11 Fractures trochantériennes : matériel centromédullaire
L’enclouage centromédullaire fut introduit en 1940 par Küntscher1. Il fit progresser la technique d’enclouage à foyer fermé en utilisant un clou ouvert, rectiligne, en forme de trèfle pour les fractures de la diaphyse fémorale. Depuis les années 1940, les fractures pertrochantériennes ont été traitées par enclouage centromédullaire, et la fixation centromédullaire est devenue le traitement standard pour les fractures diaphysaires du fémur dans les années 1950. En 1967, Zickel2,3 fit part de bons résultats de fixation de fractures du fémur proximal par enclouage centromédullaire. L’enclouage antérograde devint la méthode de fixation standard pour ce type de fractures après l’introduction du clou Gamma™ en 1988, un clou trochantérien avec une vis à compression céphalique verrouillée4.
Au fil des années, la fixation centromédullaire des fractures devint de plus en plus populaire, et les indications furent étendues aux fractures diaphysaires tibiales et humérales. Depuis 1990, en réponse aux avancées faites dans les ancillaires d’enclouages, les dessins et les techniques, les indications de fixation centromédullaire des fractures par enclouage se sont propagées aux régions métaphysaires des os longs. En faisant varier la position des vis proximales et distales au sein du clou, l’emploi de la technique de la vis de Poller5 (utilisation de vis pour bloquer et réduire le canal métaphysaire et ainsi accroître la stabilité du clou), et l’existence de clous avec vis de verrouillage pouvant être positionnées en percutané ont fait de l’enclouage centromédullaire le traitement de choix pour les fractures diaphysaires et métaphysaires au tiers proximal et distal des os longs.
Le débat reste ouvert au sujet des fractures extracapsulaires de la hanche entre le choix du clou ou de la plaque. Le traitement par plaque pour les fractures pertrochantériennes peut être justifié par le traitement largement diffusé des fractures intracapsulaires par vissage en compression coulissant (sliding hip screw [SHS]) : la technique est familière. Une autre raison peut être liée aux problèmes inhérents aux premiers dessins de clous céphalomédullaires pour le fémur proximal6. Les résultats avec les premiers clous céphalomédullaires n’étaient pas significativement meilleurs comparés aux résultats des vis-plaques, et les clous étaient responsables de complications fréquentes telles que des fractures sous l’extrémité distale des clous courts7–9.
Les dessins modernes de clous et les nouvelles techniques chirurgicales ont fait de l’enclouage centromédullaire une intervention de plus en plus attractive pour la fixation des fractures extracapsulaires de hanche10. L’avantage biomécanique de cette approche a conduit au développement d’implants variés qui représentent le meilleur traitement actuel pour les fractures pertrochantériennes dans un nombre croissant d’hôpitaux autour du monde.
Justification de l’enclouage centromédullaire des fractures de hanche extracapsulaires
Le besoin d’une fixation par enclouage centromédullaire des fractures pertrochantériennes devient encore plus évident quand les effets des contraintes locales sont bien compris. D’importantes forces en compression le long de la corticale interne (arche d’Adams) et d’importantes forces en distraction sur la corticale externe de plus de 70 bar créent une contrainte biomécanique élevée dans la région proximale du fémur11,12. L’implant choisi doit être adéquat en termes de stabilité pour assurer le maintien de la position de réduction de la fracture jusqu’à consolidation. Dans ces cas, l’enclouage centromédullaire est clairement avantageux pour la fixation de la fracture. Dans les études biomécaniques, les clous centromédullaires ont une plus grande rigidité et offrent une fixation plus rigide contre des charges combinées plus importantes en compression et en flexion par rapport aux plaques13. Cet effet est fondé sur le dessin et la position de l’implant. Comparativement aux implants extramédullaires, les dispositifs intramédullaires créent un bras de levier plus court par leur position centrée dans la diaphyse et ainsi adjacente au complexe cervicocéphalique. Ce bras de levier plus court conduit à diminuer le couple de torsion, qui lui-même diminue le risque d’échec mécanique avant consolidation complète de la fracture14.
En comparaison avec les implants extramédullaires tels que les plaques, les dispositifs intramédullaires déportent l’axe et les forces de contrainte supportant le poids du corps vers la région médiale du fémur proximal, avec en résultante des contraintes partagées15–18. L’avantage principal offert par la fixation centromédullaire dans les fractures pertrochantériennes est l’effet de butée latérale du clou lui-même. La partie proximale du clou se comporte comme un soutien intramédullaire dans le grand trochanter. Cela procure une fixation stable contre la médialisation de la diaphyse et une impaction trop importante des fragments fracturés, ce qui ne peut pas être obtenu via une fixation par plaque monocorticale. Ces caractéristiques font de l’utilisation d’implants extramédullaires une stratégie sous-optimale dans les fractures instables et obliques inverses (fractures AO/OTA 31A3)19. Dans ces types de fractures instables et obliques inverses, les implants extramédullaires n’offrent pas de fixation supplémentaire des fragments proximaux en dehors de la vis céphalique à compression. Les fractures pertrochantériennes instables traitées par SHS ou d’autres implants extramédullaires ont un taux plus élevé de pseudarthrose et de raccourcissement du col et de la diaphyse du fémur20,21. À cause de ces complications, de nombreux auteurs ont indiqué que la SHS et autres implants extramédullaires ne sont pas appropriés pour ces types de fractures9,22–27. En se fondant sur une connaissance des avantages biomécaniques des enclouages centromédullaires dans le traitement des fractures de la diaphyse fémorale, des clous céphalomédullaires de nouvelle génération ont été utilisés pour le traitement des fractures pertrochantériennes28–32.
