11: L’accompagnement coutumier

Chapitre 11 L’accompagnement coutumier




11.1 Les prémisses de l’accompagnement : l’entretien prénatal précoce


Le plan périnatalité 2005–2007 a instauré l’entretien individuel du 4e mois, dont l’objectif est d’améliorer la prise en charge psychosociale.




La réalité de la pratique conduit les sages-femmes impliquées dans cette démarche à organiser cet entretien dans des temporalités très variables, parfois même en fin de grossesse quand il n’a pas pu en être autrement. C’est pourquoi je retiendrai ici le terme auquel la majorité d’entre elles se réfèrent : entretien prénatal précoce (EPP) et non entretien du quatrième mois, terme trop restrictif.


F. Molénat précise, dans la circulaire du ministère de la Santé relative à la promotion de la collaboration médico-psychologique en périnatalité, que le bon exercice de l’entretien suppose un professionnel qui a suivi les formations adéquates (connaissance des acteurs en périnatalité, du travail en réseau, de la conduite de l’entretien) et qui est soutenu par une reprise régulière avec un psychologue/psychiatre pour les situations difficiles (Molénat, 2005).


Le propos est ici de mettre en évidence les problématiques de l’entretien. Je proposerai ensuite un point de vue et des repères susceptibles de soutenir sa pratique ainsi que sa structuration dans les trois moments clés : écoute, synthèse, transmission.



Des interprétations contrastées : problématiques de l’entretien prénatal précoce


À lire les différents textes de référence, du plan périnatalité aux circulaires du ministère de la Santé en passant par les recommandations de la Haute Autorité de santé (2005), les plaquettes de présentation aux parents dans les maternités, centres de PMI, réseaux périnatals…, nous constatons une fluctuation des objectifs de l’EPP. Il peut s’agir de(s) :



Or, les objectifs de l’EPP sont bien précis : ils sont explicités dans le texte de la convention nationale des sages-femmes du 10 décembre 2007 destinée à organiser les rapports entre les sages-femmes libérales et les caisses d’assurance-maladie.




Ces recommandations éclairent la pratique de l’EPP quel que soit le cadre d’exercice : en hôpital, clinique, centre de PMI ou cabinet libéral.


Par ailleurs D. Capgras-Barberon, sage-femme formatrice, apporte une précision cruciale quand à la conception et à l’éthique de l’entretien. Lors d’une formation à l’EPP (Marseille, 2007), elle indiquait : « L’EPP doit s’attacher à repérer les points d’accroche, de solidité, les ressources, les potentialités : il ne doit pas se contenter de repérer les problèmes, les vulnérabilités. »


Il s’agit en effet de co-construire avec les parents un projet de suivi de grossesse et de naissance ainsi que l’a énoncé le rapport Puech, Bréart, Rozé (2003), rapport à l’origine du plan périnatalité 2005–2007.


Si les références théoriques sont claires, les réunions de travail entre sages-femmes autour de leurs expériences de l’entretien, mettent en évidence des difficultés fréquentes dans leur pratique :



Le cadre et les objectifs doivent rester présents à nos esprits si l’on veut respecter le principe de l’EPP. L’entretien n’est pas un entretien psychothérapeutique, même s’il peut avoir des vertus psychothérapeutiques, ni une consultation médicale même si les compétences médicales de la sage-femme sont en jeu. Enfin, il ne se limite pas à une inscription à des séances de préparation. À l’issue de sa rencontre avec la femme enceinte, la professionnelle doit pouvoir répondre à la question suivante : quel est le suivi, l’accompagnement pré- et postpnatal, la préparation, appropriés pour cette femme, dans cette situation ?Cela passe par trois préalables : pouvoir structurer l’écoute, pouvoir synthétiser l’entretien, pouvoir discerner les transmissions souhaitables et utiles.



Structurer l’écoute dans l’entretien prénatal précoce


Les études de la sage-femme lui donnent les outils théoriques et cliniques pour différencier les grossesses à bas risque et les grossesses à haut risque du point de vue médical.


