Chapitre 11 L’accompagnement coutumier
11.1 Les prémisses de l’accompagnement : l’entretien prénatal précoce
Le plan périnatalité 2005–2007 a instauré l’entretien individuel du 4e mois, dont l’objectif est d’améliorer la prise en charge psychosociale.
F. Molénat précise, dans la circulaire du ministère de la Santé relative à la promotion de la collaboration médico-psychologique en périnatalité, que le bon exercice de l’entretien suppose un professionnel qui a suivi les formations adéquates (connaissance des acteurs en périnatalité, du travail en réseau, de la conduite de l’entretien) et qui est soutenu par une reprise régulière avec un psychologue/psychiatre pour les situations difficiles (Molénat, 2005).
Des interprétations contrastées : problématiques de l’entretien prénatal précoce
À lire les différents textes de référence, du plan périnatalité aux circulaires du ministère de la Santé en passant par les recommandations de la Haute Autorité de santé (2005), les plaquettes de présentation aux parents dans les maternités, centres de PMI, réseaux périnatals…, nous constatons une fluctuation des objectifs de l’EPP. Il peut s’agir de(s) :
• un temps d’écoute ou un catalogue de conseils et d’informations ;
• une élaboration avec les parents d’un projet de suivi et d’accompagnement ou l’inscription des parents dans une prise en charge préformatée et standardisée ;
• une inscription dans une démarche de prévention psychique précoce attentive à la subjectivité du sujet ou un dépistage opératoire à partir de risques présumés ;
• prémisses d’un accompagnement ou d’un entretien isolé qui ne s’inscrit ni dans une continuité de soin ni en lien avec l’ensemble du suivi périnatal.
Il s’agit en effet de co-construire avec les parents un projet de suivi de grossesse et de naissance ainsi que l’a énoncé le rapport Puech, Bréart, Rozé (2003), rapport à l’origine du plan périnatalité 2005–2007.
• j’ai du mal à conclure l’entretien, le synthétiser…
• j’ai du mal à voir ce qu’il est nécessaire de transmettre et comment…
• je ne sais pas quoi faire de tout ce qu’a déversé la femme…
• je suis gênée par le silence d’une femme qui ne dit pratiquement rien et donc je retombe dans un monologue en donnant tout une suite de recommandations ou d’informations…
• j’ai peur en posant certaines questions d’être intrusive ou de prendre une place qui n’est pas la mienne, de faire la psy…
Structurer l’écoute dans l’entretien prénatal précoce
Les anciens accoucheurs nommaient l’attitude d’expectative vigilante « l’attitude de l’empereur manchot ». C’est de cet empire de soi, que parle l’attitude de passivation (se mettre activement en situation de passivité) dont A. Carel (2009–2010) dit qu’elle nous permet de devenir attentif et réceptif à l’autre, à ce qui se passe dans la rencontre : « Il s’agit d’activer en soi le système de l’empathie, système perceptif spécialisé qui traite de façon plurimodale les informations issues du comportement d’autrui, de se mettre en résonnance avec le cerveau de l’autre. » Cette nécessité de la posture du professionnel n’a rien d’évident. A. Carel (2009–2010) précise : « L’attitude du professionnel passant de l’action à l’observation demande une intense activité interne. ». Résister à la tentation d’agir, de donner des conseils, de se précipiter à rassurer, de remplir le silence : ce n’est pas rien comme « exercice interne ». Pourtant ce n’est qu’à cette condition que peut s’activer en nous un autre possible dans la relation : l’attention à l’autre. Pour accueillir, il faut du creux et non du plein. C’est en développant cette capacité que la sage-femme devient apte à soutenir la femme dans son processus d’adaptation. Elle a pu éprouver auprès d’elle la force de la formule de B. Golse : « L’attention est un grand soin psychique majeur. »
Il s’agit dans l’EPP de mettre en œuvre précisément ces qualités. Mais, comme pour l’accouchement ou pour l’allaitement, nous avons besoin d’une boussole et d’une grille de lecture pour structurer notre promenade/découverte, pour penser et organiser notre observation.
Je propose ici trois éléments à observer82 :
Les quatre axes du cheminement maternel
L’écoute des femmes au cours de la grossesse suscite une foule de questionnements qui, au-delà de la singularité de leurs expressions, peuvent s’inscrire dans un espace à quatre dimensions défini par quatre axes : sécurité, matrice de soutien, lien à l’enfant porté, devenir mère.
