10: La thérapie groupale dans les souffrances narcissico-identitaires

Chapitre 10 La thérapie groupale dans les souffrances narcissico-identitaires


Après plusieurs années d’expériences thérapeutiques avec les patients narcissiques identitaires, il nous apparaît que l’approche la plus révélatrice, au sens photographique du terme, des processus psychiques inconscients à l’œuvre avec ces patients est la thérapie groupale. La fonction groupale dans le champ psychothérapique condense plusieurs avantages.



Les fonctions du groupe


Nous avons évoqué par ailleurs la dimension centrale de la fonction de rassemblement dans la psychothérapie par rapport à la faiblesse de synthèse des capacités du moi qui laisse les différents états émotionnels du moi désintriqués. Le groupe remplit déjà par essence cette fonction de rassemblement. Il est particulièrement indiqué dans les thérapies des patients narcissiques identitaires lorsque le clivage corps-psyché est à l’œuvre, ainsi que toutes les conséquences inhérentes à ce clivage : clivage passé-présent, dedans-dehors, espace-temps, moi-affect.


Cette fonction de rassemblement par l’intermédiaire du groupe est une fonction essentielle même si nous le verrons plus loin, le rassemblement ne se fait pas d’emblée, mais qu’il est l’objectif à atteindre.


L’autre fonction du groupe, c’est la fonction réfléchissante qu’il favorise pour les sujets dépendants psychiquement.


Le groupe dans ce cas réunit des sujets qui ressentent un sentiment de solitude par rapport à leur symptomatologie. Sentiment qui s’appuie sur la conviction que personne ne peut comprendre ce qu’ils ressentent individuellement sauf une personne qui aurait vécu la même expérience.


Comme nous l’avons déjà évoqué, ces pathologies de la dépendance présentent une identification narcissique à l’environnement en écho de ce que le sujet ne se représente pas de lui-même. Cette fonction réfléchissante groupale peut favoriser un processus échoïsant de l’état émotionnel que le sujet ne reconnaît pas à l’intérieur de lui mais qu’il peut être amené à percevoir sur autrui. Le transfert, dans ce cas, entre les différents participants du groupe, se manifeste à travers deux processus d’échoïsation et de projection.


Certains auteurs évoquent le processus « d’identification projective » à l’œuvre dans ces pathologies.


En tout état de cause, une des toutes premières étapes que la fonction groupale doit permettre de dépasser, c’est celle de la sortie du déni de la symptomatologie dans laquelle sont enfermés ces patients. Sortie qui doit passer par la perception projetée sur autrui des états émotionnels du soi qui s’échoïsent dans le sujet, du fait de l’identification narcissique à l’environnement.


Cette première étape s’appuie sur la constatation de l’identique comportemental et corporel.


Une des fonctions essentielles du groupe c’est sa propension à favoriser les échanges émotionnels et la polysémie des langages corporels. La multiplicité des canaux langagiers va pouvoir faire l’objet d’un travail de synthèse de la part des thérapeutes. Trois temps fondamentaux sont repérables à l’intérieur du groupe :



Cette phase de lâcher prise s’articule avec un temps fondamental du devenir conscient et celui de l’avènement d’un transfert proprement dit.


Il devient possible d’élaborer, par exemple en ce qui concerne les anorexiques, l’idée que l’hôpital qui est vécu comme une prison est une projection de l’emprisonnement interne que le sujet ressent dans son corps aux prises avec la restriction.


Mais le lâcher prise et le devenir conscient présentent des risques car ils reconvoquent l’angoisse de la non-assignation et de la perte d’identité.


Le rôle des thérapeutes est essentiel pour qu’une continuité de penser soit possible en recontextualisant l’angoisse qui se présentifie, en la réinscrivant avec le sujet dans son histoire passée.


Le changement psychique passe en général par un travail de prise de conscience (le devenir conscient). S. Freud nous dit : « Là où était le ça le moi doit advenir. » C’est le principe de tout travail psychothérapeutique. Le moi qui a dû refouler une représentation inconciliable doit peu à peu prendre conscience de cette représentation qui était aux prises d’un côté avec la pulsion et de l’autre avec la censure. Dans le cas particulier de l’anorexie, se rajoute une complexité du fait du clivage corps/psyché et du clivage entre le moi et les affects concernés par des expériences traumatiques.


On a donc un moi scindé entre une partie saine et une partie souffrante, mais la partie saine s’est mise au service de la partie souffrante et s’est complètement assujettie à sa souffrance. Ce qui donne une pseudo théorie cohérente du sujet. Réflexion qui peut donner le change car elle s’appuie sur des éléments de réalité quelquefois difficiles à contourner : « À partir de maintenant, je vais manger sainement » (justification de la restriction), comme nous le dit une anorexique.


Ceci pour expliquer la difficulté que nous pouvons rencontrer avec les patients anorexiques : si le sujet est clivé quand nous intervenons, à quelle partie clivée du moi va s’adresser l’intervention ou l’interprétation ?


Deuxième difficulté, le devenir conscient passe par la prise de conscience de ce qui s’est constitué en après-coup dans l’expérience adolescente du sujet. Or, chez les anorexiques, la notion d’après-coup reste encore à élaborer. Elle ne s’est pas produite dans la réalité psychique du sujet. L’après-coup est une reprise dans la sexualité secondaire adolescente d’une expérience sexuelle primaire. Dans l’anorexie, ce processus est contrarié. Sa dégradation se manifeste lors de la puberté (le choc pubertaire). Si bien que le travail thérapeutique va se trouver confronté à l’expression du trauma de manière directe et sans refoulement secondaire de l’expérience sexuelle primaire. C’est la symbolisation tertiaire qui doit permettre au sujet de symboliser l’inceste pour qu’il ne se réalise pas. Généralement l’adolescent symbolise l’inceste rendu désormais réalisable pour qu’il n’ait pas lieu. Il doit alors abandonner la bisexualité psychique pour s’identifier dans son identité sexuée (fille ou garçon).


Cette étape adolescente fait suite à la phase de latence au cours de laquelle l’enfant latent symbolise l’inceste qu’il ne peut et ne doit pas réaliser. Il le sublime tout en conservant la bisexualité psychique.


Ce qui vient d’être dit précédemment ouvre à la question de la sexualité infantile adossée à l’après-coup. On évoque à ce sujet la notion de « diphasisme ». À une expérience sexuelle infantile vient s’associer dans l’après-coup adolescent, la réactualisation d’une expérience sexuelle secondaire, le symptôme surgissant de cette mise en tension.


À ce dispositif métapsychologique classique, certains auteurs et notamment R. Roussillon (2008), proposent d’associer une autre dimension plus précoce qui en constituerait le soubassement. Il s’agit de penser un « triphasisme » avec les relevés des expériences précoces, éventuellement traumatiques et susceptibles de conditionner les modalités ultérieures de la sexualité. À partir d’une différenciation moi/non moi mal établie, l’incidence sur la castration est majeure, elle entraîne une altération de la différence des sexes et des générations. Dans ces conditions, on assiste à une castration non symboligène.


Cet énoncé propre aux anorexiques concerne à notre avis l’ensemble des pathologies de la dépendance psychique.


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May 4, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 10: La thérapie groupale dans les souffrances narcissico-identitaires

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