Quels éléments lui permettent de penser les besoins de soutien de la femme ? Cette situation nécessite-t-elle l’aide d’un psychologue ? Le soutien d’une TISF ou d’une puéricultrice lors du retour à la maison ? Une préparation individuelle ou en groupe ? Une collaboration pluridisciplinaire ? Pour une professionnelle de formation médicale, il y a une conversion à négocier, car l’esprit ici à l’œuvre n’est plus celui de la séméiologie classique (à la recherche d’une symptomatologie témoin d’une pathologie) ou de la prévention prédictive (repérer des risques présumés et non constatés). L’idée est plutôt celle d’une capacité à se promener dans le paysage propre de la rencontre avec les parents en percevant ce qui relève d’un cheminement parental maturatif et ce qui doit nous mettre en vigilance et susciter l’intervention de l’autre professionnel.


Dans chaque nouvelle rencontre, la sage-femme se retrouve devant un nouveau paysage, inconnu, dense en points de vue, en informations, riche en émotions. Elle va vivre une heure aux côtés d’une femme, d’un couple et durant cette heure elle doit se décaler d’une position de maîtrise médicale, d’un savoir normatif et objectif. Pour autant, elle doit offrir un cadre contenant.


Déjà, au cours de l’accompagnement de l’accouchement ou de l’allaitement, la sage-femme a appris peu à peu à se départir d’une position de maîtrise, faire pour la femme, pour découvrir une autre posture, celle de faire avec cette femme. Ceci est explicite dans la désignation anglaise de la sage-femme : midwife, celle qui est avec la femme.


Les anciens accoucheurs nommaient l’attitude d’expectative vigilante « l’attitude de l’empereur manchot ». C’est de cet empire de soi, que parle l’attitude de passivation (se mettre activement en situation de passivité) dont A. Carel (2009–2010) dit qu’elle nous permet de devenir attentif et réceptif à l’autre, à ce qui se passe dans la rencontre : « Il s’agit d’activer en soi le système de l’empathie, système perceptif spécialisé qui traite de façon plurimodale les informations issues du comportement d’autrui, de se mettre en résonnance avec le cerveau de l’autre. » Cette nécessité de la posture du professionnel n’a rien d’évident. A. Carel (2009–2010) précise : « L’attitude du professionnel passant de l’action à l’observation demande une intense activité interne. ». Résister à la tentation d’agir, de donner des conseils, de se précipiter à rassurer, de remplir le silence : ce n’est pas rien comme « exercice interne ». Pourtant ce n’est qu’à cette condition que peut s’activer en nous un autre possible dans la relation : l’attention à l’autre. Pour accueillir, il faut du creux et non du plein. C’est en développant cette capacité que la sage-femme devient apte à soutenir la femme dans son processus d’adaptation. Elle a pu éprouver auprès d’elle la force de la formule de B. Golse : « L’attention est un grand soin psychique majeur. »


Il s’agit dans l’EPP de mettre en œuvre précisément ces qualités. Mais, comme pour l’accouchement ou pour l’allaitement, nous avons besoin d’une boussole et d’une grille de lecture pour structurer notre promenade/découverte, pour penser et organiser notre observation.


Je propose ici trois éléments à observer82 :




Les quatre axes du cheminement maternel


L’écoute des femmes au cours de la grossesse suscite une foule de questionnements qui, au-delà de la singularité de leurs expressions, peuvent s’inscrire dans un espace à quatre dimensions défini par quatre axes : sécurité, matrice de soutien, lien à l’enfant porté, devenir mère.


Ces quatre axes, qui sont développés plus bas, rendent compte des préoccupations de la femme enceinte telles que R. Rubin (1984) les a théorisées au travers du concept des « tâches maternelles ».


