11. Impact de la Perte Auditive sur la Perception de la Parole. Altérations Qualitatives

Acuité Fréquentielle et Temporelle

B. Azéma and C. Renard




1. INTRODUCTION


La perte auditive cochléaire entraîne à l’évidence une perte de la capacité à percevoir les sons faibles et altère la manière de les percevoir.

Le fonctionnement normal de la cochlée est caractérisé par une fonction entrée-sortie compressive, la suppression bitonale et la génération de sons de combinaison.

Les cellules ciliées externes jouent un rôle déterminant dans la production de la haute sensibilité de la membrane basilaire aux sons faibles et dans sa sélectivité fréquentielle précise. La perte auditive implique des dommages de ces cellules ciliées externes et internes ; l’efficacité des phénomènes actifs est réduite, la sensibilité aux sons faibles également, les courbes d’accord de la membrane basilaire sont plus larges et les effets non linéaires sélectifs en fréquence disparaissent (figure 11.1). Il semble que de tels changements doivent être associés à la réduction du fonctionnement des cellules ciliées externes pour l’essentiel.








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Figure 11.1
Courbes d’accord mesurées en un point particulier de la membrane basilaire. Chaque courbe montre le niveau du son d’entrée nécessaire pour produire une vitesse constante sur la membrane basilaire, tracé en fonction de la fréquence du stimulus. La courbe marquée par des cercles pleins était obtenue au début de l’expérience lorsque l’animal était en bonne condition physique ; le seuil des PA était relativement bas (13 à 34dB SPL). La courbe repérée par les cercles ouverts était obtenue plus tard dans l’expérience alors que le seuil des PA était plus élevé (53 à 83dB SPL). Post mortem (carrés), aucun seuil de PA ne pouvait être mesuré.

Redessiné d’après Sellick et al. (1982). Extrait des Cahiers de l’Audition, vol 13, n° 4. Juillet-août (2000).

Dans une oreille normale la vibration de la membrane basilaire est non linéaire : l’amplitude de sa réponse ne croît pas en fonction directe de l’amplitude du signal d’entrée (figure 11.2).








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Figure 11.2
Fonctions d’entréesortie pour un point de la MB de CFR = 8kHz. La fréquence de stimulation, en kHz, est indiquée par un nombre près de chaque courbe.La ligne pointillée indique la pente qui serait obtenue si les réponses étaient linéaires (vitesse directement proportionnelle à la pression sonore).

Redessiné d’après ROBLES et al. (1986). Extrait des Cahiers de l’Audition, vol 13, n° 1. (Janvier-Février 2000).

Cela est vrai pour les faibles intensités < à 20dB et pour les fortes intensités > à 90dB : entre les deux, une large gamme de niveaux sonores d’entrée est comprimée dans une gamme de réponses plus réduite. Aux niveaux faibles et moyens, les mécanismes actifs amplifient la réponse sur la membrane basilaire ; jusqu’à 55dB ; la réponse croît plus lentement que dans un système linéaire ; au-delà de 90dB, le mécanisme actif ne fournit plus d’amplification et le système redevient linéaire. La non-linéarité se produit principalement quand la fréquence de stimulation est proche de la fréquence caractéristique du point de la membrane basilaire que l’on observe.

L’information sur les propriétés des sons est portée dans le nerf auditif en termes de niveau d’activité des différents neurones : codage spatial par les taux de décharge, et en termes de patterns temporels des impulsions neurales par le verrouillage de phase (cf. chapitre 5, « Données fréquentielles et temporelles de la perception de la parole »). La perte cochléaire réduit de façon significative l’efficacité de ces phénomènes (figure 11.3).








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Figure 11.3
Fonctions d’entrée-sortie sur la MB immédiatement avant (lignes pleines) et après (lignes pointillées) une injection intraveineuse de furosemide. Voir le texte pour les détails.

Redessiné d’après RUGGERO et RICH (1991). Extrait des Cahiers de l’Audition, vol 13, n° 1. (Janvier-Février 2000).

