Chapitre 10. Situations cliniques selon les populations
P. Lana
La personne âgée
De récentes études estiment que la prévalence des troubles psychiatriques est importante chez les personnes âgées : près de 50 % présenteraient des troubles au-delà de 65 ans. D’autres études font état de chiffres beaucoup plus modestes dès qu’elles précisent les critères : entre 3 et 15 % de troubles de l’humeur à partir de 70 ans (état dépressif
caractérisé ou réaction dépressive brève), taux comparables pour l’anxiété
et ses différents modes d’organisation dans une étude portant sur des sujets de plus de 65 ans [2].


« A-t-on l’âge de ses artères, de son cerveau, de son moral ou de son état civil ? Ou bien est-ce le regard des autres qui nous classe un jour parmi les vieux ? » Il n’y a pas un vieillissement mais des vieillissements, secondaires à des évolutions qualitatives génétiquement programmées du soma et de la psyché, mais compliquées par la pathologie (involution cérébrale, déficit sensoriel par exemple). Le passage à la retraite serait « le seul rite de passage contemporain et artificiel ». Ces repères sont actuellement bouleversés en raison des nouvelles données socioéconomiques. Selon Désrouené, le vieillissement réussi se caractérise par « la bonne adaptation du sujet » [4] et concernerait le tiers de ceux-ci.
À défaut de définir un âge d’entrée dans la vieillesse, des critères distinguant les vieillissements réussis et les vieillissements pathologiques s’avèrent très utiles en urgence, il est essentiel de déterminer sur quel terrain préalable les troubles aigus s’installent. Des idées fausses ont longtemps prévalu comme celle qui condamnait toute personne âgée à la rigidification psychique et à l’aigrissement, rendant du même coup vains tous les projets de réaménagement basés sur les techniques psychothérapiques
notamment psychanalytiques.

– les modifications cognitives. Il n’existe pas de continuum entre le vieillissement physiologique et les processus dégénératifs démentiels. La diminution des performances est hétérogène, multifactorielle et peu prévisible. Quant aux involutions pathologiques, leur prévalence n’est pas connue avec précision. On peut citer par exemple 1,4 % de processus dégénératifs pathologiques entre 65 et 69 ans, 20,8 % entre 85 et 89 ans (Mac Ewan 1991, cité dans [2]) ;
– les modifications de la personnalité
. On note une forte continuité des traits de personnalité mais la baisse de la composante énergétique pousse bien souvent à la modestie et à l’aménité. Lorsqu’un changement se produit, c’est un symptôme : il signifie, comme à l’âge adulte, que les possibilités d’adaptation ont été débordées ;

– les troubles de l’adaptation. Avec l’âge, l’adaptation au changement est plus lente, sans être pour autant une désadaptation. Si celle-ci apparaît, elle est pathologique ;
– les troubles de la motivation. On distingue les changements d’investissement, plus modestes, plus concrets, de la réelle baisse de motivation qui peut aller jusqu’à l’apathie
et la perte d’autonomie ;

– les modifications de l’activité. Elles sont très importantes à apprécier tant elles sont différentes d’un sujet à l’autre. Certains sujets s’installent très vite dans un statut de retraité alors que d’autres gardent une activité d’adulte : toute évaluation passe par la connaissance précise de l’activité antérieure ;
– les changements affectifs. On n’insistera jamais assez sur le rôle et l’importance des pertes à cet âge. Les grands équilibres affectifs évoluent de manière très variable, les conflits conjugaux
se radicalisent ou s’apaisent et permettent une véritable redécouverte (ou découverte) du conjoint, les relations évoluent avec les enfants. C’est tout le tissu social qui doit être exploré car de nouveaux liens avec un voisin, un travailleur social, finissent par devenir des points d’appui importants ;

– les facteurs de risques prédisposant, provocant ou aggravant un vieillissement pathologique :
• facteurs biologiques : l’âge tout d’abord pour lequel le bagage génétique joue certainement un rôle majeur ; s’y ajoutent l’HTA, le tabagisme, le surpoids, la sédentarité, les pathologies somatiques
diverses comme le diabète, les cardiopathies, l’asthme et les pathologies pulmonaires obstructives chroniques, toutes sources de handicap et de perte d’autonomie. On citera également l’alcoolisme
qui peut être d’apparition tardive. Toutes ces pathologies favorisent la dépression « Dépression
et pathologie somatique s’aggravent réciproquement » [14],



