10: Lenticules intracornéens

CHAPITRE 10 Lenticules intracornéens



Les lenticules intrastromaux (ou inlays cornéens) connaissent depuis ces dernières années un regain d’intérêt par le développement de modèles spécifiques à la correction chirurgicale de la presbytie. L’enjeu est connu : cette procédure appartient aux chirurgies compensatrices de la perte d’accommodation.


Si l’atout majeur des inlays intracornéens est leur réversibilité, leur biocompatibilité constitue une nécessité incontournable pour une tolérance à long terme. De nouvelles générations d’inlays appuyés par des dispositifs de centrage plus sophistiqués semblent donner une impulsion nouvelle à cette technique. La technologie assistée par laser femtoseconde est venue renforcer la précision et la reproductibilité de la technique d’implantation.


Les inlays sont des lenticules qui se placent en position intrastromale, soit après découpe d’un volet soit après réalisation d’une « poche » par laser femtoseconde. Dans ce chapitre sont décrits les différents types d’inlays, leurs principes d’action et les résultats préliminaires ou publiés.


Trois modèles d’inlays sont actuellement distribués:




Historique


L’insertion de lenticules intracornéens dans le but de modifier le pouvoir réfractif de l’œil est un concept connu et ancien.


José Barraquer a été dans ce domaine une fois encore un pionnier. Dès 1949, il met en évidence la relation existant entre l’épaisseur de la cornée et son pouvoir réfractif et décrit sous le terme de « kératoplastie réfractive » une technique visant à corriger l’aphaquie et les fortes amétropies en insérant dans la cornée un lenticule artificiel transparent dans le but d’en modifier la puissance par augmentation de sa courbure [3]. Cependant, les résultats réfractifs étaient imprécis et le matériel en silex de verre utilisé à l’époque était imperméable à l’eau, aux électrolytes et aux métabolites cornéens, ce qui aboutissait à une nécrose stromale antérieure suivie de l’expulsion de l’implant [3, 13].


Après une longue période d’étude de la physiologie cornéenne et grâce à l’utilisation de nouveaux matériaux en hydrogel, les implants intracornéens suscitent un regain d’intérêt dans les années soixante [4, 5]. Mais les performances optiques et la biotolérance n’étaient toujours pas satisfaisantes, générant des complications graves à type d’œdème puis d’opacification cornéenne avec néo-vascularisation [4, 18, 21], d’amincissement cornéen [7, 20], d’invasion épithéliale [23] et même de nécrose aseptique du stroma antérieur avec extrusion du lenticule [15].


Toutefois, l’avantage de ce concept — son caractère réversible — a encouragé les équipes de recherche et développement à poursuivre dans cette voie et, après de nombreuses années de tâtonnement, des inlays en hydrogel ont été implantés avec des résultats visuels satisfaisants et une bonne prédictibilité, tout en étant mieux tolérés par la cornée [8, 19, 26]. Cette période de transition a permis de confirmer la réversibilité de la technique, avec restitution ad integrum de la transparence cornéenne si l’inlay est retiré dès qu’un haze survient [1]. Les qualités indispensables du matériau ont été également définies : être biocompatible, ne pas perturber le métabolisme et la physiologie cornéenne, être optiquement actif et entraîner des modifications réfractives pré-dictibles et durables [16, 17]. Enfin, la profondeur d’insertion, le diamètre et l’épaisseur de l’inlay ont été optimisés [9, 18] : il a été établi que l’implant doit être placé suffisamment profondément dans le stroma antérieur, dans une zone comprise entre 36 % et 60 % de l’épaisseur cornéenne, mais avec une technique peu invasive pour minimiser la réaction kératocytaire cicatricielle. L’arrivée du laser femtoseconde a permis d’améliorer largement la précision et le contrôle de la profondeur d’insertion de l’inlay, tout en diminuant le traumatisme chirurgical de la cornée. Il a également été établi qu’un diamètre inférieur à 4 mm pouvait faciliter le métabolisme cornéen. Par ailleurs, la puissance de l’inlay ne doit pas dépasser un certain seuil pour en limiter l’épaisseur, celle-ci devant être inférieure à 0,3 mm [25]. Le matériau doit de surcroît respecter certaines contraintes : présenter une résistance thermique, chimique et à la déformation, être bioperméable pour permettre le passage de l’oxygène et des nutriments et autoriser les échanges métaboliques dans la cornée, la plupart des complications à plus ou moins long terme étant secondaires à des complications métaboliques [1].