Ces quatre axes, qui sont développés plus bas, rendent compte des préoccupations de la femme enceinte telles que R. Rubin (1984) les a théorisées au travers du concept des « tâches maternelles ».
• assurer une traversée en sécurité, pour elle et son enfant, de la grossesse, de la naissance et des premiers mois ;
• élaborer une « matrice de soutien », enveloppe sociale adaptée parmi les proches et les professionnels ;
• élaborer le lien d’attachement avec l’enfant porté ;
Observer ce qui sécurise et/ou insécurise la femme enceinte : l’axe sécurité
Il est intéressant d’apprécier comment est vécu le suivi médical. Pour des femmes, la prise en charge médicale est rassurante, source d’apaisement, pour d’autres, l’hypermédicalisation est source de malaise, d’anxiété ou de désarroi. Il est ainsi important d’aider le couple à identifier qui et quoi les sécurisent. Face à une situation inconnue, le sentiment de sécurité d’un individu peut se penser sous deux aspects : le sentiment de sécurité externe (ce qui, à l’extérieur de moi, autour de moi, me sécurise) et un sentiment de sécurité interne (ce qui en moi me donne un sentiment de confiance). Le suivi médical offre, dans nos sociétés, une excellence jamais encore égalée de sécurité externe pour la femme. Pour autant, il serait illusoire de penser que cela suffit à clore la question du sentiment de sécurité. Précisément : plus l’insécurité interne est grande plus le besoin de sécurisation externe est important. Inversement, plus grande est la sécurité interne moins est important le besoin de se soutenir d’une sécurité externe.
Observer le rôle et la fonction de l’environnement maternel : la matrice de soutien
Nous empruntons le terme matrice de soutien à D. Stern et à son concept de constellation maternelle. Il met en évidence « la nécessité pour la mère de créer, accepter et réguler un réseau de soutien protecteur et bienveillant qui lui permette d’accomplir pleinement ses tâches… La mère a besoin de se sentir entourée et soutenue, accompagnée, valorisée, appréciée, instruite, aidée à des degrés divers » (Stern, 1995).
L’écoute de la femme enceinte rapporte de multiples éléments de cette thématique :
• mon compagnon m’aide énormément, c’est une bonne surprise… Lui qui ne voulait pas d’enfant…
• ma mère n’a pas même eu un sourire quand je lui ai annoncé ma grossesse, ça ne m’étonne pas, je savais que je ne pouvais pas compter sur elle, heureusement que je peux en parler avec mon psy…
• on est les premiers dans notre groupe d’amis à avoir un enfant et les copains ne comprennent pas que l’on ne fasse plus la fête comme avant… On se sent un peu seuls…
• les premières semaines les copines préparaient les repas pour moi, comme ça j’avais vraiment le temps de rencontrer le bébé…
• ça m’a fait du bien quand la puéricultrice m’a félicitée pour mon organisation…
Il faut insister sur le fait que, sans un système de soutien fonctionnel, la constitution du lien précoce avec l’enfant tend à être sans épaisseur, ténue et fragile, les comportements maternels incertains, fluctuants, et soumis à maints désordres par dilution ou relativisme. Il y a une relation directe entre la force et la qualité des liens intrafamiliaux et sociaux d’une femme et la force et la qualité de l’établissement des liens qu’elle développe avec son enfant (Rubin, 1984).
Le soutien de la part de personnes significatives n’est pas tant une question de dépendance que la condition nécessaire pour pouvoir donner de soi « dans l’étendue requise par la maternité » (Rubin, 1984). Il s’agit d’un portage groupal. Le système de soins et de soutien périnatal est aujourd’hui l’un des éléments majeur de la matrice de soutien, parfois l’élément prépondérant. Il est frappant par exemple de constater combien souvent les paroles maternelles ou grand-maternelles sont invalidées et l’avis médical investi puissamment. Ce système professionnel, pluridisciplinaire, doit prendre en compte et s’appuyer sur les ressources propres de la femme et donc s’articuler avec sa matrice de soutien personnelle.