R. Rubin, enseignante et chercheuse américaine en soins périnatals, s’est intéressée à ce qui structure l’acquisition de l’identité maternelle au fil de la période périnatale. Sa théorie s’appuie sur les résultats d’une enquête menée au cours de vingt années par les services de santé périnatals nord-américains et sur quelque 6000 interviews. Ils ont démontré que l’attente d’un enfant n’est pas une attente passive mais un processus interne conscient et inconscient profondément actif. La femme enceinte, dès le 4e mois de grossesse et jusqu’aux premiers mois de vie du bébé, s’engage dans un cheminement au travers de ce que Rubin appelle les tâches maternelles :



En fonction de la dynamique conjugale, ces tâches maternelles sont différemment partagées dans le couple. Ce qui suit sous-entend donc que l’on s’intéresse ici à la femme mais aussi à l’homme futur père, au couple parental, à la dynamique conjugale.



Observer ce qui sécurise et/ou insécurise la femme enceinte : l’axe sécurité


Chaque société invente ses rites pour conjurer la menace, le risque ressenti devant l’inconnu de la naissance, la fragilité de la vie à ses débuts. Prescriptions et interdits, invocation de divinités ou du savoir technoscientifique, danses ou immobilisations rythment la gestation.


La femme enceinte cherche à identifier et à favoriser ce qui l’aide à renforcer son sentiment de sécurité pour elle et le bébé. Sous ce thème nous rencontrons les multiples préoccupations parentales qui vont de la question du comment vivre la grossesse (peut-on continuer à avoir des relations sexuelles ?), de son hygiène (c’est vraiment grave si je fume encore cinq cigarettes par jour ?), à des questions concernant les risques pour l’enfant (je suis stressée car je dois refaire une échographie…, il est trop petit…), des questions concernant l’accouchement (je ne sais pas respirer, ça me fait peur pour l’accouchement…) ou encore la vie avec l’enfant (je voudrais l’allaiter mais je ne sais pas si je saurai reconnaître s’il a faim…).


Ces questions doivent être entendues comme un signe de préoccupation envers l’enfant, son bien-être, et donc un signe de cheminement dans le sentiment de responsabilité parentale. Elles nous indiquent par ailleurs, derrière leur contenu explicite, quels sont les besoins de soutien des parents : il est souvent sage de différer les réponses directes aux questions mais aussi essentiel de proposer aux parents un espace où les aborder tranquillement.


L’attention de la sage-femme se porte bien entendu sur l’état de santé de la mère et de l’enfant, mais avant tout sur l’expérience subjective : vécu sensoriel et émotionnel de la femme, fantasmes ou représentations qui surgissent au cours de la grossesse. Nous sortons là de l’objectivité d’un dossier médical pour aller à l’écoute de ce que la femme dit de son éprouvé, de son plaisir, de son malaise, de ses envies et de ses peurs. Une femme peut présenter une grossesse parfaite de notre point de vue obstétrical et pourtant vivre ce temps comme inconfortable, menaçant, voire persécuteur, pour elle ou pour le bébé. Nous pensons à ces femmes constamment dans la plainte d’une douleur ou d’un malaise auxquelles la médecine ne peut que répondre « ce n’est rien ». Pourtant nous savons bien dans notre accompagnement que ce n’est pas rien, qu’il y a quelque chose à entendre, quelque chose à prendre en compte. Le besoin de sécurité, de bien-être, peut aussi être mis à mal par des fantasmes concernant le ressenti du bébé : « j’ai mal donc il a mal… », « il n’a pas de place… Il est écrasé… » ou des représentations menaçantes de l’accouchement : « être déchirée… », « éclater… », « devenir folle de douleur… ».


Le cheminement de grossesse peut être embouteillé sur cet axe, ne laissant plus aucune disponibilité psychique pour cheminer sur les autres axes. Ce peut être dû à une pathologie avérée ou suspectée, ce peut être dû à un agrippement au médical, témoin d’une angoisse sous-jacente. Il s’agit alors d’évaluer la nécessité d’un soutien psychique avec les parents.


