10: Échographie transœsophagienne peropératoire en chirurgie non cardiaque

10 Échographie transœsophagienne peropératoire en chirurgie non cardiaque



L’échocardiographie transœsophagienne (ETO) est maintenant bien implantée dans la gestion périopératoire des patients de chirurgie cardiaque. Son importance dans la spécialité s’étend à mesure que les connaissances, l’expérience et la technologie continuent de progresser.


Plus récemment, les avantages de l’ETO en chirurgie non cardiaque ont commencé à émerger. Bien que ce rôle ne soit pas encore totalement établi, l’utilisation de l’échographie est encore susceptible d’évoluer, les anesthésistes étant de plus en plus familiers de cette technique et les appareils de plus en plus mobiles et économiques. Les facteurs démographiques, notamment le nombre croissant de patients âgés ayant des niveaux élevés de comorbidité, vont également contribuer à accroître la demande de monitorage par ETO pour différents types de chirurgie non cardiaque. Bien sûr, contrairement à la chirurgie cardiaque – où la pathologie observée en ETO peut être prise en charge directement par le chirurgien –, dans les cas de chirurgie non cardiaque, les résultats sont susceptibles d’être traités médicalement, par exemple par des changements dans l’administration de liquide ou de drogues. Ainsi, les avantages de l’ETO peuvent être moins facilement démontrables en cas de chirurgie non cardiaque. L’objectif de ce chapitre est de proposer une vue d’ensemble de la valeur potentielle de l’ETO en chirurgie non cardiaque et de présenter des illustrations soulignant l’intérêt diagnostique potentiel de l’ETO. Bien que la couverture totale de ce vaste sujet soit hors de la portée d’un seul chapitre, il peut servir d’introduction au sujet. L’ETO fournit des données dynamiques, en temps réel, qui ne sont pas représentées de façon optimale dans la plupart des images fixes accompagnant ce document écrit. Il est fortement conseillé au lecteur de regarder les images en mouvement sur le DVD joint et d’utiliser ces images comme aide-mémoire.



Indications à l’échographie transœsophagienne en chirurgie non cardiaque


Alors que les recommandations pour la pratique publiées par la Society of Cardiovascular Anesthesiologists et l’American Society of Anesthesiologists Task Force sur l’ETO en 1996 [1] sont évidemment pertinentes pour la chirurgie cardiaque, elles ont également des implications pour la pratique de l’anesthésie en chirurgie non cardiaque. D’une façon générale, les avantages les plus évidents de l’ETO sont perçus lorsqu’il y a une instabilité hémodynamique prévisible ou déjà installée. Ceci peut être dû à des facteurs liés au patient, à la chirurgie ou aux deux. Dans de tels cas, une recommandation de niveau I peut être faite pour l’utilisation de l’ETO. Une autre utilisation, plus délicate à caractériser de l’ETO est qu’elle permet d’expliquer en temps réel la physiologie ou physiopathologique d’un patient donné. Cependant, parce qu’elle peut ne pas nécessairement déboucher sur un traitement (voir les exemples présentés plus bas), une recommandation claire et largement applicable ne peut être faite, même si les images acquises ne sont pas douteuses. Le clinicien prudent ne peut donc porter un jugement sur le rapport bénéfice/risque de l’ETO que pour un patient donné, sur la base de la situation clinique. Les résultats d’essais bien menés évaluant l’efficacité de l’ETO en chirurgie non cardiaque sont insuffisants et peu susceptibles d’être probants. Toutefois, cette absence de preuves supportant le rôle de l’ETO en chirurgie non cardiaque est plus en rapport avec la rareté des études pertinentes qu’avec l’absence d’efficacité. Les preuves disponibles sont présentées dans le tableau 10.1.


TABLEAU 10.1 Niveau de preuve de l’utilisation de l’échographie transœsophagienne au cours de la chirurgie non cardiaque.

































