Chapitre 10 Facteurs de risque, préjudices et maltraitance en périnatalité
Mais de plus en plus, l’intérêt depuis quelques décennies du grand public pour la périnatalité aidant, on envisage la maltraitance faite sur de très jeunes enfants, sur des bébés. En témoignent les affaires de bébés secoués (Renier, 2000), de néonaticides, largement relayés par les médias, les émissions médicales et les procès des parents soulevant discussions et polémiques…
L’idéal de la prévention en périnatalité, c’est de pouvoir intervenir sur la souffrance « tout-venant » du couple ou de la femme qu’on aura su voir en consultation, sans en faire un signe prédictif de maltraitance. En effet, certains facteurs de risque de la prématurité par exemple (cf. p. 75), recoupent ceux de la maltraitance à fœtus (défaut de suivi de grossesse, conduites à risque, précarité sociale…).
On évite ainsi l’enfermement d’une catégorie de futurs parents, et on peut prendre en charge le plus précocement possible des dysfonctionnements parents–embryon/fœtus/bébé de toute nature, qui peuvent mener à la négligence ou à la maltraitance de l’enfant (Robineau et Missonnier, 2004). Ces dysfonctionnements précoces de la relation seraient dus, d’après ces auteurs, à une inadaptation de l’anticipation parentale qui, par excès, par carence ou par désinvestissement, traduit une intégration problématique de la violence fondamentale.
La violence fondamentale est nichée en chacun de nous avec d’autres sentiments archaïques. On est bien obligé de faire avec, et ce peut être un moteur de choses très positives. La femme enceinte n’y échappe pas et une partie d’elle est amenée à haïr son fœtus/bébé. Comme c’est assez mal vu, elle refoule – d’ailleurs nous refoulons tous, y compris les professionnels de la petite enfance, tant côtoyer la violence archaïque paraît dangereux – et fait des efforts psychiques considérables pour maintenir cette violence dans des limites acceptables : celles de l’ambivalence « ordinaire » comme disent Tabet et al. (2009). Ainsi, les sentiments d’amour, de désir de vie et de bonne santé du fœtus contrebalancent les sentiments d’hostilité, de rejet, de haine. La prévention des troubles primaires de la relation et de l’attachement passe donc par l’approche compréhensive des sentiments émergents de haine contre le fœtus et l’aide apportée dans ces cas à l’équilibre de la balance.
Cette vulnérabilité-là est normale, physiologique. D’autres formes de fragilité vont inquiéter parce que jugées a-normales, excessives ou relevant de situations particulières ; elles risquent alors de retentir sur la capacité anticipatoire des parents, le bon déroulement de la grossesse, de nuire potentiellement au fœtus ou au nouveau-né en faisant le lit de la maltraitance – terme employé au sens large (Blazy, 2010b).
Quels sont ces facteurs de risque surajoutés ?
En mai 2007, la Haute Autorité de santé recommandait d’envisager avec attention certaines situations à risque, surtout si les risques sont cumulés, afin d’orienter la femme vers le meilleur niveau de soins ; ce sont :
• les facteurs de risque médicaux, gynécologiques et obstétricaux ;
• les antécédents personnels préexistants gynécologiques ou non, ou liés à une grossesse précédente ;
• les facteurs de risque généraux, dont l’âge, les antécédents familiaux, les facteurs sociaux et environnementaux.
Tous ces facteurs aggravants de la trop grande vulnérabilité maternelle sont regroupés sous la bannière du stress, de même que des situations particulières mais non rares : deuils de proches, annonce de pathologie ou de handicap du fœtus, grossesse après procréation médicalement assistée… Mais en pratique, le stress est bien difficile à définir : telle situation stressante pour une femme enceinte ne le sera pas pour une autre, car métabolisée de façon différente selon le bagage culturel, familial, affectif de chacune ; ou, chez la même femme, ce stress aurait peut-être été mieux vécu hors grossesse.
Facteurs de vulnérabilité et maltraitance périnatale
J.Y. Diquelou (1996) dit qu’un « fœtus maltraité ou en risque de maltraitance à venir est celui qui, hors des possibilités légales d’interruption de grossesse, est victime de traumatismes physiques ou chimiques, de négligences graves conduisant à une altération de son développement, ou d’absence d’intérêt ou de désinvestissement parental compromettant l’environnement affectif lors de sa naissance ».
Tous ces facteurs de vulnérabilité ou de stress maternel cités plus haut peuvent alors être sources de maltraitance prénatale, car révélateurs de la haine portée au fœtus (Robineau, Missonnier, 2004) : « Cette haine peut s’inscrire dans une grande diversité de tableaux psychosomatiques au sens où l’entend M. Soulé (1999) dans sa conception des interactions fœto-maternelles. L’infertilité, les IVG, FC, MAP (une forme de syndrome de Münchhausen par procuration destiné au fœtus a été évoquée au sujet d’un accouchement prématuré – Goss, McDougall, 1992, cité par Binet, 2001), les retards de croissance isolés, la contamination par VIH connue et/ou annoncée en prénatal… en sont de bons vecteurs potentiels. »
En effet, lorsque la femme enceinte présente une dépression grave, chronique ou réactionnelle à un deuil, à l’annonce d’une maladie grave ou d’une malformation du fœtus, à une séparation conjugale, il peut exister des conséquences obstétricales comme des contractions utérines, par exemple, ou une souffrance fœtale (Relier, 1993).
