Lire à ce sujet Winnicott D. W, « Le rôle de miroir de la mère et de la famille dans le développement de l’enfant », Jeu et réalité, folio essais, Gallimard, 1975.
Toutefois, il se prend pour cet objet (voir Fiche 9, page 154) (son image spéculaire) qu’il voit et qui n’est pas complètement lui, qui ne se confond pas avec l’identité subjective, mais qui constitue seulement un aspect extérieur perçu avec un regard, une pensée qui le déforment forcément. C’est pourquoi l’image du corps est une réalité pour la personne qui peut être différente de ce que voient les autres.
Ces explications montrent bien le mal que peuvent causer des atteintes corporelles sur le narcissisme par le biais d’une image du corps blessée, estropiée.
Exemple clinique d’un infirmier travaillant dans un service de chirurgie réparatrice en cancérologie
Un infirmier qui a travaillé en cancérologie, dans le service de chirurgie réparatrice, me raconte la chose suivante :
«
ne femme d’une cinquantaine d’année, victime d’un cancer au niveau du front, finit par être soignée et guérie de son cancer. Elle subit une greffe du front qui avait été très déformé par la tumeur qu’elle avait eu à cet endroit. On lui greffe un morceau de peau du dos sur le front. La greffe est positive au niveau médical mais esthétiquement ratée aux yeux de la patiente qui se voit comme « Quasimodo », dit qu’elle ne pourra plus jamais sortir de chez elle et qu’elle n’aura « plus jamais de vie » désormais. Elle m’a montré des photos d’elle avant la maladie, elle était bien. Elle ne se ressemblait plus, effectivement. Elle a commencé une grave dépression par la suite. Son chirurgien l’a adressée à un psy. »

Cet exemple met en valeur le fait qu’il ne suffit pas de soigner physiquement, organiquement la personne pour qu’elle aille mieux : le corps estropié de cette femme l’empêche de poursuivre sa vie comme avant. Elle dit bien qu’elle n’aura « plus jamais de vie » alors qu’elle est sauvée de son cancer. Le contrecoup des soins intenses qu’elle a subi, l’infirmité désormais de son schéma corporel portent atteinte narcissiquement à cette patiente : elle souhaite se cacher du regard des autres qui risque d’être un miroir où elle verrait sa déchéance et une image d’elle qu’elle ne supporte plus.
La réflexion de l’infirmier : « Elle m’a montré des photos d’elle avant la maladie, elle ne se ressemblait plus » est intéressante parce qu’elle exprime le fait que sa patiente lui paraît être une autre femme sur ces photos et qu’elle est désormais une étrangère à ses propres yeux à elle ou au regard de ces photos par rapport auxquelles elle n’est plus elle mais une autre qu’elle n’aime pas et rejette (problème narcissique) et avec laquelle elle se voit condamnée à vivre. La dépression vient signer là l’impossibilité du moi (voir Fiche 5, page 149) d’accepter cette image et la nouvelle identité qu’elle impose.
L’identification entre l’image et le moi étant refusée, l’identité étant mise à mal, le moi (voir Fiche 5 , page 149) se déprécie, une grande souffrance morale et un désinvestissement du monde s’ensuivent. Le sujet doit renoncer à l’image de lui qu’il s’était construite jusqu’alors et cela nécessite un accompagnement psychologique sérieux. Certaines personnes peuvent commettre des passages à l’acte tel que le suicide si elles vivent leur corps comme un objet extérieur horrible dont elles ne peuvent se débarrasser qu’en mettant fin à leur jour.
Le rôle de l’infirmier est de sensibiliser l’équipe à l’importance de l’esthétique du corps, de sa propreté, dans les soins dispensés. Tout ce que la personne a mis en place jusque-là pour s’accepter et s’aimer mérite une attention respectueuse. Sans compter que certaines personnes très fragiles, voire psychotiques ou aux pathologies narcissiques sévères, peuvent ne jamais se remettre d’une atteinte à un corps qu’elles ont déjà beaucoup de mal à accepter par rapport à leur histoire et à ce qu’elles ont vécu.
La chirurgie esthétique nécessite, de manière générale, une grande prudence puisqu’elle transforme le corps. Or, s’assurer que la demande de la personne concerne bien une véritable retouche sur le corps réel et non un problème psychologique à assumer son corps, semble nécessaire.
◗ Le corps chez le sujet âgé
Dans le cas de la personne âgée qui voit son corps changer, se modifier, qui perd petit à petit ses capacités physiques, l’infirmier a un rôle à jouer pour veiller à la conservation de la bonne santé narcissique de ses patients à travers les soins corporels esthétiques et médicaux. Le corps du sujet âgé n’est parfois plus séduisant à regarder. Parfois, c’est même le dégoût qu’il inspire aux infirmiers débutants. C’est une réalité qui peut être dépassée par le fait, pour l’infirmier, de se dire qu’il a une place et un rôle primordial à tenir dans la sauvegarde, pour ce patient, d’une image de lui qui, malgré les problèmes de santé d’un corps vieillissant, reste vivante, agréable à regarder. C’est le regard des soignants et leur considération qui donnera envie au sujet âgé de prendre soin de lui et de les aider dans cette tâche. Une personne âgée qui n’aide plus à sa toilette, par exemple, est peut-être une personne qui n’est plus perçue, consciemment ou inconsciemment, que comme un fardeau pour l’équipe.

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