• facteurs psychologiques. Les pertes et les deuils constituent l’un des traumatismes majeurs de la vieillesse, le plus important étant la mort du conjoint qui entraîne un risque accru de morbidité (dépression) et de mortalité. Les femmes résistent mieux que les hommes surtout après 75 ans [19],
• facteurs psychosociaux. Retraite, déménagements, baisse des ressources, isolement, associés aux facteurs cités plus haut, sont à l’origine d’un sentiment de perte de pouvoir, d’atteinte de l’identité sociale. Ils imposent un réaménagement psychique qui dépend entre autres de la personnalité mais n’arrive pas toujours à bout de tels bouleversements. Il en résulte une perte de l’estime de soi et une régression narcissique qui favorisent la survenue de troubles psychiatriques [7].
MOTIFS DE CONSULTATION
Situation
Il est bien rare que la personne âgée se rende seule aux urgences. L’entourage, sur avis du médecin généraliste
, des urgences générales, d’une maison de retraite, des pompiers ou de police-secours l’adresse ou la conduit pour des troubles divers.

Les symptômes aigus ne sont pas les seuls motifs d’arrivée. Un enfant, un conjoint peuvent ne plus être en mesure de prendre en charge la personne au domicile, par épuisement ou parce qu’un événement intercurrent déséquilibre une stabilité familiale très précaire : c’est la défection de la prise en charge habituelle qui fait l’urgence.
La dimension environnementale ou institutionnelle est au cœur de la démarche d’orientation : d’où vient la personne âgée et y retournera-t-elle ? L’arrivée aux urgences signifie-t-elle une inquiétude ou un rejet ? Doit-on privilégier son orientation en institution au risque de rompre les fragiles équilibres actuels ou décider d’un retour au domicile, parfois illusoire compte tenu du handicap et de l’isolement ?
La situation de maltraitance psychologique (règlement de compte intrafamilial) ou physique (brutalités, coups) sera rapidement évoquée. Elle peut concerner le patrimoine ou les revenus, que cela vienne de la famille ou des nombreux escrocs pour lesquels les personnes âgées représentent une proie facile. Quelle que soit leur légitimité, les mesures de protections
institutionnelles ou familiales sont vécues par l’âgé comme des persécutions supplémentaires.

Principaux symptômes d’appel
Ce sont : déambulation, errance
, agressivité
, agitation
, dépression
, tentative ou propos suicidaires
, confusion
, troubles de mémoire
, repli
et isolement, conduites à risque au domicile et perte d’autonomie entraînant des plaintes du voisinage.








Les idées délirantes
de persécution et de préjudice font évoquer l’évolution d’un délire ancien parfois longtemps méconnu ou l’éclosion d’un délire du grand âge dans le cadre d’une démence débutante. On les retrouve de manière plus fugace dans l’angoisse
aiguë et dans la confusion
.



Les propos sur la mort restent difficiles à apprécier dans leur rapport avec une réelle intention suicidaire.
Les pathologies addictives
, dominées par l’alcoolisme fréquent et méconnu parce qu’apparu tardivement, touchent également les deux sexes et constituent un facteur aggravant.

Précautions particulières
Les syndromes psychiatriques ont rarement une présentation clinique classique et leur expression peut être très rapidement évolutive, donnant lieu à des diagnostics par excès d’états dépressifs
et de troubles délirants
, voire même de « schizophrénies
d’apparition tardive ». L’apaisement et la distance critique peuvent faire suite le matin à l’agitation
anxieuse, d’allure parfois délirante, de la veille au soir qui a pu être source de diagnostics hâtifs et d’orientations précipitées.




Les affections somatiques
associées révèlent ou compliquent un tableau psychiatrique. Ce lien doit être exploré avant toute explication psychologique. Par ailleurs, la personne âgée recourt fréquemment à la plainte somatique
pour exprimer sa souffrance psychologique. La plainte hypochondriaque
– qu’elle appartienne au registre de la dépression
, des divers modes d’expression de l’angoisse
, ou de la psychose
– joue un rôle majeur.