Mais qu’en est-il des conséquences sur le psychisme de ce nouveau-né et l’avenir de la relation mère–enfant du désinvestissement ou non-investissement de ce fœtus ? Du déni de la grossesse voire de la haine portée à cet enfant à venir ? Est-il légitime de penser que les « traces » laissées par la maltraitance à fœtus peuvent se réactiver ultérieurement chez le bébé ou chez l’enfant que N. Boige va voir en consultation (cf. chapitre 15) ? Quelles conséquences peuvent avoir un rejet massif et violent de la grossesse et/ou du fœtus exprimé verbalement parfois très crûment, ou de façon plus masquée, plus insidieuse, par des contractions utérines difficiles à juguler par exemple ? « En tant que fœtus, ce bébé nié a-t-il été maltraité de ne pas avoir été pensé ? La culpabilité ultérieure de certaines femmes le laisserait penser. » (Panel, Prigent, 2009.) Ou bien, comme le proposent C. Tabet et al. (2009), ne s’agirait-il pas plutôt de « non-traitance » que d’une réelle maltraitance ?
Nous traiterons à part (cf. chapitres 5.1 et 5.2), et de façon plus détaillée certains facteurs de risque : l’âge, la dépendance aux toxiques, les problèmes médicaux graves, la pathologie obstétricale, les antécédents possiblement traumatiques, la psychopathologie parentale, la précarité sociale, le handicap ou la malformation annoncée du futur bébé.
Revisitons cependant rapidement certains d’entre eux en faisant l’hypothèse qu’en soignant la future mère, à la fois sur le plan médical, psychologique et social, au cas par cas et loin des statistiques, et en donnant le temps au lien mère–enfant de se tisser dans un climat bienveillant, on réduit le risque périnatal de maltraitance (Blazy, 2010b).
La grossesse chez l’adolescente (cf.chapitre 7)
La grossesse chez l’adolescente entraîne un court-circuit de la maturation psychique en particulier dans le registre du désir, de la sexualité ; on note également plus de dépressions en anténatal et en postnatal, plus de comportements à risque (l’adolescente se situant classiquement dans la toute-puissance), plus d’addictions, quand la grossesse n’est pas déniée totalement plus ou moins tard dans la grossesse, voire jusqu’à l’accouchement, avec déclaration de grossesse tardive. Au lieu du déni de grossesse, phénomène inconscient, parfois partagé par l’entourage même très proche, il peut s’agir de (dé)négation inconsciente, refoulement d’une information dérangeante. Dans d’autres cas, l’adolescente se sait consciemment enceinte, dissimule sa grossesse et peut avoir recours à la pensée magique pour la faire disparaître (cf. p. 157). Les contraintes de la grossesse lui sont difficiles à vivre, celles d’un nouveau-né encore plus. L’accompagnement positif et bienveillant de ces toutes jeunes femmes est absolument nécessaire pour limiter les risques de négligence ou de maltraitance.
Des situations particulières
Marine, une jeune femme d’une vingtaine d’années qui a découvert sa grossesse juste après la fin du délai légal de l’IVG, n’a fait suivre sa grossesse qu’à partir de 6 mois. Elle est hospitalisée dans le service à 7 mois parce qu’elle présente de multiples contractions et qu’elle souhaite réfléchir à l’adoption de son bébé. Elle accouche à terme, sous X, puis se rétracte quelques jours après la naissance de sa petite fille parce que sa mère n’était pas d’accord pour qu’elle abandonne l’enfant. Ré-hospitalisée dans le service, elle s’en occupe sans entrain en confiant au personnel soignant qu’elle a fait la pire erreur de sa vie en gardant cette enfant, mimant de la mettre à la poubelle, la mettant dans les bras de sa référente dès qu’elle pleure. Pour finir, elle signe au bout de 2 mois un consentement à l’adoption et part faire un stage de poney. Sans la vigilance des soignants en périnatalité, il y a fort à parier que cette enfant aurait été maltraitée très tôt avant d’être placée… et non adoptable.
Comble de la violence faite à une femme : le viol et l’inceste qui représente 70 % des viols79. Quand la grossesse est poursuivie au-delà du délai légal de l’IVG, il y a généralement eu déni post-traumatique, englobant les premiers mois, y compris la date de conception. Le diagnostic est donc fait tardivement avec une date de terme paradoxalement imprécise. Le plus souvent, ces jeunes femmes demandent à accoucher secrètement, en confiant le bébé à l’adoption dès la naissance. Ces grossesses si particulières nécessitent des soins spécifiques et adaptés pour que puisse se dire et être reçus la brutale conflictualité par rapport à la décision à prendre, la haine de l’agresseur, mais aussi du fœtus, l’impatience d’accoucher et de se débarrasser de ce parasite encombrant. Ce sont aussi des soignants – mais d’autres, en lien avec les premiers – qui doivent porter attention au fœtus, le garder en tête, lui manifester de l’empathie. Car quelles peuvent être les conséquences psychiques pour ce bébé de cette maltraitance psychologique : la part de conception dans la violence, puis déni, haine de sa mère ? Il me semble que dans ces cas caricaturaux, on perçoit bien la responsabilité des équipes de maternité pour humaniser ces nouveau-nés dès les consultations prénatales, en étant des acteurs de résilience dès leur accueil en salle de naissance, ce qui passe par le plein respect accordé à leur mère de naissance, à ses choix, à sa souffrance.