Les principales cibles des médicaments : mécanismes d’action du médicament de l’échelle moléculaire à l’échelle tissulaire
Cibles moléculaires membranaires
Les canaux ioniques
Les canaux sodiques dépendants du potentiel (Nav)
Structure des canaux sodiques dépendants du potentiel
L’unité principale (sous-unité α), structurale et fonctionnelle du canal Nav, est constituée par une seule chaîne polypeptidique révélant quatre domaines homologues (I à IV), chacun constitué de six segments hélicoïdaux transmembranaires (S1 à S6). Les quatre domaines se replient sur eux-mêmes de façon à former un pore central. Le segment 4 (S4) de chaque domaine contient une forte densité de résidus chargés positivement (arginine et lysine) et constitue le détecteur de potentiel (ou détecteur de voltage) ; c’est la zone qui va percevoir les variations de voltage membranaire pour les transmettre au reste du canal sodique. Différentes boucles s’établissent entre les différents segments constituant le canal ionique : une boucle extracellulaire (boucle P), qui se forme entre les segments S5 et S6 de chaque domaine, participe à la sélectivité ionique du canal et une petite boucle intracellulaire, qui relie les domaines III et IV, constitue la boucle d’inactivation qui, lors d’une dépolarisation membranaire maintenue, va se replier contre le canal et fermer le pore.
Multiplicité des canaux sodiques dépendants du potentiel
Différentes isoformes de canaux sodiques dépendants du potentiel ont été décrites chez l’homme et chez les mammifères. Ainsi, une dizaine de gènes codant pour la sous-unité α ont été mis en évidence chez l’homme. Le nom attribué à chaque sous-unité α est constitué du symbole chimique de l’ion diffusant à travers le canal (Na), avec en indice l’initial du voltage (v), principal régulateur de ces canaux : Nav. Le chiffre qui suit définit la sous-famille de gènes et à l’heure actuelle, une seule sous-famille a été identifiée : Nav1, qui regroupe les neuf gènes notés Nav1.1 à 1.9. Le chiffre après le point désigne spécifiquement l’isoforme du canal (Nav1.1, Nav1.2…). Les différentes isoformes peuvent être classées en fonction de leur sensibilité à la tétrodotoxine (TTX), un bloqueur très puissant et très sélectif des canaux sodiques, isolé en particulier à partir des bactéries du tube digestif de poissons du genre Takifugu, capable d’obstruer le pore du canal, de manière rapide et réversible. On distinguera ainsi les isoformes dites « TTX-sensibles » (TTX-S) (Nav1.1 à Nav1.4, Nav1.6 et Nav1.7) et les isoformes dites « TTX-résistantes » (TTX-R), pour lesquelles la TTX a une affinité plus faible (Nav1.5, Nav1.8 et Nav1.9) (tableau 10.1).
Tableau 10.1
Récapitulatif des différentes isoformes de sous-unités α de canaux ioniques chez l’homme
Canaux | Sensibilité ou résistance vis-à-vis de la TTX | Distribution tissulaire |
Nav1.1 | TTX-sensible | Système nerveux central |
Nav1.2 | TTX-sensible | Système nerveux central |
Nav1.3 | TTX-sensible | Système nerveux central et cœur |
Nav1.4 | TTX-sensible | Muscle squelettique |
Nav1.5 | TTX-résistant | Cœur |
Nav1.6 | TTX-sensible | Système nerveux central |
Nav1.7 | TTX-sensible | Neurones des ganglions spinaux, cellules de Schwann, cellules neuroendocrines |
Nav1.8 | TTX-résistant | Système nerveux périphérique |
Nav1.9 | TTX-résistant | Système nerveux périphérique |
Fonctionnement des canaux : cycle activation/inactivation
L’activité ionique se définit par la capacité de transfert des ions au travers des pores du canal. Les canaux ioniques se présentent sous trois conformations stables permettant ou non la diffusion des ions à travers la membrane plasmique. Ainsi, les différents états du canal ionique sont (figure 10.1) :
• état de repos, c’est-à-dire fermé mais pouvant s’ouvrir après stimulation ;
• activé donc ouvert, assurant le passage des ions ;
• inactivé, c’est-à-dire fermé et ne pouvant pas être ouvert par stimulation. Cet état correspond à la période réfractaire.
La relation entre potentiel de membrane et flux sodique est mise en évidence par la technique de patch clamp. Ainsi, lorsque le potentiel de membrane est maintenu proche de la valeur de potentiel de repos, le canal est fermé et il n’y a pas de tranfert ionique. Lorsqu’une modification de potentiel est observée et maintenue, l’ouverture du canal sodique permet la diffusion d’ions Na+ à l’origine d’une dépolarisation membranaire. Très rapidement (quelques millisecondes), le canal sodique adopte une conformation fermée inactivée, bien que la membrane soit toujours dépolarisée. Dans ce cas, les ions Na+ ne peuvent plus diffuser à travers la membrane plasmique. Enfin, le retour à un potentiel de repos (phase de repolarisation) se traduira par un retour à une conformation fermée activable des canaux sodiques.