Il est intéressant d’apprécier comment est vécu le suivi médical. Pour des femmes, la prise en charge médicale est rassurante, source d’apaisement, pour d’autres, l’hypermédicalisation est source de malaise, d’anxiété ou de désarroi. Il est ainsi important d’aider le couple à identifier qui et quoi les sécurisent. Face à une situation inconnue, le sentiment de sécurité d’un individu peut se penser sous deux aspects : le sentiment de sécurité externe (ce qui, à l’extérieur de moi, autour de moi, me sécurise) et un sentiment de sécurité interne (ce qui en moi me donne un sentiment de confiance). Le suivi médical offre, dans nos sociétés, une excellence jamais encore égalée de sécurité externe pour la femme. Pour autant, il serait illusoire de penser que cela suffit à clore la question du sentiment de sécurité. Précisément : plus l’insécurité interne est grande plus le besoin de sécurisation externe est important. Inversement, plus grande est la sécurité interne moins est important le besoin de se soutenir d’une sécurité externe.


Le système professionnel de soutien de la mère est sécurisant s’il est cohérent, fiable, assuré dans la continuité.


Le sentiment de sécurité interne de la femme est favorisé par tout ce qui lui apporte du sens et de la cohérence dans ses éprouvés ainsi que des ressources, réellement mobilisables par la mère, pour mieux s’adapter aux processus de la naissance.



Observer le rôle et la fonction de l’environnement maternel : la matrice de soutien


Nous empruntons le terme matrice de soutien à D. Stern et à son concept de constellation maternelle. Il met en évidence « la nécessité pour la mère de créer, accepter et réguler un réseau de soutien protecteur et bienveillant qui lui permette d’accomplir pleinement ses tâches… La mère a besoin de se sentir entourée et soutenue, accompagnée, valorisée, appréciée, instruite, aidée à des degrés divers » (Stern, 1995).


La matrice de soutien est potentiellement constituée de toute personne significative pour la femme : bien entendu son partenaire, sa famille, mais également les amis, collègues de travail, des voisins ou des membres d’une association, sa communauté d’origine, les professionnels du périnatal qui l’entourent.


L’écoute de la femme enceinte rapporte de multiples éléments de cette thématique :



Il faut insister sur le fait que, sans un système de soutien fonctionnel, la constitution du lien précoce avec l’enfant tend à être sans épaisseur, ténue et fragile, les comportements maternels incertains, fluctuants, et soumis à maints désordres par dilution ou relativisme. Il y a une relation directe entre la force et la qualité des liens intrafamiliaux et sociaux d’une femme et la force et la qualité de l’établissement des liens qu’elle développe avec son enfant (Rubin, 1984).


Le soutien de la part de personnes significatives n’est pas tant une question de dépendance que la condition nécessaire pour pouvoir donner de soi « dans l’étendue requise par la maternité » (Rubin, 1984). Il s’agit d’un portage groupal. Le système de soins et de soutien périnatal est aujourd’hui l’un des éléments majeur de la matrice de soutien, parfois l’élément prépondérant. Il est frappant par exemple de constater combien souvent les paroles maternelles ou grand-maternelles sont invalidées et l’avis médical investi puissamment. Ce système professionnel, pluridisciplinaire, doit prendre en compte et s’appuyer sur les ressources propres de la femme et donc s’articuler avec sa matrice de soutien personnelle.


Le temps de préparation à la naissance doit permettre à la femme, au couple d’éprouver la sécurité et le soutien que procurent une écoute bienveillante, contenante et attentive.


Au travers des échanges dans le groupe – quoi, qui vous fait du bien pendant la grossesse, vous rassure, vous aide ?–, la construction de la matrice de soutien de la femme s’élabore, accueillant celui-ci, esquivant celui-là, favorisant la présence d’un tel, délimitant l’intervention de tel autre.