Indication et types de fractures
Selon la classification AO/Orthopaedic Trauma Association (AO/OTA), les fractures extracapsulaires de hanche sont étiquetées 31A33. Bien que ces lésions recouvrent un groupe hétérogène de fractures stables et instables avec des caractéristiques mécaniques différentes, l’enclouage centromédullaire est indiqué pour tous les types de fractures dans ce groupe. Les fractures de type 31A sont sous-classées en groupes A1, A2 et A3, qui peuvent encore être divisés en sous-groupes.
AO/OTA 31A1
Les fractures de type 31A sont des fractures pertrochantériennes simples, dont le trait de fracture parcourt le grand trochanter. Le petit trochanter n’est pas impliqué. Ces fractures stables ne requièrent pas autant de support mécanique que d’autres types de fractures dans cette classification. Habituellement, les fractures de type 31A1 peuvent être réduites sur table orthopédique sans davantage de manœuvres et fixées par un implant extramédullaire ou centromédullaires proximal court. Comme le mur latéral est intact, ces fractures ne sont pas à risque d’impaction trop importante ou de médialisation de la diaphyse. Pour fixer ces fractures, un clou court est suffisant dans la plupart des cas (fig. 11-1).
AO/OTA 31A2
Les fractures de type 31A2 sont des fractures pertrochantériennes à plus de deux fragments, dont le trait de fracture parcourt le grand et le petit trochanters. Les fractures de types 31A2.2 et 31A2.3 sont définies comme instables. À cause de la fracture de la colonne médiale, un support mécanique avec un implant stable est nécessaire jusqu’à consolidation osseuse. La réduction peut être difficile. Le fragment proximal peut être déplacé en flexion, en varus, ou les deux. Des manœuvres supplémentaires de réduction sont souvent requises. Les fractures incluant le mur latéral sont à risque d’impaction importante ou de médialisation de la diaphyse, si l’implant ne fournit pas de butée latérale. Ces fractures sont mieux prises en charge par clous centromédullaires grâce aux avantages biomécaniques offerts par ce matériel. Dans les fractures avec un mur latéral respecté au point d’entrée de la vis céphalique, un clou court peut être utilisé. Si cette zone est fracturée ou si la fracture s’étend à la région diaphysaire, un clou long est choisi pour fournir une stabilité axiale. Le choix du clou est reporté jusqu’à ce que des radiographies de profil soient faites (fig. 11-2 et 11-3).
AO/OTA 31A3
Les fractures de type 31A3 sont classées intertrochantériennes, avec un trait de fracture passant entre le grand et le petit trochanters, et touchant la corticale externe. Ces fractures sont définies comme instables et sont difficiles à la fois à réduire et à fixer. La colonne médiale et latérale est fracturée, et le fragment proximal est habituellement court et déplacé. Ces fractures requièrent souvent une réduction multidirectionnelle, qui peut être difficile à obtenir car le fragment proximal est court. Les caractéristiques spéciales et le modèle biomécanique de ces fractures sont évidents dans les fractures intertrochantériennes obliques inversées de type 31A3.1. Pour fixer toutes ces fractures intertrochantériennes 31A3, un clou long est nécessaire (fig. 11-4 et 11-5).
Technique opératoire
Réduction
Techniques de réduction à foyer fermé et percutanée
Contrôle du déplacement en flexion
Chez les patients avec un fragment proximal restant déplacé en flexion, le chirurgien a différentes options pour réduire la fracture. La plus élégante est d’introduire une pointe carrée par une incision antérieure de la cuisse de 5 mm. La pointe applique une force dirigée vers l’arrière au fragment non aligné et permet la réduction. Une fois la réduction satisfaisante obtenue, l’alésage proximal puis l’insertion du clou peuvent être réalisés (fig. 11-6).
Une autre option pour réduire une fracture déplacée en flexion est d’utiliser un appui radiotransparent monté sur la table orthopédique afin de pousser la diaphyse vers l’avant. Si cet appui n’est pas disponible, un étai emballé et mis en condition stérile est positionné sous le membre. La réduction s’obtient en baissant la table sur l’étai (fig. 11-7).