Les canaux sodiques, cibles d’anesthésiques locaux
Le chef de file des anesthésiques locaux de synthèse est la lidocaïne ; d’autres molécules sont également largement utilisées : la procaïne, la mépivacaïne, la bupivacaïne… (figure 10.2).
Cible et mécanisme d’action pharmacologiques
Au niveau moléculaire, les anesthésiques locaux sont des bloqueurs des canaux sodiques Nav, et en particulier de l’isoforme 1.7 majoritairement exprimée au niveau des neurones périphériques. Ionisés au pH physiologique, les anesthésiques locaux diffusent facilement à l’intérieur du canal ionique pour s’y fixer et empêcher les flux sodiques transmembranaires. L’accès au site de liaison est ainsi facilité lorsque le canal ionique est en conformation ouverte. Une fois fixés, les anesthésiques locaux vont stabiliser l’état inactivé en prolongeant la période réfractaire, en retardant le retour à l’état de repos et enfin, en diminuant la propagation de l’influx nerveux.
Les canaux sodiques, cibles d’antiarythmiques
Les canaux calciques dépendants du potentiel (Cav)
Multiplicité des canaux calciques dépendants du potentiel
La diversité fonctionnelle des canaux calciques s’explique par des propriétés fonctionnelles distinctes et une expression tissulaire précise des sous-unités α1. Une première famille de quatre gènes code pour les canaux calciques de type L (Cav 1.1 à 1.4). Une seconde famille correspond aux canaux de type non-L ou « neuronaux » (canaux P/Q, R et N) caractérisés par les sous-unités Cav 2.1 à 2.3. Enfin, une troisième famille correspond aux canaux T représentés par les isoformes Cav 3.1 à 3.3. Les types L, P/Q, R et N sont activés par des voltages élevés (–20 à –30 mV), tandis que le type T est activé pour des valeurs de voltage plus basses (–70 mV). La cinétique d’activation des canaux L et P/Q est lente (> 500 ms), celle des canaux T et R est rapide (50 ms), tandis que la cinétique d’activation des canaux N est intermédiaire. Le tableau 10.2 résume les principales caractéristiques des canaux calciques dépendants du voltage.
Principaux bloqueurs des canaux calciques de type L
Différentes familles de molécules (figure 10.3) ciblent les canaux calciques de type L parmi lesquelles les dihydropyridines, les phénylalkylamines et les benzothiazépines. Les sites de liaison, au niveau du canal calcique, de ces bloqueurs sont bien connus : les dihydropyridines se fixent préférentiellement sur l’anse extracellulaire établie entre les segments S5 et S6 du domaine III, mais également sur la face extracellulaire des segments S5 et S6 du domaine III et du segment S6 du domaine IV. Le site de fixation des phénylakylamines est essentiellement intracellulaire au niveau des segments S6 des domaines III et IV. Enfin, les benzothiazépines bloqueront les canaux calciques en se fixant sur la partie intracellulaire des segments S6 du domaine IV.
Figure 10.3 Représentation schématique de la structure des canaux calciques dépendants du potentiel Source : Richard S, Virsolvy A, Fort A. Effets moléculaires de nouveaux antagonistes calciques : le principe de parcimonie est-il toujours de mise ? Annales de Cardiologie et d’Angéiologie 2008 ; 57 : 133–86. © 2008 ElsevierMasson SAS. Tous droits réservés.
L’affinité des bloqueurs des canaux calciques pour le canal dépend de l’état conformationnel du canal calcique. Ainsi, les bloqueurs auront en général une affinité plus importante pour les états ouverts activé et inactivé.
Les dihydropyridines, dont le site de liaison est essentiellement extracellulaire, présentent une affinité importante pour les canaux calciques inactivés. Cela explique leur tropisme majoritairement vasculaire, où le nombre de canaux Cav inactivés est supérieur à celui des canaux Cav ouverts (au niveau des vaisseaux, le potentiel de membrane est constant avec un état dépolarisé prolongé traduisant l’absence d’activité rythmique). Les dihydropyridines exercent une inhibition potentielle (voltage)-dépendante et leurs effets vasodilatateurs seront mis à profit dans le traitement de l’hypertension artérielle ou de l’angor.
