11. Considérations pédiatriques en exploration fonctionnelle respiratoire

Chapitre 11. Considérations pédiatriques en exploration fonctionnelle respiratoire

Nicole Beydon



Exploration fonctionnelle respiratoireconsidérations pédiatriquesLe poumon fait partie des organes dont la maturation n’est pas achevée à la naissance. Il subit des modifications importantes durant les 2 à 6 premières années de vie pour devenir ensuite, en termes de physiologie, proche du poumon adulte. L’autre dimension à prendre en compte lors de l’exploration de la fonction pulmonaire de l’enfant est le développement affectif et psychomoteur qui va déterminer une coopération grandissante aux différentes manœuvres respiratoires avec, cependant, une large variabilité interindividuelle (encadré 11.1).

Encadré 11.1







• Dès la naissance


• Pour le nouveau-né et le nourrisson : centres très spécialisés, indication du pneumologue pédiatre


• Pour les jeunes enfants entre 2 et 6 ans : matériel adapté nécessaire mais facilement disponible, environnement et comportement du personnel adaptés aux enfants de cet âge. En pratique, taux de réussite > 80 % à l’âge de 3 ans chez un enfant scolarisé, mais <50 % chez un enfant de 2 à 3 ans. Techniques utilisées non invasives, donc facilement réitérées lors du suivi si nécessaire


• Pour les grands enfants >6 ans : mêmes contraintes que l’adulte, mais plus grande variabilité des résultats encore possible jusqu’à 10 ans. Vigilance lors de la sélection et l’interprétation des résultats


Physiologie respiratoire du nourrisson et de l’enfant



Généralités


Physiologie respiratoire du nourrisson et de l’enfantQuel que soit l’âge, le poumon :




• remplit les mêmes missions avec des niveaux de régulations qui évoluent dans les premières années de vie :




– assurer les échanges gazeux : apport adapté en O2, épuration du CO2;


– maintenir l’équilibre acidobasique;


– activités métaboliques autres (angiotensine, prostacyclines, etc.).


• répond à la demande ventilatoire déterminée par plusieurs facteurs :




– niveau physiologique de régulation de la PaCO2 (du pH);


– activité musculaire/articulaire;


– activités cardiovasculaire, des voies aériennes et des poumons.


• est sous la dépendance d’une réponse centrale respiratoire utilisant en périphérie :




– le «système respiratoire», c’est-à-dire l’ensemble des organes contenus dans le thorax (voies aériennes, poumons, plèvre, paroi thoracique et muscles respiratoires), dont le fonctionnement constitue la mécanique ventilatoire;


– le système cardiovasculaire qui module le transport des gaz échangés par le poumon vers les, et à partir des, organes en fonction de la demande métabolique.


Particularités physiologiques du nourrisson et du jeune enfant


C’est essentiellement à l’âge nourrisson que la mécanique ventilatoire diffère de celle du grand enfant ou de l’adulte, du fait :




• de la grande flaccidité du poumon et surtout de la cage thoracique (compliance thoracopulmonaire élevée). À cet âge, la compliance thoracopulmonaire élevée résulte en un niveau de volume de repos (capacité résiduelle fontionnelle [CRF]) proche du volume pulmonaire minimal (volume résiduel [VR]);


• de la forme du thorax et de celle du diaphragme. Le thorax du nourrisson est plus rond (moins aplati dans le sens antéropostérieur) que celui du grand enfant, les insertions diaphragmatiques moins tangentielles au thorax, et le dôme du muscle diaphragmatique est de forme plus aplatie. Les contractions diaphragmatiques entraînent un déplacement moindre d’air et aussi une rétraction (au lieu d’une expansion) du thorax qui est trop compliant.

Il est donc très facile, lors de pathologies respiratoires ou neuromusculaires, d’aboutir à la disparition de l’aération de certaines unités respiratoires et à leur affaissement (ce qui conduit à la constitution d’atélectasies). Pour lutter contre l’affaissement de son poumon, le nourrisson (< 1 an) adopte une stratégie respiratoire associant : fréquence respiratoire élevée, «frein» à l’expiration réalisée par le diaphragme, et modulation de la pression à l’intérieur des voies aériennes assurée par la fermeture de la glotte. Cette stratégie diminue lors du sommeil et rend alors le nourrisson plus fragile aux agressions (obstruction nasale, apnée, etc.), qui peuvent être des facteurs de risque de la mort subite du nourrisson. Ce n’est que vers l’âge de 2 ans que la compliance thoracique s’équilibre avec la compliance pulmonaire.

Chez l’enfant d’âge préscolaire (2 à 5 ou 6 ans), la mécanique respiratoire se rapproche progressivement de celle du grand enfant et de l’adulte, mais on note encore une résistance respiratoire supérieure à celle de l’adulte, une capacité vitale (CV) tellement petite qu’elle peut être expirée en moins d’une seconde, une capacité variable de maintenir une contraction diaphragmatique prolongée et de coopérer avec les différentes techniques d’explorations fonctionnelles respiratoires (EFR).



