patients non seulement utilisaient moins spontanément que les sujets sains une stratégie d’encodage sémantique de l’information (suggérant un déficit d’encodage spontané), mais qu’en plus, quand cette dernière était utilisée, elle était moins efficace (suggérant un déficit spécifique de l’encodage sémantique). Par ailleurs, De Luca et al. [20] ont montré que les patients SEP avaient besoin de plus d’essais que des contrôles pour apprendre une liste de mots, mais qu’une fois l’acquisition de la liste obtenue, la restitutionrestitution était aussi efficiente chez les patients que chez les sujets sains, suggérant là aussi un déficit d’encodage.

En résumé, la nature des déficits en mémoiremémoire épisodiquemémoireépisodique antérogrademémoireépisodiqueantérograde reste encore à ce jour discutée, certaines études plaidant pour un déficit dès la phase d’encodage quand d’autres ne concluent qu’à un déficit de restitution (voir [21] pour revue). Mais l’explication de telles divergences ne se situe-t-elle pas dans le fait que les déficits peuvent être multiples? Ainsi, les troubles de mémoiremémoire épisodiquemémoireépisodique ont pu être mis en relation avec une diminution de la vitesse de traitement de l’informationvitesse de traitement de l’information, pouvant retentir sur les processus d’encodage et de récupérationrécupération [22]. Enfin, Defer et al. [7] ont émis l’hypothèse que les déficits d’encodage et de restitution pouvaient être liés aux déficits exécutifs des patients. Les auteurs ont montré que les performances en fluence verbalefluence verbale, le pourcentage d’erreurs persévératives et le nombre de catégories achevées au Wisconsin Card Sorting Test [23] étaient corrélés aux différents scores de rappel et aux indices de regroupements sémantiques et de discriminabilité du California Verbal Learning TestCalifornia Verbal Learning Test (CVLT) [24]. Ils ont conclu au fait que les patients pouvaient avoir des difficultés à mettre en œuvre spontanément les stratégies efficaces à un bon encodage et à une bonne restitution, et à inhiber celles moins efficientes et les mauvaises réponses.


Principaux outils d’évaluation

Dans la plupart des études précédemment citées, les outils d’évaluation ne sont pas des épreuves originales mais des tests standardisés. Cependant, certains de ces tests n’ont pas de versions françaises validées (les 15 mots de Rey, par exemple). Ce paragraphe a donc pour but de présenter les principaux outils disponibles en France pour évaluer la mémoire épisodique antérograde et leur intérêt dans la SEP (réflexions issues de l’analyse de la littérature et de notre expérience clinique).


Épreuve de Grober et Buschke

Grober et BuschkeUne version validée en français de l’épreuve de Grober et Buschke est présentée dans un ouvrage collectif du GREMEM [25].

Cette épreuve consiste en l’apprentissage d’une liste de 16 mots présentés visuellement quatre par quatre. Lors ce cette phase, l’examinateur demande de montrer et de lire à haute voix le mot correspondant à l’indice sémantique fourni (quel est le nom de la fleur : jonquille…). Après désignation et lecture correctes des quatre mots de la fiche, un rappel indicé immédiat des quatre items est demandé. Si le rappel indicé est parfait, l’examinateur propose la fiche suivante, sinon, il présente de nouveau la première fiche jusqu’à ce que les quatre mots soient encodés. Après une courte tâche de comptage à rebours, un rappel libre est proposé, suivi du rappel indicé des mots oubliés lors du rappel libre, et cela trois fois (avec tâche de comptage à rebours entre chaque essai). Cette phase est suivie d’une tâche de reconnaissance. Après une vingtaine de minutes, une tâche de rappels libre et indicé est proposée.

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Jun 5, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 11. Mémoire épisodique

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