Chapitre 10 Rhinoseptoplasties fonctionnelles
Nous étudierons successivement les différentes causes de troubles fonctionnels et leurs corrections.
Déviations septales et septoplasties
Déviation septale ne veut pas obligatoirement dire obstruction nasale : la plupart des cloisons ne sont pas rectilignes et n’ont cependant aucun retentissement fonctionnel ; un examen clinique précis doit donc être fait avant d’incriminer la déviation septale dans l’obstruction nasale.
L’approche des septoplasties n’est pas univoque ; elle repose sur une analyse anatomoclinique précise qui permettra une prise en charge adaptée à chaque déformation. Le septum est le pilier central du nez : une déviation septale peut être la cause d’une obstruction nasale, mais aussi entraîner des déformations morphologiques du dorsum, de la pointe, de la columelle et de l’angle nasolabial – « As the septum goes, goes the nose » [1]. La correction des déviations septales est un temps important dans la prise en charge des nez déviés.
Anatomie chirurgicale du septum nasal
Un cadre osseux inextensible enserre le septum cartilagineux. En avant d’une ligne rhinion–épine nasale antérieure (ENA), le nez est mobile ; en arrière de cette ligne, il est fixe (fig. 10.1).
Cadre osseux
À la partie inférieure des fosses nasales, le rail osseux du pied septal surplombe d’environ 1 cm le plancher des fosses nasales. D’avant en arrière, il est constitué par l’épine nasale antérieure, la crête incisive et le prémaxillaire. À sa partie postérieure, vient s’adosser le vomer en forme de soc de charrue, dont le bord supérieur vient s’articuler avec la lame perpendiculaire de l’ethmoïde (fig. 10.2).
Cartilage quadrangulaire ou septal
Le cartilage quadrangulaire ou septal est composé de quatre bords :
• un bord antérosupérieur ou dorsum cartilagineux qui comprend trois segments : un segment supérieur soudé aux os propres (point K de Killian), un segment moyen en continuité avec les cartilages latéraux supérieurs formé par la voûte du cartilage septotriangulaire et un segment inférieur en regard des cartilages alaires ;
• un bord caudal ou antéro-inférieur qui s’unit à l’ENA ; il conditionne la forme de la columelle ;
• un bord postéro-inférieur qui suit le bord supérieur du vomer. Cette zone est souvent le siège d’une déformation appelée l’éperon chondrovomérien. Cette jonction chondrovomérienne fait fréquemment l’objet d’une résection et est une des zones clés de la septoplastie ;
• un bord postérosupérieur uni à la lame perpendiculaire de l’ethmoïde. Il rejoint en haut le point K.
Enveloppe périchondropériostée
Les structures septales ostéocartilagineuses sont doublées de périoste et de périchondre. Au niveau de la zone du pied de cloison, le septum cartilagineux est dans un fourreau mucopérichondral qui échange ses fibres avec les fibres périostées de l’épine nasale et du prémaxillaire (fig. 10.3).
Analyse des déviations septales : essai de systématisation anatomoclinique
Déviations postérieures
Les déviations postérieures donnent une obstruction respiratoire isolée sans retentissement morphologique. En rhinoscopie, on retrouve un éperon chondrovomérien obstructif à la partie postérieure du prémaxillaire souvent associé à un confinement ostioméatal. Sur le scanner, on retrouve cet éperon osseux vomérien postérieur avec obstruction du méat moyen (fig. 10.4). Ces déviations sont l’indication d’une septoplastie endoscopique qui peut être associée à une chirurgie endonasale sinusienne.
Déviations septales antérieures
Au problème fonctionnel, s’ajoute un problème morphologique, avec une déviation du nez mobile (dorsum, columelle et/ou pointe nasale).
Déviations simples
Un bord du cartilage septal est dévié ou luxé le plus souvent sur son bord inférieur (fig. 10.5). En avant, au niveau de la columelle, on retrouve une luxation du bord caudal du cartilage septal dans une fosse nasale, et en arrière dans la fosse nasale controlarérale, une luxation du pied septal avec un éperon chondrovomérien obstructif.
On rapproche de ce type de déviations les déviations dites « en verre de montre » (fig. 10.6). Le cartilage septal est enserré dans un cadre osseux trop étroit et présente une convexité obstructive dans une fosse nasale et une concavité dans l’autre.
