10: Fractures trochantériennes : vis à compression coulissante (sliding hip screw)

10 Fractures trochantériennes : vis à compression coulissante (sliding hip screw)




Traduction : Bertrand Lagrave


Les fractures intertrochantériennes, appelées trochantériennes dans la classification de l’Arbeitsgemeinschaft für Osteosynthesefragen/Orthopaedic Trauma Association (AO/OTA), font partie des fractures de la hanche les plus fréquentes. L’âge moyen des patients est de 78 ans, les trois quarts d’entre eux étant du sexe féminin1. L’objectif principal du traitement des fractures trochantériennes est d’obtenir une consolidation osseuse rapide et stable dans la meilleure position anatomique possible. C’est le pré-requis pour permettre aux patients de retrouver leur niveau d’activité dans la vie quotidienne précédant l’accident. À part quelques exceptions, les fractures trochantériennes sont traitées par fixation interne. Un des matériels les plus utilisés est la vis à compression coulissante (sliding hip screw [SHS]).



Historique


Robert Danis, en 1934, fut le premier à concevoir un implant dynamique pour la stabilisation des fractures du col fémoral (fig. 10-1), même s’il ne l’a jamais utilisé en pratique2. Ernst Pohl, qui avait collaboré avec Gerhard Küntscher, breveta la première vis coulissante en Allemagne en 19513. Le brevet fut reconnu aux États-Unis en 1952. Cet implant consistait en une plaque latérale à deux orifices avec une angulation plaque–canon de 135°. Schumpelick et Jantzen publièrent leur première expérience d’utilisation de cet implant en 19534 dans la littérature allemande puis en 1955 dans la littérature anglaise5.



Également en 1955, Willis L. Pugh développa un implant similaire avec un clou à trois bords au lieu de la vis coulissante6. En 1957, John Charnley et al. introduisirent une vis coulissante hautement sophistiquée à 120° dynamique pour les fractures intracapsulaires du col du fémur7. Cependant, l’AO/Association for Study of Internal Fixation (ASIF), fondée en 1958, préféra les lames-plaques angulées pour le traitement des fractures trochantériennes, une préférence qui freina le développement des implants extramédullaires dynamiques en Europe jusque dans les années 1970.


Aux États-Unis, l’implant de Pohl poussa la compagnie Richards, à la fin des années 1950, à développer un implant dynamique, connu plus tard sous le nom de vis de hanche classique de Richards, avec une angulation plaque–canon de 135 et 150°. D. Kay Clawson, pionnier dans l’utilisation de ce matériel, l’adopta en 1959, et en publia les premiers résultats en 19648.


À la fin des années 1960, le traitement chirurgical des fractures trochantériennes subit une crise. Il devint évident que les implants existants, tels que le clou Jewett ou la lame-plaque 130° de l’AO, étaient associés à un fort taux d’échec mécanique911. Comme alternative, des reconstructions non anatomiques de différents types furent proposés, fondées sur les principes de résection de la zone comminutive, la translation médiale de la diaphyse fémorale, et la réduction en valgus du fragment proximal911.


À la fin des années 1970, l’enclouage condylocéphalique d’Ender devint populaire à travers le monde12,13. À la fin des années 1980, cependant, il devint évident que l’enclouage d’Ender était aussi entaché d’un fort taux de complications, et la technique fut peu à peu abandonnée. À cette époque, la SHS gagna de plus en plus de terrain, et devint un implant standard dans le traitement des fractures trochantériennes1419. Les bénéfices de la SHS furent finalement reconnus, et l’AO/ASIF mit au point sa propre construction de l’implant, incluant la plaque de support trochantérienne20.


Au début des années 1990, la SHS fut mise en compétition avec le premier implant intramédullaire utilisé de façon globale pour les fractures trochantériennes, le clou Gamma™, suivi d’autres enclouages centromédullaires de hanche (ECMH). Ces avancées déclenchèrent de nombreuses études comparant les forces et faiblesses des implants extramédullaires et intramédullaires. Bien que la question n’ait pas été entièrement résolue, certains auteurs préfèrent l’ECMH dans les fractures pertrochantériennes instables (AO/OTA 31A2) et recommandent la SHS seulement dans les fractures pertrochantériennes stables (AO/OTA 31A1). Dans les fractures intertrochantériennes (31A3), l’utilisation de l’ECMH est recommandée, bien que la SHS soit encore utilisée assez fréquemment21,22.