Les troubles sensoriels, baisse de l’acuité visuelle, hypoacousie ou surdité
complète, rendent la compréhension difficile voire impossible, passant pour des troubles intellectuels, générant troubles du caractère et même idées de persécution chez la personne âgée, et dégradant la relation avec un entourage exaspéré et rejetant.

Recherche des déficits sensoriels pour adapter l’entretien (ne pas crier en cas d’hypoacousie
).

Appréciation des capacités de compréhension : cognitives, sensorielles, culturelles
.

Évaluation immédiate du niveau de vigilance
, élimination d’un syndrome confusionnel
qui impose le retour aux urgences médicales
.



S’assurer qu’un bilan organique préalable a été pratiqué :
– traitement en cours ;
– examen clinique essentiel, état des téguments ;
– biologie, imagerie cérébrale qui doit faire partie du bilan standard pour la personne âgée accueillie aux urgences ;
– élimination d’une cause évidente révélée par des cris, des plaintes
, un état d’agitation
anxieuse : fièvre, déshydratation, fécalome, rétention urinaire, plaie, décompensation cardiopulmonaire.


Réassurance, explications patientes et adaptées.
Absence d’attitude surprotectrice ou infantilisante.
Évaluation des troubles de façon répétée du fait de leur variabilité dans le temps.
Principaux tableaux à rechercher, y compris en association :
– idées dépressives
, nombreuses formes atypiques ;

– idées délirantes
;

– syndrome démentiel ;
– réactions anxieuses
variées, agitées
, confuses
;



– conduites addictives
.

Aides au diagnostic, simples et fiables : MMSE, IADL ( Instrumental Activity of Daily Living), test de l’horloge.
L’entourage familial 
L’accueillir avec le patient pendant toute la durée de l’observation.
Apprécier le débordement de ses capacités, le degré de souffrance et d’épuisement.
Ne pas oublier la maltraitance intrafamiliale
Les contacts
Rechercher systématiquement selon les cas : médecin généraliste
traitant, personnel de la maison de retraite, assistante sociale du secteur
d’habitation, aide ménagère, voisinage qui peut avoir un important rôle de soutien.


Anamnèse, conditions de survenue des troubles
– Antécédents somatiques
, maladie en évolution, trouble métabolique, traitement en cours, observance du traitement.

– Antécédents psychiatriques, prises en charge hospitalières, soins spécialisés
actuels et passés, rupture
du traitement.


– Caractère, traits de personnalité
(anxieux, dépendant, rigide, tyrannique), modification ou aggravation récente de ces traits.

– Existence d’une addiction
ancienne ou récente.

– Qualité des fonctions supérieures avant l’épisode actuel.
– Niveau d’autonomie.
– Survenue d’un syndrome confusionnel
.

– Chute récente : facteur d’aggravation ou début des troubles cognitifs ?
Facteurs familiaux :
– Qualité de la relation familiale
, conjoint
étayant ou lui-même malade, proximité des enfants ou conflits avec ceux-ci.


– Pertes récentes, amis, fratrie et surtout conjoint.
– Parfois isolement total.
Facteurs environnementaux :
– Existence d’un réseau d’assistance : médecin
traitant, aide ménagère, assistante sociale, relation avec le voisinage.

– Qualité de l’environnement immédiat : aidant, indifférent, rejetant ou maltraitant.
– Projet d’entrée en maison de retraite, vécu du sujet.
– Difficultés d’adaptation à une maison de retraite ou à établissement de long séjour.
DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE
Première étape : évaluation d’une pathologie organique causale ou associée
A fortiori si le trouble est inaugural et atypique ou s’il existe un syndrome confusionnel, on commence par le recueil des antécédents auprès du patient, de la famille, du médecin généraliste en précisant la date et les résultats des derniers bilans pratiqués.
L’examen clinique standard comprend aussi l’examen des téguments à la recherche d’hématomes (chute) et de trace de coups (maltraitance) et un bilan biologique : NFS, ionogramme sanguin, fonction rénale, bilan hépatique, bilan phosphocalcique, glycémie, pré-albumine, CRP, à la recherche d’un trouble métabolique, d’une déshydratation, d’une dénutrition. On le complète en fonction des signes d’appel : ECG, TDM, IRM.
Étant donné l’importance des facteurs iatrogènes, on recherche systématiquement les traitements en cours, récemment instaurés ou non. De nombreux produits peuvent être mis en cause, notamment les corticoïdes, les antalgiques, les digitaliques, les diurétiques, les antihistaminiques
, tous les psychotropes
, les anticholinestérasiques, par effet direct ou en raison des perturbations métaboliques qu’ils entraînent.