La sage-femme qui accompagne la grossesse doit se considérer comme un pivot (Bréart, Puech, Roze, 2003), un lien articulant les différents intervenants. Elle peut être pour les parents une personne ressource, un point d’appui, de sécurité ; elle doit aussi prendre acte des situations où son accompagnement ne suffit pas à apaiser, à sécuriser et doit envisager alors avec la femme un réajustement de la matrice de soutien : d’autres ressources professionnelles peuvent s’avérer plus pertinentes. La connaissance précise du réseau périnatal local est donc nécessaire mais aussi celle des compétences et qualifications de chacun : comment travailler avec tel pédiatre ou telle TISF82 ? L’interdisciplinaririté n’est pas un assemblage formel mais une création originale propre à chaque situation83
83 Le recours aux associations d’aide à domicile se font directement ou par l’intermédiaire des assistantes sociales de PMI et/ou de la CAF, selon les dispositifs locaux. Ces associations emploient deux types de professionnels :
Observer l’élaboration du lien avec l’enfant porté : l’axe du lien à l’enfant
• Depuis qu’il bouge, je trouve ça magique…
• Mon compagnon lui chante des berceuses de son pays…
• Je vois bien que le soir il bouge plus tranquillement… Ça doit être parce que je me repose, dans la journée je speede trop…
• Durant ma première grossesse, je courais à droite et à gauche, je ne percevais pas toute la subtilité des mouvements du bébé, ses glissements, ses réponses… Pour moi à l’époque, c’était que des coups, de la gêne…
• Je m’en veux d’être triste comme ça… J’ai peur que le bébé soit triste lui aussi…
L’entretien doit permettre d’observer comment chaque femme, chaque couple investit, au cours de la gestation, les interactions sensorielles avec le bébé, par la parole, le dialogue interne, le dialogue tonique, le toucher. Les parents ont besoin de validation ou d’initiation pour cheminer sur ce thème : « L’expérience mutuelle, gratifiante, de nourrir/manger, donner/recevoir, est un échange réciproque, un lien dans la relation entre deux personnes. Durant la grossesse, une femme nourrit son bébé, et de là recherche les signes, ou les preuves, que ce qu’elle a donné a été bien reçu : elle veut sentir l’excellence de ce qu’elle donne pour son enfant. » (Rubin, 1984.) L’apport de l’haptonomie, du toucher affectif, des expériences corporelles proposées par la sage-femme dans la préparation, les images échographiques, renouvellent aujourd’hui les rites traditionnels qui prescrivaient les modalités des échanges avec le bébé. Ils peuvent conforter la mère sur la qualité de ce qu’elle donne au bébé. Pour autant, il ne nous faut pas négliger les pratiques spontanées et quotidiennes qu’inventent avec simplicité la plupart des parents (parler au bébé, le caresser…) : le plus souvent, nous avons plutôt à les confirmer sur le fait que c’est dans la banalité de ces menues attentions que réside la construction du lien prénatal et non dans l’exercice de quelques techniques qu’ils auraient à maîtriser.
Au cours de la préparation à la naissance, diverses propositions de la sage-femme peuvent soutenir la construction du lien in utero. Ce peut être l’échange avec le couple ou un groupe de femmes sur les perceptions sensorielles du bébé, sa vie intra-utérine, ses différents mouvements, les interactions possibles. Nous verrons plus loin comment la présence vivante du bébé peut être soulignée lors de l’accompagnement.
Observer les anticipations maternelles : l’axe du devenir mère
• Pourrai-je continuer mon boulot qui me passionne ?
• On préfère le faire garder par ma belle-mère la première année, puis il ira en crèche, ce sera mieux, alors, qu’il soit en collectivité.
• J’ai peur d’être fusionnelle comme ma mère l’a été avec moi.
• Est-ce que nous aurons encore une vie de couple quand le bébé sera là ?
• J’ai peur de ne pas savoir bien m’en occuper, je n’ai jamais vu de nouveau-né…
Au-delà des questions (qui n’attendent pas de réponse immédiate et de conseils formels), il est ici question d’observer le cheminement de la femme, du couple vers l’au-delà de la grossesse : l’accueil d’un enfant, la constitution d’une nouvelle famille. Questions, interrogations, doutes témoignent d’une capacité d’anticipation et de réflexivité ; s’y expriment, en germe, la sollicitude, le sens des responsabilités des parents envers l’enfant à venir ainsi que la perception des bouleversements futurs. À l’inverse, nous constatons parfois une totale absence d’anticipation : « on verra bien… C’est naturel… Je n’ai pas d’angoisse, je saurai bien me débrouiller… » ou bien : « pas envie d’y penser pour l’instant… ». Les mouvements défensifs sont alors plus ou moins marqués, se manifestant par un recul dans le dialogue et parfois même une manifestation d’agressivité. Cela témoigne de difficultés plus ou moins massives sur les autres axes du cheminement et doit être entendu par la sage-femme comme un signe de détresse, un besoin d’aide psychique. Là encore, le projet d’accompagnement se pense non dans l’espace clos de son exercice professionnel mais dans celui ouvert du réseau périnatal. Cela nécessite, outre la connaissance des différents acteurs et institutions dans leur fonction, une découverte progressive des qualifications de chacun. Il est particulièrement important pour les sages-femmes d’être en lien avec les psychologues de maternité, d’être au fait des liens de soutien à la parentalité afin de pouvoir échanger sur les situations inquiétantes.