Construction et biomécanique


Le principe de construction de la SHS est de permettre une impaction contrôlée des fragments, de rétablir un contact cortical interne, d’améliorer la stabilité de la fixation des fractures, et ainsi d’améliorer les conditions de consolidation. Actuellement, la SHS est disponible dans diverses configurations par différents constructeurs. La SHS standard présente une angulation plaque–canon de 135° et une plaque latérale à quatre trous. D’autres options offrent des plaques latérales avec une angulation plaque–canon de 130, 140, 145 et 150°. Le nombre de trous dans la plaque latérale va de 2 à 16. Le canon de la plaque latérale est disponible dans différentes longueurs, et le dessin du filetage de la vis coulissante varie.


Les études cliniques et biomécaniques ont démontré que les caractéristiques de glissement de la SHS sont influencées par l’angle plaque–canon, la longueur du canon et la longueur de la vis coulissante2329. Plus l’angle vis–plaque augmente et plus la charge nécessaire pour initier le coulissage diminue, plus l’impaction des fragments est fiable. Un angle plaque–canon plus élevé réduit les forces de ploiement transmises depuis la tête fémorale à la vis coulissante, mais au même moment les forces de compression augmentent, menant à l’impaction des fragments. Cette impaction se produit toujours à l’angle vis–plaque, plus qu’à l’angle col–diaphyse des fragments réduits. Les forces de contact entre le canon et la vis augmentent lorsque la quantité d’engagement de la vis diminue simultanément. Plus la longueur de vis hors du canon augmente, ou plus la longueur du canon diminue, plus il y a de résistance au coulissage et plus le potentiel de perturbation augmente. Cela signifie que, pendant l’intervention chirurgicale, il est nécessaire de contrôler la quantité de vis engagée dans le canon. Un faible contact implique un risque de perturbation accru (fig. 10-2). La capacité maximale de coulissage d’une SHS est limitée par la longueur de vis coulissante entre le canon et le filetage de la vis (fig. 10-3). L’expérience clinique a montré que les problèmes du mécanisme de glissement se produisent très rarement avec la SHS, presque toujours lorsque l’engagement de la vis dans le canon est inadéquat30.




La procédure standard est d’utiliser quatre vis corticales pour solidariser la plaque latérale à la diaphyse fémorale. Selon l’étude biomécanique conduite par Yian et al.31, trois vis sont suffisantes. McLoughlin et al. ont recommandé l’utilisation de deux vis seulement32 (fig. 10-4), une recommandation soutenue par des études cliniques3337. Le bénéfice d’une plaque latérale à deux trous est un abord moins invasif, une durée opératoire plus courte, et un risque moindre de lésions des vaisseaux fémoraux37.




Indications


Dans le traitement chirurgical des fractures trochantériennes, le choix repose sur deux types d’implants basiques : extramédullaires et intramédullaires. Ce choix dépend du type de fracture et des caractéristiques biomécaniques des implants.



Classification des fractures trochantériennes


La terminologie des fractures du segment trochantérien prête à beaucoup de confusion, et les classifications originales sont souvent mal interprétées38,39. Les classifications d’Evans40, de Boyd et Griffin41, Boyd et Anderson42, Jensen43, de l’AO/ASIF44 et de l’OTA45 se réfèrent à ces lésions par le terme fractures trochantériennes. Kyle et al.46 et ceux qui les ont suivis utilisent le terme fractures intertrochantériennes. L’avantage des classifications d’Evans, de l’AO/ASIF et de l’OTA, par rapport aux autres systèmes de classification, est de faire la distinction entre deux groupes de base de fractures trochantériennes (c’est-à-dire fractures pertrochantériennes [31A1 et 31A2] et intertrochantériennes [31A3]) qui ont des caractéristiques et des besoins thérapeutiques différents47.