Indication Niveau de preuve
Instabilité hémodynamique Niveau I
Haut risque chirurgical Niveau II
Patient à haut risque (ischémie myocardique) Niveau II
Détection d’une source embolique Niveau II
Détection d’une embolie gazeuse Niveau II
Détection d’un processus thromboembolique ou excision Niveau II
Détection d’une embolie graisseuse Niveau III
Traumatisme non cardiaque (traumatisme vasculaire majeur) Niveau III
Positionnement des dispositifs intravasculaires Niveau III


Instabilité hémodynamique, aide au remplissage et recours aux catécholamines


L’instabilité hémodynamique aiguë, lorsque la fonction ventriculaire et ses facteurs déterminants sont inconnus ou réfractaires au traitement initial, constitue une application universelle de l’ETO, indépendamment de la chirurgie en cause. La pression artérielle dépend de la fréquence cardiaque, du volume systolique et des résistances vasculaires : tous trois sont touchés de manière imprévisible lors de l’anesthésie et du stress chirurgical. La distinction entre une hypovolémie et une vasodilatation peut être cliniquement difficile, en particulier avec un accès limité au patient, comme cela est courant dans un environnement opératoire. L’ETO, cependant, permet d’estimer la contractilité du myocarde et l’état du remplissage. En outre, des anomalies associées à ces perturbations hémodynamiques graves, comme une tamponnade péricardique, une contusion cardiaque ou une lésion de l’aorte, peuvent être détectées. Les décisions concernant le remplissage vasculaire et la perfusion d’inotrope ou de vasopresseur peuvent être fondées sur des preuves visuelles plutôt que sur une stratégie d’essais et d’erreurs. En revanche, l’exploration des pressions par cathétérisme artériel pulmonaire n’évalue pas avec précision la précontrainte au cours de procédures cardiovasculaires majeures, lorsque la fonction ventriculaire gauche est altérée ou lorsqu’il y a une dysfonction de la valve mitrale [2].


Comme le délai d’obtention et d’insertion d’une sonde d’ETO peut être cliniquement significatif, il est raisonnable d’utiliser cette forme de monitorage dans les cas où de telles situations sont susceptibles de se produire ou chez les patients qui toléreraient mal de tels événements. En outre, l’absence d’une ETO de référence, réalisée avant l’apparition de l’instabilité hémodynamique, peut rendre des anomalies plus difficiles à interpréter. Les preuves disponibles justifient de garantir au moins la disponibilité immédiate de l’ETO pour tous les patients anesthésiés. Il a été récemment démontré, chez plus de 125 000 patients subissant une chirurgie non cardiaque, que l’ETO facilitait le diagnostic rapide et la gestion des arrêts cardiaques inopinés [3]. D’autres recherches ont montré que l’évaluation par une ETO avait un impact majeur dans la gestion de 15 % des patients hémodynamiquement instables [4]. Dans cette étude, un impact majeur était observé lorsque l’information acquise était utilisée pour traiter un événement menaçant le pronostic vital, lorsqu’elle changeait la prise en charge chirurgicale ou anesthésique ou si elle conduisait à une évaluation plus poussée au cours de la période postopératoire [4].



Patients à risque accru d’instabilité hémodynamique


Les patients peuvent avoir un risque accru d’événements cardiaques péri-opératoires, en raison de la nature de la chirurgie ou de la nature du profil de risque. Les études récentes ont démontré qu’un remplissage vasculaire dont l’objectif était guidé par échocardiographie chez de tels patients pouvait améliorer les résultats d’une chirurgie non cardiaque majeure [5,6]. Il existe de nombreuses publications de cas cliniques et d’études observationnelles confirmant la valeur de l’échocardiographie dans la surveillance du remplissage et de la performance cardiovasculaire [7]. Ceci justifie probablement un statut de recommandation de niveau I, l’instabilité hémodynamique étant souvent observée en cas de chirurgie majeure. Au moins un tiers des patients non cardiaques en unité de soins intensifs (USI) bénéficient d’une prise en charge identique, indépendamment de la présence ou de l’absence d’un cathéter artériel pulmonaire [8,9].