Après avoir été utilisés pour la correction de l’aphaquie et de l’hypermétropie, les inlays sont utilisés actuellement dans le cadre de la correction de la presbytie. Ils présentent l’avantage de la réversibilité. Ces inlays sont en hydrogel (Flexivue Microlens®, Vue+®), matériau perméable aux nutriments [19], ou en polymère de synthèse (KAMRA®). Leur tolérance semble bonne mais le recul n’atteint pas encore dix ans et les études publiées encore peu nombreuses.



KAMRA®


Le dispositif KAMRA® (AcuFocus, Irvine, Californie) est un implant intracornéen (corneal inlay) destiné à corriger la presbytie. Le principe de cette technique est celui du sténopé. La création d’une « néopupille », d’un diamètre égal à 1,6 mm, permet d’augmenter la profondeur de champ, pour contrer la perte de l’accommodation. La pose de l’implant se fait sous anesthésie locale en ambulatoire. Elle peut s’accomplir chez les patients presbytes emmétropes, hypermétropes ou myopes. Chez les amétropes, elle vise à restaurer la vision de près sans corriger par l’implant lui-même l’amétropie associée, requérant alors une photoablation complémentaire.


Comme pour les autres corrections en chirurgie réfractive, les résultats dépendent de la sélection rigoureuse des candidats et de l’exécution minutieuse de la technique chirurgicale. Un bilan ophtalmo logique préopératoire détaillé et le respect des contre-indications sont essentiels pour l’obtention d’un bon résultat fonctionnel.



DESCRIPTION


L’implant KAMRA® est un dispositif dont la morphologie est celle d’un disque percé (fig. 10-1). Le matériau de l’implant KAMRA® est à base de polyfluorure de vinylidène (PVDF, polyvinylidene fluoride), auquel du carbone est ajouté afin d’en foncer la couleur. Le PVDF est un matériau hautement biocompatible, utilisé en chirurgie ophtalmique pour la réalisation des anses des implants de cataracte. L’implant possède une courbure proche de 7,5 mm, afin d’épouser la courbure du lit stromal cornéen dans lequel il est placé. Il peut être décrit comme une sorte de « confetti » très fin (5 µm pour la version actuelle, 10 µm pour les premières versions). Le diamètre externe mesure 3,8 mm et le diamètre interne, correspondant à la néopupille, 1,6 mm. Outre l’orifice central (à visée optique), l’inlay possède de nombreuses microperforations (plus de huit mille) disposées de manière aléatoire et destinées à faciliter le passage des métabolites (nutriments) cornéens. Inspecté sous la lumière d’un microscope chirurgical, l’implant présente une face mate et une face brillante; cette dernière doit être placée au contact du tissu stromal.




PRINCIPE OPTIQUE


L’implant KAMRA® permet une augmentation de la profondeur de champ par réduction du diamètre de la pupille d’entrée de l’œil. C’est un dispositif dont le mécanisme d’action est simple (sténopé) et bien connu. C’est en utilisant ce principe qu’ont été construits les premiers systèmes capables de former des images réelles du monde environnant : la camera obscura (chambre noire), conçue à la Renaissance, consistait en une simple boîte percée d’une petite ouverture destinée à recueillir les rayons lumineux émis depuis la scène à imager. Dans certaines conditions, on pouvait observer la formation d’une image nette et inversée de la scène vers laquelle était orientée l’ouverture. Ce dispositif fut ensuite perfectionné par l’ajout de lentilles et de miroir, ce qui en fait l’ancêtre de l’appareil photographique reflex. En photographie justement, l’effet bénéfique de la réduction du diamètre du diaphragme sur la profondeur de champ est bien connu et utilisé pour que des objets situés à des distances différentes soient rendus aussi nets que possible sur le cliché (fig. 10-2). En langage technique, on joue sur l’augmentation du nombre d’ouverture (f-number), qui est le rapport entre la focale utilisée (la focale détermine la largeur du champ de la prise de vue) et le diamètre choisi pour le diaphragme. Pour une focale de 50 mm et une ouverture du diaphragme de 10 mm, le nombre d’ouverture est égal à 50/10 = 5 (noté f:5).