La pratique de l’accompagnement nous enseigne aussi combien il est précieux pour une femme enceinte de trouver un lieu où elle peut en toute sécurité émotionnelle exprimer ses doutes (serai-je une bonne mère ?) mais aussi ses ambivalences (je suis très heureuse d’être enceinte mais parfois j’en ai marre d’être la seule à porter ce bébé, cela me donne un sentiment de responsabilité angoissant…).


La sage-femme qui accompagne la grossesse doit se considérer comme un pivot (Bréart, Puech, Roze, 2003), un lien articulant les différents intervenants. Elle peut être pour les parents une personne ressource, un point d’appui, de sécurité ; elle doit aussi prendre acte des situations où son accompagnement ne suffit pas à apaiser, à sécuriser et doit envisager alors avec la femme un réajustement de la matrice de soutien : d’autres ressources professionnelles peuvent s’avérer plus pertinentes. La connaissance précise du réseau périnatal local est donc nécessaire mais aussi celle des compétences et qualifications de chacun : comment travailler avec tel pédiatre ou telle TISF82 ? L’interdisciplinaririté n’est pas un assemblage formel mais une création originale propre à chaque situation83


83 Le recours aux associations d’aide à domicile se font directement ou par l’intermédiaire des assistantes sociales de PMI et/ou de la CAF, selon les dispositifs locaux. Ces associations emploient deux types de professionnels :




Observer l’élaboration du lien avec l’enfant porté : l’axe du lien à l’enfant




L’entretien doit permettre d’observer comment chaque femme, chaque couple investit, au cours de la gestation, les interactions sensorielles avec le bébé, par la parole, le dialogue interne, le dialogue tonique, le toucher. Les parents ont besoin de validation ou d’initiation pour cheminer sur ce thème : « L’expérience mutuelle, gratifiante, de nourrir/manger, donner/recevoir, est un échange réciproque, un lien dans la relation entre deux personnes. Durant la grossesse, une femme nourrit son bébé, et de là recherche les signes, ou les preuves, que ce qu’elle a donné a été bien reçu : elle veut sentir l’excellence de ce qu’elle donne pour son enfant. » (Rubin, 1984.) L’apport de l’haptonomie, du toucher affectif, des expériences corporelles proposées par la sage-femme dans la préparation, les images échographiques, renouvellent aujourd’hui les rites traditionnels qui prescrivaient les modalités des échanges avec le bébé. Ils peuvent conforter la mère sur la qualité de ce qu’elle donne au bébé. Pour autant, il ne nous faut pas négliger les pratiques spontanées et quotidiennes qu’inventent avec simplicité la plupart des parents (parler au bébé, le caresser…) : le plus souvent, nous avons plutôt à les confirmer sur le fait que c’est dans la banalité de ces menues attentions que réside la construction du lien prénatal et non dans l’exercice de quelques techniques qu’ils auraient à maîtriser.


Au cours de la préparation à la naissance, diverses propositions de la sage-femme peuvent soutenir la construction du lien in utero. Ce peut être l’échange avec le couple ou un groupe de femmes sur les perceptions sensorielles du bébé, sa vie intra-utérine, ses différents mouvements, les interactions possibles. Nous verrons plus loin comment la présence vivante du bébé peut être soulignée lors de l’accompagnement.



Observer les anticipations maternelles : l’axe du devenir mère




Au-delà des questions (qui n’attendent pas de réponse immédiate et de conseils formels), il est ici question d’observer le cheminement de la femme, du couple vers l’au-delà de la grossesse : l’accueil d’un enfant, la constitution d’une nouvelle famille. Questions, interrogations, doutes témoignent d’une capacité d’anticipation et de réflexivité ; s’y expriment, en germe, la sollicitude, le sens des responsabilités des parents envers l’enfant à venir ainsi que la perception des bouleversements futurs. À l’inverse, nous constatons parfois une totale absence d’anticipation : « on verra bien… C’est naturel… Je n’ai pas d’angoisse, je saurai bien me débrouiller… » ou bien : « pas envie d’y penser pour l’instant… ». Les mouvements défensifs sont alors plus ou moins marqués, se manifestant par un recul dans le dialogue et parfois même une manifestation d’agressivité. Cela témoigne de difficultés plus ou moins massives sur les autres axes du cheminement et doit être entendu par la sage-femme comme un signe de détresse, un besoin d’aide psychique. Là encore, le projet d’accompagnement se pense non dans l’espace clos de son exercice professionnel mais dans celui ouvert du réseau périnatal. Cela nécessite, outre la connaissance des différents acteurs et institutions dans leur fonction, une découverte progressive des qualifications de chacun. Il est particulièrement important pour les sages-femmes d’être en lien avec les psychologues de maternité, d’être au fait des liens de soutien à la parentalité afin de pouvoir échanger sur les situations inquiétantes.