Intérêt méthodologique des quatre axes
Les quatre axes présentés ici constituent un outil directement mobilisable par les sages-femmes ou les médecins qui souhaitent pratiquer l’entretien. Cet outil permet de baliser l’entretien et de ne pas nous égarer dans l’intrusion d’une intimité psychique ni dans l’inconsistance d’une écoute passive, au risque de majorer l’angoisse dans le cas d’un cheminement maternel entravé. Il permet de structurer l’écoute de façon cohérente, de sortir du clivage médical, social, psychologique pour aborder la globalité de la personne et sa subjectivité.
Ces axes entretiennent entre eux un rapport vivant, organique, complémentaire. C’est un système à quatre dimensions. De fait, nous allons partager un temps du cheminement maternel avec pour objectif d’observer comment cela circule sur les quatre axes, observer si une voie est obstruée ou embouteillée, observer la qualité d’anticipation parentale. C’est la dynamique du cheminement qui est de bon aloi et non l’évaluation d’une illusoire (et dangereuse) absence de questions : capacité d’anticipations, préoccupation, intérêt manifeste sur les différents thèmes.
Ainsi, au-delà du contenu explicite du récit, de l’énoncé (faits relatés, antécédents, situation médicale, psychologique ou sociale), c’est dans l’énonciation (ce qui est dit au travers du langage corporel, ce qui est perçu par l’auditeur au-delà des mots énoncés) que peuvent être perçues la qualité et la dynamique du cheminement maternel. « C’est en prenant en compte la dimension de l’énonciation qu’[est reconnu] la place du sujet… Par énonciation, il s’agit bien d’évoquer ce sujet divisé (…) entre les mots et les choses, entre corps et langage, entre savoir et vérité. » (Lebrun, 1997)84.
Nous retrouvons là l’importance du concept de narrativité développé par S. Missonnier à partir des travaux du philosophe P. Ricœur (Missonnier, 2009f).
La narrativité et le style du discours maternel
Lors de l’EPP, la femme, le couple, nous racontent une histoire et nous avons à observer, ressentir le style narratif de ces récits. L’histoire peut être simple, mais inquiétante dans le style du récit, ou lourde d’épreuves, mais rassurante par son style narratif.
• quantité : ni trop (critère de sobriété : on peut suivre le fil du discours), ni pas assez (un discours pauvre, rien ne suscite de relance) ;
• qualité : clarté, cohérence, attitude réflexive, nuances et ambivalences. Le récit est impliqué, expressif, les émotions au cours de l’échange sont présentes sans être envahissantes.
• il peut être marqué par une absence d’implication émotionnelle : psychologisant, explicatif ou saturé de questions d’ordre informatif, technique ou médical. Inversement, il peut être pauvre, marqué par l’absence d’intérêt, de curiosité, de plaisir à l’échange ou d’attrait vers les propositions d’aide ou de soutien ;
• ce peut être un discours idéalisant, manquant de nuances et d’expression d’ambivalence : le doute est absent (on verra bien, tout ça c’est naturel…), les responsabilités sont toujours extérieures au sujet : agrippement au savoir technoscientifique ou inversement méfiance généralisée envers les institutions, en particulier médicales ;
• la réflexivité est absente, les propos sont convenus, consensuels, le sujet ne fait pas appel à son discernement propre, à son bon sens (on m’a dit de faire ainsi…) ;
• enfin, il peut s’agir d’un discours incohérent, sans fonction régulatrice, les contradictions ne sont pas repérées. Des souvenirs très crus peuvent revenir, sur lesquels on veillera à ne pas être intrusif. L’écoute doit être marquée du sceau de la disponibilité mais aussi de la contenance. L’effet angoissant, désorganisant sur le professionnel constitue en soi un signal massif d’alerte.