Bien que la courbe de Frank-Starling puisse être utilisée pour un patient particulier, comme l’échocardiographie permet une évaluation facile du remplissage (en fin de diastole du ventricule gauche) et du volume d’éjection systolique (par des mesures Doppler), l’interprétation de ces données doit se faire avec prudence et en considérant le tableau clinique complet. Par exemple, même l’oblitération télésystolique de la cavité, généralement due à une hypovolémie, peut être causée ou aggravée par une réduction des résistances vasculaires ou une augmentation d’inotropisme (figure 10.1). En pratique, il est inhabituel de documenter la relation entre la précharge et la contractilité chez un patient donné, avec de tels critères ; néanmoins, l’observation d’un ventricule apparemment vide qui est alors perçu comme se remplissant lors de la perfusion de soluté, avec une amélioration hémodynamique concomitante, représente le même processus de pensée. Cependant, l’ETO permet une visualisation immédiate de la réponse au volume perfusé – au moins de documenter un « chaînon manquant » entre les essais de traitement et les résultats en termes de pression artérielle. Un système automatisé de détection des contours tel que la quantification acoustique permet la mesure, battement par battement, des surfaces télédiastolique et télésystolique du ventricule gauche ainsi que des modifications de surface du ventricule gauche – un substitut bidimensionnel à la mesure de la fraction d’éjection (figure 10.2). La quantification acoustique est une technique particulièrement précise lors d’une chirurgie non cardiaque, car le cœur est relativement fixe et n’est pas manipulé, comme il peut l’être lors d’une chirurgie cardiaque. Toutefois, avec l’expérience, une évaluation visuelle, plus qualitative, s’est avérée à la fois sensible et spécifique [10]. L’écran partagé en deux ou en quatre pour la comparaison des cine-loops enregistrés disponible sur les appareils actuels est particulièrement utile à cet effet.





Scénarios cliniques : échographie transœsophagienne et procédures opératoires spécifiques



Chirurgie vasculaire majeure


Les patients nécessitant une chirurgie vasculaire majeure ont généralement une comorbidité importante. L’ischémie du myocarde survient chez jusqu’à 15 % des patients subissant une chirurgie vasculaire ou une chirurgie de l’artère carotide et jusqu’à 25 % des patients subissant une chirurgie de l’aorte abdominale. Poldermans et al. [11], par exemple, ont trouvé dans leur groupe contrôle que 34 % de ces patients avaient présenté un infarctus du myocarde périopératoire ou une mort de cause cardiaque.


L’ETO fournit une méthode puissante pour une surveillance cardiaque précise, pour des patients qui présentent un risque cardiovasculaire élevé soumis à une telle chirurgie [12]. L’apparition d’anomalies régionales de la cinétique segmentaire, détectées lors de la surveillance échocardiographique, constitue un marqueur précoce et fiable de l’ischémie du myocarde (figure 10.3). Le mouvement de la paroi est évalué en examinant le mouvement endocardique lors de la contraction et en mesurant l’épaississement pariétal en systole. Des anomalies de cinétique segmentaire de la paroi peuvent être classées comme une hypokinésie (mouvement endocardique et épaississement pariétal réduits), akinésie (mouvement endocardique et épaississement pariétal absents) ou dyskinésie (mouvement endocardique vers l’extérieur et amincissement des parois en systole), et sont facilement détectées par des praticiens expérimentés en ETO (figure 10.3).



Bien que l’ETO soit très sensible dans la détection de l’ischémie du myocarde, il n’existe aucune preuve d’une relation avec l’évolution ni que la détection et le traitement des événements ischémiques détectés par échocardiographie améliore le pronostic [1316]. De façon analogue au débat sur le cathétérisme artériel pulmonaire, il est peu probable qu’un dispositif de surveillance permette d’améliorer substantiellement les résultats avant que le meilleur traitement de la pathologie constatée soit établi. Malgré cela, l’ETO est certainement le meilleur outil de monitorage disponible pour l’évaluation et la gestion de l’état cardiovasculaire au cours de la chirurgie aortique majeure impliquant des clampages, des déclampages et des pertes de sang importantes, montrant des changements non décelables par le cathétérisme artériel pulmonaire, qui affectent la gestion et la prise de décision [17,18]. Les études ont montré que lors d’une intervention chirurgicale majeure, l’ETO était à l’origine de changements dans le traitement médicamenteux ou le remplissage pour 32 % des patients et un nouveau diagnostic pour 9 % des patients [19]. Les indications émergentes de l’ETO dans ce domaine sont la confirmation du déploiement d’un stent endovasculaire, utilisé pour réparer des anévrismes de l’aorte, et l’évaluation des flux dans les artères viscérales pour l’aide à la prise de décision chirurgicale.

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Jun 24, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 10: Échographie transœsophagienne peropératoire en chirurgie non cardiaque

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