En « fermant » beaucoup le diaphragme (par exemple, f:20), la plage de netteté augmente : les objets ou personnages situés à des distances différentes (plans rapprochés et lointains) sont plus « nets ». Le diaphragme naturel de l’œil est la pupille irienne; chez les patients qui présentent un léger défaut réfractif (faible myopie, faible astigmatisme), on observe souvent qu’un myosis important entraîne une amélioration de l’acuité visuelle non corrigée. La constriction pupillaire permet aux myopes légers (par exemple, – 0,50 D) d’atteindre une acuité visuelle proche de 10/10 en cas de luminosité intense. Pourtant, quand la pupille de ces patients possède un diamètre voisin de 4 mm (ambiance lumineuse « standard »), la tache d’éclairement rétinien est « agrandie » par l’extension en divergence des rayons lumineux qui convergent en avant de la rétine. Ceci réduit la résolution théorique de l’œil à 8/10 environs. En cas d’éclairement intense, le diamètre de la pupille se réduit et ceci limite l’extension du faisceau des rayons défocalisés et, donc, réduit la tache d’éclairement rétinien, ce qui augmente le pouvoir de résolution de l’œil. Lors de l’accommodation, un réflexe de constriction pupillaire survient : cette constriction favorise la vision de près par l’augmentation de la profondeur de champ, mais elle n’est pas suffisante, seule, pour permettre à un sujet presbyte de lire confortablement.


L’insertion d’un dispositif permettant de « diaphragmer » de manière permanente la pupille d’entrée à une valeur de 1,6 mm permet de rendre à l’œil opéré une réduction du flou induit par l’insuffisance d’accommodation (fig. 10-3). Cette idée a présidé au développement d’un implant intracornéen permettant d’atteindre ce but et destiné à être mis en place dans l’œil dominé de sujets emmétropes et presbytes (seul un œil est opéré).




INDICATIONS


Les indications concernent tous les patients presbytes (emmétropes et amétropes) pour lesquels la création d’un capot de LASIK épais (200 µm) est possible, combinée à la réalisation d’une éventuelle photoablation, dont l’importance doit tenir compte de l’épaisseur du capot, pour corriger l’amétropie de loin associée à la presbytie. En effet, une correction par laser à excimères peut être effectuée dans le même temps opératoire, pour corriger le défaut réfractif en vision de loin, avant que l’implant KAMRA® ne soit ensuite placé dans l’interface, centré sur l’axe visuel, et le capot ne soit repositionné. La réfraction idéale pour recevoir l’implant KAMRA® sans photoablation complémentaire est emmétrope ou légèrement myope (0 à – 0,75 D). Chez les sujets emmétropes (ou légèrement myopes : – 0,50 D), l’implant peut être positionné au sein du stroma cornéen grâce à la réalisation d’un tunnel intrastromal réalisé grâce au laser femtoseconde. Ce tunnel est moins pourvoyeur de changement réfractif que la découpe d’un capot stromal épais; ainsi, il est particulièrement indiqué chez le patient emmétrope. Cette voie d’implantation est également prometteuse chez des patients ayant déjà bénéficié d’une chirurgie réfractive cornéenne, en laser de surface ou en LASIK avec un capot d’épaisseur standard. La possibilité d’insertion de l’implant chez des patients opérés de cataracte avec implant monofocal offre également des perspectives intéressantes pour la restauration d’une acuité utile non corrigée en vision de près chez les emmétropes pseudophakes.


L’œil de choix pour recevoir l’implant KAMRA® est l’œil dominé; l’œil adelphe (directeur) peut également faire l’objet d’une correction par LASIK dans le même temps opératoire.


La présence de toute pathologie oculaire associée, en particulier cornéenne ou cristallinienne (dystrophie cornéenne, cataracte), représente une contre-indication potentielle à la pose de l’implant. L’existence d’un désordre immunitaire est également une contre-indication logique à l’implantation intratissulaire. La sécheresse oculaire doit faire l’objet d’une attention particulière : ses manifestations doivent être systématiquement recherchées; la mesure du break-up time et l’utilisation d’un colorant vital peuvent être utiles dans certains cas.