D’autres pathologies sont à explorer :
– les pathologies infectieuses, pulmonaires, urinaires ;
– les pathologies neurologiques : maladie de Parkinson (contre-indication à l’emploi des neuroleptiques) ;
– les troubles hydro-électrolytiques, les troubles métaboliques ;
– la rétention urinaire ; le fécalome ;
– l’infarctus du myocarde ;
– les processus intracrâniens, l’hématome secondaire à une chute ;
– l’hypoxie, quelle qu’en soit la cause ;
– les complications ostéo-articulaires d’une chute, la fracture engrainée.
Recherche de détérioration cognitive
L’évaluation de l’autonomie de la personne âgée amène à poser l’autre grande question qui préoccupe l’urgentiste après la pathologie organique : existe-t-il une détérioration cognitive ? Nous disposons depuis 1975 d’une échelle d’évaluation simple, à l’appui de l’analyse clinique, le MMSE qui permet de suggérer, au-delà d’un certain seuil, la forte probabilité d’une détérioration cognitive organique. Facile et rapide à réaliser, elle fournit un score sur 30 points. Le degré de sévérité de la démence est considéré comme léger avec un score supérieur à 20, modéré entre 10 et 20, sévère en dessous de 10. On retient habituellement comme pathologique un score inférieur à 24 points mais il existe des variations liées au niveau socioculturel [18]. L’expérience montre une bonne corrélation entre le degré d’autonomie et le score du MMSE, soit 20 pour un niveau d’autonomie compatible avec la vie au domicile.
Il existe des échelles plus précises pour apprécier le degré d’autonomie : l’IADL mesure 8 items de la vie quotidienne, pour les patients qui vivent à leur domicile.
Précision rigoureuse du diagnostic psychiatrique
Les descriptions cliniques qui suivent mélangent les grandes entités nosographiques et les symptômes transnosographiques. Nous avons pris le parti de cette hétérogénéité pour rendre compte des situations le plus souvent rencontrées.
PRINCIPAUX TABLEAUX CLINIQUES
Syndrome confusionnel 
C’est une urgence organique qui ne deviendra une urgence psychiatrique qu’une fois toutes les causes somatiques, toxiques ou iatrogènes éliminées. Même quand le bilan étiologique a déjà été effectué, il ne faut pas hésiter à répéter examens cliniques et bilans complémentaires à la recherche d’une cause jusque-là occultée. C’est un syndrome très fréquent et sous-évalué, parfois considéré à tort comme la poussée évolutive d’une démence connue alors que les deux peuvent être associés, ou réduit à sa dimension onirique diagnostiquée délire
, ou encore négligé car dominé par l’agressivité
ou l’agitation
anxieuse qu’il s’agit avant tout de contenir.



Son diagnostic repose sur une association de symptômes, le tableau complet étant rarement constitué, et un point d’appel somatique pas toujours évident [1] :
– des signes généraux, fièvre ;
– une désorientation temporospatiale ;
– des troubles du sommeil
, une inversion du rythme nycthéméral ;

– une obnubilation avec baisse de la vigilance
et troubles mnésiques ;

– une perplexité anxieuse ;
– un onirisme.
Le tableau, fluctuant, est constitué en quelques heures. Les signes peuvent être beaucoup moins spécifiques : propos décousus et répétitifs, distractibilité, attitudes d’opposition, agressivité. La modification récente du comportement doit faire évoquer le diagnostic. La confusion est d’autant plus fréquente que les personnes âgées sont particulièrement sensibles à un ensemble de facteurs d’agression qui doivent faire l’objet d’une évaluation systématique. Cette sensibilité augmente quand il existe une détérioration cognitive préalable.
Agressivité
ou agitation 
Dans d’autres cas, cette agressivité ou agitation est de survenue récente, en rupture avec l’état antérieur, entraînant le désarroi de l’entourage. Elle peut s’inscrire dans un contexte confusionnel
aigu ou survenir chez un vieillard dément, jusque-là paisible, faisant surgir la crainte et l’insécurité chez une épouse compassée et maternante.

