10: Fractures du rachis enraidi

Chapitre 10 Fractures du rachis enraidi



En accidentologie (de la circulation, du travail, du sport), les lésions traumatiques sont généralement secondaires à des mécanismes à haute énergie et surviennent en très grande majorité sur des vertèbres saines. Un deuxième grand chapitre de la traumatologie rachidienne concerne les fractures pathologiques (lésions survenant sur une vertèbre fragilisée) : il s’agit avant tout des tassements de l’ostéoporose, puis des tassements tumoraux (métastases, myélome), beaucoup plus rarement d’autres étiologies comme le granulome éosinophile, l’hyperparathyroïdie, la maladie de Paget. Ces complications fracturaires sont souvent secondaires à des traumatismes mineurs et même parfois tout à fait spontanées. Un troisième groupe de fractures vertébrales est représenté par les lésions traumatiques survenant sur un rachis enraidi. Il s’agit avant tout de la spondylarthrite ankylosante dont les complications fracturaires aux phases évoluées sont connues depuis plusieurs décennies. Plus récemment, de nombreuses études ont démontré que la maladie de Forestier ou hyperostose squelettique diffuse idiopathique (ou DISH – diffuse idiopathic skeletal hyperostosis) pouvait entraîner le même type de complications. On peut enfin intégrer dans ce groupe les lésions traumatiques du rachis cervical du sujet âgé dont la présentation clinique, les circonstances étiologiques, les complications, les problèmes diagnostics et thérapeutiques sont très proches.



Complications fracturaires de la spondylarthrite ankylosante


La spondylarthrite ankylosante (SA) est une enthésite ossifiante touchant les articulations sacro-iliaques, les articulations axiales et périphériques mais surtout le rachis avec atteinte de la jonction discovertébrale, des ligaments périvertébraux, des articulations zygapohysaires et costotransversaires. L’insertion osseuse des fibres périphériques de l’annulus fibreux réalise une enthèse. Son atteinte inflammatoire détermine initialement une lyse du coin vertébral (mise au carré ou squaring), puis des phénomènes ossifiants du tissu spongieux vertébral, des fibres périphériques de l’annulus fibreux et des ligaments périvertébraux (syndesmophytes, puis ossification intersomatique). Dans les formes évoluées de la SA, il peut exister une ossification du ligament longitudinal antérieur et des fibres périphériques de l’annulus fibreux, une ankylose des articulations zygapophysaires, parfois une ossification du ligament longitudinal postérieur, du ligament jaune, des ligaments inter- et supra-épineux.



Causes des fractures vertébrales de la spondylarthrite ankylosante


Dans la SA, le rachis est fragile, d’une part en raison de l’ostéoporose associée à l’affection, d’autre part en raison des conditions biomécaniques liées à la rigidité vertébrale. Le risque de fracture liée aux altérations que nous allons décrire est 6 à 7 fois supérieur à celui d’une population témoin.





Atteinte discale


Un troisième facteur, plus accessoire, intervient dans les mécanismes de ces fractures : l’atteinte discale. Dans la SA, le disque intervertébral n’est pas épargné, il subit une dégradation fonctionnelle, perd son élasticité. Une métaphyse chondroïde est responsable d’une fragilité accrue : le disque peut dès lors se révéler le maillon faible du rachis. Dans les SA très évoluées, tout le disque intervertébral peut s’ossifier ; du fait de l’ostéoporose marquée, le corps vertébral peut se révéler plus fragile que le disque. Ces considérations peuvent expliquer dans une certaine mesure que les fractures transvertébrales surviennent préférentiellement à travers l’espace discal dans les phases relativement moins évoluées de la maladie et plutôt à travers le corps vertébral dans les formes très avancées.


Concernant l’atteinte discale deux considérations annexes méritent d’être signalées. On observe assez souvent, chez les patients très jeunes et à des phases précoces de l’affection, l’apparition de pincements discaux marqués et étagés qui ne peuvent s’expliquer par de simples discopathies dégénératives ; il s’agit là d’un autre témoin de l’atteinte discale au cours de la SA. Le second point concerne les éventuelles calcifications discales. Leur présence peut se révéler intéressante en IRM : quand elles sont très fines, elles peuvent être responsables d’un hypersignal discal sur les séquences pondérées en T1; ce signe oriente vers un bloc vertébral et peut se révéler utile si le diagnostic d’affection ankylosante n’est pas connu au moment de la réalisation de l’examen.



