11: Hypersensibilités: Affections causées par des réactions immunitaires

Chapitre 11


Hypersensibilités


Affections causées par des réactions immunitaires



Jusqu’à présent, cet ouvrage a insisté sur le concept d’un système immunitaire nécessaire à la défense contre les infections. Cependant, les réactions immunitaires peuvent elles-mêmes provoquer des lésions tissulaires et des maladies. Les affections provoquées de la sorte sont appelées hypersensibilités. Une réponse immunitaire dirigée contre un antigène donné peut sensibiliser un individu au point qu’un nouveau contact avec cet antigène déclenchera des réactions immunitaires excessives ou aberrantes. Les hypersensibilités peuvent être provoquées par deux types de réponses immunitaires anormales : d’une part, les réponses à des antigènes étrangers (microbes et antigènes environnementaux non infectieux) peuvent être dérégulées ou non contrôlées et provoquer des lésions tissulaires ; d’autre part, les réponses immunitaires peuvent être dirigées contre des antigènes du soi (autologues) en raison d’un défaut de tolérance au soi (voir chapitre 9). Les réactions contre les antigènes du soi, ou auto-immunité, peuvent entraîner les maladies dites auto-immunes.


Ce chapitre décrit les réactions d’hypersensibilité, leurs caractéristiques principales et les maladies qu’elles causent en se concentrant sur leur pathogénie. Il ne résume que brièvement les manifestations cliniques et histopathologiques de ces affections, décrites en détail dans d’autres manuels de médecine. Les questions suivantes sont abordées :




Les différents types d’hypersensibilité


Les hypersensibilités sont généralement classées sur base du mécanisme immunologique principal à l’origine des lésions tissulaires et de la maladie (fig. 11.1). Les dénominations descriptives, que nous préférons car elles sont plus informatives que la classification numérique, sont utilisées tout au long de ce chapitre. L’hypersensibilité immédiate (hypersensibilité de type I) est un type de réaction pathologique provoquée par des médiateurs libérés par des mastocytes. Cette réaction est le plus souvent déclenchée par la production d’anticorps IgE contre des antigènes environnementaux et par la liaison des IgE aux mastocytes de différents tissus. Des anticorps autres que les IgE peuvent s’avérer pathogènes de deux manières. Les anticorps dirigés contre les antigènes cellulaires ou tissulaires peuvent léser ces cellules ou ces tissus ou altérer leurs fonctions ; il s’agit dans ce cas d’hypersensibilités causées par des anticorps (hypersensibilité de type II). Parfois, les anticorps dirigés contre des antigènes solubles peuvent former des complexes avec les antigènes et ces complexes immuns peuvent se déposer dans les vaisseaux sanguins de différents tissus et entraîner une inflammation et des lésions tissulaires ; ce type de pathologie est appelé maladie à complexes immuns (hypersensibilité de type III). Enfin, certaines maladies sont dues aux réactions des lymphocytes T souvent contre des antigènes tissulaires du soi ; ces maladies impliquant les lymphocytes T correspondent à l’hypersensibilité de type IV ou hypersensibilité retardée.



Ce système de classification est utile car il distingue les mécanismes de lésions tissulaires d’origine immunitaire. Cependant, il faut savoir que, dans de nombreuses maladies immunitaires humaines, les dégâts résultent d’une combinaison de réactions humorales et cellulaires, de sorte qu’il est souvent difficile de classer clairement ces maladies dans un type d’hypersensibilité.



Hypersensibilité immédiate


L’hypersensibilité immédiate est une réaction des anticorps IgE et des mastocytes à certains antigènes ; elle provoque rapidement des fuites vasculaires et des sécrétions muqueuses, souvent suivies d’inflammation. Les réactions d’hypersensibilité immédiate dépendant de l’IgE sont également appelées allergie ou atopie ; les individus ayant une forte propension à réagir de la sorte sont dits « atopiques ». Ces réactions peuvent toucher différents tissus et s’avérer plus ou moins graves selon les individus. Les types les plus fréquents de réaction d’hypersensibilité immédiate sont le rhume des foins, les allergies alimentaires, l’asthme bronchique et l’anaphylaxie. Les caractéristiques cliniques de ces réactions sont présentées plus loin dans ce chapitre. Les allergies constituent les troubles les plus fréquents du système immunitaire : elles affectent environ 20 % des gens et l’incidence des maladies allergiques s’est accrue dans les pays développés.


