10: Facteurs de risque, préjudices et maltraitance en périnatalité

Chapitre 10 Facteurs de risque, préjudices et maltraitance en périnatalité



Lorsqu’on parle de maltraitance, on entend le plus souvent celle faite à l’enfant, un enfant qui parle, marche, va à l’école.


Mais de plus en plus, l’intérêt depuis quelques décennies du grand public pour la périnatalité aidant, on envisage la maltraitance faite sur de très jeunes enfants, sur des bébés. En témoignent les affaires de bébés secoués (Renier, 2000), de néonaticides, largement relayés par les médias, les émissions médicales et les procès des parents soulevant discussions et polémiques…


À nous qui savons bien que la relation parents–enfant ne débute pas le jour de la naissance, il nous faut considérer la maltraitance, les facteurs de risque de maltraitance ou de préjudices à fœtus repérables dès la grossesse. D’ailleurs, en 1926, S. Freud disait déjà : « La vie intra-utérine et la première enfance sont beaucoup plus comprises dans une connexion de continuité que ne le ferait croire la césure impressionnante de l’acte de naissance. »


L’embryon/fœtus peut être malmené physiquement et psychiquement au travers du corps de sa mère, par la maladie elle-même, somatique ou mentale, les traitements qu’elle nécessite, les répercussions qu’elle entraîne sur la psyché maternelle. Nous envisagerons ainsi quelle prévention il est souhaitable de réaliser.


Enfin, la femme enceinte, le futur père, les soignants seront regardés sous cet angle, le titre large de « maltraitance en périnatalité » laissant évoquer que d’autres que le fœtus ou le bébé puissent être victimes de mauvais traitements.


L’idéal de la prévention en périnatalité, c’est de pouvoir intervenir sur la souffrance « tout-venant » du couple ou de la femme qu’on aura su voir en consultation, sans en faire un signe prédictif de maltraitance. En effet, certains facteurs de risque de la prématurité par exemple (cf. p. 75), recoupent ceux de la maltraitance à fœtus (défaut de suivi de grossesse, conduites à risque, précarité sociale…).


On évite ainsi l’enfermement d’une catégorie de futurs parents, et on peut prendre en charge le plus précocement possible des dysfonctionnements parents–embryon/fœtus/bébé de toute nature, qui peuvent mener à la négligence ou à la maltraitance de l’enfant (Robineau et Missonnier, 2004). Ces dysfonctionnements précoces de la relation seraient dus, d’après ces auteurs, à une inadaptation de l’anticipation parentale qui, par excès, par carence ou par désinvestissement, traduit une intégration problématique de la violence fondamentale.


Voici ce que je comprends de la violence fondamentale et de l’application de ce concept en périnatalité, et pardon à ceux qui, ayant lu J. Bergeret dans le texte, me trouveront bien naïve ou présomptueuse.


La violence fondamentale est nichée en chacun de nous avec d’autres sentiments archaïques. On est bien obligé de faire avec, et ce peut être un moteur de choses très positives. La femme enceinte n’y échappe pas et une partie d’elle est amenée à haïr son fœtus/bébé. Comme c’est assez mal vu, elle refoule – d’ailleurs nous refoulons tous, y compris les professionnels de la petite enfance, tant côtoyer la violence archaïque paraît dangereux – et fait des efforts psychiques considérables pour maintenir cette violence dans des limites acceptables : celles de l’ambivalence « ordinaire » comme disent Tabet et al. (2009). Ainsi, les sentiments d’amour, de désir de vie et de bonne santé du fœtus contrebalancent les sentiments d’hostilité, de rejet, de haine. La prévention des troubles primaires de la relation et de l’attachement passe donc par l’approche compréhensive des sentiments émergents de haine contre le fœtus et l’aide apportée dans ces cas à l’équilibre de la balance.


Prévenir signifie intervenir en amont. Quel terrain de prévention plus favorable alors pour les professionnels de la petite enfance que celui de la périnatalité, permettant un continuum préventif pré- et postnatal ? L’alerte est donnée pour l’intervention d’une équipe ou d’un réseau qui se doit d’être pluridisciplinaire, médical, social et « psy », lorsque l’on détecte chez la future mère une trop grande vulnérabilité, pouvant être le creuset de ce sentiment de haine envers le fœtus/bébé, et donc de maltraitance.


Toute grossesse met la femme en état de vulnérabilité et ce, de façon physiologique : une vulnérabilité immunologique, l’immunodépression maternelle permettant l’implantation de l’œuf, la croissance de l’embryon, ce « demi-étranger » ; une vulnérabilité émotionnelle ou psychique qui permet, grâce à une sensibilité exacerbée, de faire du temps de la grossesse un temps propice à dénouer les tensions, lever les blocages, et faire ainsi le berceau de « la préoccupation maternelle primaire » décrite par D.W. Winnicott.