Déviations angulaires
Les déviations angulaires correspondent à des fractures cartilagineuses verticales ou horizontales. La déformation septale intéresse au moins deux bords septaux. Aux signes fonctionnels d’obstruction nasale viennent s’ajouter des déformations morphologiques : latérodéviation nasale, défaut de projection de la pointe et rétraction columellaire.
Les déformations dues à une fracture septale verticale par rapport à la crête incisive donnent une latérodéviation nasale avec une angulation plus ou moins haute sur le dorsum (fig. 10.7).
Si l’angulation du dorsum est très antérieure, la déformation peut obstruer totalement les deux fosses nasales, avec d’un côté l’angulation obstructive et de l’autre la luxation du bord libre caudal réalisant au maximum un corps étranger transnarinaire (fig. 10.8).
Les déformations par fracture septale horizontale donnent une obstruction nasale haute avec une déviation du dorsum nasal et une columelle rétractée (fig. 10.9).
Déformations complexes
Les déformations complexes correspondent aux associations des anomalies précédentes : les fractures horizontales et verticales forment un septum pyramidal, auquel peuvent s’associer des enroulements et des télescopages cartilagineux (fig. 10.10). L’obstruction nasale est complète, avec des déformations du nez mobile dans les trois dimensions de l’espace.
Les différentes septoplasties
• la septoplastie postérieure sous vidéo-endoscopie ;
• la septoplastie de désobstruction et de reposition nécessitant une septoplastie suivant la technique de Cottle ;
• la septoplastie avec attelles cartilagineuses d’alignement ;
• la septoplastie extracorporelle avec réalisation d’une maquette cartilagineuse.
Certaines règles chirurgicales sont à respecter :
• la dissection sous-périchondrale avec préservation d’une loge mucopérichondrale intacte est un temps délicat qui doit éviter toute déchirure sous peine de perforation septale ultérieure ;
• la région chondrovomérienne fixe les déformations septales en arrière, et la destruction de ce « verrou » septal est une des clés de la septoplastie ;
• pour éviter un effondrement et une ensellure antérieure, le classique L de Killian sera respecté et le septum antérieur reconstruit.
Septoplastie postérieure vidéo-endoscopique
Cette technique intéresse les déviations septales postérieures en arrière de la ligne ENA-rhinion, et s’adresse aux éperons chondrovomériens obstructifs.
Technique chirurgicale (vidéo 10.1)
L’incision est réalisée en avant de la déviation ou sur la crête septale. Un décollement sous-mucopérichondral est réalisé à l’aspirateur décolleur. Une section cartilagineuse transfixiante est réalisée, puis un décollement sous-périchondral controlatéral est amorcé. L’éperon chondrovomérien est ensuite enlevé par morcellement à la pince jusqu’à obtenir une désobstruction des fosses nasales (fig. 10.11). En fin d’intervention, la muqueuse est réappliquée par un méchage.
Septoplastie mobilisatrice de résection et de reposition type Cottle ( vidéo 10.2A,B)
Cette technique s’adresse aux corrections des déviations antéropostérieures simples – luxation cartilagineuse au niveau du pied septal et/ou de la columelle (cas clinique 10.1 et cas clinique e.10.1) – et aux déformations du cartilage en verre de montre (cas clinique e.10.2). L’opérateur peut s’aider de vidéo-endoscopie.
Technique chirurgicale
Quatre étapes sont nécessaires.
Squelettisation et visualisation des lésions
Après infiltration à la xylocaïne adrénalinée, une incision interseptocolumellaire est pratiquée. Les tunnels sous-périchondraux de Cottle sont réalisés. Le supérieur va jusqu’à la jonction septotriangulaire, l’inférieur longe la crête incisive et le bord inférieur du vomer (fig. 10.12). Le décollement des deux tunnels est ensuite réuni et la loge septale est largement exposée.
La dissection sous-périchondrale est parfois difficile, surtout sur le prémaxillaire, en cas de reprise chirurgicale ou s’il existe des crêtes osseuses asymétriques (voir fig. 10.12). On peut s’aider de vidéo-endoscopie pour éviter des déchirures dans les cas difficiles.