Le développement des réactions d’hypersensibilité immédiate commence par l’activation des cellules TH2 et la production d’anticorps IgE en réponse à un antigène ; ceux-ci se lient aux récepteurs de Fc des mastocytes ; ensuite, lors d’un nouveau contact avec l’antigène, l’interconnexion des IgE par l’antigène libère des médiateurs des mastocytes (fig. 11.2). Certains médiateurs des mastocytes augmentent rapidement la perméabilité vasculaire et la contraction des muscles lisses, ce qui cause les multiples symptômes de cette hypersensibilité. (fig. 11.3). Cette réaction vasculaire et musculaire lisse peut survenir dans les minutes qui suivent la réintroduction de l’antigène chez un individu sensibilisé, d’où le nom d’hypersensibilité immédiate. Les autres médiateurs des mastocytes sont les cytokines qui recrutent, pendant plusieurs heures, des neutrophiles et des éosinophiles dans le site de réaction. Cette composante inflammatoire de l’hypersensibilité immédiate, appelée phase tardive de la réaction, est en grande partie responsable des lésions tissulaires provoquées par les crises répétées d’hypersensibilité immédiate.




Après ces notions de base, nous allons décrire les phases successives des réactions d’hypersensibilité immédiate.



Activation des cellules TH2 et production des anticorps IgE


Chez les individus prédisposés aux allergies, le contact avec certains antigènes entraîne l’activation des lymphocytes TH2 et la production d’anticorps IgE (fig. 11.2). La plupart des individus ne réagissent pas selon la voie TH2 à des antigènes étrangers. Pour des raisons inconnues, lorsque certains sont confrontés à des antigènes comme des protéines de pollen, certains aliments, des venins d’insectes ou des phanères d’animaux, ou s’ils sont traités par des médicaments comme la pénicilline, la réponse dominante des lymphocytes T est de type TH2. L’hypersensibilité immédiate se développe suite à l’activation des lymphocytes TH2 en réponse à des antigènes protéiques ou à des substances chimiques qui se lient aux protéines. Les antigènes qui déclenchent une hypersensibilité immédiate (c’est-à-dire des réactions allergiques) sont appelés allergènes. Toute personne atopique peut être allergique à un ou plusieurs de ces antigènes. On ne comprend pas pourquoi seul un petit sous-ensemble d’antigènes environnementaux communs suscitent des réactions de type TH2 et la production d’IgE, et quelles sont les caractéristiques de ces antigènes responsables de leurs propriétés allergéniques.


Parmi les cytokines sécrétées par les lymphocytes TH2, l’IL-4 et l’IL-13 stimulent la commutation des lymphocytes B spécifiques des antigènes étrangers en plasmocytes producteurs d’IgE. Par conséquent, les individus atopiques produisent de grandes quantités d’anticorps IgE en réponse à des antigènes qui ne déclenchent pas de réponses IgE chez la plupart des personnes. La propension à développer des lymphocytes TH2, à produire des IgE et à l’hypersensibilité immédiate est fortement conditionnée par une prédisposition génétique faisant intervenir de nombreux gènes, mais les mécanismes sous-jacents aux associations génétiques restent mal compris.



Activation des mastocytes et sécrétion de médiateurs


Les anticorps IgE produits en réponse à un allergène se lient aux récepteurs de Fc de haute affinité qui sont spécifiques de la chaîne lourde ε et qui sont exprimés sur les mastocytes (fig. 11.2). Ainsi, chez un individu allergique, les mastocytes sont recouverts d’anticorps IgE spécifiques du ou des antigènes auxquels l’individu est allergique. Ce processus de liaison des IgE aux mastocytes est appelé « sensibilisation », car il rend les mastocytes sensibles à l’activation en cas de rencontre ultérieure des IgE avec leur antigène spécifique. En revanche, chez les individus non allergiques, les mastocytes peuvent porter des molécules d’IgE de spécificités variées ; en effet, de nombreux antigènes peuvent déclencher de faibles réponses de type IgE, mais la quantité d’IgE spécifique d’un antigène quelconque n’est pas suffisante pour causer des réactions d’hypersensibilité immédiate lors d’un contact avec cet antigène. Les mastocytes sont présents dans tous les tissus conjonctifs, spécialement sous les épithéliums, et sont habituellement localisés près des vaisseaux sanguins. La voie d’entrée de l’allergène conditionne souvent quels mastocytes de l’organisme seront activés par pontage (interconnexion) des IgE spécifiques de l’allergène. Par exemple, les allergènes inhalés activent les mastocytes se trouvant dans la sous-muqueuse des bronches, tandis que les allergènes ingérés activent les mastocytes de la paroi intestinale.


Le récepteur de haute affinité de Fcε, dénommé FcεRI, est composé de trois chaînes polypeptidiques, dont l’une se lie très fortement à la région Fc de la chaîne lourde ε, avec un Kd d’environ 10−11 M. La concentration en IgE du plasma est approximativement égale à 10−9 M, de telle sorte que même chez les individus non allergiques, les mastocytes sont toujours recouverts d’IgE liée au récepteur FcεRI. Les deux autres chaînes du récepteur sont des protéines de signalisation. Le même récepteur FcεRI est également présent sur les basophiles, des cellules circulantes qui partagent de nombreuses caractéristiques des mastocytes ; mais le rôle des basophiles dans l’hypersensibilité immédiate n’a pas été aussi bien caractérisé que celui des mastocytes.