Déroulement d’une EFR chez l’enfant



Étude de l’hématose


Exploration fonctionnelle respiratoireHématoseChez le nourrisson et l’enfant, on peut utiliser :




• un oxymètre de pouls pour la mesure transcutanée de la saturation en oxygène (SpO2);


• un analyseur des pressions partielles transcutanées en O2 et en CO2 (TcPO2, TcPCO2). Cette mesure nécessite la mise en place sur la peau de l’enfant d’une électrode cutanée chauffée, reliée à l’analyseur, et laissée en place pour être éventuellement déplacée toutes les 2 h en cas d’enregistrement prolongé;


• si nécessaire, l’étude sanglante des gaz du sang, qui donne les valeurs de pH, de PCO2, et pour les prélèvements artériels, la PaO2.

Le gaz du sang artériel est un geste délicat à réaliser et douloureux malgré l’utilisation de pommade anesthésiante. L’utilisation de capillaires montés dans une seringue munie d’une aiguille très fine permet une plus grande réussite du geste et une moindre douleur.

Le gaz du sang capillaire artérialisé est la méthode de choix chez l’enfant de tout âge pour une mesure instantanée des gaz du sang. Il est plus fiable lorsque réalisé au lobe de l’oreille qu’au doigt. L’inconfort du chauffage de l’oreille est assez facilement surmonté, et les résultats sont fiables lorsque l’artérialisation a été bonne.

Lorsque l’étude des variations de la PaO2 sur une période de temps est nécessaire, on utilise :




• la mesure continue de la SpO2 (nuit, repas, effort), grâce à des appareils enregistreurs qui permettent l’impression des résultats et leur interprétation en fonction du temps passé à une SpO2 comprise entre des valeurs seuils. On se rappellera cependant que la précision des oxymètres de pouls est de ± 2 %;


• la mesure de la TcPO2, qui si elle ne reflète pas la valeur absolue de la PaO2, a des variations (en valeur absolue) tout à fait parallèles à celles de la PaO2.

Lorsque la mesure de la capnie est nécessaire :




• le gaz du sang veineux donne la PaCO2 car PvCO2 = PaCO2 + 5 mmHg;


• la mesure de la TcPCO2 est aussi un reflet fiable de la PaCO2.

Le déroulement des autres mesures d’EFR varie en fonction de l’âge.


EFR du nourrisson


L’EFR du nourrisson ne peut se concevoir que nourrisson endormi. Dans les deux premiers mois de vie, le sommeil est physiologique; ensuite, le recours à un agent pharmacologique ne modifiant pas le régime ventilatoire devient indispensable. Il s’agit d’un examen long comprenant le temps d’endormissement, les mesures, et la surveillance (au moins 2 h). Le matériel de mesure est adapté et donc spécifique à cette tranche d’âge. L’examen nécessite en permanence la présence de deux personnes. Le matériel est onéreux. Peu de centres sont équipés pour effectuer des EFR du nourrisson dont les indications, qui restent du ressort du pédiatre spécialiste, sont les pathologies respiratoires chroniques sévères du nourrisson.


EFR de l’enfant d’âge préscolaire


Il s’agit en fait de la période de l’enfance où l’enfant est exploré éveillé, mais n’est pas régulièrement capable d’effectuer toutes les manœuvres respiratoires nécessaires à la réalisation des EFR classiques de l’adulte. Il s’agit typiquement des enfants âgés de 2 à 5 ans, mais certains enfants de 6 à 7 ans peuvent être incapables d’effectuer des EFR de type adulte. Entre 2 et 3 ans, la coopération est très aléatoire, et moins d’un enfant sur deux parvient à réaliser des mesures d’EFR.


Environnement


Les jeunes enfants établissent un lien essentiellement affectif avec leur environnement; aussi, il est très important que les EFR s’effectuent :




• dans un laboratoire équipé d’un mobilier adapté et accueillant : sièges et tables de petite taille, affiches et dessins aux murs destinés aux enfants, jouets et coloriages mis à disposition, etc.;


• par un personnel habitué au contact pédiatrique : savoir être patient, rassurant, distrayant, savoir aussi s’adresser aux parents pour expliquer et gérer leur présence ou non lors de l’examen.


Matériel


Le matériel doit être adapté. Les machines de mesures utilisées doivent avoir un faible espace mort. Un filtre antibactérien est nécessaire. L’espace mort de l’ensemble machine + filtre antibactérien ne doit pas excéder 2 ml/kg pour être négligeable. L’utilisation d’un pince-nez est obligatoire (sauf exception pour les mesures de spirométrie forcée si l’enfant ne le tolère pas). Il faut préférer des pince-nez mousses moins traumatisants et de petite taille; parfois, ce sont les doigts d’un adulte qui seront le meilleur pince-nez. L’enfant est exploré assis, dos droit, pieds au sol. L’étanchéité des lèvres autour de l’embout buccal est souvent aidée par les mains du technicien.


