Chirurgie assistée par ordinateur des arthroplasties totales du genou
Computer-assisted surgery in total knee arthroplasty
Résumé
La mise en place des prothèses totales du genou assistée par ordinateur est une technique récente puisqu’elle date de tout juste 10 ans. Les techniques dites passives sont actuellement utilisées de manière courante alors que les techniques actives (robot) ont été momentanément abandonnées. Parmi les techniques passives, il faut distinguer les systèmes avec imagerie préopératoire (scanner), les systèmes avec imagerie peropératoire (fluoronavigation) et les systèmes sans imagerie pré- ou peropératoire qui sont actuellement les systèmes les plus couramment utilisés. Ces derniers sont basés sur l’acquisition de données intra-opératoires, soit par l’étude de la cinématique articulaire, soit par la palpation intra ou péri-articulaire. Le principe général est de transmettre les informations sur les déplacements de segments de membres ou d’objets (guides de coupe, palpeur) à une station de navigation qui va intégrer ces données et les transcrire sous forme de chiffres (angle HKA, hauteur de coupe, taille de la prothèse, etc.) et d’interfaces graphiques. Pour cela il faut des marqueurs (rigid body) qui seront fixés solidement à l’os et aux objets que l’on veut suivre, un localisateur, un ordinateur et un système de commande de l’ordinateur (clavier, écran tactile, pédale, etc.).Ces systèmes ont vu le jour pour améliorer la précision d’implantation des prothèses totales du genou qui est loin d’être fiable et reproductible avec les techniques conventionnelles comportant une visée extra et/ou intramédullaire. Les résultats des séries que l’on retrouve dans la littérature sont tout à fait remarquables puisqu’ils montrent un taux de précision d’implantation (HKA = 180° ± 3°) situé entre 92 % et 100 % quels que soient les systèmes de navigation utilisés.Tous les systèmes permettent aujourd’hui d’intégrer également la gestion de la balance ligamentaire, mais les outils de mesure, notamment pour évaluer la balance ligamentaire en flexion, sont encore à inventer. Les coûts des systèmes de navigation n’ont pas encore été évalués, mais ils risquent d’être un frein à leur expansion sans aide des pouvoirs publics ou sans diminution de leur prix d’achat ou de location.
Summary
Computer-assisted total knee replacement was first performed 10 years ago. Passive techniques are currently used, whereas, active techniques (robot) have been abandonned at the moment. Among passive techniques, one must distinguish preoperative image-based systems (CT-Scan), intraoperative image-based systems (fluoronavigation) and image-less systems which are the most commonly used. The latter two are based on intraoperative data which are obtained either by kinematic acquisition or by intra or extra articular palpation. The general principle is to transmit to the navigation station information on the displacements of lower limb segments and objects (cutting guides, probe). The navigation station will then integrate these data and use them to provide figures (HKA angle, height of cut, prosthesis size, etc.) and graphic interfaces. In order to do this, one needs rigid bodies which must be strictly attached to the bone and to the objects one wants to follow, a localizer, a computer and a control system such as a keyboard, pedal-contro, touch-control, etc. Navigation was developed in order to increase the accuracy of total knee replacement which is not so reliable and reproducible despite intra and/or extra medullary jigs. Currently, the reported series show remarkable results regarding the HKA angle (180°+/-3°). All reports give a 92% to 100% rate of accurate implantation whatever system is used. Today, all systems allow dealing with the ligament balance, but we do not have the tools to measure the accuracy of computer navigation, especially with respect toligament balance in flexion. The cost of navigation systems have not yet been evaluated, but cost could slow down their expansion in the absence of any support from the public authorities or without decreasing the purchase or renting price.
Introduction
La mise en place des prothèses totales du genou assistée par ordinateur est une technique récente puisque la première implantation sur l’être vivant date du 21 janvier 1997 [43]. Il s’agit d’une innovation technique qui ne laisse pas indifférent car, si certains chirurgiens jeunes ou moins jeunes sont très enthousiastes, d’autres font preuve d’un certain scepticisme et essaient de démontrer que la technique conventionnelle, en ce qui concerne la correction de la déformation axiale, donne des résultats presque aussi satisfaisants que la chirurgie assistée par ordinateur [28].