Lorsque les mastocytes sensibilisés par les IgE sont exposés à l’allergène, les cellules sont activées et sécrètent leurs médiateurs (fig. 11.4). L’activation des mastocytes résulte de la liaison de l’allergène à au moins deux anticorps IgE sur le mastocyte. Lorsque ce phénomène se produit, les IgE et les molécules FcεRI qui portent les IgE s’agrègent, déclenchant des signaux biochimiques à partir des chaînes de transduction des signaux du récepteur FcεRI. Les signaux déclenchent trois types de réponses dans le mastocyte : une libération rapide du contenu des granules (dégranulation), la synthèse et la sécrétion de médiateurs lipidiques et enfin la synthèse et la sécrétion de cytokines.



Les médiateurs principaux produits par les mastocytes sont des amines vasoactives et des protéases stockées dans des granules et prêts à être libérées, alors que d’autres sont des cytokines et des produits néoformés provenant du métabolisme de l’acide arachidonique (fig. 11.4). Ces médiateurs exercent différentes actions. L’amine principale, l’histamine, provoque la dilatation des petits vaisseaux sanguins, augmente la perméabilité vasculaire et stimule la contraction transitoire des muscles lisses. Les protéases peuvent provoquer des lésions des tissus locaux. Les métabolites de l’acide arachidonique comprennent les prostaglandines, qui entraînent une dilatation vasculaire, et les leucotriènes, qui stimulent la contraction prolongée des muscles lisses. Des cytokines induisent une inflammation locale (phase tardive de la réaction, décrite ci-dessous). Ainsi, les médiateurs des mastocytes sont responsables de réactions aiguës des vaisseaux et des muscles lisses et d’inflammation, qui sont les manifestations typiques de l’hypersensibilité immédiate.


Les cytokines produites par les mastocytes stimulent le recrutement de leucocytes, qui sont responsables de la phase tardive de la réaction. Les principaux leucocytes participant à cette réaction sont les éosinophiles, les neutrophiles et les lymphocytes TH2. Le TNF (tumor necrosis factor) et l’IL-4 produits par les mastocytes favorisent une inflammation riche en neutrophiles et en éosinophiles. Les chimiokines produites par les mastocytes et les cellules épithéliales des tissus contribuent également au recrutement des leucocytes. Les éosinophiles et les neutrophiles libèrent des protéases, qui endommagent les tissus, tandis que les lymphocytes TH2 peuvent exacerber la réaction en produisant davantage de cytokines. Les éosinophiles sont des composants importants de nombreuses réactions allergiques et constituent une cause majeure des lésions tissulaires observées dans ce type de réactions. Ces cellules sont activées par une cytokine, l’IL-5, qui est produite par les lymphocytes TH2 et les mastocytes.



Syndromes cliniques et traitement


Les réactions d’hypersensibilité immédiate ont diverses caractéristiques cliniques et pathologiques, toutes attribuables aux médiateurs produits en quantités variables et dans différents tissus par les mastocytes (fig. 11.5). Certaines réactions bénignes, comme la rhinite ou la sinusite allergique fréquemment retrouvées dans le rhume des foins, sont déclenchées par des allergènes inhalés, comme des protéines du pollen de graminées. Les mastocytes présents dans la muqueuse nasale produisent de l’histamine et les cellules TH2 produisent l’IL-13, et ces deux médiateurs augmentent la sécrétion de mucus. La phase tardive de la réaction d’hypersensibilité peut conduire à une inflammation prolongée. Dans les allergies alimentaires, les allergènes ingérés déclenchent une dégranulation des mastocytes et l’histamine libérée provoque une augmentation du péristaltisme. L’asthme bronchique est le plus souvent une forme d’allergie respiratoire au cours de laquelle des allergènes inhalés (souvent indéfinis) stimulent la libération par les mastocytes bronchiques de médiateurs, notamment les leucotriènes, qui provoquent des poussées répétées de constriction bronchique et d’obstruction des voies respiratoires. Dans l’asthme chronique, un grand nombre d’éosinophiles infiltrent la muqueuse bronchique et du mucus est sécrété de manière excessive dans les voies respiratoires. En outre, les muscles lisses des bronches sont hypertrophiés et deviennent hyperréactifs à différents stimulus. Certains cas d’asthme ne sont pas associés à la production d’IgE, bien que provoqués par une activation des mastocytes. Chez certains individus, l’asthme peut être déclenché par le froid ou l’exercice, mais on ignore ce qui provoque l’activation des mastocytes.


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Jun 25, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 11: Hypersensibilités: Affections causées par des réactions immunitaires

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