Mesures


Les mesures sont adaptées au jeune âge, c’est-à-dire ne nécessitant qu’une coopération minime, et le résultat final est fondé sur plusieurs mesures reproductibles.




• La mesure du volume pulmonaire de repos doit utiliser la méthode de la dilution des gaz (CRF Hélium par exemple), ou du rinçage à l’azote. Deux mesures reproductibles à 10 % sont effectuées, leur moyenne est rendue.


• La résistance spécifique des voies aériennes (sRaw) par pléthysmographie peut être mesurée sans interruption du débit aérien, donc sans mesure du volume gazeux intrathoracique (VGT). L’enfant doit être capable de rester enfermé dans la cabine 2 min, le temps de l’équilibration thermique, puis de respirer normalement à travers l’embout buccal, pince-nez en place, mains sur les joues pour diminuer la compliance des voies aériennes supérieures (fig. 11.1). Un adulte peut éventuellement accompagner l’enfant dans la cabine en retenant son souffle ou en expirant très lentement pendant la mesure. La médiane (ou la moyenne) d’au moins 3 séries de mesures (4 à 5 mesures par série) est rendue.



• La mesure de la résistance respiratoire s’effectue par la technique des oscillations forcées (Rrs) ou de l’interruption du débit (Rint). L’enfant a le plancher buccal et la bouche soutenus par les mains d’un adulte placé derrière lui pour diminuer la compliance des voies aériennes supérieures, et respire normalement à travers l’embout buccal, pince-nez en place (fig. 11.2). La médiane (ou la moyenne) d’au moins 3 acquisitions pour la technique des oscillations forcées ou de 5 interruptions pour la technique de l’interruption du débit est rendue avec le coefficient de variation intramesure.



• Si l’enfant arrive à réaliser une spirométrie forcée, le matériel doit permettre de vérifier les critères d’acceptabilité spécifiques à cette tranche d’âge, et qui sont différents de ceux du grand enfant et de l’adulte. Il est possible que tous les indices habituellement rendus chez l’adulte ne le soient pas à cet âge. Seront rendus au minimum : le débit expiratoire de pointe (DEP) et le volume expiré maximal en 0,5 s (VE 0,5). De plus, en fonction de la durée de l’expiration, de la forme de la courbe et de sa reproductibilité, seront rendus : le volume expiré maximal en 0,75 s (VE 0,75), le volume expiré maximal en une seconde (VEMS), la capacité vitale forcée (CVF), les débits instantanés, et les rapports VEMS/CVF ou VE 0,75/CVF. L’idéal est d’obtenir deux courbes dont les volumes sont reproductibles à 0,1 l ou 10 % si volume > 1 l.


• Mesure de l’hématose : toutes les mesures sont possibles à tout âge (voir le paragraphe «Hématose»). On retiendra l’intérêt des mesures de TcPO2 et/ou SpO2 lors des tests de provocation bronchique chez le nourrisson et l’enfant d’âge préscolaire.


EFR de l’enfant d’âge scolaire


L’EFR s’effectue avec le même matériel et de façon identique à ce qui est pratiqué chez l’adulte. Cependant, entre 6 et 10 ans, il est habituel d’obtenir des mesures dont la variabilité est supérieure à celle de l’adulte du fait de la concentration encore parfois labile à cet âge, surtout lorsque l’EFR est longue (test de bronchoréactivité). Tous les volumes sont mesurés, et deux courbes débits-volumes dont les volumes sont reproductibles à 0,15 l sont nécessaires.


Pour toutes les tranches d’âge


Les valeurs mesurées en EFR ne doivent être interprétées qu’en fonction de valeurs normales établies chez des enfants du même âge (et de même taille) et avec des techniques comparables.

Ainsi, il est impossible :




• d’extrapoler des valeurs normales d’EFR en dehors de la tranche d’âge (de taille) dans lesquelles elles ont été établies;


• d’interpréter une valeur de résistance mesurée par une certaine technique en fonction de normes de résistance établies avec une autre technique.

Les valeurs normales sont soit issues de la littérature, soit «maison» en cas d’absence de valeurs normales publiées, et alors effectuées sur un panel suffisant d’enfants.

Enfin, en pédiatrie, on privilégiera les techniques de mesure non invasives de façon à permettre leur répétition (encadré 11.2).

Apr 22, 2017 | Posted by in PÉDIATRIE | Comments Off on 11. Considérations pédiatriques en exploration fonctionnelle respiratoire

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access