Depuis que les prothèses de genou existent, les chirurgiens orthopédistes se sont toujours intéressés aux ancillaires qui permettraient une mise en place optimale des prothèses. Des visées purement extramédullaires, fémorales et tibiales, de la fin des années 1970 aux visées centromédullaires en passant par des visées associant les 2 systèmes ; tout a été essayé pour arriver à un relatif consensus sur une visée centromédullaire pour le fémur et une visée extramédullaire plus ou moins associée à une visée centromédullaire pour le tibia. Malgré cela, il n’est pas rare de voir des prothèses avec un axe en dehors de la fourchette idéale représentée par 180° ± 3°. Or on sait que la durée de vie d’une prothèse dépend, entre autres, de la qualité de cet axe et que plus on s’éloigne de cet axe idéal plus le risque d’usure et de descellement est important [2,9,14–17,37,39,40,53]. Par ailleurs, il est toujours extrêmement désagréable de ne pas atteindre l’objectif que l’on s’était fixé en préopératoire et ceci, bien souvent, malgré une planification soigneuse.
Histoire des prothèses totales du genou assistées par ordinateur
Au début des années 1980, Les neurochirurgiens ont été les pionniers dans le domaine de la chirurgie assistée par ordinateur (CAO) et tout particulièrement en ce qui concerne la chirurgie stéréotaxique [38]. Le principe était basé sur l’utilisation d’une imagerie pré ou peropératoire (scanner ou IRM) et sur l’utilisation d’un robot c’est-à-dire un système de navigation actif piloté par un ordinateur.
Au tout début des années 1990, en chirurgie orthopédique, la tendance était à l’utilisation d’une imagerie préopératoire (scanner) et comme en neurochirurgie, à l’utilisation d’un robot. C’est ainsi, qu’en 1992, était né Robodoc™, pour améliorer le fraisage et l’implantation des prothèses sans ciment dans le canal centromédullaire. En 1993, Matsen et al. [32] décrivirent un robot semi actif pour la mise en place des prothèses du genou c’est-à-dire qu’il permettait d’orienter les guides de coupe alors que le chirurgien faisait lui-même les coupes osseuses. Ce prototype était resté au stade expérimental et n’avait jamais été utilisé en clinique humaine. De la même manière Kienzle et al. [23] décrivirent en 1996 un robot basé sur l’utilisation d’un scanner préopératoire. Ils avaient développé une idée particulièrement originale concernant le repérage peropératoire du centre de la tête fémorale par un mouvement de rotation axiale du fémur équipé d’un marqueur (rigid body). Tous les systèmes actuels, sans imagerie préopératoire, sont basés sur ce principe.
En 1996, nous avons développé un système innovant qui n’était pas basé sur l’utilisation d’un scanner préopératoire et qui s’éloignait définitivement du principe du robot [27]. Il s’agissait d’un modèle cinématique dans lequel le repérage du centre de la tête fémorale était réalisé selon le concept de Kienzle, le milieu du genou par des mouvements de flexion-extension et de rotation axiale du genou fléchi à 90° et le milieu de la cheville par des mouvements de flexion-extension et d’inversion-éversion du pied. Nous venions d’entrer dans l’ère de la navigation, c’est-à-dire un système passif capable de guider le chirurgien dans la réalisation du geste opératoire. Nous avons par la suite amélioré la robustesse du système en ajoutant la palpation de points anatomiques remarquables, au niveau de la cheville et au niveau du genou [51].
Au début des années 2000, d’autres systèmes de navigation sont apparus : certains avec scanner préopératoire, d’autres sans imagerie préopératoire et d’autres enfin avec imagerie peropératoire (fluoroscopie). Parmi les systèmes avec imagerie préopératoire, qui sont couramment utilisés en pratique clinique, il faut citer le système Navitrack™ [33] et le système VectorVision™ de BrainLAB [55]. Parmi les systèmes sans imagerie autres que celui que nous avons développé, il faut citer le système Stryker Knee Trac™ [48], le système CT-Free VectorVision™ de BrainLAB [35] et le système Surgetics™ [49]. Parmi les systèmes avec imagerie peropératoire, il faut citer le Medtronic « Viking » system [12] et le FluoroKnee system™ de Smith and Nephew et Medtronic™ [54], ces 2 systèmes étant certainement très voisins.
Parallèlement au développement de ces systèmes de navigation, les robots sont sortis de leur phase expérimentale, pour être utilisés en pratique clinique [6,30]. Compte tenu du coût et du caractère invasif de cette technologie, cette expérience est actuellement arrêtée.