Cette vulnérabilité-là est normale, physiologique. D’autres formes de fragilité vont inquiéter parce que jugées a-normales, excessives ou relevant de situations particulières ; elles risquent alors de retentir sur la capacité anticipatoire des parents, le bon déroulement de la grossesse, de nuire potentiellement au fœtus ou au nouveau-né en faisant le lit de la maltraitance – terme employé au sens large (Blazy, 2010b).


Cette bascule entre la fragilité « normale » d’une femme enceinte et celle qui sera considérée comme inquiétante par les professionnels de la périnatalité est due à des facteurs de risque surajoutés, faisant craindre, par l’intermédiaire du corps maternel et/ou du lien mère–bébé, un retentissement sur le développement physique et psychologique du fœtus, du nouveau-né, de l’enfant, mais aussi de l’adulte et futur parent. Il s’agit bien en effet de prévenir la maltraitance de l’enfant à naître, mais aussi, avec ambition et audace, celle de la génération future, maintenant que les ressorts de la répétition transgénérationnelle commencent à être compris.


Les pouvoirs publics se sont emparés de ce désir de prévention par la voix de F. Molénat et de sa circulaire issue du plan périnatalité 2005–2007. L’entretien précoce dit du 4e mois permettant de repérer les différents facteurs de risque dès le début de la grossesse en découle. Cette circulaire insiste sur l’importance de la collaboration médico-psychologique en périnatalité.



Quels sont ces facteurs de risque surajoutés ?


En mai 2007, la Haute Autorité de santé recommandait d’envisager avec attention certaines situations à risque, surtout si les risques sont cumulés, afin d’orienter la femme vers le meilleur niveau de soins ; ce sont :



L’anticipation la plus précoce possible lors de la grossesse vise à recommander des changements dans les comportements à risque, à prévenir certaines conséquences notamment médicales.


Tous ces facteurs aggravants de la trop grande vulnérabilité maternelle sont regroupés sous la bannière du stress, de même que des situations particulières mais non rares : deuils de proches, annonce de pathologie ou de handicap du fœtus, grossesse après procréation médicalement assistée… Mais en pratique, le stress est bien difficile à définir : telle situation stressante pour une femme enceinte ne le sera pas pour une autre, car métabolisée de façon différente selon le bagage culturel, familial, affectif de chacune ; ou, chez la même femme, ce stress aurait peut-être été mieux vécu hors grossesse.


S’il est certain que le stress retentit sur le fœtus et les premiers liens mère–bébé, il peut aussi bien venir de l’extérieur (environnement, événement) que de l’intérieur (angoisse liée à un conflit, au deuil de la bonne santé, par exemple).



Facteurs de vulnérabilité et maltraitance périnatale


J.Y. Diquelou (1996) dit qu’un « fœtus maltraité ou en risque de maltraitance à venir est celui qui, hors des possibilités légales d’interruption de grossesse, est victime de traumatismes physiques ou chimiques, de négligences graves conduisant à une altération de son développement, ou d’absence d’intérêt ou de désinvestissement parental compromettant l’environnement affectif lors de sa naissance ».


Or, si la psychotique qui se cogne le ventre en hurlant « enlevez-moi ce paquet de merde ! », la femme addictive aux drogues ou à l’alcool qui continue son intoxication pendant sa grossesse, la femme qui tente de se suicider alors qu’elle est enceinte sont des situations où la maltraitance à fœtus est évidente, on peut considérer que des symptômes de souffrance maternelle, plus difficiles à déchiffrer, en sont possiblement des racines.


Tous ces facteurs de vulnérabilité ou de stress maternel cités plus haut peuvent alors être sources de maltraitance prénatale, car révélateurs de la haine portée au fœtus (Robineau, Missonnier, 2004) : « Cette haine peut s’inscrire dans une grande diversité de tableaux psychosomatiques au sens où l’entend M. Soulé (1999) dans sa conception des interactions fœto-maternelles. L’infertilité, les IVG, FC, MAP (une forme de syndrome de Münchhausen par procuration destiné au fœtus a été évoquée au sujet d’un accouchement prématuré – Goss, McDougall, 1992, cité par Binet, 2001), les retards de croissance isolés, la contamination par VIH connue et/ou annoncée en prénatal… en sont de bons vecteurs potentiels. »


En effet, lorsque la femme enceinte présente une dépression grave, chronique ou réactionnelle à un deuil, à l’annonce d’une maladie grave ou d’une malformation du fœtus, à une séparation conjugale, il peut exister des conséquences obstétricales comme des contractions utérines, par exemple, ou une souffrance fœtale (Relier, 1993).


