Chapitre 11 Le cadre et le dispositif de la thérapie de groupe
Le cadre dans lequel s’exerce la psychothérapie de groupe ne comprend pas seulement l’organisation technique et matérielle de la rencontre, mais l’ensemble des facteurs qui interviennent dans le traitement. Ainsi le cadre inclut des éléments aussi divers que la théorie employée (ici le modèle psychanalytique), la formation et la personnalité des thérapeutes, les règles de fonctionnement, le lieu et les médiateurs proposés (ici la parole et le langage corporel et émotionnel). Autrement dit, les différents registres de la représentation pulsionnelle (représentant affect, représentant la représentation de choses et de mots).
Nos hypothèses clairement énoncées lors des entretiens préliminaires soutiennent l’idée que l’anorexie mentale n’est pas une pathologie alimentaire. Que tout du moins, la restriction alimentaire n’est pas la cause mais la conséquence d’un processus psychique qui vient de plus loin et précède l’entrée dans l’anorexie mentale.
Proposer aux adolescents anorexiques de « se raconter » dans un groupe de parole contribue à reconstruire l’histoire de chacun(e) « en écho » au récit des autres.
Notamment, celle du transfert initial de la « matière psychique première » dans l’objet, premier miroir des expériences émotionnelles identitaires. Le miroir est dans le groupe, à double reflet, reflet de l’identique et reflet de la différence.
L’identique de la symptomatologie
Principe de reformulation
Le principe de la reformulation consiste en une reprise du discours de chacune des patientes anorexiques et d’y accoler une intervention qui mette en corrélation une représentation et un affect qui semblent y correspondre et que le moi anorexique a clivé. Ce faisant, il nous faut réintroduire dans la reformulation un « morceau » de temporalité qui a participé à l’expérience affective clivée par le moi. Cette partie temporelle constitue le fondement historico-pulsionnel de l’expérience subjective clivée.
« Le mot », dans le champ sémantique propre à l’anorexie, constitue donc une partie de la chose. C’est la « part mot » de la chose (non séparés). Il n’est pas un mot du langage verbal qui produit l’absence de la chose, qui la nomme en son absence, qui « symbolise le meurtre de la chose » (Lacan).
Le mot ici rend la chose présente, « la présentifie » dans sa forme traumatique initiale qui reflète non pas l’absence mais la perte, non pas la perte de l’objet (névrotique) mais la perte de soi, donc d’identité.
L’anorexique ne se reconnaît que dans l’expérience d’une autre anorexique, seule personne ayant vécu la même expérience qu’elle, donc l’unique personne susceptible de la comprendre.
L’interprétation doit être réservée au groupal comme le préconise W.R. Bion. Elle porte généralement sur une situation de transfert par déplacement de l’analité vers le phallique, dans le champ d’une sexualité œdipienne qui culmine dans un conflit qui associe un désir et un interdit.
Mais bien souvent, dans le cas des anorexiques, un retournement de l’activité passive/active. C’est-à-dire, retournement sur la personne du thérapeute, voire même sur le cadre et le dispositif thérapeutiques d’un représentant pulsionnel que le sujet ne se représente pas. Faire vivre et ressentir à l’autre ce que le sujet ne parvient pas à se représenter de lui-même.
Dans ces conditions, le corps, l’acte, le geste « se mêlent à la conversation » comme le précise S. Freud à propos de l’hystérie de conversion.
Pourtant elles demeurent inscrites dans l’appareil psychique (appareil à penser les pensées, à établir des liens) et donc dans l’appareil de mémoire, mais sous une forme non-intégrée, dite « actuelle ».
En ce qui concerne les expériences primaires traumatiques non intégrées, issues d’une période précédant l’avènement du langage verbal (avant 18-24 mois), elles font retour en situation thérapeutique sous une forme non symbolique, non verbale, sensorielle, mimo-gesto-posturale, « les fueros » comme les nomme S. Freud. Elles peuvent faire retour sous leur forme initiale non-transformées, ni refoulées. Elles prennent parfois la voie « perceptive hallucinatoire » et viennent boursoufler les modalités perceptives symbolisées secondairement.
Le projet initial de la thérapie de groupe est de permettre à ces adolescentes qui se sentent isolées avec leurs « pensées de contrainte » anorexiques, avec leurs symptômes (souffrance narcissique identitaire), de rencontrer dans un cadre thérapeutique, d’autres personnes ayant vécu la même expérience traumatique.
La scène primitive des anorexiques est une scène de laquelle elles se sentent exclues. Il est donc nécessaire de leur offrir un lieu d’élaboration de ce sentiment d’exclusion, de leur conception de la « scène dont elles ne peuvent rien dire ».
Cette scène diffère des scènes primitives névrotiques et psychotiques. L’une s’appuyant sur le récit de la découverte par le sujet de la scène qui a présidé à sa conception, l’autre s’appuyant sur la conviction de l’auto-engendrement.
Ce travail psychique centré sur « le retour » en séances, d’expériences primaires traumatiques non symbolisées se traduit parfois par des comportements langagiers « en actes » non-verbaux. Le groupe est silencieux comme en attente que les thérapeutes initient la discussion sous forme de questions. Les thérapeutes peuvent interpréter la situation de « dépendance psychique du groupe », puis ensuite aborder des liens intersubjectifs sous l’angle des interventions dites de « reformulation », au plus près des angoisses de séparation qui s’expriment sous cette forme silencieuse régressive.
Ce qui apparaît peu à peu au décours des séances, ce sont des modes de retour du passé dans le présent sous des formes multiples et généralement dans la négativité. L’affect, l’acte, la parole sont autant de modalités que l’anorexique utilise pour l’exprimer dans la négativité ou réactions thérapeutiques négatives selon S. Freud.
Elles en viennent aussi à anorexiser la relation thérapeutique groupale. Anorexiser la relation, c’est la réduire au strict minimum de la présence psychique émotionnelle sans manifester le moindre affect. Appauvrir les incorporations et les excorporations. Autrement dit, limiter les échanges, bouche cousue, regard tourné vers le sol, immobilité corporelle, parfois difficile à soutenir.
De ces expériences traumatiques passées, non symbolisées, émergent des modes de pensées régressifs tels que : « je voudrais redevenir comme avant », « maintenant je me vois maigre sauf une petite partie de mon corps », « il y a certains mots que je ne peux prononcer sans angoisse, grossir par exemple », « je suis persuadée que je grossis de ce que je mange à chaque repas », « je me demande si mon père n’a pas abusé de moi quand j’étais plus jeune en tout cas, j’avais toujours des craintes qu’il vienne dans mon lit la nuit et j’éprouvais les mêmes craintes avec mon frère ».
Mais il y a dans cet énoncé la tentative de masquer aux thérapeutes et au groupe, perçus comme censeurs, « le déni de la maigreur ». Les mots imprononçables liés à la prise de poids renvoient à la « part mot de la chose » (non séparés). Le mot ne parvient pas à l’abstraction dans ce cas. Il reconvoque la chose (le trauma). « Grossir de ce que l’on mange », c’est nier le travail interne, métabolique, transitionnel. La nourriture se transforme en poids et en graisse, en un corps à corps avec l’objet dans un vécu de transformation immédiate et monstrueuse du corps.

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