L’EPP permet de penser avec les parents le projet d’accompagnement adapté à leurs besoins. Si, pour les professionnels, il importe de porter un projet, pour les parents, la naissance ne relève pas d’un projet mais d’un trajet : leur cheminement sur les quatre axes de la naissance.



Intérêt méthodologique des quatre axes


Les quatre axes présentés ici constituent un outil directement mobilisable par les sages-femmes ou les médecins qui souhaitent pratiquer l’entretien. Cet outil permet de baliser l’entretien et de ne pas nous égarer dans l’intrusion d’une intimité psychique ni dans l’inconsistance d’une écoute passive, au risque de majorer l’angoisse dans le cas d’un cheminement maternel entravé. Il permet de structurer l’écoute de façon cohérente, de sortir du clivage médical, social, psychologique pour aborder la globalité de la personne et sa subjectivité.


Il permet de sortir d’une focalisation excessive : le témoignage des sages-femmes montre combien il est facile de porter toute son attention sur les difficultés sociales ou médicales d’une femme.




Ces axes entretiennent entre eux un rapport vivant, organique, complémentaire. C’est un système à quatre dimensions. De fait, nous allons partager un temps du cheminement maternel avec pour objectif d’observer comment cela circule sur les quatre axes, observer si une voie est obstruée ou embouteillée, observer la qualité d’anticipation parentale. C’est la dynamique du cheminement qui est de bon aloi et non l’évaluation d’une illusoire (et dangereuse) absence de questions : capacité d’anticipations, préoccupation, intérêt manifeste sur les différents thèmes.


Ainsi, au-delà du contenu explicite du récit, de l’énoncé (faits relatés, antécédents, situation médicale, psychologique ou sociale), c’est dans l’énonciation (ce qui est dit au travers du langage corporel, ce qui est perçu par l’auditeur au-delà des mots énoncés) que peuvent être perçues la qualité et la dynamique du cheminement maternel. « C’est en prenant en compte la dimension de l’énonciation qu’[est reconnu] la place du sujet… Par énonciation, il s’agit bien d’évoquer ce sujet divisé (…) entre les mots et les choses, entre corps et langage, entre savoir et vérité. » (Lebrun, 1997)84.


Nous retrouvons là l’importance du concept de narrativité développé par S. Missonnier à partir des travaux du philosophe P. Ricœur (Missonnier, 2009f).


Je propose ici de voir comment la sage-femme peut se saisir de ces concepts lors de la pratique de l’entretien.



La narrativité et le style du discours maternel


Lors de l’EPP, la femme, le couple, nous racontent une histoire et nous avons à observer, ressentir le style narratif de ces récits. L’histoire peut être simple, mais inquiétante dans le style du récit, ou lourde d’épreuves, mais rassurante par son style narratif.


La sage-femme peut être rassurée par un discours secure autonome à partir de critères de quantité et de qualité :



En revanche, elle peut être alertée par un discours insecure qui témoigne d’une angoisse non élaborée :



Le plaisir ou la souffrance engendrés par le récit sont perceptibles chez le récepteur : la prise en compte de la narrativité passe par l’écoute des mouvements émotionnels de la sage-femme.