Mais qu’en est-il des conséquences sur le psychisme de ce nouveau-né et l’avenir de la relation mère–enfant du désinvestissement ou non-investissement de ce fœtus ? Du déni de la grossesse voire de la haine portée à cet enfant à venir ? Est-il légitime de penser que les « traces » laissées par la maltraitance à fœtus peuvent se réactiver ultérieurement chez le bébé ou chez l’enfant que N. Boige va voir en consultation (cf. chapitre 15) ? Quelles conséquences peuvent avoir un rejet massif et violent de la grossesse et/ou du fœtus exprimé verbalement parfois très crûment, ou de façon plus masquée, plus insidieuse, par des contractions utérines difficiles à juguler par exemple ? « En tant que fœtus, ce bébé nié a-t-il été maltraité de ne pas avoir été pensé ? La culpabilité ultérieure de certaines femmes le laisserait penser. » (Panel, Prigent, 2009.) Ou bien, comme le proposent C. Tabet et al. (2009), ne s’agirait-il pas plutôt de « non-traitance » que d’une réelle maltraitance ?


Nous traiterons à part (cf. chapitres 5.1 et 5.2), et de façon plus détaillée certains facteurs de risque : l’âge, la dépendance aux toxiques, les problèmes médicaux graves, la pathologie obstétricale, les antécédents possiblement traumatiques, la psychopathologie parentale, la précarité sociale, le handicap ou la malformation annoncée du futur bébé.


Revisitons cependant rapidement certains d’entre eux en faisant l’hypothèse qu’en soignant la future mère, à la fois sur le plan médical, psychologique et social, au cas par cas et loin des statistiques, et en donnant le temps au lien mère–enfant de se tisser dans un climat bienveillant, on réduit le risque périnatal de maltraitance (Blazy, 2010b).




Des situations particulières


Le déni de grossesse, qui n’est pas l’apanage de l’adolescente, la déclaration tardive de la grossesse, les grossesses inopinées qui n’ont pas pu faire l’objet d’une IVG, celles issues de viol, les désirs de faire adopter le bébé, qu’il naisse « sous X » ou non, sont tous des facteurs de risque devant faire l’objet d’une observation particulière.



Comble de la violence faite à une femme : le viol et l’inceste qui représente 70 % des viols79. Quand la grossesse est poursuivie au-delà du délai légal de l’IVG, il y a généralement eu déni post-traumatique, englobant les premiers mois, y compris la date de conception. Le diagnostic est donc fait tardivement avec une date de terme paradoxalement imprécise. Le plus souvent, ces jeunes femmes demandent à accoucher secrètement, en confiant le bébé à l’adoption dès la naissance. Ces grossesses si particulières nécessitent des soins spécifiques et adaptés pour que puisse se dire et être reçus la brutale conflictualité par rapport à la décision à prendre, la haine de l’agresseur, mais aussi du fœtus, l’impatience d’accoucher et de se débarrasser de ce parasite encombrant. Ce sont aussi des soignants – mais d’autres, en lien avec les premiers – qui doivent porter attention au fœtus, le garder en tête, lui manifester de l’empathie. Car quelles peuvent être les conséquences psychiques pour ce bébé de cette maltraitance psychologique : la part de conception dans la violence, puis déni, haine de sa mère ? Il me semble que dans ces cas caricaturaux, on perçoit bien la responsabilité des équipes de maternité pour humaniser ces nouveau-nés dès les consultations prénatales, en étant des acteurs de résilience dès leur accueil en salle de naissance, ce qui passe par le plein respect accordé à leur mère de naissance, à ses choix, à sa souffrance.


Malheureusement, les femmes qui souhaitent confier leur enfant à l’adoption, surtout quand la grossesse n’est pas issue d’un viol ou d’un inceste, qui légitimise en quelque sorte leur décision, sont encore trop souvent maltraitées. La société depuis deux décennies a fait de réels efforts pour comprendre, ou du moins « ne pas juger ». La maltraitance se fait de façon beaucoup plus subtile : la secrétaire de consultation ne crie plus « Madame X ! » dans la vaste salle d’attente bondée, mais la sage-femme demandera plusieurs fois en salle d’accouchement « Vous ne voulez vraiment pas le prendre dans les bras ? Vous êtes sûre ? » ; quant à l’échographiste, passé à côté de la formation et donc de la réflexion, il passera à côté d’une malformation fœtale gravissime, occupé qu’il est à faire comprendre à cette femme qu’une mère n’abandonne pas son enfant !


Il reste beaucoup de travail pour que les acteurs en périnatalité puissent entendre le non-vouloir ou l’impossibilité de certaines femmes à être mère à ce moment-là de ce bébé-là, sans projection idéologique ou personnelle, afin que les notions d’abandon et de séparation soient abordées sans drame. Il reste également beaucoup de travail pour que l’enfant et son intérêt ne soient jamais oubliés. C’est en quelque sorte à nous de le penser, de l’envelopper, de le porter… sans misérabilisme : le côté « Ah ! le pauvre petit ! Quel départ dans la vie ! Pas tombé dans le bon berceau ! » n’a jamais été un facteur de résilience pour personne !

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May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 10: Facteurs de risque, préjudices et maltraitance en périnatalité

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