Aspects des complications fracturaires de la spondylarthrite ankylosante


La première possibilité, nous l’avons vu, est celle de simples tassements ostéoporotiques pouvant survenir dès les phases précoces de la maladie (voir fig. 10.1). Aux stades évolués, ils peuvent toucher des segments rachidiens épargnés par l’ankylose. Leurs signes cliniques et radiographiques sont tout à fait superposables à ceux des tassements ostéoporotiques communs.


Dans les SA évoluées, comme chez le sujet âgé en général, une circonstance fréquente et grave est constituée par la fracture de C2 et en particulier de l’apophyse odontoïde, que le rachis cervical soit par ailleurs fusionné ou non. Il faut y penser de principe en cas de cervicalgies aiguës, a fortiori s’il y a une notion de traumatisme.


Mais ce qui fait la particularité des formes évoluées de SA avec ankylose rachidienne est la survenue de fractures transvertébrales. Fragilité des patients, gravités des lésions, difficultés du diagnostic et de la prise en charge sont les caractéristiques essentielles de ces fractures.


Quand on parcourt l’abondante littérature consacrée ces dernières années aux fractures transvertébrales de la SA, on n’a pas toujours l’impression qu’il s’agit d’une seule et même entité. En effet, dans certaines séries, il s’agit d’une circonstance pathologique majeure avec un taux de mortalité très élevé, une morbidité considérable avec de fréquentes séquelles neurologiques et la localisation de loin la plus fréquente est cervicale inférieure. Dans d’autres études, s’il peut certes s’agir d’un accident dramatique, l’accent est mis sur le problème diagnostic de dorsolombalgies devant un tableau de discopathie atypique évoluant souvent sur des mois ou des années et la localisation élective concerne la jonction dorsolombaire. Cette différence de présentation clinique et radiologique est en fait liée à un recrutement différent des patients. Les premières séries concernent des patients vus en service d’urgence pour un traumatisme ou une symptomatologie aiguë. Les seconds sont des séries « rhumatologiques » où les patients sont vus en dehors de l’urgence, essentiellement pour des dorsolombalgies chroniques ; il s’agit à ce stade de lésions de pseudarthrose de fracture transversale (fig. 10.2) [1].




Formes aiguës des fractures transversales de la spondylarthrite ankylosante


Ce sont des fractures graves pouvant entraîner des complications neurologiques sévères. Elles constituent souvent un tournant évolutif de la maladie. Elles surviennent sur un rachis ankylosé donc à une phase tardive de l’affection, généralement après une vingtaine d’années d’évolution. L’âge moyen de survenue sur de grandes séries est de 59 ans [2].


La localisation cervicale est de loin la plus fréquente, environ 80 % des cas : elle intéresse surtout le rachis cervical inférieur et la jonction cervicodorsale ; le mécanisme en est très habituellement un traumatisme en hyperextension (voir fig. 3.15). Moins fréquentes sont les localisations dorsale inférieure (T9 à T12 : 12 % des cas) et lombaire inférieure (8 %). Quand le segment ankylosé est relativement long, la fracture survient généralement à travers le segment fusionné ; la jonction cervicothoracique apparaît particulièrement vulnérable. Au contraire, quand le rachis n’est que partiellement fusionné, la fracture se voit plutôt à la jonction entre le segment mobile et le segment ankylosé (fig. 10.3). Le long bras de levier constitué par l’ankylose concentre les contraintes à son extrémité expliquant la localisation fracturaire : c’est le cas en particulier pour les lésions de l’apophyse odontoïde.



Ces fractures traversent d’avant en arrière l’ensemble des structures rachidiennes. Classiquement, on considérait qu’en avant le trait de fracture était plus souvent transdiscal (fig. 10.4) que transcorporéal (fig. 10.5) ; en fait, l’analyse de grandes séries montre une proportion sensiblement équivalente des deux localisations [2]. Les structures ligamentaires sont généralement rompues (ligaments longitudinal antérieur, longitudinal postérieur, interépineux). En arrière, les lésions fracturaires intéressent l’arc postérieur et passent par les lames, les régions isthmiques, les massifs articulaires.