Élaborer avec les parents un projet de suivi et d’accompagnement : synthèse de l’entretien prénatal précoce


Les préoccupations de la femme, du couple, sur les thèmes reliés aux quatre axes, témoignent d’un cheminement maturatif et « chaque femme prend en charge ces questions en relation avec sa situation présente et avec les ressources qui lui sont disponibles. Ainsi il y a à chaque fois une marque tout à fait personnelle de la façon dont s’agence le comportement maternel par rapport à ces thèmes » (Rubin, 1984).


La sage-femme recueille tout au cours de l’entretien, un ensemble, parfois un flot, d’informations verbales et non verbales. Cet amas, au départ protéiforme, doit pouvoir s’organiser en une synthèse qui s’établit à la fois dans l’intime du ressenti de la professionnelle et dans l’échange avec les parents. Cet échange est indispensable pour valider ses impressions subjectives et pour élaborer avec les parents le projet périnatal : de quel soutien professionnel ces parents ont-ils besoin ? Cela se pense à partir des points d’appui identifiés et des difficultés repérées dans leur cheminement vers la naissance. De même que les quatre axes ont informé l’écoute, ils soutiennent la synthèse.


Le dispositif nécessaire peut être minimal (projet de type I, cf. chapitre 3) comme dans la situation suivante.




Nous avons vu au chapitre 3 que parfois, en présence de facteurs de risque ou de signes d’appel psychiques le projet de suivi ne peut se construire que progressivement, dans la continuité et la progressivité d’un suivi (type II). Enfin pour d’autres cas, l’EPP met en évidence la nécessité de mobiliser une collaboration pluridisciplinaire et de mettre en œuvre un accompagnement de grande proximité.





Le difficile exercice de l’interdisciplinarité : les transmissions


Le plan périnatalité 2005–2007 indique que « l’entretien du 4e mois doit permettre de créer des liens sécurisants, notamment avec les partenaires du réseau périnatal les plus appropriés ».


La question des transmissions à l’issue de l’entretien est de l’avis de toutes les praticiennes rencontrées la question la plus complexe à penser : quelles en sont les difficultés ? Les sages-femmes qui pratiquent l’entretien expriment un fréquent désarroi : que transmettre et à qui ?


Du côté des médecins prescripteurs d’entretien nous retrouvons souvent l’expression d’une interrogation si ce n’est d’un mécontentement, tels ces témoignages lors d’une table ronde sur l’EPP :



Ces réflexions amènent plusieurs commentaires et ce dans deux champs, celui du légal, celui du psychique.




Le point de vue psychique


Dans l’entretien, nous nous retrouvons confrontés aux trois espaces décrits par A. Carel, le public, le privé, l’intime : « À un pôle, l’intime est l’espace intrapsychique du sujet, celui de son quant-à-soi, où s’applique le droit au secret, implicite dans l’expression “jardin secret”, voire même le droit au mensonge, espace dont la limite est du même ordre que celles du Moi et du corps. À l’autre pôle le public, espace sociétal dont les enjeux et les règles ont à être connus et appréhendés dans la transparence. Entre deux, le privé, en homomorphie avec l’espace transitionnel : c’est l’espace de la famille et par extension celui de la vie groupale et associative, un espace régi, à mon sens, par la discrétion. C’est l’espace où se produisent les échanges entre le public et l’intime, où se régulent les antagonismes de fonctionnement entre le socius et le sujet. » (Carel, 1992.)


Le registre du public est partageable, ce sont des informations d’ordre général qui circulent dans l’espace public. Les données privées nous ramènent à la question de la discrétion, discrétion nécessaire à l’établissement d’une relation de confiance. Enfin, les données intimes ne sont pas partageables, elles ne peuvent être transmises à l’équipe.