Elle peut révéler une pathologie psychiatrique sous-jacente :
– un délire chronique
de persécution, évoluant à bas bruit depuis l’âge adulte ;

– des idées délirantes
de préjudice d’apparition récente, qui s’inscrivent dans l’évolution d’un état démentiel ;

– un trouble de l’humeur
; les dépressions dites hostiles [12] majorent l’incompréhension de l’entourage et l’isolement ; l’épisode maniaque
survient soit chez des patients qui présentent une pathologie bipolaire connue, soit de façon inaugurale et le bilan somatique et toxique s’impose plus que jamais ;


– des manifestations anxieuses
qui peuvent prendre chez les personnes âgées la forme de crises d’agitation anxieuse, souvent nocturnes.

Idées dépressives
On évoque facilement la dépression devant une tentative de suicide qui en constitue le risque majeur avec une très forte létalité [8].
Il en est de même quand la symptomatologie est typique : tristesse, douleur morale, ralentissement
psychomoteur, amaigrissement et troubles du sommeil
. Des manifestations délirantes
peuvent s’y associer : hallucinations
auditives avec propos obscènes ou persécutifs, idées délirantes de culpabilité, d’incurabilité, de ruine. Au maximum, un sentiment de damnation, d’immortalité et un délire de négation d’organe réalisent le syndrome de Cotard. Mais l’expression clinique de la dépression est très variable à cet âge et les formes atypiques sont nombreuses. Aux urgences, on recherche les signes dépressifs devant :




– des plaintes somatiques
persistantes, diverses, l’hypochondrie
est une forme d’expression dépressive fréquente chez la personne âgée ;


– des réactions agressives
dans la dépression hostile très fréquente ;

– des manifestations hystériformes. La dépendance affective est souvent connue de longue date, mais les revendications à l’égard de l’entourage s’aggravent, la tyrannie exercée sur les proches ne débouche que sur l’épuisement de ceux-ci et les attitudes de rejet ;
– des manifestations régressives graves entraînant un désinvestissement global et majeur. Ce désinvestissement finit par s’étendre aux comportements vitaux qui ne sont plus assumés, réalisant le syndrome de glissement qui engage, à court terme, le pronostic vital ;
– des alcoolisations
répétées ;

– des troubles cognitifs. Désinvestissement intellectuel, troubles de concentration, ralentissement
, difficultés d’évocation mnésique peuvent rendre difficile (et inutile en pratique) le diagnostic différentiel entre dépression et démence. Le ralentissement psychique peut être majeur, réalisant un tableau de pseudo-démence. Son début est brutal et d’aggravation rapide. Le patient est hébété, les troubles mnésiques
portent autant sur les faits anciens que sur les faits récents, les troubles de l’attention et de la concentration altèrent le jugement et le raisonnement, l’impression générale est celle d’un déficit massif.


À l’inverse, le diagnostic en est parfois hâtif, notamment dans les institutions, mais il est difficile d’apprécier le caractère suicidaire
des souhaits exprimés par de nombreuses personnes âgées d’être « délivrées » d’une vie devenue sans intérêt.

Idées délirantes 
À l’occasion d’une modification de l’environnement, de la perte d’un appui familial, d’une affection intercurrente, un délire chronique
de persécution, jusque-là contenu, s’exprime et s’accompagne de troubles du comportement. Le voisinage avait bien remarqué que la personne était isolée, distante, énigmatique voire un peu agressive, mais il existait un étayage, une tolérance suffisante depuis des années. Il s’agit souvent d’une femme, amenée aux urgences en état d’incurie ou après un passage à l’acte secondaire au syndrome d’influence. Le diagnostic repose sur l’existence d’un vécu hallucinatoire
intrapsychique et acousticoverbal avec commentaire des actes et des pensées, et actes imposés.


Le délire peut survenir dans d’autres contextes. Le patient présente un délire de persécution ou de préjudice. La conviction porte sur le vol ou le remplacement d’objets personnels, les principaux accusés sont ceux qui lui portent habituellement assistance : la fille, l’aide ménagère. S’y associent souvent des bouffées oniriques survenant dans la soirée, à l’origine de fugues
. Ces idées délirantes
révèlent ou s’inscrivent dans l’évolution d’un état démentiel ou dans un délire d’apparition tardive, et sont très fréquentes (50 % des démences, surtout en début d’évolution). Dans de tels troubles on pensera au rôle aggravant des déficiences sensorielles associées aux troubles de compréhension et de mémoire
[11].