Mobilisation septale
La déviation septale est fixée à la déformation osseuse du pied de cloison et du vomer. Le premier temps consistera donc à libérer le septum cartilagineux de ses attaches osseuses en le luxant du rail du prémaxillaire, du bord supérieur du vomer et en remontant le long de la lame perpendiculaire de l’ethmoïde (fig. 10.13). On s’efforce de préserver la zone du point K pour éviter une mobilisation et une désinsertion totale du septum qui conduirait à une bascule postérieure source d’ensellure.
Résections ostéocartilagineuses
Plus en arrière, la résection du cal ostéocartilagineux chondrovomérien est pratiquement toujours nécessaire ; elle permet de compléter la libération septale en faisant sauter le verrou osseux postérieur (fig. 10.14). La partie excédentaire de cartilage septal est ensuite réséquée à la demande en prenant bien soin de ne pas fragiliser le bord dorsal du septum (point K) pour éviter un effondrement et une ensellure postopératoire (préservation du L de Killian).
Lors des déviations septales en verre de montre ( vidéo 10.3), la libération du septum de son cadre osseux permet son expansion dans la fosse nasale. Les zones cartilagineuses en excès sont ensuite réséquées (fig. 10.15A). Si des lignes de force persistent, elles sont fragilisées par des chondrotomies de fragilisation (fig. 10.15B).
Une autre solution pour corriger les déviations courbes consiste à réaliser une chondrotomie transfixiante en spirale selon la technique de Jost (fig. 10.16). Les ressorts cartilagineux sont brisés dans toutes les directions tout en gardant la continuité du septum. Le point de départ de la spirale est variable. Commencée près de l’angle supérieur, celle-ci réduit la déviation de l’arête. Commencée près de l’angle postérieur, elle agit sur le bord columellaire.
Reposition septale, sutures, pansement
Une fois les résections réalisées, le septum est mobile au niveau du pied septal. Pour éviter un recul de la pointe ou une dépression sus-lobulaire, le septum doit être fixé au niveau de son angle antéro-inférieur à l’ENA ou à son pourtour fibreux (fig. 10.17). Ce point peut être réalisé par voie vestibulaire labiale supérieure (point de Jost–Legent). Certains auteurs complètent la fixation par un point transcolumellaire.
La suture des incisions interseptocolumellaires est ensuite réalisée et un méchage est laissé en place pendant 48 à 72 heures. Des lames de Silastic® peuvent être laissées pendant 6 jours pour prévenir d’éventuelles synéchies (fig. 10.18).
Au total, les points importants sont :
• la dissection sous-périchondrale et sous-périostée peut être difficile ; l’opérateur doit s’appliquera à éviter toute perforation ;
• les résections osseuses peuvent être réalisées sous vidéo-endoscopie pour être plus précises ;
• l’épine nasale antérieure est respectée ;
• les résections cartilagineuses respectent le bord dorsal et antérieur du septum. La zone du point K est préservée pour éviter toute bascule septale postérieure source d’ensellure postopératoire ;
• le septum est fixé à l’épine nasale antérieure en fin de dissection.
Septoplasties avec attelles cartilagineuses sagittales (spreader grafts)
Ces septoplasties s’adressent aux déviations angulaires par fracture verticale ou horizontale (cas clinique 10.2 et cas cliniques e.10.3 et e.10.4) et aux déviations courbes à grand rayon du bord dorsal du septum qui sont incomplètement corrigées par une septoplastie type Cottle avec une persistance de la déviation en fin d’intervention.
Technique chirurgicale ( vidéos 10.4A,B)
Correction des angulations septales
Une fois le septum libéré de ses contraintes externes (cadre osseux, jonction septotriangulaire ; fig. 10.19), le verrou chondrovomérien enlevé, les différentes résections ostéocartilagineuses réalisées, les déviations septales résiduelles sont corrigées.
Le cartilage septal est ensuite libéré de ses contraintes internes en supprimant les ressorts cartilagineux par des chondrotomies de fragilisation (fig. 10.20 et 10.21). Ces chondrotomies peuvent être transfixiantes au niveau des angulations saillantes en essayant néanmoins de garder des ponts cartilagineux entre les fragments pour éviter de les désolidariser les uns des autres. Sinon, elles sont hémitransfixiantes, réalisant un hachurage de fragilisation sur le côté concave dans les déviations courbes à grand rayon. Elles permettent ainsi une expansion et un redressement du cartilage septal.