La subjectivité de la sage-femme
Elle sera attentive à sa posture interne au cours de la rencontre : attentive, à l’écoute, en interaction, partageant avec la femme et l’homme les initiatives de relance de l’échange ou à l’inverse poussée à remplir le silence par un flot de conseils, poussée à de permanents passages à l’acte qui répondent aux questions dans l’immédiateté. Sa capacité à penser, son discernement (est-on là dans les objectifs de l’entretien, est-ce le bon moment pour répondre à cette question, est-ce utile ?) peuvent être stimulés ou bien arrêtés, voire débordés. Son rythme interne est posé ou bien déséquilibré par un sentiment de précipitation. La sage-femme doit prendre en compte les affects négatifs, les garder en mémoire comme d’éventuels clignotants et au besoin se faire aider par un travail de reprise. C’est ce que j’ai défini, dans le chapitre 3, par la notion de signes d’appel psychiques.
Élaborer avec les parents un projet de suivi et d’accompagnement : synthèse de l’entretien prénatal précoce
Les préoccupations de la femme, du couple, sur les thèmes reliés aux quatre axes, témoignent d’un cheminement maturatif et « chaque femme prend en charge ces questions en relation avec sa situation présente et avec les ressources qui lui sont disponibles. Ainsi il y a à chaque fois une marque tout à fait personnelle de la façon dont s’agence le comportement maternel par rapport à ces thèmes » (Rubin, 1984).
Le dispositif nécessaire peut être minimal (projet de type I, cf. chapitre 3) comme dans la situation suivante.
Nous avons vu au chapitre 3 que parfois, en présence de facteurs de risque ou de signes d’appel psychiques le projet de suivi ne peut se construire que progressivement, dans la continuité et la progressivité d’un suivi (type II). Enfin pour d’autres cas, l’EPP met en évidence la nécessité de mobiliser une collaboration pluridisciplinaire et de mettre en œuvre un accompagnement de grande proximité.
Le difficile exercice de l’interdisciplinarité : les transmissions
La question des transmissions à l’issue de l’entretien est de l’avis de toutes les praticiennes rencontrées la question la plus complexe à penser : quelles en sont les difficultés ? Les sages-femmes qui pratiquent l’entretien expriment un fréquent désarroi : que transmettre et à qui ?
• un médecin généraliste : « le conseille systématiquement cet entretien et pourtant je n’ai aucun retour, je ne sais pas ce qui s’y passe, les effets que cela produit… » ;
• un obstétricien chef de clinique : « l’EPP pour moi c’est un trou noir. On l’a mis en place à la maternité, un certain nombre de femmes en bénéficient et je ne sais rien de ce qu’il y est dit, rien ne nous en est transmis… ».
Le point de vue législatif
Dans l’article intitulé Secret professionnel et partage des informations, P. Verdier (2007) précise que le secret professionnel se trouve encadré dans une trilogie : secret à l’égard des tiers, communication à l’intéressé qui le demande, partage limité dans l’équipe.
• l’échange ne doit concerner que ceux qui participent à la même mission de suivi et soutien périnatal ;
• les objectifs légaux assignés à ce partage sont d’évaluer une situation individuelle, déterminer et mettre en œuvre des actions de soins et d’aide ;
• les informations doivent être strictement limitées à ce qu’implique la mission de suivi et de soutien ;
• les parents doivent en être préalablement informés, sauf intérêt contraire de l’enfant.
Le point de vue psychique
Dans l’entretien, nous nous retrouvons confrontés aux trois espaces décrits par A. Carel, le public, le privé, l’intime : « À un pôle, l’intime est l’espace intrapsychique du sujet, celui de son quant-à-soi, où s’applique le droit au secret, implicite dans l’expression “jardin secret”, voire même le droit au mensonge, espace dont la limite est du même ordre que celles du Moi et du corps. À l’autre pôle le public, espace sociétal dont les enjeux et les règles ont à être connus et appréhendés dans la transparence. Entre deux, le privé, en homomorphie avec l’espace transitionnel : c’est l’espace de la famille et par extension celui de la vie groupale et associative, un espace régi, à mon sens, par la discrétion. C’est l’espace où se produisent les échanges entre le public et l’intime, où se régulent les antagonismes de fonctionnement entre le socius et le sujet. » (Carel, 1992.)