Les phénylalkylamines ou les benzothiazépines, dont le site de liaison est intracellulaire, présentent une affinité supérieure pour les canaux calciques à l’état ouvert. Ces molécules sont à l’origine d’une inhibition fréquence-dépendante et ciblent notamment les canaux Cav cardiaques. En effet, la physiologie cardiaque est caractérisée par un cycle continu de potentiels d’action expliqué par un potentiel de membrane fréquemment à l’état dépolarisé, mais sur une courte période. Cette caractéristique physiologique s’explique par un nombre de canaux Cav ouverts supérieur au nombre de canaux Cav inactivés. Ainsi, les phénylalkylamines et les benzothiazépines présentent des effets cardiaques inotropes négatifs, chronotrope négatif et dromotrope négatif et sont indiqués dans le traitement de l’hypertension artérielle, de l’angor ou des troubles du rythme (antiarythmique de classe IV de Vaughan Williams).
Les canaux calciques de la membrane du réticulum sarco-/endoplasmique
Le canal calcique-récepteur à la ryanodine (RyR)
La ryanodine est un alcaloïde d’origine végétale extrait d’une plante d’Afrique du Sud, Ryania speciosa. Originellement utilisée pour ses propriétés insecticides, la ryanodine présente une très forte affinité pour les canaux calciques-récepteurs à la ryanodine exprimés majoritairement dans les cellules musculaires cardiaques et striées squelettiques.
Structure du récepteur
Le récepteur est un homotétramère (figures 10.4 et 10.5) dont chaque monomère est formé de quatre hélices transmembranaires (1 à 4). Ces monomères présentent également une longue extrémité N-terminale et une extrémité C-terminale plus courte, toutes deux intracytoplasmiques. Une anse établie entre les hélices 3 et 4 forme le pore ionique et contribue à la sélectivité ionique.
Figure 10.4 Structure générale du canal calcique récepteur à la ryanodine Source : Wehrens XH, Marks AR. Altered function and regulation of cardiac ryanodine receptors in cardiac disease. Trends in Biochemical Sciences 2003 ; 28 : 671–78.
Figure 10.5 Mécanisme d’action du canal calcique récepteur à la ryanodine
RS : réticulum sarcoplasmique. Source : Andersson DC, Marks AR. Fixing ryanodine receptor Caleak – a novel therapeutic strategy for contractile failure in heart and skeletal muscle. Drug Discovery Today : Disease Mechanisms 2010 ; 7 : e151–7.
Fonctions du récepteur
Couplage excitation/contraction du muscle squelettique
La contraction musculaire met en jeu plusieurs compartiments cellulaires : les tubules transverses, le réticulum sarcoplasmique et le myoplasme. Les canaux calciques dépendants du voltage (Cav 1.1), exprimés au niveau des tubules transverses, sont associés au récepteur RyR-1, localisé à la membrane du réticulum sarcoplasmique, par une liaison mécanique. Les canaux Cav 1.1 sont activés par des variations du potentiel de membrane secondaires à une dépolarisation se propageant le long de la membrane des tubules transverses. L’influx de calcium via les canaux Cav 1.1 activés est associé à un efflux de calcium du réticulum sarcoplasmique nécessaire à la contraction musculaire.
Le canal calcique-récepteur à l’IP3 (IP3-R)
L’inositol 1,4,5 triphosphate (IP3) est le résultat de l’hydrolyse du phosphatidyl-inositol-diphosphate (PIP2) par une phospholipase C secondaire à l’activation de certains récepteurs couplés à une protéine G membranaire. L’IP3 est un second messager qui facilite la libération de calcium contenu dans les citernes du réticulum sarco-/endoplasmique après fixation sur un récepteur spécifique (IP3-R) localisé à la membrane du réticulum.
Les canaux potassiques
Structure générale des canaux potassiques
Parmi les nombreux canaux potassiques clonés, trois familles structurales ont été identifiées d’après leurs homologies de séquence, le nombre de segments transmembranaires, le nombre de segments P participant à la formation du pore. La classification de ces canaux dépend de la structure de la sous-unité α de ces derniers.
Les canaux potassiques à six ou sept domaines transmembranaires (figure 10.8)
Ces canaux se constituent en tétramères pour être fonctionnels.
Figure 10.8 Représentation schématique de la structure d’un canal potassique à six ou sept domaines transmembranaires Source : Biggin PC, Roosild T, Choe S. Potassium charnel structure : domaine by domaine. Current Opinion in structural biology 2000 ; 10 : 456–61.