Un autre tableau, moins typique, est souvent rencontré aux urgences. Ces états aigus associant idées délirantes
polymorphes et fugaces, angoisse
majeure, note confusionnelle
labile, sans cause organique décelable évoluent favorablement en quelques heures. Ils surviennent dans un contexte de stress, à l’occasion, par exemple, d’une courte hospitalisation en milieu général pour une petite intervention ou un examen complémentaire invasif. Enfin, les idées délirantes peuvent révéler un trouble affectif majeur.



Syndrome démentiel
Le dément est adressé aux urgences pour des motifs variés. Les troubles psychiatriques peuvent être invoqués : délire d’apparition tardive, syndrome dépressif
. D’autres fois, ce sont les troubles du comportement et le risque vital qui provoquent l’envoi : agressivité
, agitation
, fugues et errances
, incurie totale et nuisances pour le voisinage, crainte d’un accident domestique (gaz). L’environnement habituel est débordé : la maison de retraite ne contient plus l’agressivité ; la famille, alertée par le voisinage, s’alarme devant l’incurie ou les propos persécutifs. Le diagnostic n’est pas toujours aisé en raison des troubles intriqués. Cependant, il est nécessaire de préciser le type de démence suspectée car cela aura une conséquence directe sur les soins prodigués.




Le syndrome démentiel proprement dit se caractérise par un affaiblissement progressif des fonctions cognitives. Le déficit de mémoire
est le trouble le plus significatif, il est nécessaire d’en préciser l’importance et le retentissement. La désorientation temporospatiale est également rapide, la désorientation temporelle précédant la désorientation spatiale. En l’absence de certitudes histologiques, des arguments cliniques complètent ou précèdent ce tableau et nous permettent de formuler des hypothèses diagnostiques.

En tout premier lieu, la plainte
du patient âgé peut se résumer à un sentiment de perte de mémoire
et de plus grande difficulté dans la vie quotidienne sans que le déficit soit objectivable par les tests usuels pratiqués en urgence. Le concept de trouble cognitif léger ou MCI ( Mild Cognitive Impairment) se situe entre les oublis bénins liés à l’âge et les troubles cognitifs démentiels, quelle qu’en soit l’étiologie. Bien que de limites floues, des critères cliniques de MCI ont été proposés par le consensus de Stockholm [5] :


– présence d’une plainte présentée par le patient ou un membre de sa famille ;
– absence de démence, modification du fonctionnement normal ;
– déclin dans un des domaines du fonctionnement cognitif ;
– fonctionnement global préservé avec possibilité d’augmentation des difficultés à accomplir les activités de la vie quotidienne.
L’existence d’un trouble cognitif léger constituerait un fort risque d’évolution démentielle, notamment vers la maladie d’Alzheimer (dans 80 % des cas pour certains auteurs). Dans tous les cas l’analyse étiologique s’impose.
QUATRE ÉTIOLOGIES SE PARTAGENT LA MAJORITÉ DES CAUSES DE DÉMENCE:
– la maladie d’Alzheimer est la plus fréquente. En début d’évolution, le patient est amené à consulter pour des motifs divers [9] :
• une plainte portant sur la mémoire
, un trouble du langage,

• un état dépressif
atypique, des manifestations anxieuses
,


• un syndrome confusionnel
, à l’occasion d’une affection intercurrente,

• mais aussi une perte de poids inexpliquée.
Progressivement, s’installe la triade classique de la phase d’état : aphasie, apraxie, agnosie ;
– la démence frontotemporale est la seconde cause de déclin cognitif mais elle est souvent méconnue en raison de l’installation plus lente du déficit [10]. Les troubles praxiques et gnosiques sont rares, l’orientation temporelle est perturbée mais pas l’orientation spatiale. En revanche, la consultation psychiatrique de première intention est fréquente en raison de l’importance des troubles affectifs et comportementaux. L’entourage témoigne de la survenue progressive de négligence physique, perte des convenances sociales, hyperoralité
, déshinibition, impulsivité, qui peuvent être à l’origine de réactions violentes imprévisibles, conduites stéréotypées. Les troubles affectifs sont variables, ils dépendent de la localisation prédominante des lésions dégénératives allant de l’indifférence, insouciance, apathie
, à l’euphorie avec déshinibition, mais la dépression
, l’anxiété
et la sentimentalité excessive sont fréquentes ;