Ce registre de l’intime s’oppose à la notion de transparence, il constitue une frontière qui limite les transmissions au sein de l’équipe. La possibilité de travail en réseau, dans la transdisciplinarité, demande au groupe des acteurs professionnels de renoncer à la pulsion du « tout voir, tout savoir ». Pour R. Kaës, ce pacte au sein du groupe, reconnaissant la nécessité du renoncement pulsionnel et s’accordant sur ce qui doit rester secret, est la condition même de sa cohésion (cité par B. Golse, colloque WAIMH, Marseille, mai 2008).


La question qui nous occupe lors de l’entretien est bien cette distinction entre intime et privé. Il faut d’abord mettre en évidence les statuts particuliers de ce qui est recueilli d’une part dans une consultation médicale et d’autre part dans un entretien prénatal :



Les données médicales qui nous apparaissent apporter un éclairage nouveau au dossier obstétrical sont partageables avec qui de droit selon les règles du secret médical. Les faits récoltés entrent dans le domaine commun, chacun des professionnels intervenant dans le suivi obstétrical peut et doit pouvoir en prendre connaissance.


Il est des entretiens qui font état d’antécédents médicaux complexes, dont le détail n’a pas été jusque-là établi. S’il s’avère que cela puisse avoir une influence sur le suivi obstétrical, la sage-femme facilite le travail de ses partenaires et allège la femme du souci de se raconter à chaque rendez-vous, en rédigeant avec elle une synthèse de son histoire médicale.




Marqué du sceau de la discrétion concernant le privé, du sceau du secret concernant l’intime, l’entretien n’est pas un espace de confidence clos sur lui-même où seule la sage-femme détiendrait les clés du suivi et de l’accompagnement. La sage-femme, tout au long de l’échange, doit avoir présent à l’esprit les divers acteurs qui interviennent déjà auprès de cette famille, ceux qui interviendront plus tard ou dont l’intervention serait souhaitable. Elle a à intégrer la façon dont chaque professionnel soutient le cheminement de la femme, le rôle qu’il joue dans ses représentations. Ainsi que le dit S. Lebovici l’interdisciplinarité est la capacité de s’identifier à l’autre mais sans confusion des tâches (cité par B. Golse, colloque WAIMH, Marseille, mai 2008).


Pour revenir à la particularité d’une situation, nous avons donc à penser :



Chaque fois que possible, cette réflexion sera partagée avec les parents. Il est important, dans les situations les plus complexes, de différer les décisions de transmission, en laissant le temps œuvrer à un meilleur discernement. L’EPP peut être renouvelé, si nécessaire, ce sera alors l’occasion, avec les parents, de lire un projet de courrier vers tel(s) partenaire(s). Aujourd’hui, l’échange par mails facilite souvent la communication avec la famille et les équipes.





11.2 La pratique de l’accompagnement


La notion de préparation à l’accouchement a évolué aujourd’hui vers celle de préparation à la naissance, puis de préparation à la naissance et à la parentalité (PNP).85 Les recommandations de la Haute Autorité de santé sur la préparation à la naissance et à la parentalité prennent acte de la mutation du concept : « Historiquement, la préparation à la naissance était centrée sur la prise en charge de la douleur. Elle s’oriente actuellement vers un accompagnement global de la femme et du couple en favorisant leur participation active dans le projet de naissance. Le projet de naissance est la conjonction entre les aspirations de la femme et du couple et l’offre de soins locale. Il inclut l’organisation des soins avec le suivi médical et la préparation à la naissance et à la parentalité, les modalités d’accouchement, les possibilités de suivi pendant la période postnatale, y compris les conditions d’un retour précoce à domicile… Ces recommandations préconisent une approche plus précoce de la préparation à la naissance et une démarche élargie à l’amélioration des compétences des femmes ou des couples en matière de santé et au soutien à la parentalité. » (HAS, 2005.)


Ainsi, depuis chaque lieu d’exercice et modalité d’intervention, la sage-femme peut participer à la préparation à la naissance. C’est ce qu’expriment les propos suivants récoltés lors d’une enquête que j’ai menée auprès de collègues sages-femmes en 2009 (Interview SF, 200986) :


Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 11: L’accompagnement coutumier

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access