11. L’importance et le problème du toucher dans les soins infirmiers

Psychanalyste.


On voit bien ce que veut dire Freud lorsqu’il dit que le psychisme s’étaye sur le corporel, qu’il est issu du corporel. Pour lui, le « Moi est avant tout corporel », il est « dérivé des sensations corporelles, principalement de celles qui ont leur source dans la surface du corps »11.


Le toucher produit également un corps à corps qui peut être perçu comme érotique, excitateur. En psychanalyse, l’analyste ne touche pas l’analysant avec la main mais avec la parole qui remplace le contact tactile. L’analyse renouvelle ainsi « l’interdit primaire du toucher »12, qui permet à l’interdit œdipien (l’interdit de l’inceste) de se mettre en place, afin de faire entrer l’être dans la Loi qui va organiser sa sexualité et son lien social. C’est ainsi qu’il peut alors s’intégrer socialement et accéder à la relation amoureuse. La frustration de l’interdit du toucher en psychanalyse oblige l’analysant à réaliser par la parole, à symboliser, des sensations et des sentiments vécus par le corps, ce qui produit leur élaboration psychique et élabore l’angoisse que le moi (voir Fiche 5, page 149) a pu vivre à travers l’Œdipe (voir Fiche 15, page 163).


Pourtant, l’empathie du psychanalyste pour l’analysant peut passer dans un geste contenant : lui serrer la main chaleureusement à son départ, serrer son épaule pour le soutenir psychiquement et marquer dans le transfert (voir Fiche 10, page 155), et grâce à lui, qu’il a entendu sa souffrance et se montre empathique à cet effet. Parfois, un petit geste, dénué d’érotisme et chaleureux, vaut plus que de longues phrases. Le regard et la voix peuvent également produire un « toucher » contenant.



Toucher et sexualité dans les soins infirmiers : la gêne d’un jeune infirmier qui s’occupe de la toilette d’une jeune fille tétraplégique


Dans les soins infirmiers, le contact tactile s’impose, tout d’abord, pour tout ce qui concerne les gestes techniques, proprement médicaux. Là, la parole peut précéder le contact tactile et l’accompagner de sorte à ôter toute connotation érotique au geste, dans la mesure où le corps à corps s’impose. Par exemple, l’infirmier peut expliquer les gestes qu’il va faire et leurs buts médicaux. La personne ne sentira pas alors comme intrusif le geste du professionnel à son égard, justement parce qu’il sera présenté comme professionnel. Tout dépend de la relation de la personne à son corps, de son histoire, de son éducation, de sa religion, de son âge. En outre, les explications de l’infirmier peuvent ouvrir la voie à des questions de la part du patient qui s’appropriera ainsi l’intervention en la subjectivant et pourra se détendre davantage.

La parole vise à écarter l’excitation, le désir et l’érotisme, en mettant bien l’accent sur la nécessité biologique, médicale. Cependant, comme on a vu que le corps n’était pas une mécanique, il se peut que ces précautions ne suffisent pas. Elles ont néanmoins le mérite de prendre en compte qu’une gêne liée à une intimité non désirée, dans un contexte de souffrance, avec un soignant que le patient n’a pas choisi, peut susciter de la gêne, de la honte, de la crainte… et que c’est normal.

D’autres contextes de soins mettent les soignants face à la nécessité de toucher le corps : la toilette par exemple. Un jeune infirmier me parle de la gêne qu’il a ressenti suite à « l’obligation » de laver une jeune fille tétraplégique :

«B9782294701924500119/u11-01-9782294701924.jpg is missinglle avait à peu près mon âge. On m’a dit qu’elle ne voulait pas qu’un homme fasse sa toilette mais ce jour-là, une personne soignante était absente alors… J’y suis allé et je lui ai dit que c’était technique, que je ne la voyais pas comme une femme, qu’elle était asexuée pour moi. Mais, en fait, j’étais mal à l’aise moi aussi parce qu’elle était plutôt mignonne et que je ne pouvais pas m’empêcher de le penser. Ce n’était pas facile pour moi de faire sa toilette. Je n’avais pas le choix, mais compte tenu de nos gênes réciproques, je l’ai à peine touchée, je ne l’ai pas regardée et je lui ai dit qu’elle pouvait garder ses sous-vêtements. On s’est débrouillé pour que je ne la vois pas nue. Et comme j’étais très gêné, je n’ai pas arrêté de parler. Je ne sais plus ce que j’ai raconté mais c’était pour meubler, pour mieux faire passer la situation. Je sentais que j’étais à côté de la plaque. Elle ne disait rien mais elle avait les larmes aux yeux et faisait tout pour ne pas me regarder ni croiser mon regard. Je suis sorti de la chambre très triste et mal, et j’ai demandé qu’on me permette de m’occuper d’une autre personne parce que la relation s’était mal engagée là et que je ne voulais plus faire la toilette d’une femme. »





Ce que confie ce jeune infirmier débutant est très courageux et essentiel : il peut y avoir du désir vis-à-vis d’une patiente, et de la gêne puisque le contexte n’est pas celui d’une rencontre amoureuse mais d’un contexte de soin où la jeune femme n’a pas envie d’être touchée par ce jeune homme. La question de la pudeur, de l’intimité est ici en jeu. La gêne de l’infirmier débutant confronté au sexuel dans une situation où l’éthique l’interdit est compréhensible. Il noie son émoi dans un flot de paroles vides destinées à se défendre contre l’angoisse qui le submerge alors. Cela accroît le malaise de la patiente qui sent cette défense. Il manque ici de vraies paroles destinées à la communication et à la relation, contrairement à celles de l’infirmier, et qui auraient consisté par exemple de la part du soignant, à demander à sa patiente si elle voulait bien qu’il l’aide à faire sa toilette de manière tout à fait exceptionnelle. Il aurait permis à la jeune fille de dire ses réticences. Peut-être seraient-ils parvenus ensemble à un consensus commun sur la manière de procéder où la patiente aurait été actrice de sa toilette ; ou bien, l’infirmier aurait pu dire qu’il respectait le refus de la jeune fille.

Only gold members can continue reading. Log In or Register to continue

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

May 9, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 11. L’importance et le problème du toucher dans les soins infirmiers

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access