Un certain nombre de ces fractures surviennent à l’occasion de traumatismes violents : accident de la voie publique, chute dans un escalier. Ces patients sont admis d’emblée en milieu chirurgical. Le bilan diagnostic à la recherche de lésions fracturaires et le traitement sont rapidement mis en route. Mais la grande majorité des fractures transvertébrales surviennent à l’occasion de traumatismes mineurs : chute de sa hauteur, d’une chaise, d’un lit ; faux mouvement. Plusieurs facteurs contribuent à mésestimer la gravité des lésions : le caractère minime du traumatisme peut faussement rassurer (le malade et le médecin) et ne pas faire évoquer d’emblée une fracture ; la douleur fracturaire n’est pas toujours identifiée par le malade par rapport à une douleur rachidienne préexistante ; quelques patients n’ont même aucun souvenir de traumatisme et d’autres enfin n’ont conscience d’aucun symptôme de fracture jusqu’à l’apparition aiguë de troubles neurologiques.


La gravité de ces fractures tient à deux facteurs : d’une part, leur caractère très instable avec fréquemment des complications neurologiques, d’emblée ou secondairement ; d’autre part, l’âge et l’état général souvent précaire de ces patients avec en particulier une insuffisance respiratoire. Westerwald [3] dans sa revue de la littérature de 2008 concernant 345 cas de fractures transversales au cours de la SA retrouve un taux de mortalité de 18 % dans les 3 mois suivant l’épisode traumatique. Les causes habituelles de décès sont liées à une insuffisance respiratoire secondaire à une pneumopathie d’inhalation, une infection postopératoire, une thrombose veineuse profonde avec embolie pulmonaire. Une cause de mortalité plus rare est représentée par l’atteinte aortique. L’aortite est une complication connue de la SA avec prolifération intimale et fibrose adventitielle. Du fait des phénomènes inflammatoires, l’aorte peut devenir très adhérente au ligament longitudinal antérieur et subir de ce fait des forces de cisaillement lors de la dislocation vertébrale.


Les complications neurologiques sont fréquentes du fait du caractère souvent déplacé de ces fractures [2, 4, 5]. Elles peuvent survenir dans un délai variable par rapport au traumatisme :



Tout patient souffrant d’ankylose vertébrale sur SA qui se plaint d’un nouveau symptôme cervical ou dorsal, avec ou sans traumatisme, avec ou sans déficit neurologique, doit être traité comme s’il était porteur d’une fracture instable du rachis jusqu’à preuve du contraire : les transferts et manipulations doivent être réduits au minimum et, quand réfléchis, être effectués avec les plus extrêmes précautions. Il importe d’éviter les actes inutiles, d’aller d’emblée à l’examen performant à la suite d’un raisonnement individuel pour chaque patient.


Se pose ainsi le problème des radiographies standard. Elles visualisent bien certaines fractures, en particulier cervicales ; un signe précieux à ce niveau est la fracture d’une apophyse épineuse, souvent bien visible : elle coexiste pratiquement toujours avec une fracture transvertébrale qui doit être recherchée au même niveau ou aux niveaux immédiatement sus- ou sous-jacents. Mais beaucoup de lésions fracturaires échappent aux radiographies conventionnelles, en particulier au niveau de la jonction cervicodorsale. Par ailleurs la cyphose, l’ostéoporose, les ossifications ligamentaires limitent beaucoup l’interprétation.


L’examen scanographique visualise au mieux ces fractures transvertébrales. Il faut examiner le rachis en entier depuis la charnière cervico-occipitale jusqu’en L2 au moins. Le scanner avec les reformations multiplanaires est un peu supérieur à l’IRM pour la détection des fractures des différents éléments de l’arc postérieur et des luxations zygapophysaires. Au niveau de la colonne antérieure, les fractures du ligament longitudinal antérieur sont bien visualisées sur les coupes sagittales ou les reformations 3D en vue antérieure avec rendu de surface. Un trait entièrement transdiscal réalise généralement un élargissement discal prédominant souvent en avant avec fréquemment translation antéropostérieure plus ou moins marquée. Le trait fracturaire peut traverser partiellement le disque et partiellement le plateau vertébral avec arrachement d’un fragment osseux plus ou moins volumineux du plateau. Enfin la fracture peut être purement transcorporéale, horizontale ou oblique, située très près d’un plateau vertébral ou en plein corps. En arrière, la lésion intéresse les différentes structures de l’arc postérieur soit au même niveau que la fracture antérieure, soit au niveau immédiatement sus- ou sous-jacent. Le fenêtrage parties molles peut révéler une collection dense intracanalaire postérieure, fusiforme aux extrémités supérieures et inférieures, effilées sur les reconstructions sagittales, en faveur d’un hématome épidural.


