1. Qualité de vie en cancérologie ORL


Qualité de vie en cancérologie ORL


N. Heutte, L. Plisson, V. Prévost and E. Babin


PLAN DU CHAPITRE



En 1994, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a défini la qualité de vie (QdV) comme « la perception qu’a un individu de sa place dans la vie, dans le contexte de la culture et du système de valeur dans lequel il vit, en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes. C’est un concept très large qui peut être influencé de manière complexe par la santé physique du sujet, son état psychologique et son niveau d’indépendance, ses relations sociales et sa relation aux éléments essentiels de son environnement » (OMS Working Group, 1994). La QdV apparaît comme un concept multidimensionnel permettant d’évaluer de façon subjective le vécu d’un individu. Elle s’intéresse au bien-être physique, psychologique, social, et à l’autonomie fonctionnelle de l’individu mais aussi à l’accomplissement de soi, à la vie spirituelle, à la sexualité, aux finances [1, 2]. Elle est liée aux facteurs culturels, à l’expérience, à la connaissance et aux valeurs de chacun.


Elle peut évoquer la mesure dans laquelle les espoirs et les ambitions d’une personne sont atteints et réalisés dans son existence.


In fine, quelle que soit la définition médicale retenue, la QdV est une mesure subjective, qui répond à la perception de soi dans le monde (soi social).


La médecine a incorporé et modelé la QdV pour en faire un outil d’analyse pouvant quantifier la santé et la maladie. La santé répond à « un état de complet bien-être physique, mais aussi psychologique et social, et non pas uniquement l’absence de maladie ou d’infirmité » (OMS 10). La maladie est son contraire.


En cancérologie, le concept de qualité de vie est rythmé par l’état de santé de l’individu et a évolué au cours du temps. La guérison des patients en terme de « quantité de vie » a longtemps constitué la préoccupation principale des médecins avec comme critère de jugement la survie. Une espérance de vie limitée, avec des issues thérapeutiques entraînant rarement la guérison ou a contrario un allongement de la durée de la vie liée à l’amélioration des traitements, la mobilisation des proches sont à l’origine de l’émergence et de l’évolution de la thématique « qualité de vie ». Dorénavant, l’évaluation de la QdV des malades est incluse comme critère d’évaluation dans les essais cliniques au même titre que la survie ou le taux de réponse [3, 4].


La prise en compte de la QdV en cancérologie ORL ne peut se discuter. Les patients sont confrontés à une pathologie à fort potentiel létal et doivent apprendre en plus à gérer les conséquences de la maladie et des traitements sur leur apparence physique, et sur des fonctions aussi essentielles que la déglutition, la respiration et la parole [5, 6] mais aussi sur les modifications de leur quotidien. Les individus atteints sont souvent défavorisés et de bas niveau socio-économique avec un tissu relationnel réduit par la perte du travail liée à la survenue du cancer [7]. Les troubles physiques, l’impact psychologique des traitements souvent mutilants, l’étiolement du tissu social fomentent la solitude, favorisent le repli des malades et influent sur la QdV [7].


La suite du chapitre liste les outils d’évaluation de la QdV en cancérologie ORL. Ils exposent leur fréquence et leur mode d’utilisation ainsi que leur pertinence.


Le but est de permettre à chacun de faire un choix dans ces outils et de les adapter aux thématiques d’analyse en respectant les règles d’utilisation des échelles (c’est-à-dire qu’il n’est possible ni de les modifier ni de les utiliser partiellement).


L’évaluation de la qualité de vie nécessite le choix d’outils adaptés parmi un grand panel disponible. En 2003, un article de McHorney [8] mentionnait l’existence de plus de 75 mesures pour évaluer la QdV en cancérologie. Le choix des outils d’évaluation, crucial pour la réussite de l’étude envisagée, doit être orienté par l’objectif de l’étude, les caractéristiques de la population ciblée (patients atteints de cancer ORL) et les propriétés psychométriques des échelles de QdV.


La qualité de vie est une grandeur subjective multidimensionnelle qui doit être prise en compte par les échelles couvrant un large éventail d’items dans de multiples domaines (physique, cognitif, etc.). Par exemple l’échelle de l’EORTC (Organisation for Research and Treatment of Cancer) QLQ-C30 (Quality of Life Questionnaire), qui comporte 30 questions, évalue une échelle de la santé globale, 5 échelles fonctionnelles (physique, rôle, cognitive, sociale et émotionnelle) et trois échelles de symptômes (nausées, douleurs, fatigue) sur la base de 24 questions et 6 items simples (dyspnée, insomnie, perte d’appétit, constipation, diarrhée et impact financier) sur la base des 6 questions restantes.


Les différentes échelles de QdV se décomposent en deux groupes : les échelles génériques et les échelles spécifiques. Les échelles génériques (EuroQol, SF-36, PGI, etc.) s’intéressent à la qualité de vie et à l’état de santé en dehors d’une pathologie donnée. Ces échelles permettent de comparer la QdV de groupes de patients souffrant de pathologies différentes ou de comparer la QdV de patients souffrant d’une pathologie avec des populations de référence non malades. Les échelles spécifiques s’intéressent à une maladie (l’échelle EORTC QLQ-C30 pour le cancer, Fact-H&N pour le cancer ORL, etc.), à un domaine et/ou symptôme (fatigue, dépression, xérostomie, dysphagie, etc.) ou à un traitement (chirurgie ou radiothérapie). Ces échelles sont plus sensibles aux variations cliniques et aux effets des traitements que les échelles globales.