Nous allons donc aborder les différents impacts de la perte auditive sur la sélectivité fréquentielle, la perception d’intensité, la résolution en intensité, la résolution temporelle et l’intégration temporelle, la perception de hauteur et l’intégration fréquentielle, la localisation des sons et l’audition binaurale, la perception de la parole et l’analyse des scènes auditives.


2. EFFET DE LA PERTE AUDITIVE SUR LA SÉLECTIVITÉ FRÉQUENTIELLE


La sélectivité fréquentielle est la capacité du système auditif à séparer les composantes d’un son complexe.

La comparaison de la sélectivité fréquentielle entre sujet normoentendant et malentendant est difficile : le niveau sonore des stimuli utilisés joue un rôle déterminant ; en effet les filtres auditifs deviennent plus étroits du côté des basses fréquences lorsque le niveau baisse chez le normoentendant (MOORE et GLASBERG, 1993). Cet effet dépend des phénomènes actifs cochléaires qui eux-mêmes sont inactifs en présence d’une perte auditive. Il en résulte que les différences entre sujets normoentendant et malentendant tendent à décroître aux forts niveaux sonores, l’un et l’autre perdant leur sélectivité.

Le deuxième facteur important dans la sélectivité fréquentielle est l’écoute hors fréquence qui varie en fonction du niveau de la sensation sonore et de la sélectivité fréquentielle du sujet. Les diverses et nombreuses études réalisées s’accordent à dire que les courbes d’accords sont plus larges que la normale chez les sujets malentendants. De même les filtres auditifs sont plus larges chez le malentendant que chez le sujet normal et la largeur croît avec l’importance de la perte auditive.

Les effets de masquage sont donc très importants chez le sujet malentendant, mais ils sont aussi fonction du spectre du bruit masquant. Quand les spectres de bruit masquant se recouvrent, la gêne est nettement moins prononcée que lorsque les spectres sont très différents : bruit de sirène et de climatiseur par exemple, ou bruits de deux voyelles. Une personne malentendante avec une sélectivité fréquentielle réduite sera moins à même que la personne avec une audition normale de tirer avantage de la différence spectrale entre les deux voyelles.

En résumé, les résultats s’accordent pour dire que les filtres auditifs sont plus larges que la normale chez les sujets malentendants et qu’en moyenne le degré d’élargissement croît avec la perte auditive (PETERS et MOORE, 1992).


3. EFFET DE LA PERTE AUDITIVE SUR LA RÉSOLUTION TEMPORELLE


La résolution temporelle est affectée par la perte auditive. Le traitement temporel dépend à la fois de l’analyse du pattern temporel produit par chaque canal fréquentiel et de la comparaison des patterns temporels entre les canaux. La détérioration est fonction de la mesure effectuée.

Il existe un premier niveau de filtrage passe-bande reflétant l’action des filtres auditifs, chaque filtre étant suivi d’un dispositif non linéaire. Ce dispositif traduit en activité sur le nerf auditif certains aspects de l’activité, en un point particulier, de la membrane basilaire. La sortie du dispositif non linéaire alimente un dispositif de lissage qui peut être implémenté comme un filtre passe-bas ou comme un intégrateur temporel glissant. Ce dispositif agit en aval du nerf auditif ; il reflète un mécanisme central, sa sortie est dirigée vers un dispositif de décision. Ce dispositif se dégrade chez le normoentendant aux faibles intensités et induit des changements au niveau des décisions centrales plus que dans les phénomènes périphériques.

Pour la détection des blancs dans des bandes de bruit, le sujet malentendant se révèle notablement moins performant que le sujet normoentendant au même niveau de stimulation. Pour les sons de type « clic », le malentendant se révèle aussi performant, voire meilleur, que le sujet normoentendant (MOORE, GLASBERG, PLACK et BISWAS, 1988).