• dans la consultation médicale, nous recueillons par exemple : « femme rhésus positif immunisée contre la toxoplasmose, accouchement il y a 2 ans par césarienne après échec du déclenchement pour dépassement de terme… ». Nous avons là des données privées ;
• dans l’entretien, nous recueillons des éléments de la biographie personnelle, conjugale et familiale et surtout du matériel verbal et non verbal qui exprime la subjectivité de l’expérience maternelle, son vécu et ressenti. Nous recueillons un ensemble, constitué de données privées et de données intimes.
Marqué du sceau de la discrétion concernant le privé, du sceau du secret concernant l’intime, l’entretien n’est pas un espace de confidence clos sur lui-même où seule la sage-femme détiendrait les clés du suivi et de l’accompagnement. La sage-femme, tout au long de l’échange, doit avoir présent à l’esprit les divers acteurs qui interviennent déjà auprès de cette famille, ceux qui interviendront plus tard ou dont l’intervention serait souhaitable. Elle a à intégrer la façon dont chaque professionnel soutient le cheminement de la femme, le rôle qu’il joue dans ses représentations. Ainsi que le dit S. Lebovici l’interdisciplinarité est la capacité de s’identifier à l’autre mais sans confusion des tâches (cité par B. Golse, colloque WAIMH, Marseille, mai 2008).
Pour revenir à la particularité d’une situation, nous avons donc à penser :
• ce qu’il est facultatif de transmettre, afin de savoir respecter une saine économie d’information entre professionnels ;
• ce qui ne doit pas être transmis, ce qui doit rester dans l’intimité de la relation établie ;
• ce qu’il est nécessaire de transmettre : cela se mesure à l’aune de l’autre professionnel, en évaluant ce qui va l’aider dans sa prise en charge et soutenir sa mission auprès de la famille.
Partager les préoccupations
Enfin, un entretien peut susciter en nous un sentiment d’inquiétude : malaise dans la relation ; entretien inconsistant, désinvesti, pauvre ou au contraire débordant ; propos sans nuance ; absence d’anticipation, de cheminement, d’ambivalence (je n’ai aucune inquiétude, tout ça c’est naturel…). Nous devons pouvoir partager ce ressenti pour pouvoir mieux élaborer notre accompagnement.
Conclusion
L’EPP permet d’établir un projet de suivi, de soutien et d’accompagnement périnatal par l’attention portée au cheminement maternel sur les quatre axes de la naissance. Les transmissions sont envisagées en fonction des besoins repérés et des professionnels à mobiliser. Il est nécessaire de valider ou de réajuster le canevas de soins au cours du temps : la sage-femme peut servir de fil rouge dans l’ensemble du dispositif de soins mis en place pour les situations complexes.
Dans les situations coutumières, l’intervention de la sage-femme consiste, comme nous allons le voir, à soutenir le trajet parental.
11.2 La pratique de l’accompagnement
La notion de préparation à l’accouchement a évolué aujourd’hui vers celle de préparation à la naissance, puis de préparation à la naissance et à la parentalité (PNP).85 Les recommandations de la Haute Autorité de santé sur la préparation à la naissance et à la parentalité prennent acte de la mutation du concept : « Historiquement, la préparation à la naissance était centrée sur la prise en charge de la douleur. Elle s’oriente actuellement vers un accompagnement global de la femme et du couple en favorisant leur participation active dans le projet de naissance. Le projet de naissance est la conjonction entre les aspirations de la femme et du couple et l’offre de soins locale. Il inclut l’organisation des soins avec le suivi médical et la préparation à la naissance et à la parentalité, les modalités d’accouchement, les possibilités de suivi pendant la période postnatale, y compris les conditions d’un retour précoce à domicile… Ces recommandations préconisent une approche plus précoce de la préparation à la naissance et une démarche élargie à l’amélioration des compétences des femmes ou des couples en matière de santé et au soutien à la parentalité. » (HAS, 2005.)
Ainsi, depuis chaque lieu d’exercice et modalité d’intervention, la sage-femme peut participer à la préparation à la naissance. C’est ce qu’expriment les propos suivants récoltés lors d’une enquête que j’ai menée auprès de collègues sages-femmes en 2009 (Interview SF, 200986) :
• « La préparation est le complément du suivi médical de la grossesse. La préparation prend tout son sens si elle permet aux parents de se réapproprier le processus de la naissance et du début de la parentalité comme partie intégrante de leur histoire. »
• « Lors de mes visites à domicile pour une grossesse pathologique, l’examen médical se prolonge nécessairement d’un temps de soutien de la femme, du couple, qui s’intègre dans le projet de préparation vers la naissance. »