Réaliser une IRM de qualité chez ces patients est une véritable gageure. Ils sont souvent en mauvais état général, ont des problèmes respiratoires, supportent difficilement le décubitus dorsal. Idéalement, on utilise l’antenne de surface cervicale. Mais souvent la cyphose dorsale est telle que ce n’est pas possible et il faut recourir à l’antenne corps. D’extrêmes précautions sont nécessaires lors de l’installation du patient. Il faut veiller à ce que ne soit exercée aucune pression cervicale en extension : le rachis cervical doit rester en flexion, si nécessaire à l’aide d’oreillers. La surveillance du patient tout au long de l’examen est cruciale. En raison de l’état très précaire des patients, l’examen doit souvent être interrompu ; par ailleurs, la qualité d’image décroissant fréquemment avec chaque séquence successive, il est judicieux de commencer par les coupes les plus informatives : sagittale T2, sagittale STIR.


L’épaississement œdémateux ou hémorragique des parties molles prévertébrales est un signe quasi constant : souvent évident avec présence d’une collection liquidienne ou hétérogène, parfois discret sous forme des fines stries œdémateuses.


La fracture transdiscale se traduit par une image linéaire hyposignal en pondération T1, hypersignal plus ou moins marqué en pondération T2; plus la solution de continuité est large, plus la lésion apparaît de type liquidien [7]. Les fractures transcorporéales fines réalisent généralement un trait hyposignal en pondération T1, hypersignal en pondération T2. En cas de solution de continuité plus large (2 à 4 mm), on observe le plus souvent un signal de type liquidien. Dans les formes purement transdiscales, on n’observe généralement pas d’œdème médullaire périfracturaire ; dans les lésions transcorporéales, ce dernier est souvent marqué, mais parfois discret, détectable seulement sur les séquences STIR. En tout cas, l’absence d’œdème ne permet pas a priori d’affirmer l’absence de fractures.


En arrière, le trait de fracture réalise le plus souvent une image linéaire hyposignal T1 et hypersignal T2 à travers l’arc postérieur. Au sein des parties molles, on observe très fréquemment des signes d’œdème ou d’hématome dans la région interépineuse au niveau du foyer de fracture. Il peut exister des signes œdémateux et hémorragiques au sein des muscles paraspinaux adjacents, parfois étendus sur plusieurs niveaux ; leur intensité est variable : tantôt marquée, tantôt discrète, détectable seulement sur les séquences STIR ou après injection et suppression de graisse [7, 8].


L’IRM est utile pour le diagnostic de fractures passées inaperçues à la radiographie standard et celui de fractures à double localisation dont l’une a échappé à la radiographie (fractures occultes, éventualité fréquente dans la SA évoluée) [6, 7], mais l’intérêt majeur de l’IRM est bien sûr l’étude des éventuelles répercussions sur la moelle épinière dont les lésions élémentaires suivantes peuvent être visualisées : œdème médullaire, contusion hémorragique, compression par les éléments osseux, hématome épidural, section complète.


L’hématome épidural est une complication assez fréquente des fractures transvertébrales vraisemblablement du fait de lésions de traction sur les plexus veineux épiduraux [5]. Il réalise une masse extradurale, le plus souvent de localisation postérieure ou postérolatérale avec sur les coupes sagittales un aspect fusiforme aux extrémités supérieures et inférieures effilées, en pointe. Le signal de ces hématomes est variable. Au stade aigu, on observe généralement un hyposignal en pondération T1 et un hyposignal homogène ou hétérogène (zones focales en hypersignal) en pondération T2. Après 24 heures d’évolution, les hématomes sont typiquement en hypersignal sur les deux types de séquences. Sur le plan clinique, il existe classiquement un intervalle libre entre l’épisode traumatique et l’apparition de la symptomatologie neurologique ; le début est généralement brutal avec douleurs parfois de trajet radiculaire (indiquant alors le site du début de saignement). Puis s’installe un déficit moteur et sensitif : paraparésie ou tétraparésie pouvant évoluer vers la paralysie complète. Le traitement consiste en une décompression urgente par laminectomie des niveaux touchés. Le pronostic de ces hématomes épiduraux est fonction de la sévérité des symptômes, de la rapidité de leur progression, de l’extension de la lésion et de l’intervalle de temps entre début clinique et geste décompressif.

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May 29, 2017 | Posted by in RADIOLOGIE | Comments Off on 10: Fractures du rachis enraidi

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