Les fractures pertrochantériennes (31A1 et 31A2) sont caractérisées par le passage du trait de fracture principal depuis le grand trochanter obliquement et inféromédialement vers le petit trochanter. De plus, dans les fractures instables, un fragment postérieur plat est avulsé en emportant la partie postérieure du grand trochanter, la ligne intertrochantérienne et le petit trochanter. Il en résulte que la seule partie restante du grand trochanter sur le fragment diaphysaire est une écaille d’os corticale portant l’attache du muscle vaste latéral. Le fragment proximal dans les fractures pertrochantériennes instables est formé seulement par le col et la tête du fémur. Aucune attache musculaire n’est présente, et la réduction de la fracture est facile, mis à part quelques exceptions. La fixation solide d’un implant dans le fragment proximal n’est faisable que dans l’os subchondral de la tête fémorale. Dans les implants dynamiques, la compression des deux fragments principaux (c’est-à-dire le fragment cervicocéphalique et le fragment diaphysaire) se produit dans l’axe de la vis coulissante (fig. 10-5).



Les fractures intertrochantériennes (31A3) sont également nommées fractures intertrochantériennes inverses, intertrochantériennes obliques inverses, subtrochantériennes hautes, et subtrochantériennes. Le trait de fracture passe depuis la base du grand trochanter obliquement et proximomédialement, ou est en forme de V inversé. Le fragment proximal est formé par la tête et le col fémoral et le grand trochanter, incluant l’attache du muscle vaste latéral. On trouve attachés à ce fragment les muscles moyen et grand fessiers, le muscle vaste latéral, et parfois le muscle iliopsoas. Pour cette raison, la réduction de la fracture peut parfois être source de problèmes. Le stock osseux servant à l’ancrage d’un ECMH dans le fragment proximal est formé par l’os subchondral de la tête fémorale, le sommet du grand trochanter, et souvent par la corticale latérale du fragment proximal. La compression des fragments principaux le long de l’axe de la diaphyse fémorale (c’est-à-dire dans l’axe de l’ECMH) est importante pour la consolidation des fractures intertrochantériennes (31A3) (fig. 10-6). La SHS ne fournit pas cette compression.




Pertinence clinique


Dans les fractures intertrochantériennes (31A3), l’utilisation de l’ECMH est de plus en plus préférée4854. Dans les fractures pertrochantériennes stables (31A1), les complications mécaniques sont rares. Les plus problématiques sont les fractures pertrochantériennes instables (31A2).



Révision du concept d’instabilité des fractures pertrochantériennes


Une cause traditionnellement rapportée d’instabilité des fractures pertrochantériennes est le défect cortical médial39,55. L’expérience de Bartoníček et al., fondée sur 19 spécimens postmortem de fractures pertrochantériennes, est différente (fig. 10-7)56. Ces auteurs n’ont retrouvé aucun défect cortical médial dans les fractures instables. L’instabilité était, dans tous les cas, causée par l’avulsion du fragment cortical postérieur triangulaire plat formé par la partie postérieure du grand trochanter, la crête intertrochantérienne, et une partie du petit trochanter. L’analyse par imagerie par résonance magnétique (IRM) de fractures pertrochantériennes occultes a révélé que l’avulsion du fragment postérieur commence avant le trait de fracture primaire, passant en médiodistal depuis le grand trochanter, pour atteindre le petit trochanter56 (fig. 10-8). Le fragment postérieur est souvent séparé en une portion supérolatérale portant le grand trochanter et une portion inféromédiale portant le petit trochanter. La seule partie de grand trochanter qui reste attachée est une fine écaille de corticale latérale. Sur la surface médiale du segment trochantérien, les traits de fractures convergent en une jonction en forme de Y, qui rend la réduction anatomique de l’écaille corticale médiale instable.


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Figure 10-7 Anatomie d’une fracture pertrochantérienne. A. Radiographiquement, la fracture semble stable, peu déplacée, à trois fragments (tête et col du fémur, diaphyse, et petit trochanter). B. Après fixation interne, le petit trochanter peu déplacé est visible. C. Une vue antérieure postmortem de cette fracture montre trois fragments principaux : col et tête du fémur, diaphyse, et crête intertrochantérienne avec grand et petit trochanters. C’est le trajet typique du trait de fracture principal. D. La vue postérieure montre le fragment postérieur et le trajet du trait de fracture secondaire, qui sépare le fragment postérieur. E. Détail de la surface externe du « troisième » fragment plat postérieur ; un trait de fracture tertiaire sépare le sommet du grand trochanter. F. La surface interne du « troisième » fragment postérieur. G. Face postérieure de la fracture après ablation du fragment postérieur ; la compression de l’os spongieux et le trajet des traits de fractures primaire et secondaire sont visibles. H. Trois fragments principaux séparés de la face postérieure ; noter l’écaille trochantérienne typique du fragment distal (diaphysaire). I. La face médiale de la fracture montre la forme en Y typique des traits de fracture primaire et secondaire ; la corticale médiale est intègre. J. La face latérale de la fracture : l’écaille trochantérienne porte la crête du muscle vaste latéral, et le trait de fracture principal sépare la partie postérieure du grand trochanter, qui est une partie du fragment postérieur.