TECHNIQUE OPÉRATOIRE


Comme pour toutes les techniques à visée réfractive, la qualité du centrage est un élément important pour le résultat fonctionnel. Il n’existe pas de méthode courante pour identifier la localisation de l’intersection de l’axe visuel et du dôme cornéen. Elle définit une zone optique fonctionnelle pour laquelle les rayons lumineux contribuent à former une image fovéale de qualité optimale (sans induction trop marquée d’aberrations chromatiques transverses) [12]. Cette zone est généralement centrée sur un point du dôme cornéen situé entre le vertex (reflet cornéen, première image de Purkinje) et la projection du centre pupillaire [23]. L’inspection des images brutes acquise lors d’un examen topographique préopératoire (reflet Placido sur la surface cornéenne antérieure) peut être utile pour apprécier la position du vertex vis-à-vis du centre pupillaire — le vertex correspond alors au reflet de la mire centrale. En peropératoire, le repérage du vertex exige de demander au patient de fixer la lumière du filament du microscope opératoire et que celle-ci soit facilement identifiable et coaxiale au système optique du microscope — le vertex correspond alors à la projection cornéenne du reflet cornéen du filament. La possibilité de recourir au système de visée et de guidage d’un laser à excimères est une alternative possible pour illuminer l’intersection supposée entre la cornée et l’axe visuel. L’utilisation d’un système de guidage peropératoire automatisé est en cours de développement : mis au point par la société SMI (SensoMotoric Instrument) en collaboration avec AcuFocus, l’AcuTarget® permet de mesurer la position du reflet cornéen vis-à-vis du centre de la pupille avant l’intervention puis, au cours de celle-ci, de projeter sur un moniteur ou dans le microscope opératoire une image virtuelle de l’emplacement jugé optimal de l’implant. Ce système permet également de documenter la position de l’implant en post opératoire, notamment pour s’assurer du centrage adéquat en mesurant sa distance vis-à-vis du vertex cornéen et du centre de la pupille (cf. fig. 10-7).



La technique chirurgicale de pose de l’implant KAMRA® sous un volet stromal comporte une première séquence en tous points comparable à celle d’un LASIK avec laser femtoseconde (fig. 10-4). L’épaisseur recommandée pour le capot est 200 µm, afin de permettre un meilleur transfert intrastromal des nutriments de l’endothélium vers l’épithélium sus-jacent. La découpe d’un volet épais ne se conçoit que si la cornée présente des caractéristiques compatibles avec celle-ci et les mêmes précautions qu’en LASIK — topographie et tomographie préopératoire systématique, calcul de l’épaisseur résiduelle du mur postérieur — s’imposent pour éviter la survenue d’une ectasie postopératoire. Toutefois, la chirurgie de la presbytie étant réalisée chez des sujets dans leur cinquième décennie au moins, la fréquence des formes frustes de kératocône est largement inférieure à celle d’une population de jeunes myopes. Une fois l’éventuelle photoablation emmétro-pisante délivrée, l’interface est rincée et le capot stromal repositionné. La réalisation d’une marque circulaire sur le versant épi-thélial du capot est alors conseillée, afin de pouvoir apprécier la position de l’implant KAMRA® en fin d’intervention. Le capot est ensuite délicatement soulevé et l’implant correctement orienté (face mate vers le haut) avant d’être positionné sur le stroma préalablement séché. Après hydratation précautionneuse de la charnière stromale, le capot est délicatement rabattu et le centrage de l’implant vis-à-vis de la marque épithéliale peut être alors vérifié. En cas de centrage imparfait, il est conseillé de soulever à nouveau le capot et de déplacer l’implant dans la direction souhaitée. Un examen à la lampe à fente est effectué au décours de l’intervention, à la recherche d’une malposition et/ou de macroplis du capot.



Le traitement postopératoire comprend l’instillation régulière d’antibiotiques et de stéroïdes locaux en plus de larmes artificielles. Il est recommandé d’instiller un collyre corticoïde (dexa-méthasone) à la posologie de quatre gouttes par jour pendant un mois, puis de deux gouttes par jour le deuxième mois, puis d’une goutte par jour le troisième mois. La pression oculaire fait l’objet d’un suivi précautionneux.


En postopératoire, une surveillance comportant un contrôle à J1, J8, J30 et J60 s’impose. Ce nombre de contrôles est nécessaire du fait de la présence d’un implant dans l’interface, qui accroît le risque inflammatoire comparé à une procédure réfractive simple. La surveillance comprend la mesure de l’acuité visuelle non corrigée de loin, de près, en mono-et binoculaire, ainsi qu’une mesure de la réfraction subjective. L’instillation de larmes artificielles permet de gagner quelques lignes de meilleure acuité visuelle non corrigée et corrigée en cas de sécheresse oculaire. À la lampe à fente, on examine l’interface et l’aspect du stroma cornéen adjacent (fig. 10-5). L’instillation de fluorescéine est indiquée pour l’étude du break-up time et la mise en évidence d’une éventuelle kératite ponctuée superficielle. L’épaisseur du capot, qui correspond à l’épaisseur de l’interface, peut être appréciée grâce à une coupe OCT (fig. 10-6).


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Jun 6, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 10: Lenticules intracornéens

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