Les canaux potassiques à deux domaines transmembranaires (figure 10.9)
Cette famille de canaux regroupe, notamment, les canaux potassiques activés par l’ATP et l’acétylcholine. On dénombre actuellement 16 canaux appartenant à cette famille, qui ont été classés en sept sous-familles. Chacun de ces canaux présente deux segments transmembranaires et une boucle P. Quatre sous-unités α doivent s’associer pour former un canal fonctionnel qui peut s’organiser sous la forme d’un homotétramère ou d’un hétérotétramère. Le domaine transmembranaire 4 n’est pas chargé positivement (en raison d’un défaut en arginine et en lysine) expliquant l’absence de sensibilité de ces canaux aux variations de potentiel.
Exemples de canaux potassiques présentant un intérêt en pharmacologie
Les canaux potassiques hERG
De nombreuses molécules bloquent l’activité des canaux hERG (antibiotiques tels que les macrolides, les fluoroquinolones, certains antihistaminiques tels que la terfénadine ou la mizolastine, certains antiarythmiques tels que la quinidine ou l’amiodarone, certains neuroleptiques comme la cyamémazine…). Le blocage des canaux potassiques hERG par ces molécules va se traduire par un défaut d’afflux de potassium dans le compartiment extracellulaire qui conduira à un retard de repolarisation caractérisé par un prolongement du potentiel d’action et un allongement de l’espace QT (visible à l’électrocardiogramme). Ce défaut de repolarisation sera caractérisé par des troubles du rythme ventriculaire à type de torsades de pointes pouvant avoir des conséquences létales (figure 10.11).
Les transporteurs ioniques
Différents types de transporteurs ioniques se distinguent (figure 10.12) :
• les transporteurs unidirectionnels (uniports) qui assurent la diffusion d’un seul type d’ions dans un seul sens, orienté par le gradient de concentration ;
• les transporteurs codirectionnels ou cotransporteurs (symports) qui assurent la diffusion de plusieurs ions dans le même sens ;
• les transporteurs bidirectionnels (antiports) que l’on appelle également échangeurs et qui permettent la diffusion en sens opposé de différents types d’ions. Le transport d’ions dans le sens du gradient de concentration apporte l’énergie nécessaire au passage des ions dans le sens inverse.
Les cotransporteurs NKCC
Les diurétiques de l’anse (furosémide, bumétamide, pirétanide) sont les principales molécules ciblant et bloquant l’activité du cotransporteur NKCC. Ainsi, la réabsorption ionique de sodium (de potassium et de chlorure) ne sera plus possible, ce qui contribuera à diminuer la natrémie. Ces molécules seront indiquées dans le traitement des œdèmes pulmonaires ou des membres inférieurs, notamment en cas d’insuffisance cardiaque. En outre, elles réduiront la volémie donc participeront à la réduction de l’hypertension artérielle bien qu’il ne s’agisse pas d’une indication majeure de ces molécules.
L’utilisation des diurétiques de l’anse (figure 10.13) sera associée à une augmentation importante de la diurèse avec un risque de perte importante de potassium. Ces molécules sont dites hypokaliémiantes et il conviendra, en cas de traitement au long cours, d’associer une supplémentation potassique pour éviter des conséquences cardiaques pouvant être fatales.
Le cotransporteur NCC
Les diurétiques thiazidiques (hydrochlorothiazide par exemple) sont des molécules qui ciblent et bloquent l’activité de ce cotransporteur, empêchant la réabsorption tubulaire de sodium. Ces molécules sont moins puissantes que les diurétiques de l’anse et sont plutôt indiquées, en première intention, dans la prise en charge de l’hypertension artérielle. Le risque d’hypokaliémie est bien moins important avec les bloqueurs des cotransporteurs NCC. Toutefois, le blocage de ce cotransporteur pourra entraîner un déséquilibre de l’activité des autres transporteurs qui entraînera une kaliurie importante, pouvant être à l’origine d’effets indésirables graves.
L’échangeur Na +/H +
Cet échangeur, localisé de façon ubiquitaire à la membrane de nombreuses cellules, participe à l’efflux d’un ion H+ contre l’influx d’un ion Na + (figure 10.14). Différentes isoformes de cet échangeur ont été identifiées (NHE-1 à -4) et les propriétés physiologiques de l’isoforme NHE-1 sont bien connues. En effet, cette isoforme est présente à la surface de toutes les cellules et contribue à la régulation du pH et du volume cellulaire, en particulier dans les processus d’hypertrophie et de prolifération cellulaire. L’isoforme NHE-2 a été identifiée dans le cerveau, le testicule, l’utérus, le cœur, le poumon et le muscle squelettique, le rein. L’isoforme NHE-3 est principalement exprimée à la surface des cellules épithéliales du rein et de l’intestin. Enfin, l’isoforme NHE-4 est retrouvée dans le cerveau, l’utérus et le muscle squelettique. Leurs rôles physiologiques sont actuellement mal connus.