– la démence à corps de Lewy est moins fréquente mais elle représente une contre-indication à l’emploi des neuroleptiques
. Il existe maintenant des critères cliniques précis :

• déficit cognitif fluctuant avec des résultats au MMSE pouvant varier significativement au cours d’une même journée,
• hallucinations
dès le début de la maladie, visuelles, pouvant être décrites avec précision, partiellement critiquées, persistantes, faites d’animaux ou de personnages inconnus, pouvant s’accompagner d’hallucinations auditives,

• troubles parkinsoniens moins constants, rigidité et bradykinésie, tremblement de repos beaucoup plus rare,
• intolérance aux neuroleptiques
avec risque élevé de syndrome malin ;

– la démence vasculaire recouvre un ensemble de pathologies associant démence et pathologie vasculaire cérébrale. La difficulté vient de son association fréquente avec la maladie d’Alzheimer et de la coexistence des processus dégénératif et vasculaire. Au-delà de l’urgence, c’est l’argument évolutif qui fait la différence, la démence vasculaire pouvant rester stable pendant des mois.
Il existe bien d’autres formes de démences, secondaires, qui concernent moins les personnes âgées et dont les causes de survenue sont le plus souvent connues : démence post-traumatique, post-AVC. Certaines sont de diagnostic particulièrement difficile en début d’évolution en imposant longtemps pour une psychose
. C’est le cas de la maladie de Huntington mais il est rare que les signes apparaissent après l’âge adulte. On devra en revanche penser aux détériorations d’origine toxique
, à l’alcoolisme.


Le psychiatre fait partie d’un dispositif l’associant idéalement à l’assistante sociale et au somaticien, pour une prise en charge d’emblée globale.
La survenue d’un état psychiatrique aigu dépend de facteurs médicaux, sociaux, relationnels qu’il s’agit d’intégrer au mieux en ayant constamment à l’esprit la préservation des liens existants quand ils sont d’une qualité suffisante.
L’accueil aux urgences peut permettre une reperméabilisation des liens existants et ainsi éviter de nouvelles ruptures.
Le rôle du psychiatre est multiple :
– entretien familial
, antécédents, ruptures ou pertes récentes, degré d’autonomie, tolérance du milieu à l’égard des troubles, personnes ressources (voisinage), projets en cours, accueil des différentes hypothèses d’orientation ;

– examen clinique et recours au somaticien
si arguments, après traitement préalable des symptômes les plus aigus pour rendre l’investigation possible ;

– hypothèses diagnostiques et propositions de soins.
Associations de pathologies, diagnostics méconnus
Le classique débat diagnostique entre dépression
et démence n’a plus vraiment lieu d’être grâce à l’introduction de la neuropsychologie, de l’évaluation comportementale et de l’imagerie cérébrale. En urgence cependant, il faut toujours penser aux associations :

– démence et dépression ;
– plainte cognitive liée à un trouble anxieux
;

– démence et confusion
;

– troubles psychiques et organicité.
Liés au lieu d’accueil
Les urgences représentent un lieu d’agression pouvant aggraver les troubles du fait :
– de l’augmentation de l’angoisse
liée à l’urgence ;

– de la succession des changements de lieu et de l’arrivée non anticipée aggravant la perte des repères ;
– du risque d’être bousculé par un patient plus jeune, d’une réaction hostile face à un propos ou un comportement incohérent, une interpellation liée à une fausse reconnaissance.
Importance de la surveillance, au calme dans une chambre à chaque fois que cela est possible, des explications patientes et de la présentation des lieux. Participation du conjoint et des enfants. Hospitalisations en couple le temps des investigations.
Liés à la pathologie
– Risque de passage à l’acte suicidaire
.

– Risque de passage à l’acte agressif
.

– Risque de fugue
.

– Risque d’aggravation ou de décompensation d’une maladie organique
.