Les questionnaires complétés par les patients eux-mêmes sont plus sensibles que ceux complétés par le médecin ou les proches [9]. Ces questionnaires doivent être « acceptables » pour la population d’étude afin de maximiser le taux de réponses, le nombre d’items répondus et par conséquent de dimensions évaluées. Le temps de remplissage des questionnaires doit être le plus court possible.


Les échelles de QdV, dites validées, doivent répondre à un certain nombre de critères [10] de :



Cette validation psychométrique est effectuée dans le cadre d’une étude statistique.


Lorsqu’une échelle validée est modifiée en termes de contenu ou de présentation mais également traduite dans une nouvelle langue, de nouvelles études de validation doivent être réalisées pour s’assurer de sa validité [11]. L’ajout de questions à une échelle doit se faire, si nécessaire, à la fin du questionnaire afin de ne pas « casser » la structure de l’échelle [12].


Les tableaux 1.1 à 1.10 exposent les échelles mentionnées dans les 492 articles publiés entre le 1er mars 2006 jusqu’au 3 avril 2012, référencés dans medline et obtenus avec les mots clés suivants : « quality of life » AND « head and neck » AND cancer et avec les limites suivantes : Humans, English, French, Publication Field : Title/Abstract. Seules les échelles validées en français ou cliniquement pertinentes sont rapportées (notées en gras). Globalement, les échelles sont rangées par fréquence d’apparition dans la littérature. Celles notées en italique ne sont pas apparues dans notre sélection mais présentent un intérêt clinique.












Finalement, le scoring des mesures observées doit être réalisé en fonction de l’échelle retenue et il convient de privilégier les échelles qui permettent une étendue la plus large possible des scores observés sur la population ciblée dans le cadre de l’étude envisagée afin d’obtenir la meilleure précision possible des résultats.


Faisant suite aux échelles, sera abordée l’importance de l’évaluation du statut nutritionnel et son retentissement sur la QdV des patients à haut risque de dénutrition que sont les patients atteints de cancers ORL. Les principaux paramètres anthropométriques, index biologiques et scores cliniques permettant de gérer au mieux la stratégie nutritionnelle, seront abordés.




Échelles spécifiques au cancer


Les principales échelles spécifiques au cancer (tableau 1.2), validées en français, sont le QLQ-C30 et le Fact-G. Leurs durées de « remplissage » sont respectivement de 11 et 5 minutes [16].



Échelles spécifiques au cancer ORL


Les principales échelles spécifiques au cancer ORL (tableau 1.3), validées en français, sont le QLQ-H&N35, le Fact-H&N et la UW-QOL. Leurs durées de « remplissage » sont respectivement de 11, 5 et 5 minutes [16]. L’échelle de l’EORTC QLQ-H&N35 est actuellement en révision afin de mieux y intégrer les effets secondaires liés à la chirurgie ou chimio-radiothérapie (mucosité grave, perte de cheveux, neuropathie, dysphagie chronique, etc.).



Échelles spécifiques à la voix et à la parole (tableau 1.4)


Le VHI est une échelle d’auto-évaluation permettant d’établir le degré de sévérité de l’handicap causé par un trouble vocal. Il s’agit d’un outil validé, facile d’utilisation pour le thérapeute et simple à remplir pour le patient. Sa durée de « remplissage » est de 8 minutes, ce qui est compatible avec son utilisation dans le cadre d’un bilan vocal. Une version courte du VHI (VHI-10) a été validée tant pour le bilan initial que pour le suivi des patients atteints de dysphonie.


Le SHI est une échelle d’évaluation de la parole destinée aux patients atteints de cancers oraux ou oropharyngés. Cet outil permet de rendre compte des problèmes de phonation chez des patients dont la plainte ne concerne pas uniquement la voix contrairement au VHI.


La V-RQOL se distingue principalement par la mise au premier plan de la notion de la qualité de vie et non pas de handicap. Elle permet d’évaluer toutes les variétés de dysphonies.


Le Voice Prothesis Questionnaire est une échelle d’évaluation de la parole chez les patients porteurs d’une valve phonatoire œsotrachéale à l’issue d’une laryngectomie totale.


Le SECEL a été développé pour évaluer les troubles de la communication chez les patients laryngectomisés. Une nouvelle version (S-SECEL) est également adaptée à l’évaluation des troubles de la communication chez les patients traités selon d’autres modalités (radio/chimiothérapie) pour un cancer laryngé.


La VAPP est une échelle qui s’appuie sur l’ICIDH (International Classification of Impairments, Disabilities and Handicaps, 1997) par l’OMS. Elle met l’accent sur la distinction entre 2 dimensions dans les troubles vocaux : la limitation des activités et la restriction de la participation à ces activités. Cette distinction n’avait auparavant jamais été effectuée dans les échelles de qualité de vie relatives à la voix.


La VoiSS est un outil sensible d’évaluation de la pathologie dysphonique et de son évolution.


Le Voice Performance Questionnaire a été initialement créé pour l’auto-évaluation de la performance vocale chez les patients atteints d’une dysphonie non organique, a cependant été utilisé dans le cadre d’études portant sur des dysphonies organiques.


Le PHI est la seule échelle conçue et validée en français, construit sur le modèle du VHI et du Deglutition Handicap Index (DHI) permettant l’auto-évaluation du handicap de parole et de communication ressenti par les patients atteints de dysarthrie.

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May 5, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 1. Qualité de vie en cancérologie ORL

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