Principes de la CAO dans la mise en place des prothèses totales du genou
Matériel commun aux différents systèmes de navigation
Pour pouvoir naviguer il faut un localisateur (figure 1) qui va repérer les déplacements de segments de membre ou l’emplacement d’instruments dans l’espace. Ces objets ou segment de membre, pour être localisés, doivent être équipés de marqueurs qui vont émettre des signaux qui seront reconnus par le localisateur. Le système le plus couramment utilisé est le système opto-électronique dont les marqueurs possèdent des diodes infrarouges et dont le localisateur comporte 2 ou 3 caméras CCD. Il existe des marqueurs actifs (figure 2) qui sont habituellement reliés à la caméra par un câble (peuvent être équipés de piles) et qui produisent eux-mêmes le signal, et des marqueurs passifs, sans aucun fil, qui réfléchissent, par l’intermédiaire de petites sphères, la lumière émise par une source lumineuse située sur la caméra. L’avantage d’un tel système est de ne plus avoir de fils dans le champ opératoire, ce qui peut être une gêne en début d’expérience, mais l’inconvénient est de perdre de la précision en cas de salissure (sang) d’une ou plusieurs billes. Les systèmes à détection magnétique ont été momentanément abandonnés en raison d’interférences possibles avec des objets métalliques ou électroniques qui ont une large place dans les blocs opératoires.
Figure 1 Système de navigation avec : localisateur infrarouge, écran de navigation et son clavier de commande (PC), pédale de commande (avant-arrière).
Systèmes de navigation avec imagerie préopératoire
Comme nous l’avons dit plus haut, il s’agit de l’utilisation du scanner qui est réalisé la veille ou quelques jours avant l’intervention et qui permet une reconstruction 3D de tout le membre inférieur. Il faut faire des coupes étagées de tout le membre depuis la hanche jusqu’à la cheville, d’1 mm au niveau du genou, de 3 mm au niveau de la hanche et de la cheville et d’1 cm au niveau des diaphyses, ce qui prend une vingtaine de minutes [33]. Les données sont enregistrées sur un CD-ROM ou tout autre moyen et transférées sur la console de navigation. Avant l’intervention, le chirurgien passe en général une demi-heure à trois quarts d’heure sur son ordinateur pour réaliser sa planification.
Systèmes de navigation sans imagerie préopératoire
Le système Surgetics (Praxim S.A., Grenoble, France) est basé sur le principe du Bone Morphing [50]. En peropératoire, l’opérateur doit « crayonner » les surfaces articulaires et épiphysaires avec un palpeur équipé d’un marqueur, de manière à reconstituer le genou pathologique par plusieurs nuages de points. Ces nuages de points sont ensuite corrélés à un modèle déformable inclus dans le système, ce qui conduira à la reconstitution 3D du genou. Il faut ainsi un abord relativement étendu pour « crayonner » de manière satisfaisante l’ensemble du genou. On peut imaginer que ce crayonnage soit facile et simple sur une surface lisse et plane mais que ce soit beaucoup plus compliqué sur une surface rugueuse au relief tourmenté, à plus forte raison s’il faut recommencer chaque fois que le crayon perd le contact osseux.
Erreurs possibles au cours de la navigation
Les marqueurs doivent être solidement fixés à l’os car toute mobilisation intempestive au cours de l’intervention conduit inéluctablement à l’acquisition de données fausses. Par ailleurs, il est utile de vérifier les coupes osseuses car les guides de coupes ne sont pas infaillibles, de même que la lame de scie qui peut dévier sur un os scléreux. Enfin, il faut relativiser toutes les étapes de palpation (axe bi-épicondylien par exemple) car celles-ci sont opérateur-dépendantes et peu reproductibles d’un opérateur à l’autre, voire même, chez le même opérateur qui peut palper différemment à 2 moments distincts [19,46].
Mise en place d’une prothèse totale du genou assistée par un modèle sans imagerie préopératoire
Matériel
Le matériel est composé d’une station de navigation permettant le repérage spatial en temps réel de marqueurs, ainsi que d’un ancillaire adapté à cette navigation. La station de navigation comporte un ordinateur de type PC, un localisateur infrarouge Polaris (Northern Digital Inc.), et une pédale à double commande (figure 1). Le déroulement du protocole opératoire est défini dans le logiciel et le chirurgien assure son contrôle via la pédale et une interface graphique dédiée.
Cette station de navigation comprend en outre les pièces d’ancillaires que sont les marqueurs et leur système de fixation. La fixation sur l’os des marqueurs s’effectue au moyen de vis bicorticales spéciales. Leur fixation doit être parfaitement stable tout au long de l’intervention. Nous sommes restés fidèles aux marqueurs actifs (figure 2) qui sont reliés par un fil à la station de navigation, mais il faut savoir que les marqueurs passifs sont actuellement les plus couramment utilisés.
Technique opératoire
Acquisition de l’axe mécanique
Mise en place des marqueurs
Pour diminuer la longueur de l’incision, les marqueurs fémoral et tibial sont insérés en percutané et placés de telle manière qu’ils puissent être vus pendant toute l’intervention sans que l’on soit obligé de bouger le localisateur (figure 3).