Le deuxième niveau est le point de la largeur de la bande disponible. Cela se comprend si l’on considère les études mesurant la fonction de transfert de modulations temporelles qui donne le taux de modulation requis pour la détection de la modulation, tracé en fonction de la fréquence de modulation. On suppose la capacité à détecter les modulations de fréquences élevées limitée par la résolution temporelle.

Différentes études mesurant des fonctions de transfert de modulations temporelles pour des porteuses de bruit large montrent que les malentendants sont moins sensibles aux taux de modulation élevés que les normoentendants. D’autres études montrent qu’à des mêmes niveaux de stimulations élevées, les performances sont similaires pour les deux groupes.

Enfin, en mesurant des fonctions de transfert de modulations temporelles pour une bande de bruit de largeur d’une octave centrée sur le 2kHz chez des sujets ayant une perte unilatérale, il a été montré que les sujets avaient des seuils raisonnablement constants, en fonction de la fréquence, dans leur oreille malentendante comme dans leur oreille saine ; cela permet de vérifier qu’il n’y a pas de différence entre les oreilles en termes d’intervalle des fréquences audibles dans le bruit.

Par ailleurs, nous le savons : les malentendants ont des filtres auditifs plus larges que la normale, ce qui devrait les conduire à une meilleure résolution temporelle puisque les filtres larges ont une réponse plus rapide que les filtres étroits. Mais les filtres auditifs étroits d’une oreille normale semblent jouer peu de rôle dans la limitation de la résolution temporelle excepté aux fréquences très basses (PLACK et MOORE, 1990). Il est très difficile de mettre en évidence une amélioration de la résolution temporelle résultant de l’élargissement des filtres auditifs.

Face à la détection des blancs dans des bruits à bande étroite, le malentendant est moins performant. Quand il s’agit de sinusoïdes, la différence s’estompe. L’explication pourrait venir du recrutement de la sonie : pour un malentendant présentant du recrutement, les fluctuations d’amplitude inhérentes dans un bruit à bande étroite résulteraient en des fluctuations de sonie à chaque instant plus larges que la normale. Les creux inhérents au bruit seraient confondus avec le blanc devant être détecté. Cette idée peut être décrite ainsi : en présence de dommages cochléaires, la fonction entrée sortie de la membrane basilaire est moins compressive et rend la détection des blancs plus difficile. Il est important alors de noter une absence de dommage temporel après la cochlée, ce qui est vérifié tous les jours chez les porteurs d’implants cochléaires qui utilisent cet aspect temporel très rapidement. Si la détection est déficiente, c’est qu’il existe vraisemblablement une atteinte rétrocochléaire dans leur perte auditive (PETERS, MOORE et GLASBERG, 1995).

La plupart des sons de la vie courante sont caractérisés par des fluctuations d’amplitude très variables d’un instant à l’autre. Pour de tels sons, les malentendants auront plus de mal que les normoentendants à suivre la structure temporelle de ces sons, soit parce que les sons ont un faible niveau de sensation, soit parce que la largeur de bande audible est restreinte. Tous ces différents facteurs vont conduire à une difficulté accrue pour la discrimination de la parole ou la reconnaissance des sons musicaux et environnementaux, par exemple.


4. EFFET DE LA PERTE AUDITIVE SUR L’INTÉGRATION TEMPORELLE


Pour les malentendants, les changements du seuil absolu avec la durée du signal sont souvent plus petits que pour le normoentendant. Ils présentent donc une intégration temporelle réduite (figure 11.4). Plus la perte auditive est importante, l’intégration temporelle est réduite. Elle semble être en relation directe avec la perte de compression de la membrane basilaire qui entraîne des fonctions entrée-sortie plus raides et donc des fonctions de niveaux de taux de décharge sur le nerf auditif plus raides également (CARLYON, BUUS et FLORENTINE, 1990).

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Aug 15, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 11. Impact de la Perte Auditive sur la Perception de la Parole. Altérations Qualitatives

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