Lorsqu’une fracture trochantérienne instable est stabilisée par un implant dynamique, la diaphyse fémorale tend à se déplacer médialement. Cette situation se produit en premier dans les fractures pertrochantériennes instables (31A2). La base du col fémoral n’a pas de support valable médial qui pourrait empêcher l’impaction des fragments. La corticale inféromédiale du col fémoral glisse dans le canal médullaire, et au même instant la partie proximolatérale de la base du col fémoral s’appuie contre le grand trochanter. La fine écaille de corticale latérale restante du grand trochanter dans la plupart des fractures pertrochantériennes instables est aisément fracturée et ne peut s’opposer à l’impaction progressive des fragments (voir fig. 10-5C).


L’importance du mur latéral dans la prévention de la perte du contact cortical médial a été décrite par plusieurs auteurs5760. Les résultats de l’impaction sont un déplacement médial de la diaphyse fémorale et une perte du support cortical médial. Ces changements augmentent le risque d’angulation en varus et d’échec mécanique de la fixation.



Comparaison entre vissage à compression coulissante (SHS) et enclouage centromédullaire


Le choix entre SHS et ECMH pour le traitement chirurgical des fractures trochantériennes requiert une connaissance approfondie des forces et faiblesses de chaque implant.



Biomécanique


La force principale de l’ECMH, comparativement à la SHS, est le bras de levier plus court, permettant de réduire les contraintes sur l’implant. Cette propriété ne s’applique cependant qu’à la fixation des implants dans le fragment distal. En ce qui concerne la fixation dans le fragment proximal, il n’y a pas de différences entre SHS et ECMH dans les fractures pertrochantériennes (31A1 et 31A2). La charge pondérale appliquée à la tête fémorale est la même que ce soit avec la SHS ou l’ECMH (fig. 10-9). La charge est transmise à la pointe de la vis céphalique. L’interface entre la vis et l’os de la tête fémorale est un point critique du montage entier. La fixation entre l’implant et le fragment diaphysaire est, à part quelques exceptions, habituellement plus stable. Les forces de flexion s’appliquant à la tête et au col du fémur dépendent de l’angle cervicodiaphysaire. Plus cet angle augmente, plus les forces de flexion diminuent61. L’angle maximal dans la plupart des ECMH est de 135°. La plaque latérale de la SHS offre un choix plus large de 140, 145 et 150°. Ainsi, une plus grande réduction en valgus, respectant la relation entre l’angle de réduction et l’angle de l’implant, n’est possible qu’avec la SHS.



La SHS n’est fixée au fragment proximal que par une vis céphalique coulissante. Avec certains ECMH, il est possible d’utiliser une combinaison de vis céphalique et de broche antirotation, ou de deux vis céphaliques. Des études biomécaniques62, tout comme l’expérience clinique, ont montré que la fixation par deux vis céphaliques est plus sûre que la fixation n’en utilisant qu’une seule. Dans la SHS, la longueur du canon du mécanisme de glissement est plus grande que dans l’ECMH, dans lequel cette longueur est déterminée par le diamètre de la partie proximale (corps) du clou.


Au niveau du foyer de fracture, l’ECMH évite un déplacement médial significatif de la diaphyse fémorale. Le corps du clou fournit un support à la base du col fémoral et limite ainsi l’impaction des fragments (fig. 10-10). La SHS n’a pas de tel mécanisme ; par sa position, la plaque de support trochantérienne exerce un contrôle bien moindre de l’impaction63 (voir chapitre 12).



La fixation du fragment distal est bien plus stable avec l’ECMH qu’avec la SHS. Lorsque le trait de fracture s’étend jusqu’à la diaphyse fémorale, la SHS nécessite une plaque plus longue, et en conséquence une exposition plus étendue.

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Jul 2, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 10: Fractures trochantériennes : vis à compression coulissante (sliding hip screw)

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