Fig. 10.20 A, B. Chondrotomies de fragilisation et hachurage pour briser les lignes de force cartilagineuses.
Rigidification par la mise en place d’attelles cartilagineuses (spreader grafts)
Le but est d’aligner le bord dorsal du septum par des attelles cartilagineuses prises sur la partie postérieure du septum, sur la conque auriculaire, par des baguettes osseuses de la lame perpendiculaire de l’ethmoïde ou à l’aide de plaques de PDS si on ne peut disposer de matériel autologue suffisant. Ces attelles sont positionnées de part et d’autre du septum et l’ensemble est suturé. Le montage doit aboutir à un septum droit, plan et solide (fig. 10.22). La mise en place de ces attelles cartilagineuses peut aussi être réalisée sous vidéo-endoscopie mais leur positionnement est plus difficile.
Septoplasties extracorporelles (dépose–repose septale)
Ces septoplasties s’adressent aux déformations majeures (cas cliniques 10.3, 10.4 et cas clinique e.10.5) avec des fractures multiples réalisant un septum pyramidal, mais aussi à toutes les déformations non systématisables (nez enroulé).
Septoplastie extracorporelle par voie externe ( vidéo 10.5)
La voie d’abord externe avec incision transcolumellaire est la plus utilisée. Elle permet une exposition large, une dissection sous-périchondrale facile, une libération et, surtout, une reposition aisée de la maquette du néoseptum.
La septoplastie extracorporelle comporte différentes étapes (fig. 10.23) :
• Décollement sous-périchondral du septum. Il est souvent difficile car la muqueuse adhère fortement aux angles saillants des angulations et l’opérateur s’efforcera d’éviter des perforations de la loge septale qui recevra le néoseptum (fig. 10.23A).
• Libération et dépose du cartilage septal. Le cartilage est libéré de ses attaches osseuses inférieures. Il est sectionné des triangulaires au niveau de la voûte septotriangulaire, libéré de la lame perpendiculaire de l’ethmoïde, détaché de la voûte des os propres au niveau du point K, puis sorti des fosses nasales (fig. 10.23B).
• Remodelage du cartilage septal et réalisation d’une maquette cartilagineuse. Les différentes anomalies du cartilage septal sont corrigées par des chondrotomies transfixiantes ou hémitransfixiantes de façon à avoir un septum plan et rectiligne. En cas de déviation majeure, on peut aboutir à un véritable puzzle cartilagineux (fig. 10.23 C–E). Les différentes pièces cartilagineuses sont ensuite suturées les unes aux autres et solidarisées par des attelles cartilagineuses. En cas de matériel cartilagineux insuffisant, on peut utiliser une plaque de PDS comme tuteur sur lequel les fragments cartilagineux sont alignés. Dans les cas où le bord supérieur du septum est très déformé, on peut effectuer une rotation de 180° du cartilage, son bord inférieur, qui est en général rectiligne, prenant alors la place de son bord supérieur.
• Repose septale. Le septum est ensuite repositionné dans la loge septale comme une greffe libre de cartilage (fig. 10.23E,F). La fixation de la maquette (fig. 10.23 F) doit éviter tout déplacement ultérieur qui aboutirait à une ensellure, à de nouvelles déviations ou à une obstruction nasale. La maquette est suturée aux cartilages latéraux supérieurs, à l’épine nasale antérieure et aux deux mésiales du cartilage alaire. De la colle biologique peut être mise en place dans la loge septale pour fixer temporairement le montage. Un greffon cartilagineux de camouflage ou un fragment d’épicrâne peuvent être placés sur le montage et les sutures pour régulariser le nouveau dorsum et en atténuer les irrégularités sous-cutanées. La voie externe est ensuite refermée par des points nylon 6/0 au niveau de la columelle et des points 5/0 sur l’incision cutanéomuqueuse.
• Pansement. Un méchage bilatéral est réalisé pour 48 à 72 heures. Des attelles en Silastic® peuvent être laissées en place pendant une semaine. Un pansement externe (attelle métallique) de protection est laissé en place pour 6 à 7 jours (fig. 10.24). Une antibiothérapie postopératoire est prescrite pour 6 jours.