Liés au traitement
– Apparition ou persistance d’un syndrome confusionnel
;

– Hypotension, troubles de l’équilibre, chutes ;
– Fausses routes.
Prescription prudente de psychotropes, surveillance des repas.
CONDUITE À TENIR
Principes de mise en œuvre du traitement
Le traitement est prescrit après investigation complète, plus tôt s’il est nécessaire à la poursuite des examens. Il vise en urgence à prévenir le risque auto ou hétéroagressif et à apaiser l’angoisse.
Les proches jouent un rôle considérable. Un traitement ne peut être efficace que s’il est bien compris par l’entourage et le mieux possible par le patient. Avant toute prescription on éliminera tous les produits susceptibles de créer de l’angoisse
ou de l’agitation
s’ils ne sont pas strictement nécessaires. On citera le cas des anticholinestérasiques que l’on pourra interrompre jusqu’au retour au calme.


L’orientation est le résultat d’une concertation entre psychiatre, somaticien, services sociaux
et entourage.

Hospitalisation ou prise en charge ambulatoire ?
BUTS DE L’HOSPITALISATION
Dans tous les cas, l’hospitalisation
d’urgence ne peut pas constituer une réponse adaptée aux nécessités de placement
. Elle répond à :


– l’évolution d’une pathologie psychiatrique ancienne ;
– la nécessité de séparer du milieu (avec signature d’un engagement de reprise pour éviter un placement) ;
– la mise en danger du patient.
FAISABILITÉ DE L’HOSPITALISATION
L’hospitalisation est organisée en soins généraux si une pathologie organique est confirmée, en milieu général ou, au mieux, en service de gérontologie.
Les lits porte
des urgences peuvent fonctionner comme un lieu de crise, permettre la restauration de liens – avec l’entourage ou le réseau de soins – interrompus, favoriser le retour au domicile avec l’aide supplémentaire d’une consultation spécialisée ou d’une association de soins à domicile.

En soins psychiatriques, les indications d’hospitalisations sont peu nombreuses, réservées à :
– l’épisode dépressif
majeur à caractéristiques mélancoliques, parce qu’il existe un risque très important de passage à l’acte suicidaire
, surtout dans sa forme anxieuse
;



– les troubles du comportement qui débordent les capacités de soutien de l’entourage habituel et menacent la sécurité du patient ;
– les pathologies délirantes
et thymiques anciennes et décompensées faisant l’objet d’une prise en charge actuelle.

L’hospitalisation sans consentement
est nécessaire en cas de risque de fugue
pour permettre le maintien en service fermé.


CHIMIOTHÉRAPIE
La chimiothérapie vient en appoint du travail de crise
effectué aux urgences qui résout à lui seul bon nombre de situations, notamment d’agressivité aiguë réactionnelle. Apprécier en urgence l’effet d’un traitement suppose que l’on ait un minimum de recul (consultations prolongées)
tant les effets retardés ou paradoxaux sont fréquents.


Chez le sujet âgé, les effets secondaires sont majorés :
– hypotension orthostatique ;
– hypoventilation ;
– syndrome extrapyramidal ;
– rétention urinaire ;
– constipation ;
– troubles de mémoire
;

– confusion
.

On débute le traitement à la posologie la plus faible possible (adaptée à l’état somatique du patient), on évite les associations, on préfère fractionner les doses. Certains psychotropes sont déconseillés :
– les neuroleptiques
de première génération dans tous les cas, particulièrement les sédatifs en raison du risque d’hypotension, certains neuroleptiques atypiques
chez les déments : rispéridone, olanzapine, aripiprazole, en raison du risque accru d’accidents vasculaires cérébraux. Tous les neuroleptiques
sont contre-indiqués en cas de suspicion de démence à corps de Lewy ;



– les antidépresseurs
tricycliques.

Par ailleurs, hypnotiques
et antihistaminiques
(risque de sédation et de chute), carbamates (toxicité cardiaque en cas de surdosage) sont à utiliser avec prudence.


Le choix de la molécule se porte donc sur les psychotropes bien tolérés :
– benzodiazépines à demi-vie courte : alprazolam, oxazépam ;
– neuroleptiques atypiques
: rispéridone, tiapride ;

– neuroleptique typique
, l’halopéridol reste utile dans les situations d’opposition délirante totale et résistante [15].

Les situations qui imposent un traitement médicamenteux sont :
– l’agitation
, l’instabilité, l’agressivité
dans le cadre d’une démence, d’un délire, d’un trouble affectif
majeur ;



– l’onirisme, les idées délirantes
;

– l’angoisse
;

